4.2 Physique des diélectriques 4.2.1 Introduction L’utilisation de matériaux diélectriques dans l’appareillage électrique, haute tension comme basse tension, a pour but de séparer entres elles les pièces métalliques portées à différents potentiels électriques comme par exemple l’âme centrale d’un câble souterrain de distribution, portée à une tension de 14,4 kV par rapport au neutre pour le réseau 25 kV, du neutre concentrique mis à la terre. Cette situation est illustrée à la figure 4.1b) cidessous. Le matériau diélectrique dans ce cas est un polymère extrudé, le polyéthylène. Similairement, la figure 4.1a) illustre le schéma d’un câble extrudé à très haute tension. L’épaisseur de l’isolation dans ce cas est plus importante mais le matériau isolant est le même c’est-à-dire le polyéthylène. À l’exception de quelques lignes, les câbles de transport de ce type ne sont pas actuellement très utilisés au Québec. a) b) Figure 4.1 : a) Schéma électrique d’un câble extrudé très haute tension [1]. Typiquement le champ électrique est compris entre 6 et 15 kV/mm. b) Schéma électrique d’un câble extrudé moyenne tension [2]. Typiquement le champ électrique près de l’âme centrale est compris entre 2,5 et 4 kV/mm. Un autre exemple de système d’isolation interne est le système d’isolation des enroulements statoriques des grandes machines. Tel que mentionnée précédemment, ces enroulements sont faits de barres (un tour) ou de bobines (plusieurs tours) pré-formées. Ces barres ou bobines sont en effet fabriquées en usine et placées dans les encoches statoriques sur site. Pour les machines 13,8 kV, la différence de potentiel phase-neutre que doit supporter le système d’isolation est de 8 kV. Les figures 4.2a et 4.2b illustrent en vue de coupe l’isolation de masse d’une barre et d’une bobine respectivement. La barre est une barre d’un alternateur refroidi à l’eau et conséquemment les conducteurs sont creux. La figure 2c illustre le système d’isolation de la partie hors fer d’une barre, appelée aussi développante. Une complication importante qui survient dans cette région du bobinage est l’apparition d’un fort champ tangentiel. Pour éviter la présence de décharge de surface un revêtement spécial dit anti-effluves est utilisé. Cette problématique sera traitée plus loin. Finalement la figure 4.2d est une photo de barres et bobines utilisées pour des essais en laboratoire. 1 a) c) b) d) Figure 4.2 : Système d’isolation du bobinage statorique des grandes machines tournantes : a) vue de coupe d’une barre [3]; b) vue de coupe d’une bobine [3]; c) système anti-effluve [4]; d) barres et bobines de machines 13,8 kV. Évidemment, le matériau diélectrique, en plus d’un rôle d’isolation électrique sert aussi de support mécanique aux pièces métalliques en plus de devoir dissiper la chaleur produite par le conducteur. Les propriétés électriques, mécaniques et thermiques de ces matériaux doivent donc être soigneusement étudiées lors que la conception d’un système d’isolation. Dans les sections qui suivent, nous verrons d’abord un aperçu des concepts théoriques reliés à ces matériaux. Par la suite, les différentes applications en électrotechnique seront abordées ainsi que les essais de maintenance et de diagnostique utilisés dans cette industrie. 2 4.2.2 Théorie des diélectriques 4.2.2.1 Polarisation statique Au chapitre 2, les phénomènes physiques entraînant la conductivité électrique ont été étudiés. Dans les matériaux isolants, il n’y a pas, ou très peu, de charge libre permettant la circulation du courant électrique. Nous reviendrons sur ce point à la section suivante. Par contre, les charges électriques présentes dans le matériau, si elles ne peuvent se mouvoir d’une électrode à l’autre peuvent se déplacer localement et entraîner une variation des charges images sur les électrodes. Cette variation des charges se traduit par un courant appelé courant de déplacement. Un appareil de mesure externe comme un ampèremètre, ou un pico-ampèremètre pour la mesure de petits courants, ne peut faire la distinction entre ce courant et un courant de conduction directe. Il est toutefois important de garder en tête la grande différence physique entre ces deux courants. Un matériau diélectrique qui ne conduit pas ou très peu, est plutôt caractérisé d’un point de vue électrique par sa permittivité. Cette dernière reflète l’intensité des mécanismes de polarisation dans le matériau. Le phénomène de polarisation peut être dans un premier temps illustré en considérant l’expérience suivante. Introduisons un matériau diélectrique entre les armatures d’un condensateur plan-plan soumis à une différence de potentiel continue Uo qui est maintenue constante par une source. Au moment où le diélectrique est inséré, on note la présence d’un courant circulant entre la source et le condensateur. C’est le courant de déplacement dont il a été fait mention au paragraphe précédent. Ce courant diminue avec le temps, plus ou moins rapidement, tout dépendamment des mécanismes de polarisation du matériau. En effet, sous l’action du champ électrique externe, un champ interne s’opposant au champ appliqué apparaît dans le diélectrique. Pour combattre ce champ, de nouvelles charges doivent être amenées par la source sur les armatures du condensateur. Le champ interne dans le diélectrique est causé par le phénomène de polarisation. La figure 4.3 ci-dessous illustre la situation d’un diélectrique entre deux électrodes. On distingue deux types de charges sur les électrodes du condensateur, les charges libres reliées au maintient de la tension sous vide ainsi que les charges fixées nécessaire pour compenser le phénomène de polarisation. 