Actualités dans LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C Comment prendre en charge les événements indésirables au cours de la trithérapie contre l’hépatite C ? Management of side effects during HCV triple therapy R. Calin*, M.A. Valantin* R. Calin L a prise en charge thérapeutique de l’hépatite C chronique a radicalement changé, avec l’apparition des molécules antivirales à action directe (DAA) telles que les inhibiteurs de protéase comme le bocéprévir et le télaprévir, premiers représentants de cette classe, destinés uniquement aux patients infectés par le génotype 1 du virus de l’hépatite C. De nombreux effets indésirables, en particulier hématologiques et cutanés, rendent la conduite de ces traitements difficile. Cette revue présente des conseils pratiques pour mieux gérer ces effets indésirables de façon appropriée et efficace. Événements indésirables avec le bocéprévir * Inserm U943, Épidémiologie, stratégies thérapeutiques et virologie cliniques dans l’infection à VIH ; service des maladies infectieuses et tropicales, AP-HP, hôpital de la PitiéSalpêtrière, Paris. Dans les essais cliniques évaluant le bocéprévir, en comparaison avec la bithérapie interféron pégylé + ribavirine, les événements indésirables les plus notables sont l’anémie, la neutropénie et la dysgueusie. Parmi 1 225 patients naïfs de traitement anti-VHC et ayant reçu du bocéprévir dans les essais d’enregistrement, un taux d’hémoglobine inférieur à 10 g/dl a été observé chez 50 % d’entre eux, une neutropénie chez 25 %, et une dysgueusie chez 35 %, versus 30 %, 19 % et 16 % respectivement chez les patients traités par interféron pégylé + ribavirine (1). Dans les études SPRINT-1 et SPRINT-2 (qui s’adressaient à des patients naïfs) et dans l’étude RESPOND-2 (patients prétraités), 13 % des patients inclus dans le bras bocéprévir ont interrompu le trai- 228 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 tement anti-VHC en raison d’événements indésirables (2-4). Dans l’essai RESPOND-2, le taux d’anémie observé était de 45 % avec le bocéprévir versus 20 % chez les patients recevant interféron pégylé + ribavirine (4). Chez ceux n’ayant jamais reçu de traitement anti-VHC, l’anémie a été rapportée chez 49 % des patients traités par bocéprévir contre 29 % dans le groupe de référence (5), et l’ampleur de l’anémie a nécessité des réductions de posologie chez 21 % des patients du groupe trithérapie contre 13 % de ceux du groupe contrôle. Dans ces différentes études, la gestion de l’anémie a consisté soit en une réduction de la posologie de la ribavirine, soit en une prescription d’érythropoïétine, soit en la combinaison des 2 mesures. Chez 39 % des patients recevant le bocéprévir et 24 % de ceux traités par interféron pégylé + ribavirine, un ajustement posologique de la ribavirine ou de l’interféron a été effectué. La prescription d’érythropoïétine a été recensée chez près de 43 % des patients traités par bocéprévir, et 3 % des patients ont eu une transfusion sanguine. Enfin, le taux de dysgueusie était de 44 % dans le bras bocéprévir et de 11 % chez les patients recevant interféron pégylé + ribavirine. Événements indésirables avec le télaprévir Sous télaprévir, les effets secondaires les plus fréquents sont les symptômes cutanés et anorectaux ainsi que l’anémie. Dans les études cliniques Points forts Mots-clés » Dans les essais cliniques évaluant le bocéprévir et le télaprévir, en comparaison avec la bithérapie interféron pégylé + ribavirine, les événements indésirables les plus notables sont hématologiques et cutanés. » L’analyse rétrospective des études de phase III du bocéprévir et du télaprévir montre que la diminution de dose de la ribavirine ne semble pas avoir un impact négatif sur la réponse virologique soutenue, surtout quand elle intervient après obtention de l’indétectabilité. » Le profil de tolérance de ces