3 Figure 4.3 : Illustration de la polarisation d’un diélectrique (adaptée de [5]) Le phénomène de polarisation provient en général de l’orientation d’un dipôle électrique, induit ou permanent, en présence d’un champ appliqué. Un dipôle électrique est formé par deux charges Q de signes opposés séparées par une distance l . Le moment dipolaire électrique est défini par r r p = ql (4.1) La figure ci-dessous illustre la structure d’un dipôle électrique +q −q r l Figure 4.4 : Dipôle électrique Ces dipôles électriques peuvent provenir de différentes sources microscopiques ou macroscopiques. Habituellement, lorsqu’un matériau diélectrique se dégrade le nombre 4 de dipôles électriques augmente et conséquemment le courant de polarisation, celui relié au mouvement des dipôles, augmente aussi. La polarisation due à ces dipôles correspond à la somme vectorielle de tous les dipôles par unité de volume. On peut donc définir la r polarisation P par r 1 P= Ω ∑p r (4.2) i i∈Ω où Ω est un volume dans le diélectrique et la sommation représente l’addition vectorielle de tous les moments électriques. Si ceux-ci sont orientés de façon aléatoire, ce qui est généralement le cas en l’absence d’un champ appliqué, alors la somme vectorielle donne r zéro. Le figure 4.5 ci-dessous illustre la variation de P en fonction de l’intensité du champ appliqué. Certains matériaux, de par leurs structures, peuvent demeurer polarisés en l’absence d’un champ extérieur. Ce sont les ferroélectriques. On utilise, par exemple, ces matériaux pour la fabrication de sondes piézoélectriques, pour la détection ou pour la génération de signaux ultrasonores. Le titanate de baryum est un exemple connu de matériau ferroélectrique. p E Figure 4.5 : Polarisation d’un matériau diélectrique Pratiquement tous les matériaux utilisés en électrotechnique sont des diélectriques linéaires. Les champs électriques peu élevés (par rapport aux champs typiques reliés aux effets non linéaires) expliquent que ces matériaux opèrent dans leur région linéaire. Les unités de la polarisation sont les C 2 . En effet, le potentiel produit par les dipôles est le m même que celui que produirait une densité surfacique de charge σ p donnée par r r σp = P⋅n (4.3) 5 r où n est un vecteur normal au plan de charge. Cette densité surfacique reliée à la polarisation, σ p , correspond aux charges liées de la figure 4.3. Lorsqu’on a le vide entre les armatures du condensateur, il existe aussi une densité de charge nécessaire pour le maintient du champ électrique. Cette densité de charge, σ o , correspond aux charges libres de la figure 4.3 et est reliée au champ appliqué par l’équation suivante : r r Do = ε o E r (4.4) r σ o = Do ⋅ n (4.5) r où Do est le vecteur densité de charge sous vide et ε o , la permittivité du vide ( ε o = 8,85 × 10 −12 F m ). Lorsqu’un diélectrique est introduit, une densité de charge supplémentaire, σ p , doit contrer l’effet de la polarisation. La densité totale de charge devient donc r r r D = Do + P (4.6) r v v D = εo E + P v Sir on considère une substance diélectrique linéaire (voir figure 4.5), la relation entre P et E est linéaire. On peut donc écrire r r P = εo χ E (4.7) où χ est la susceptibilité électrique du matériau. On peut maintenant écrire r r r r D = ε o E + ε o χ E = ε o (1 + χ ) E En définissant la permittivité d’un matériau par ε = ε o (1 + χ ) (4.8) on obtient finalement r r D=ε E (4.9) εr = 1 + χ = ε εo ε r est la permittivité relative ou la constante diélectrique d’un matériau. Ce paramètre quantifie l’importance des mécanismes de polarisation du matériau. Le terme 6 permittivité est habituellement utilisé pour désigner la permittivité relative puisque cette valeur est d’un ordre de grandeur beaucoup plus commun que la permittivité absolue. Pour certaines applications, comme pour la fabrication de condensateurs, on désire souvent utiliser des matériaux ayant des valeurs élevées de permittivité alors que pour d’autres applications, comme la plupart des applications en électrotechnique, on cherche à utiliser des matériaux ayant une permittivité, et surtout des pertes diélectriques, faibles. Le tableau ci-dessous donne les valeurs de la permittivité relative pour quelques matériaux. Tableau 4.1 : Permittivité de différents matériaux Matériau Vide Air PTFE (Teflon) Huile minérale PE PMMA Quartz Mica Eau distillée Rutile (Ti O2 ) Titane de baryum (BaTi O3 ) Permittivité relative 1 1,0006 2 2,2 2,3 3,4 5 6 81 89-173* 10 000** * Les cristaux inorganiques sont souvent anisotropes. Pour le Ti O2 , la constante diélectrique varie entre 89 et 173 en fonction de l’orientation du champ par rapport aux axes cristallographiques. ** La constante diélectrique des titanates est fortement dépendante de la température. L’origine physique de la polarisation et conséquemment de la permittivité provient essentiellement des différents mécanismes de polarisation tel qu’illustrés dans le tableau ci-dessous. 7 Tableau 4.2 : illustration schématique des différents mécanismes de polarisation Les mécanismes de polarisation électronique et ionique, ou moléculaire, sont reliés à la création de dipôles (dipôles induits) sous l’action du champ électrique appliqué. Ces dipôles sont formés par le déplacement du centre géométrique des charges positives par rapport aux charges négatives pour un atome ou une structure moléculaire. Ces mécanismes sont illustrés par les deux premiers types de polarisation du tableau 4.2 cidessus (polarisation électronique et ionique). Ces phénomènes sont des phénomènes très rapides qui ont des temps de réponse correspondant aux fréquences optiques ou infrarouges. Le moment dipolaire créé par le champ appliqué est proportionnel à ce champ. La polarisation en résultant peut donc s’écrire r r Pr = N iα r E (4.10) où Pr indique la polarisation rapide, c’est-à-dire celle qui survient très rapidement après l’application d’un champ électrique. Ni représente le nombre de dipôles induits par unité de volume et αr, la polarisabilité, dépend de la nature du matériau. On constate facilement à partir de l’équation (4.10) que les unités de la polarisabilité sont les Fm2. Le tableau 4.3 ci-dessous donne des valeurs numériques de la polarisabilité de certains atomes. 8 Tableau 4.3 : Polarisabilité et masse molaire de certains atomes [5] Certaines molécules de par leur géométrie ainsi que de par la nature de leurs liens chimiques possède un moment dipolaire électrique permanent. L’eau et le PVC sont des exemples de ce type de matériau. Ces matériaux sont des matériaux polaires. L’intensité du ce moment dipolaire dépend de la nature du lien chimique. Le tableau 4.4 ci-dessous donne les valeurs numériques du moment dipolaire permanent pour certains liquides. Ce moment dipolaire est exprimé en Debye avec 1 D = 3,3 x 10-30 Cm. Tableau 4.4 Propriétés électriques de certains liquides polaires et non polaires Matériau Hexane (C6H14) Heptane (C7H16) Benzene (C6H6) Tétrachlorure du carbone (CCl4) Eau (H2O) Méthanol (CH3OH) Chloroforme (CHCl3) ρ (kg/m3) 655 684 879 1600 1000 791 1483 εr n2 μ (Debye) 1,89 1,92 2,28 2,24 80,4 33,6 4,81 1,89 1,92 2,25 2,13 1,77 1,76 2,07 0 0 0 0 1,85 1,70 1,0 Normalement, en l’absence d’un champ électrique externe, tous les dipôles permanents sont orientés de façon aléatoire de telle sorte que la polarisation nette résultante est zéro. Par contre, en présence d’un champ électrique, ces dipôles vont commencer à s’orienter dans la direction du champ et la polarisation résultante est non nulle. Pour des valeurs de champ modérées, ce phénomène reste proportionnel avec le champ électrique. On peut alors écrire 9 r Nd μ 2 r Pd = E 3kT (4.11) où μ est le moment dipolaire du dipôle permanent, Nd le nombre de ces dipôle par unité de volume, T la température en Kelvin et k la constante de Boltzmann (k = 1,38 x 10-23 J/K). Le développement complet de l’équation ci-dessus a été fait par Paul Debye en 1945 et est disponible dans un grand nombre d’ouvrage de référence (par exemple [5, 6]). La polarisation totale, incluant les dipôles induits et l’orientation des dipôles permanents, peut donc être exprimé par : r ⎛ N μ2 ⎞r Ptot = ⎜⎜ d + N iα r ⎟⎟ E ⎝ 3kT ⎠ (4.12) En combinant cette équation avec les équations (4.7) et (4.9), on peut donc écrire pour la permittivité relative d’un matériau : ε r −1 = N d μ 2 N iα r + 3ε o kT εo (4.13) Le développement de l’équation (4.13) suppose que les dipôles dans un matériau se comportent de façon complètement indépendante. Évidemment cette supposition n’est vraie que pour les substances très diluées comme les gaz à basse pression. On peut modifier l’équation (4.13) pour tenir compte de l’interaction entre les dipôles. Cette modification s’exprime par l’équation de Clausius-Mossotti (voir [5] pour une démonstration complète) : ε r − 1 N d μ 2 N iα r = + ε r + 2 9ε o kT 3ε o (4.14) On note que lorsque la polarisation d’un matériau est faible (χ << 1), l’équation (4.14) se réduit à l’équation (4.13). Pour un composé moléculaire, la polarisabilité représente la somme des polarisabilités de chaque atome de telle sorte que Ni et Nd représentent tous les deux le nombre de molécules par unité de volume. On peut donc écrire : N= ρN A M ⎤ ε r −1 N ⎡ μ2 = +αr ⎥ ⎢ ε r + 2 3ε o ⎣ 3kT ⎦ (4.15) où N est le nombre de molécules par m3, NA est le nombre d’Avogadro, ρ la masse volumique et M la masse molaire. Une équation connue depuis fort longtemps pour l’indice de réfraction des diélectriques est l’équation de Lorentz-Lorenz donnée par : 10 n 2 − 1 Nα r = n 2 + 2 3ε o (4.16) où n est l’indice de réfraction. De toute évidence, si on utilise l’égalité n 2 = ε r , l’équation de Lorentz-Lorenz se ramène à celle de Clausius-Mossotti sans la contribution des dipôles permanents. On peut facilement comprendre cette constatation puisqu’aux fréquences optiques, les dipôles permanents sont beaucoup trop « lents » pour pouvoir suivre les oscillations du champ électrique et ne réagissent pas du tout à la sollicitation électrique. On peut illustrer graphiquement cet énoncé par un graphique de la permittivité ou de la polarisation d’un matériau polaire (comme l’eau) en fonction de la fréquence. Dans ce graphique, illustré à la figure 4.6 ci-dessous, on constate aisément que la contribution des dipôles permanents, notée Pd, s’ajoute à celle des dipôles induites, Pa et Pe, seulement lorsque la fréquence est inférieure à une certaine fréquence de coupure (appelée plutôt fréquence pic parce qu’elle correspond à la valeur maximale des pertes diélectriques). Figure 4.6 : Variation de la polarisation en fonction de la fréquence (tiré de [7]) Le tableau 4.4 donne des valeurs des indices de réfraction et des permittivités statiques pour différents matériaux, polaires (μ ≠ 0) et non polaires (μ = 0). On constate la différence important entre la permittivité à haute fréquence (n2) et la permittivité statique pour les liquides polaires. Un troisième type de polarisation est la polarisation interfaciale. Pour un matériau homogène, donc sans interface interne, les mécanismes de polarisation interfaciale ne sont pas présents. Toutefois, dans beaucoup d’applications, on utilise, plutôt que des matériaux diélectriques homogènes, des mélanges de matériaux. Même dans le cas du polyéthylène (voir figure 4.1), il ne s’agit pas à proprement parler d’un matériau homogène puisque ce dernier est formé de phases cristallines et de phases amorphes. Pour comprendre les mécanismes de polarisation interfaciale, on utilise généralement un circuit équivalent. Nous reviendrons donc sur ce type de polarisation à la section 4.2.2.3. Il est important aussi de mentionner que la polarisation interfaciale survient à des fréquences habituellement beaucoup plus basses que les autres mécanismes. Cette affirmation est illustrée à la figure 4.12. 