molécules dans cette population est médiocre, comme en témoigne la fréquence élevée des effets indésirables graves. Les patients cirrhotiques peuvent être traités, mais avec prudence et avec un suivi attentif. » Les patients prétraités ayant une cirrhose compensée mais combinant une numération plaquettaire inférieure à 100 000/mm3 et une albumine sérique inférieure à 35 g/l ont un risque élevé de complications graves. d’enregistrement, ces événements indésirables sont proportionnellement plus fréquents avec le télaprévir qu’avec l’association interféron pégylé + ribavirine : 56 % et 34 % pour les manifestations cutanées ; 36 % et 17 % pour l’anémie ; 47 % et 28 % pour le prurit ; 29 % et 7 % pour les symptômes anorectaux, respectivement (1). Dans les études ADVANCE (patients naïfs) et REALIZE (patient prétraités), le taux d’interruption du traitement anti-VHC pour événement indésirable se situait entre 10 et 15 % respectivement chez les patients recevant le télaprévir (versus 7 % et 3 % respectivement dans le bras interféron pégylé + ribavirine) [6, 7]. De même, les interruptions de traitement pour éruption cutanée chez les patients recevant le télaprévir ont été retrouvées dans ces mêmes essais chez 5 à 7 % des patients. Quant aux arrêts de traitement pour motif hématologique, ils se situaient dans le groupe télaprévir entre 2 et 4 % selon les études. Les modifications de posologie de la ribavirine pour anémie ont été plus fréquente chez les patients traités par télaprévir (32 %) que chez les patients recevant interféron pégylé + ribavirine (12 %). Dans l’étude ADVANCE, l’anémie a été rapportée chez 37 % des patients du groupe trithérapie contre 19 % de ceux du groupe témoin (6). Dans ces mêmes études évaluant le télaprévir, l’utilisation de l’érythropoïétine était interdite, et la toxicité hématologique – en particulier l’anémie – a été gérée par des réductions de posologie de la ribavirine. Dans une analyse poolée des patients ayant participé aux essais ADVANCE et ILLUMINATE, une transfusion sanguine a été pratiquée chez 12 % des patients qui présentaient un taux d’hémoglobine inférieur à 10 g/dl (5 % des patients du bras contrôle ; 5/92) [6, 8]. Dans la même analyse, la modification de la posologie de ribavirine (réduction ou interruption) n’a pas été associée à des taux plus faibles de réponse virologique soutenue (RVS) chez les patients recevant le télaprévir (7). Les manifestations cutanées sont susceptibles d’apparaître dans les 4 premières semaines de traitement, mais elles peuvent également survenir à tout moment. Dans plus de 50 % des cas, elles apparaissent au cours du premier mois de traitement. De rares cas de réactions cutanées graves, parmi lesquelles une éruption cutanée avec éosinophilie et symptômes systémiques (Drug Reaction with Eosinophilia and Systemic Symptoms, DRESS) et le syndrome de Stevens-Johnson, ont également été décrits avec le télaprévir. Dans l’étude REALIZE, ces manifestations cutanées ont été considérées comme graves dans 5 % des cas et ont motivé l’arrêt du télaprévir dans 2 % des cas (7). Des taux équivalents sont retrouvés dans l’étude ADVANCE, qui recense un syndrome de Stevens-Johnson 11 semaines après la dernière prise de télaprévir (6). Dans la cohorte CUPIC, une éruption cutanée sévère (de grade 3/4) est survenue chez 4,8 % des patients traités avec le télaprévir (9, 10). Aux États-Unis, depuis la commercialisation du télaprévir, 92 cas de DRESS et 20 cas de syndrome de Stevens-Johnson ont été recensés entre mai 2011 et juin 2012. Par ailleurs, quelques cas de syndrome de Lyell ont été rapportés au Japon et aux États-Unis ; parmi ces cas sévères, 2 décès ont été signalés (11). Bocéprévir et télaprévir chez les patients cirrhotiques (CUPIC) De même que les bithérapies, les trithérapies sont associées à des effets indésirables plus fréquents et plus graves