11 En plus des mécanismes précédemment décrits, les mesures à basses fréquences font très souvent apparaître d’autres mécanismes moins bien définis et moins bien compris reliés à des phénomènes de transport de charge sur des distances plus ou moins longues. Un de ces mécanismes porte le nom de dispersion à basses fréquences. On y reviendra dans les sections suivantes, mais il n’existe pas encore de compréhension complète de ce phénomène. 4.2.2.2 Conductivité Un matériau ayant un comportement ohmique, c’est-à-dire linéaire, obéit à la relation suivante r r J =σ E (4.17) r r où σ est la conductivité (Ω ⋅ m )−1 , J la densité de courant ⎛⎜ A 2 ⎞⎟ et E le champ ⎝ m ⎠ électrique auquel le matériau est soumis. Quoique les diélectriques sont définis comme des matériaux ne permettant pas la circulation du courant électrique, en réalité, la grande majorité des diélectriques possède une conductivité non nulle et mesurable. De plus, l’équation (4.17) est vérifiée dans bien des cas pour des champs électriques modestes. En considérant deux électrodes métalliques en contact avec un matériau peu conducteur, le courant électrique est donné par l’intégrale de surface suivante : I = + + + + + + + ∫ r v J ⋅ ds = σ s ∫ r v E ⋅ ds (4.18) s + + + + + + + - électrode Q diélectrique Figure 4.7 : Condensateur plan-plan 12 En complétant l’intégrale de surface pour obtenir une surface fermée (le champ est nul pour le reste de la surface fermée) et en appliquant le théorème de Gauss, on obtient σ Q σ CU o = ε ε σ Co I = Uo εo I = (4.19) où Co est la capacité sous vide formée par le sandwich électrode-diélectrique-électrode, et U o est la différence de potentiel entre les deux électrodes. La résistance électrique est donc donnée par R = εo (4.20) σ Co Ex. 4.1 : Lors d’une mesure sur un câble de 25 kV de 40 m de longueur, on mesure un courant de fuite de 10 −11 A pour une tension continue de 10 kV appliquée sur l’âme centrale. Quelle est la conductivité moyenne du matériau isolant? Co = σ = σ = 2π ε o L ln b a ( ) εo R Co 10 −11 = εo 2π ε o (U I ) ln (b ) L a ⋅ ln (19 ) 12 = 1,83 × 10 2 π ⋅ 10 000 ⋅ 40 −18 (Ω ⋅ m )−1 Les matériaux montrent une plage extrêmement large de conductivité, plus large que n’importe quelle mesure physique. Les conducteurs métalliques ont typiquement des conductivités de l’ordre de ≈ 108 (Ω ⋅ m )−1 , alors que les isolants ont des conductivités dans 13 la plage 10 −10 à 10 − 20 (Ω ⋅ m ) . Le tableau ci-dessous présente des valeurs de conductivité pour différents matériaux. −1 Tableau 4.5 Conductivité pour différents matériaux Matériau Type Conductivité (Ω ⋅ m )−1 Argent conducteur Cuivre conducteur Aluminium conducteur Graphite conducteur Eau de mer conducteur Germanium (pure) semi-conducteur Eau distillé isolant Verre isolant Mica isolant Huile minérale isolant Huile silicone isolant PMMA isolant PE isolant 6,1 × 10 7 5,7 × 10 7 3,5 × 107 ≈ 105 ≈4 ≈2 ≈ 10 −4 ≈ 10 −12 ≈ 10 −15 ≈ 10 −12 ≈ 10 −13 ≈ 10 −18 < 10 −18 4.2.2.3 Fonction de réponse et spectre diélectrique Les équations (4.4) à (4.9) sont des équations statiques et ne sont valables que lorsque le champ électrique appliqué est constant, c’est-à-dire très longtemps (t→∞) après l’application d’un échelon de tension. Pour un champ variable dans le temps la polarisation varie aussi dans le temps mais avec un certain retard sur le champ appliqué. L’équation (4.6) devient donc D(t ) = ε o E (t ) + P(t ) (4.21) Afin d’analyser la dépendance temporelle de la polarisation sous l’action d’une sollicitation électrique, on doit définir la fonction de réponse diélectrique, f(t), qui caractérise la réponse d’un milieu diélectrique à une excitation électrique spécifique. Cette fonction est définie de la façon suivante. Considérons une impulsion de champ électrique E appliquée durant une courte période Δt. La fonction de réponse f(t) est alors définie par P(t ) = ε o (EΔt ) f (t ) (4.22) En vertu du principe de causalité, il n’y a pas de réaction avant l’action donc 14 f (t ) ≡ 0 pour t < 0 (4.23) De plus, puisqu’il n’y a pas de polarisation permanente, on doit aussi avoir la condition suivante : lim f (t ) = 0 t →∞ (4.24) La fonction f(t) est donc une fonction strictement décroissante. Un champ électrique variant de façon arbitraire, E(t), peut être vue comme une somme d’impulsions. Par le théorème de superposition, on peut donc faire la somme de toutes les polarisations pour chacune de ces impulsions de telle sorte que la polarisation peut s’exprimer par la convolution suivante : ∞ P(t ) = ε o ∫ f (τ ) E (t − τ )dτ (4.25) 0 Sous un champ diélectrique statique (E = Eo), (4.23) devient : ∞ Ps = ε o E o ∫ f (τ )dτ = ε o χ s E o (4.26) 0 où χs est la susceptibilité statique donc pour une fréquence égale à 0 (donc pour une sollicitation continue). En pratique on ne mesure pas directement la polarisation d’un matériau. Par contre, on mesure la courant qui le traverse. La polarisation est reliée au courant par la loi d’Ampère qui exprime le courant total mesuré par un circuit par la somme du courant de déplacement avec celui de conduction directe : ∂D (t ) ∂t ∂ J (t ) = σE (t ) + [ε o E (t ) + P (t )] ∂t J (t ) = σE (t ) + (4.27) où J(t) est la densité de courant total (A/m2) et σ la conductivité. En combinant (4.25) et (4.27) on obtient : J (t ) = σE (t ) + ε o ∂ ∂t ∞ ⎡ ⎤ + E ( t ) f (τ ) E (t − τ )dτ ⎥ ⎢ ∫ 0 ⎣ ⎦ (4.28) Il est plus pratique d’exprimer (4.28) en termes du courant, I(t), et de la tension, U(t), plutôt qu’en termes de densité de courant et de champ électrique. Considérons le cas d’un condensateur plan-plan de surface A et de distance inter-électrodes d. Le courant et la tension sont reliés à la densité de courant et au champ électrique par 15 I (t ) A U (t ) E (t ) = d J (t ) = (4.29) Finalement, à partir de (4.28) et de (4.29), on obtient I (t ) = C oσU (t ) εo + Co ∂ ∂t ∞ ⎡ ⎤ + U ( t ) f (τ )U (t − τ )dτ ⎥ ⎢ ∫ 0 ⎣ ⎦ (4.30) où Co est la capacité sous vide. Si on applique un échelon de tension défini par ⎧0 U (t ) = ⎨ ⎩U o t<0 (4.31) 0≤t on obtient le courant suivant I (t ) = Coσ εo U o + U oCo [δ (t ) + f (t )] (4.32) Le premier terme du membre de droite de l’équation ci-dessus est la conduction directe. Il représente les courants de fuite à travers le diélectrique. Évidemment ces courants sont toujours assez faibles. Le second terme, est le pic de courant dû au chargement capacitif. Ce courant correspond aux charges libres de la figure 4.3. En pratique, il y a toujours une résistance en série avec le diélectrique testé de telle sorte que ce terme apparaît souvent plutôt comme une exponentielle décroissante. Finalement le dernier terme est le courant dû aux mécanismes de polarisation. Ce courant correspond aux charges liées de la figure 4.3. La forme de sollicitation électrique la plus courante est évidemment la sollicitation sinusoïdale. Pour exprimer l’équation (4.30) dans le domaine des fréquences, il suffit de prendre une transformée de Fourier de chaque côté de l’équation. L’équation résultant s’en trouve simplifiée puisque la transformée d’une convolution correspond au produit des transformées. On obtient donc I * (ω ) = C o σU * (ω ) εo [ + jωC oU * (ω ) 1 + F * (ω ) ] (4.33) Où F*(ω) est la transformée de Fourier de f(t) définie par 16 ∞ F (ω ) = ∫ f (t ) exp(− jωt )dt * (4.34) 0 I*(ω) et U*(ω) sont les phaseurs courant et tension respectivement. La transformée de Fourier de la fonction de réponse correspond donc à la transformée de Fourier de la susceptibilité. On a donc F * (ω ) = χ * (ω ) = χ ' (ω ) − jχ ' ' (ω ) = ε r ' (ω ) − 1 − jε r ' ' (ω ) (4.35) En combinant (4.33) et (4.35), on peut donc écrire ⎡⎛ σ ⎤ ⎞ + ε r ' ' (ω )⎟⎟ + jε r ' (ω )⎥U * (ω ) I * (ω ) = ωC o ⎢⎜⎜ ⎠ ⎣⎢⎝ ωε o ⎦⎥ (4.36) On voit clairement d’après l’équation (4.36) ci-dessus que la courant est déphasé par rapport à la tension. Pour un diélectrique parfait, σ = εr’’ = 0, le courant est évidemment en avance de 90o. Toutefois à cause des pertes diélectriques, représentées par le terme εr’’, et des courants de fuite reliés à la conductivité, l’angle du courant est légèrement inférieur à 90o. Cette situation est illustrée à la figure 4.8 ci-dessous. Figure 4.8 : Courant et tension dans un diagramme de phase Un paramètre très utilisé en ingénierie pour caractériser un système d’isolation est la tangente de l’angle de perte, tg δ, ou encore le facteur de dissipation. Ce terme est égal au rapport de la partie réelle du courant sur la partie imaginaire donc : tgδ (ω ) = ε r ' ' (ω ) + σ ωε o ε r ' (ω ) (4.37) 17 Les diélectriciens utilisent fréquemment le concept de capacité complexe pour décrire le comportement d’un diélectrique. On peut facilement voir, à partir de (4.36), que l’on peut écrire : I * (ω ) = jωC * (ω )U * (ω ) (4.38) où la capacité complexe est donnée par : ⎡ C * (ω ) = C ' (ω ) − jC ' ' (ω ) = C o ⎢ε r ' (ω ) − ⎣⎢ ⎛ σ j ⎜⎜ ε r ' ' (ω ) + ωε o ⎝ ⎞⎤ ⎟⎟⎥ ⎠⎦⎥ (4.39) Le facteur de dissipation, en terme de capacité, est alors tout simplement donné par tgδ (ω ) = C ' ' (ω ) C ' (ω ) Il est à noter que l’on ne peut distinguer les pertes dues à conduction, (4.40) σ , des pertes ωε o dues aux mécanismes de relaxation, ε r ' ' , à partir d’une mesure fréquentielle. Par contre, cette distinction peut être faite à partir de mesures dans le domaine du temps, c’est-à-dire en mesurant les courants en fonction du temps après l’application d’un échelon de tension suivi d’un court-circuit. En effet, en utilisant la fonction suivante pour la tension appliquée : ⎧0 ⎪ U (t ) = ⎨U o ⎪0 ⎩ t<0 0 ≤ t ≤ tc (4.41) t > tc dans l’équation (4.30), on obtient ⎧ C oσ U o + U o C o [δ (t ) + f (t )] 0 ≤ t ≤ tc ⎪ I (t ) = ⎨ ε o ⎪− U C [δ (t − t ) + f (t − t ) − f (t )] t > tc o o c c ⎩ (4.42) où tc est le temps de charge. Pour t > tc, c’est-à-dire lors du court-circuit, l’équation (4.42) exprime le courant de décharge. On peut noter que le courant de décharge est symétrique au courant de charge mais de signe opposé tel qu’il est illustré à la figure 4.9. L’expression représentant le courant de décharge contient un terme, f (t ) , représentant l’effet de mémoire (voir [6]). Pour un temps de charge très long, ce terme tend vers zéro. En négligeant l’effet de mémoire on peut réécrire (4.42) de la façon suivante : 18 ⎧⎪ I ch arg e = I cd + I c (t ) + I a (t) I (t ) = ⎨ ⎪⎩ I déch arg e = − I c (t) - Ia (t) 0 ≤ t ≤ tc t > tc (4.43) où Ia(t), Ic(t) et Icd sont respectivement le courant d’absorption (ou de polarisation), le courant capacitif et le courant de conduction directe. À partir de (4.43), on voit facilement que : I (t ) = I ch arg e (t ) + I déch arg e (t ) (4.44) Figure 4.9 : Courant de charge et de décharge suivant l’application d’un échelon de tension suivi d’un court-circuit sur un diélectrique [8] La figure 4.10 illustre les courants de charge et de décharge (normalisés par la capacité) pour des isolations de machines tournantes après un échelon de tension de 10 kV. L’isolation asphalte-mica était utilisée avant l’apparition des résines thermodurcissables dans les années 60 alors que l’isolation moderne des machines tournantes est maintenant à base de résine époxy. Le décollement des courbes de charge et de décharge de la figure 4.10 est causé par la conduction directe. 