chez les patients cirrhotiques que chez les patients non cirrhotiques. L’étude française multicentrique CUPIC (9, 10) apporte des donnés importantes issues de la vie réelle, chez des patients cirrhotiques traités soit par télaprévir (n = 292), soit par bocéprévir (n = 205). Bien que l’étude soit non randomisée, certaines tendances se dégagent de l’ensemble de ces données. Le profil de tolérance de ces 2 molécules dans cette population est médiocre, comme en témoigne la fréquence élevée d’effets indésirables graves recensés (45,2 % dans le bras télaprévir et 32,7 % dans le bras bocéprévir). Le taux de décès est de 1,7 % chez les patients recevant le télaprévir et de 0,5 % chez les patients recevant le bocéprévir, les infections de grade 3/4 sont estimées à 6,5 % et 2,4 % respectivement, et les cas de décompensation hépatique sont de 2 % et 2,9 % (9, 10). Les auteurs rapportent également un taux global d’abandon du traitement de 22,6 % chez les patients recevant le télaprévir et de 26,3 % chez ceux recevant Bocéprévir Télaprévir Molécules antivirales à action directe Événements indésirables Highlights » In clinical trials evaluating boceprevir and telaprevir, the most notable adverse events, when compared to pegylated interferon and ribavirin therapy, were hematologic and cutaneous. » Retrospective phase III studies of boceprevir and telaprevir showed that ribavirin dose reduction does not seem to have a negative impact on SVR, especially after reaching undetectability. » Th e s a f e t y p r o f i l e o f boceprevir and telaprevir in cirrhotic patients is poor, as evidenced by a higher rate of reported serious adverse events. Cirrhotic patients should be treated with caution and followed attentively. » Pretreated patients with compensated cirrhosis, but combining a platelet count less than 100,000/mm3 and serum albumin less than 35 g/l are at high risk of serious adverse events. Keywords Boceprevir Telaprevir Direct acting agents Adverse events La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 | 229 Actualités dans LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C Comment prendre en charge les événements indésirables au cours de la trithérapie contre l’hépatite C ? le bocéprévir. Les arrêts prématurés causés par ces effets indésirables étaient de 14,7 % pour le télaprévir et de 7,3 % pour le bocéprévir. Il est à noter que ces complications graves n’avaient pas été rapportées précédemment chez les patients cirrhotiques traités et antérieurement inclus dans les essais cliniques de phase III, une des explications étant le fait qu’une partie importante des sujets de la cohorte CUPIC présentait une maladie hépatique plus avancée. Dans l’analyse multivariée, les 2 facteurs prédictifs de complications graves étaient un niveau de plaquettes inférieur à 100 000/mm3 et une albumine sérique inférieure à 35 g/l. La combinaison des 2 facteurs a permis de définir un sous-groupe de patients (34/429, soit 8 %) présentant un risque élevé (44 %) de complications graves. Chez les autres patients (92,1 %), le risque était plus faible (7 %), suggérant la possibilité d’un traitement anti-VHC avec télaprévir et bocéprévir. Malgré l’utilisation fréquente de l’érythropoïétine dans l’étude CUPIC (54 % avec le télaprévir et 46 % avec le bocéprévir au cours des 16 premières semaines de trithérapie), l’incidence de l’anémie sévère (hémoglobine < 8g/dl) était élevée – aux alentours de 10 % dans les 2 bras – et sa gestion a été exceptionnellement difficile, conduisant à une fréquence élevée de transfusions sanguines (16 % des cas avec le télaprévir et 6 % avec le bocéprévir). Les facteurs prédictifs indépendants liés à l’anémie (Hb < 8 g/dl) ou à une transfusion sanguine étaient le sexe féminin, l’âge supérieur à 65 ans, l’absence de phase d’induction, et un faible niveau d’hémoglobine lors de l’instauration du