19 10000 1000 Epoxy-mica Epoxy-mica Asphalte-mica Asphalte-mica I/C (A/F) 100 10 1 0.1 1 10 100 1000 10000 0.1 Temps (s) Figure 4.10 : Courants de charge (symboles pleins) et de décharge (symboles ouverts) pour de l’isolation de machine tournante. Les courants sont divisés par la capacité de l’échantillon. L’échelon de tension est de 10 kV. Si on revient à la figure 4.6, il a été mentionné précédemment que les mécanismes de polarisation d’orientation ne se manifeste que sous une certaine fréquence. En effet ces mécanismes possèdent une constante de temps intrinsèque, appelé temps de relaxation. Considérons l’application d’un échelon de tension. La polarisation, comme on l’a vu précédemment peut se décomposer en deux parties. Une partie qui réagit « instantanément » à la sollicitation électrique (Δt ≈ 0 à la figure 4.11a) et une partie qui réagit avec un certain délai. Cette situation est illustrée à la figure 4.11a ci-dessous. 20 4.5 4 3.5 Polarisation (U.A.) 3 Pds 2.5 2 1.5 P∞ 1 0.5 0 -1 1 3 5 7 9 11 Temps (U.A.) a) b) Figure 4.11 : Mécanisme de relaxation de Debye : a) dans le domaine du temps; b) dans le domaine des fréquences (tiré de [7]). Après l’application d’un échelon de champ électrique, si on considère que la polarisation dipolaire augmente proportionnellement à l’écart par rapport à la position d’équilibre, tel qu’illustré à la figure 4.11, on peut alors écrire : dPd (t ) 1 = [Pds − Pd (t )] dt τ (4.45) La solution de l’équation différentielle ci-dessus est −t Pd (t ) = Pds ⎛⎜1 − e τ ⎞⎟ ⎝ ⎠ (4.46) où Pds représente la polarisation dipolaire à l’équilibre. La polarisation totale en fonction du temps est la somme de la polarisation rapide, P∞, et de la polarisation dipolaire, c’està-dire P (t ) = Pd (t ) + P∞ (4.47) En combinant l’équation ci-dessus avec l’équation (4.23), on obtient −t P (t ) = (Ps − P∞ )⎛⎜1 − e τ ⎝ t ⎞⎟ + P = ε E f (τ )dτ o o∫ ⎠ ∞ 0 (4.48) où Ps, la polarisation statique, est la polarisation totale à l’équilibre (Ps = Pds + P∞). La solution de l’équation (4.48) est donnée par 21 f (t ) = (χ s − χ ∞ )e τ −t τ + χ ∞ δ (t ) (4.49) À partir des équations (4.34) et (4.49), on peut calculer la susceptibilité complexe reliée au mécanisme de polarisation de la figure 4.11. On obtient ainsi : χ * (ω ) = χ ∞ + (χ s − χ ∞ ) 1 + jωτ (χ − χ ) χ ' (ω ) = χ ∞ + s 2 ∞2 1+ ω τ (χ − χ ∞ )ωτ χ ' ' (ω ) = s 1 + ω 2τ 2 = χ ' (ω ) − jχ ' ' (ω ) (4.50) Les équations ci-dessus sont les équations de Debye. Elles sont illustrées à la figure 4.11b. Les mêmes équations peuvent être écrites pour la permittivité complexe avec les paramètres ε∞ et εs à la place de χ∞ et χs. La partie imaginaire de la permittivité (ou de la susceptibilité) est appelée pertes diélectriques. En effet, cette composante se traduit par un échauffement du diélectrique, c’est-à-dire des pertes de puissance sous forme de chaleur. On constate que ces pertes sont maximales à une fréquence correspondant au temps de relaxation. La puissance dissipée par unité de volume est donnée par Q& 1 = ωε o ε ' ' E o2 V 2 (4.51) Q& correspond à la puissance dissipée par unité de volume et Eo est l’amplitude du V champ électrique auquel est soumis le diélectrique. Il est important de mentionner que même si les équations de Debye sont d’une grande importance dans l’étude des diélectriques, la plupart des mécanismes de pertes diélectriques rencontrés dans les matériaux réels ne se comportent pas tel que stipulé par les équations (4.50). D’autres équations mathématiquement plus complexes peuvent être alors utilisées mais ces équations ne peuvent être justifiées théoriquement comme les équations (4.50). La présentation de ces équations dépasse le cadre du présent document et est disponible ailleurs (par exemple [5]). où La polarisation interfaciale dont il a été fait mention précédemment a un comportement fréquentiel semblable à celui de la figure 4.11b mais se manifeste habituellement à plus basse fréquence que la polarisation dipolaire. La figure 4.12 illustre de façon schématique le comportement fréquentiel de la permittivité en fonction des différents mécanismes de polarisation présentés dans ce document. 22 Figure 4.12 : Mécanismes de polarisation (tiré de [5]) 4.2.2.4 Circuit équivalent On peut représenter le comportement diélectrique d’un matériau par un circuit équivalent. Dans ce cas évidemment, la capacité complexe définie par (4.38) est reliée à l’impédance du circuit par C * (ω ) = 1 jωZ (ω ) (4.52) Si on considère par exemple le cas d’un condensateur idéal (pas de pertes diélectriques) possédant une certaine valeur de courant de fuite, on peut alors représenter le diélectrique par un condensateur Cp en parallèle avec une forte résistance Rp. Cet agencement est illustré à la figure 4.13a. La capacité complexe est alors donnée par : ⎛ 1 C * = C p − j⎜ ⎜ ωR p ⎝ ⎞ ⎟ ⎟ ⎠ (4.53) Une mesure effectuée sur une huile minérale de transformateur est illustrée à la figure 4.14 ci-dessous. On constate que le modèle simple du condensateur idéal en parallèle avec une résistance s’applique très bien pour ce matériau. En effet, l’huile minérale étant non polaire, elle ne présente pas de mécanisme de polarisation dans la plage de fréquence mesurée mais possède une conductivité non nulle (quoique faible). 23 a) b) Figure 4.13 : Circuits équivalents 1.00E-08 0.001 0.01 0.1 1 10 100 1000 Capacité réelle 1.00E-09 Capacité imaginaire Capacité (F) 1.00E-10 1.00E-11 1.00E-12 1.00E-13 1.00E-14 1.00E-15 Fréquence (Hz) Figure 4.14 : Mesure sur une huile de transformateur Le circuit illustré à la figure 4.13b est équivalent aux équations de Debye (équations (4.50)). En effet, on peut facilement démontrer que pour ce circuit : C* = Cp + Cs 1 + jωτ (4.54) τ = Rs C s La branche composée d’une résistance en série avec un condensateur idéal représente donc un mécanisme de relaxation dont la constante de temps est le produit de la capacité et de la résistance. 24 4.2.2.5 Rigidité diélectrique Il existe un champ maximal que peut supporter un matériau diélectrique. Au-delà de ce champ, le matériau ne peut plus contenir les charges électriques sur ses électrodes et devient brusquement conducteur. Ce champ s’appelle le champ de rupture diélectrique ou de claquage. Cette valeur dépend de beaucoup de facteurs comme la température, la présence d’humidité ou de contaminants, la géométrie, le volume d’isolant, etc. Le calcul de ces champs de rupture est d’une importance considérable pour l’ingénierie des équipements haute tension. Faisons un survol rapide du concept de rupture diélectrique pour les matériaux gazeux, liquides et solides. Rupture dans les gaz L’air est le matériau diélectrique le plus commun. Ses propriétés diélectriques sont d’une importance considérable. Normalement, l’air est un isolant pratiquement parfait à des champs modérés (σ = 0, ε’’ = 0). Lorsqu’un claquage survient, le gaz s’ionise et devient conducteur. La tension de claquage augmente au fur et à mesure que la distance entre les électrodes augmente. Par contre, le champ de claquage lui diminue de 3 kV/mm pour un champ uniforme sur de petites distances à 0,6 kV/mm pour des distances inter-électrodes de quelques mètres. Pour de très grandes distances, comme les éclairs atmosphériques, le champ de claquage n’est plus que de 0,1 kV/mm. Certains gaz ont des propriétés diélectriques supérieures à celles de l’air, comme par exemple le gaz carbonique (CO2) et l’hexafluorure de soufre (SF6). Le SF6 a des propriétés supérieures à celles de l’air et du CO2, ayant un champ de rupture 2,5 fois supérieur à celui de l’air et du CO2 à la pression atmosphérique. Cet avantage est encore plus marqué à plus haute pression. Rupture dans les liquides Les liquides utilisés dans les équipements haute tension servent à la fois comme isolant et comme dissipateur de chaleur. Ils ont aussi l’avantage de se régénérer si une rupture survient. Les liquides hautement purifiés ont des tenues diélectriques qui peuvent atteindre 100 kV/mm. Toutefois, cette valeur diminue rapidement lorsque des impuretés sont présentes. Le facteur le plus important affectant la tenue diélectrique des huiles minérales est la présence d’eau sous forme de fines gouttelettes en suspension. Par exemple, la présence de 100 ppm d’eau dans l’huile réduit sa tenue diélectrique à 20 % de la valeur de l’huile sec. La présence de bulles gazeuses ayant une tenue diélectrique plus faible va considérablement affecter la tenue de l’huile puisqu’un claquage dans une bulle peut entraîner un claquage de tout le système d’isolation. En pratique, les liquides commerciaux utilisés ne peuvent pas être soumis à des traitements élaborés de purification de telle sorte que la tenue diélectrique va habituellement dépendre des impuretés présentes. 25 Rupture dans les solides Les matériaux solides isolants sont toujours présents dans les structures haute tension. Ils servent à la fois de supports mécaniques pour les pièces conductrices et de matériaux isolants pour séparer ces pièces les unes des autres. Généralement, un système d’isolation est composé d’une combinaison de matériaux solides, gazeux et mêmes liquides. La rupture diélectrique des solides est un phénomène destructif qui modifie, de façon irréversible, la structure du matériau. Comme pour les gaz et les liquides, la rupture diélectrique des solides dépend d’un grand nombre de paramètre, comme la géométrie des échantillons ainsi que la procédure d’application de la tension. Plusieurs normes et standards définissent des procédures d’essai. La valeur intrinsèque de la tenue diélectrique des solides est la plus haute qui soit et peut en théorie atteindre les 1 000 kV/mm. En pratique, les valeurs réelles sont beaucoup plus faibles. Le plus souvent, la rupture va survenir le long d’une surface, ou encore être causée par l’érosion due à des décharges partielles dans des cavités gazeuses ou encore se propager à partir d’un défaut dans une structure arborescente appelé arbre électrique. Nous reviendrons sur ce sujet à la section suivante. La figure ci-dessus illustre la propagation d’un arbre électrique dans le polyéthylène. Figure 4.15 Arborescence électrique dans le polyéthylène 26 Exercices * : Exercices difficiles 1– La masse volumique de l’heptanol (C7H15OH) est ρ = 824 kg/m3. Utilisez l’équation 4.15 ainsi que les valeurs du tableau 4.3 pour calculer la permittivité de l’heptanol. Pour l’heptanol μ = 0. Comparer votre réponse avec la valeur expérimentale, εr = 2.10. Indice : La valeur de la polarisabilité de l’équation 4.15 pour une molécule est la somme des polarisabilités de tous les atomes de la molécule. Rép. : 2.03 2- Même question pour le tétrachlorure de carbone (CCl4) : ρ = 1600 kg/m3 μ = 0. Rép. : 2.14 (la valeur expérimentale est 2.24) 3– Le chloroforme, un liquide polaire, a un indice de réfraction n = 1,44 et une permittivité statique de εr = 4.81 en phase liquide à 20oC. Calculer la grandeur (en Debye) du moment dipolaire de la molécule de chloroforme à partir des équations 4.15 et 4.16. Rép : μ = 1,07 D 4- L’eau, un liquide polaire, a un indice de réfraction n = 1,33 et une permittivité statique de εr = 80,4 en phase liquide à 20oC. Calculer la grandeur (en Debye) du moment dipolaire de la molécule d’eau à partir des équations 4.15 et 4.16. Le moment dipolaire de la molécule d’eau est en réalité de 1.85 D. Qu’en concluezvous qu’en aux limitations de la validité de 4.15? Rép. : μ = 0,8 D; cette équation n’est valable que pour les substances non-polaires ou diluées. 5- Expliquez la grande différence existant entre la permittivité de l’eau et l’indice de réfraction au carré (tableau 4.4) Rép. : La présence d’un fort moment dipolaire permanent (μ = 1.85 D) explique cette différence 6- Démontrez l’équation 4.30 à partir de 4.28 (en utilisant 4.29). 7*- Démontrez l’équation 4.42 à partir de 4.30 (en utilisant 4.41). Indice : la mise en court-circuit à t = tc peut être représentée par la superposition d’un échelon de tension Uo avec un échelon de tension –Uo appliqué à partir de tc. 27 8 Quelle est la forme de la fonction de réponse f(t) correspondant aux courbes de la figure 4.10? Rép. : f(t) = At-n 9* Démontrez l’équation 4.49 à partir de 4.48. Indice : La polarisation instantanée P∞ mathématiquement s’exprime par un échelon P∞(t) = P∞H(t), où H(t) est la fonction échelon. 10* – À partir des équations (4.50) démontrez la relation suivante : ε + ε∞ ⎞ ⎛ ⎛ε −ε∞ ⎞ ⎜ ε '− s ⎟ + ε ' '2 = ⎜ s ⎟ 2 ⎠ ⎝ ⎝ 2 ⎠ 2 2 Cette relation est à la base de l’illustration de la permittivité dans un plan complexe appelé diagramme de Cole-Cole. 11 Des mesures de permittivité complexe de l’eau [5] sont données ci-dessous a) b) f (GHz) e' e'' 2530 890 300 35.25 34.88 24.19 23.81 23.77 23.62 15.41 9.455 9.39 9.346 9.141 4.63 3.624 1.744 1.2 0.577 3.65 4.3 5.48 20.3 19.2 29.6 30.5 31 30.88 46 63 61.5 61.41 63 74 77.6 79.2 80.4 80.3 1.35 2.28 4.4 29.3 30.3 35.18 35 35.7 35.75 36.6 31.9 31.6 31.83 31.5 18.8 16.3 7.9 7 2.75 Illustrez graphiquement la variation la permittivité imaginaire en fonction de la fréquence dans un diagramme log-log. Est-ce que ces résultats suivent l’équation 4.50? Quelle est approximativement la constante de temps de l’équation (4.50)? 28 c) On veut faire chauffer une tasse d’eau au four micro-onde. Si le four microonde génère un champ électrique de 1 V/mm à une fréquence de 24,2 GHz, combien de temps sera nécessaire pour amener l’eau de 20oC à 100oC? On présume que l’échauffement est adiabatique (pas de pertes de chaleur par conduction) et que les données du tableau ci-dessus s’appliquent. Pour un échauffement adiabatique on a : dT Q& = dt mC p où Cp = 4.18 kJ/(kg.K). d) Si le volume d’eau est de 200 mL, quelle puissance doit fournir le four? Rép. : a) oui, surtout la partie imaginaire 100 permittivité réelle permittivité imaginaire Debye réel Permittivité Debye imaginaire 10 1 0.1 1 10 100 1000 10000 Fréquence (GHz) b) τ = 1,0 x 10-11 s; c) 88,7 s; d) 754 W 12- Quelle est la puissance dissipée par unité de volume pour un diélectrique de permittivité égale à 4 et de facteur de dissipation (tgδ) égal à 0,001 si E = 1 kV/m et f = 10 MHz? Rép. : 2,2 W/m3 29 13- Voici quelques valeurs numériques de la figure 4.14: Fréquence (Hz) C’ C’’ =========================================== 10 4.8351E-11 1.133E-13 6.3116 4.8351E-11 1.8098E-13 3.9811 4.8348E-11 2.9245E-13 2.5122 4.8349E-11 4.6437E-13 a) b) c) d) e) Quel est la valeur du condensateur Cp et de la résistance Rp du circuit équivalent représentant cette huile? Quelle est la capacité sous vide Co sachant que la permittivité de l’huile est de 2,2? Quelle est la conductivité de l’huile? Pourquoi la partie réelle ne varie pas avec la fréquence? Quel est l’indice de réfraction de l’huile? Rép. : a) Cp = 48,4 pF; Rp = 136,4 GΩ; b) Co = 22 pF; c) σ = 2,95 pS/m; d) Pas de mécanisme de polarisation d’orientation; e) n = 1.48 14- Démontrez l’équation (4.54) à partir du circuit équivalent (figure 4.13b). 15 – On effectue des essais de claquages sur des films de polyéthylène de 200 μm d’épaisseur. Le montage utilisé est illustré ci-dessous. La tension entre les électrodes est augmentée rapidement jusqu’à la rupture diélectrique. On effectue plusieurs essais et on note les valeurs suivantes : Essai Tension de rupture (kV) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 23.9 25.0 25.9 26.2 27.0 27.5 27.6 27.7 27.9 28.2 30 a) Pourquoi effectue-t-on les tests dans un bain d’huile diélectrique? b) Quelle est la valeur moyenne du champ de rupture de ce matériau? Rép. : a) Pour éviter un contournement; b) Ebd = 133 kV/mm. 31 Références [1] J.L. Parpal, “Les câbles souterrains haute tension à isolation synthétique installé par Électricité de France : homologation et spécification technique », Rapport IREQ, 1989. [2] R. Bartnikas, K.D. Srivastava, Elements of Cable Engineering, Standford Educational Press, 1980. [3] E.A. Boulter, G.C. Stone, “Historical Development of Rotor and Stator Windings Insulation Materials and Systems”, IEEE Mag. on Electric Ins., Vol 20, No. 3, pp. 25-39, 2004. [4] A. 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