traitement. Les résultats de l’étude CUPIC ont été confirmés par une étude autrichienne menée également chez des patients atteints de fibrose sévère (F3-F4), qui montre qu’un taux d’albumine inférieur à 35 g/l est un facteur prédictif significatif de survenue d’une infection grave au cours d’un traitement par la trithérapie (12). Gestion des événements indésirables Effets indésirables hématologiques Dans les grands essais d’enregistrement, l’anémie a été reconnue comme l’un des effets indésirables majeurs du bocéprévir et du télaprévir. L’anémie, marqueur d’efficacité virologique dans le traitement par interféron pégylé + ribavirine, est discutée dans les associations utilisant le bocéprévir. Ce lien, en 230 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 revanche, ne semble pas s’appliquer au traitement par télaprévir (13). L’analyse de l’essai SPRINT-2 indique que la RVS est plus élevée chez les patients traités par bocéprévir qui développent une anémie. La gestion de l’anémie était laissée au choix des investigateurs : érythropoïétine sans baisse de la ribavirine (38 %), baisse de la ribavirine sans utilisation d’érythropoïétine (8 %), baisse de la ribavirine et utilisation d’ érythropoïétine (40 %), ou ni l’un ni l’autre (14 %). Le taux de RVS était de 58 % chez les patients traités par bocéprévir et n’ayant pas présenté d’anémie, et de 70 % chez ceux pour lesquels une baisse du taux d’hémoglobine a été observée (5). Par ailleurs, les taux de RVS étaient de 74 % pour les patients ayant reçu l’érythropoïétine, de 72 % pour ceux dont la dose de ribavirine avait été réduite, et de 70 % pour ceux qui avaient reçu l’érythropoïétine et dont la dose de ribavirine avait été réduite. Cette même tendance a été observée dans l’étude RESPOND-2 (4). Dans une étude récente publiée par Zeuzem et al. (14), évaluant l’impact d’une baisse de la dose de ribavirine chez les patients traités par télaprévir, l’analyse multivariée mettait en évidence une association significative entre l’anémie et le taux d’hémoglobine à l’instauration du traitement (OR = 1,63), la dose de ribavirine (OR = 1,25 par mg/kg), l’âge (OR = 1,67 par décennie) et la présence d’une cirrhose (OR = 1,76). Dans cette même étude, la dose de ribavirine a été diminuée chez 43 % des patients après une durée médiane de traitement de 9 semaines ; pour 48 % d’entre eux, la dose a été diminuée à une posologie inférieure à 600 mg/jour. Cette réduction de dose touchait un nombre équivalent de patients présentant ou non une cirrhose. Dans le suivi de cette réduction de la dose de ribavirine, près de 72 % des patients n’ont pas eu à subir de nouvelle intervention ; en revanche, 9 % d’entre eux ont dû recourir à l’érythropoïétine ou à une transfusion (plus fréquemment chez les patients cirrhotiques). Pour l’ensemble de ces patients, la modification de la dose de ribavirine n’a pas entraîné de réduction de la probabilité de RVS (OR = 1,59 ; IC95 : 1,08-2,35). Enfin, l’analyse rétrospective des études de phase III du bocéprévir et du télaprévir montre que la diminution de la dose de ribavirine ne semble pas avoir d’impact négatif sur la RVS. Un des points importants abordés dans la gestion de l’anémie chez les patients recevant soit le bocéprévir soit le télaprévir concerne le lien entre séquence thérapeutique et réduction de la dose de ribavirine. Dans l’essai SPRINT-2, le moment choisi pour la réduction de dose semble corrélé aux taux de RVS (5). Actualités dans LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C Ainsi, parmi les 145 patients ayant à la fois eu une réduction de dose et reçu de l’érythropoïétine, les taux de RVS ont été de 44 % (4/9) lorsque la dose de ribavirine était réduite avant la 4e semaine de traitement, 62 % (31/50) lorsque la dose était réduite entre S4 et S8, 76 % (32/42) lorsque la dose était réduite entre S8 et S12, 71 % (12/17) lorsque la dose était réduite entre S12 et S16, et 85 % (22/26) lorsque la dose était réduite à partir de la 16e semaine. Ces premières analyses doivent être pondérées par les résultats des études rétrospectives de grandes séries de patients traités par la bithérapie interféron pégylé + ribavirine. Ces études montrent que la diminution de la dose de ribavirine a un impact négatif sur la RVS uniquement lorsque la dose cumulée est inférieure à 60 % de la dose prévue. Dans le cadre de la bithérapie, l’érythropoïétine permet de maintenir plus souvent la pleine dose de ribavirine, tout en conservant la qualité de vie des patients. L’utilisation de cette molécule chez le patient infecté par le VHC est une pratique acceptable hors AMM, sous réserve de limiter strictement cet usage aux patients ayant une concentration d’hémoglobine inférieure à 10 g/dl. Malgré l’absence de recherche de dose, la dose de 30 000 UI par semaine par voie sous-cutanée est recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS). Cette dose initiale de 30 000 UI par semaine sera adaptée à partir de la 2e semaine en fonction du taux d’hémoglobine. Il est nécessaire de surveiller régulièrement la réponse au traitement afin de diminuer les doses d’érythropoïétine (de 25 à 50 %) si le taux d’hémoglobine augmente trop rapidement (plus de 1 g/dl en 2 semaines ou plus de 2 g/dl en 4 semaines), voire d’arrêter le traitement si le taux d’hémoglobine atteint le seuil de 12 g/dl, un taux supérieur pouvant exposer à un risque de thrombose (15). L’effet positif de l’érythropoïétine associée aux trithérapies anti-VHC n’a pas encore été démontré. Concernant le bocéprévir, la stratégie consistant à diminuer en première intention la dose de ribavirine versus l’utilisation de l’érythropoïétine a été évaluée dans un essai prospectif randomisé (5). Le taux de RVS était similaire dans les 2 bras, quel que soit le moment de la survenue de l’anémie, y compris lors de la phase d’induction par bithérapie. Se fondant sur les résultats de cette étude, la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) et l’Association française pour l’étude du foie (AFEF) recommandent, lors des trithérapies anti-VHC comportant du bocéprévir ou du télaprévir, d’envisager en première intention une réduction de la dose de ribavirine de 200 à 400 mg/jour en cas d’anémie avec un taux d’hémoglobine inférieur à 10 g/dl ou en cas de diminution de plus de 2 g/dl en 15 jours, même si la charge virale n’est pas strictement indétectable (16, 17). Les diminutions ultérieures sont réalisées par paliers de 200 mg. Il n’est pas recommandé de diminuer la dose initiale de plus de 50 %. L’érythropoïétine peut être utilisée lors d’une deuxième étape. Dans tous les cas, la dose de télaprévir ou de bocéprévir ne doit pas être modifiée. Les recommandations sont plus nuancées pour les patients cirrhotiques, car les données sont insuffisantes pour recommander l’une ou l’autre de ces stratégies. Dans cette situation, le maintien de la dose de ribavirine, au moins pendant la période de détectabilité de l’ARN-VHC, et le recours d’emblée à l’érythropoïétine sont recommandés. Les neutropénies induites par l’interféron pégylé sont fréquentes ; elles fluctuent de 14 à 24 % selon les essais les plus récents et représentent une cause de réduction de dose de l’interféron (2, 3, 18). Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) de l’interféron pégylé recommande une réduction de dose lorsque le nombre de polynucléaires neutrophiles devient inférieur à 750/mm3. Chez les patients ayant un nombre absolu de polynucléaires neutrophiles inférieur à 500/mm3, le traitement doit être suspendu jusqu’à ce que le nombre absolu de polynucléaires neutrophiles redevienne supérieur à 1 000/mm3. L’utilisation des facteurs de croissance granulocytaires dans la neutropénie induite par l’interféron ne fait pas partie des indications de l’AMM de ces produits. Ils peuvent néanmoins constituer un recours dans certaines circonstances : pour augmenter le taux de neutrophiles, pour réduire l’incidence des épisodes infectieux et permettre une prolongation du traitement. Ces facteurs de croissance sont de plus en plus utilisés par les équipes qui ont à prendre en charge ces patients. Certains centres experts dans la prise en charge de l’hépatite C proposent de maintenir la pleine dose d’interféron pégylé en cas de neutropénie comprise entre 500 et 750/mm3 (sous couvert d’une surveillance hebdomadaire de la NFS) et d’utiliser des facteurs de croissance granulocytaires en cas de neutropénie inférieure à 500/mm3. Dans la cohorte CUPIC, la neutropénie est estimée à 2,7 % avec le télaprévir et à 4,8 % avec le bocéprévir ; les facteurs de croissance granulocytaires ont été utilisés chez 2,4 % et 4,4 % des patients respectivement (10). La thrombopénie est un autre effet indésirable observé avec l’administration d’interféron. Dans la cohorte CUPIC, 12,6 % des patients traités par télaprévir et 6,4 % des patients traités par bocéprévir ont développé ce type de toxicité. Cette thrombopénie La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 | 231 Actualités dans LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C Comment prendre en charge les événements indésirables au cours de la trithérapie contre l’hépatite C ? nécessite parfois une réduction de dose ou un arrêt du traitement (30 % dans CUPIC). Le RCP de l’interféron pégylé recommande une réduction de dose en cas de diminution du nombre des plaquettes au-dessous de 50 000/mm3 (sous couvert d’une surveillance hebdomadaire de la NFS), voire l’arrêt du traitement si la thrombopénie est inférieure à 25 000/mm3. À ce jour, les produits stimulants de la thrombopoïèse comme le romiplostim n’ont pas d’indication dans la thrombopénie induite par l’interféron ; cependant, l’utilisation de ce type de produit est rapportée chez 1,4 % des patients, toujours dans la cohorte CUPIC (10). Effets indésirables cutanéo-muqueux Le spectre des manifestations dermatologiques décrit avec le traitement anti-VHC va du prurit cutané avec ou sans urticaire aux éruptions eczématiformes, pour la majorité limitées mais pouvant être graves. Compte tenu de la fréquence des manifestations cutanées chez les patients sous télaprévir, l’AFEF a publié des recommandations sur la gestion de ces effets secondaires (16, 17) : ➤ en présence d’une dermatite eczématiforme localisée avec ou sans prurit de grade 1 (localisée), le traitement par télaprévir peut être maintenu. Le traitement symptomatique comporte émollients cutanés et dermocorticoïdes. L’avis du dermatologue n’est pas indispensable (tableau I) ; ➤ en présence d’une dermatite eczématiforme de grade 2 (diffuse, moins de 50 % de la surface cutanée), le traitement par télaprévir peut être maintenu après avis du dermatologue, qui assure un suivi régulier ; ➤ la présence d’une éruption sévère de grade 3 correspondant à une atteinte diffuse supérieure à 50 % de la surface cutanée, marquée par une extension de l’éruption ou l’apparition d’autres signes cutanés ou généraux (fièvre, nausées, diarrhées, ulcères buccaux, œdème facial, yeux rouges, hépatite) avec ou sans éosinophilie doit faire arrêter les 3 composants de la trithérapie ; ➤ la suspicion de syndrome de Stevens-Johnson ou de DRESS – grade 4 – doit conduire à l’arrêt immédiat et définitif de tous les traitements, et le patient doit être hospitalisé. Le mécanisme du prurit anal sous télaprévir est mal connu, mais sa fréquence peut être élevée. On pourra proposer l’application de dermocorticoïdes ou d’émollients et l’utilisation d’antihistaminiques. Enfin, l’altération du goût semble être une constante des effets secondaires chez les patients traités avec Tableau I. Manifestations cutanées (AFEF-SPILF 2013). Grade Type d’éruption Arrêt du télaprévir Conduite à tenir Grade 1 Localisée et/ou distribution limitée (jusqu’à plusieurs endroits isolés du corps) Généralement non nécessaire Suivi de l’aggravation ou de l’apparition de symptômes systémiques jusqu’à disparition de l’éruption cutanée Grade 2 Diffuse, atteignant jusqu’à 50 % de la surface corporelle Généralement non nécessaire, mais : • arrêt définitif du télaprévir si extension à J7 en l’absence d’amélioration ou • arrêt de la ribavirine en cas d’aggravation Suivi de l’aggravation ou de l’apparition de symptômes systémiques jusqu’à disparition de l’éruption cutanée Consultation de dermatologie recommandée Grade 3 > 50 % de la surface corporelle et/ou associée à : • des symptômes systémiques • une ulcération des muqueuses • des lésions en cocarde • un décollement de l’épiderme Arrêt des 3 composants de la trithérapie (recommandation FDA) Consultation de dermatologie fortement recommandée Suivi de la disparition des symptômes systémiques jusqu’à disparition de l’éruption Grade 4 Suspicion ou diagnostic : • d’une éruption bulleuse généralisée • d’un DRESS • d’un syndrome de Stevens-Johnson/ nécrolyse épidermique toxique • d’une pustulose exanthématique aiguë généralisée • d’un érythème polymorphe Arrêt immédiat et définitif de tous les traitements Hospitalisation 232 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 Actualités dans LE TRAITEMENT DE L’HÉPATITE C le bocéprévir, moins fréquemment rapportée avec le télaprévir. L’étude SPRINT-1 a montré une incidence de 30 à 40 % des altérations du goût chez différents patients (2). Les patients décrivent des aliments habituels au goût différent et un goût métallique dans la bouche. Les symptômes semblent être exacerbés par une diminution de la sécrétion de salive. L’herpès oral, une chéilite et des saignements des gencives semblent également être plus fréquents chez les patients sous traitement. Les soins bucco-dentaires, à l’aide d’une brosse à dents souple, et les bains de bouche aident à prévenir l’irritation et le saignement gingival. Tableau II. Effets indésirables et gestion. Effet indésirable Gestion Fatigue Maintien d’une vie sociale, d’une activité professionnelle, d’une alimentation équilibrée Fièvre/myalgies Traitement symptomatique avec paracétamol, changement des horaires d’injection Insomnie Horaires réguliers, exercice physique, hypnotique si nécessaire Anorexie/perte de poids Pas d’intervention particulière. Si perte de poids sévère, suppléments alimentaires Anémie Diminution de la posologie de la ribavirine, transfusion sanguine, érythropoïétine Neutropénie Réduction de la posologie d’interféron pégylé, facteurs de croissance granulocytaires Thrombopénie Si sévère ou symptomatique, réduction de la posologie d’interféron pégylé, facteurs de croissance thrombocytaires Éruption cutanée Émollients, dermocorticoïdes, antihistaminiques, avis dermatologique si nécessaire Diarrhée/prurit anal Corticoïdes locaux, antidiarrhéiques, antihistaminiques, régime à base de fibres Dysgueusie Soins buccaux, bains de bouche, apports liquides fréquents Dépression Lien social, avis psychiatrique, antidépresseurs Effets indésirables psychiatriques Le syndrome dépressif est souvent présent chez les patients recevant l’interféron pégylé : jusqu’à 16 % pour certains auteurs (19). La dépression apparaît majoritairement entre 2 et 5 mois après le début du traitement. Elle est d’autant plus fréquente que la durée du traitement est prolongée, que la dose d’interféron est élevée, que le sujet est âgé et qu’il présente une dépression infra-clinique avant l’instauration du traitement. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine ont prouvé leur efficacité dans le traitement de la dépression induite par l’interféron (20). Le moment idéal pour commencer le traitement antidépresseur n’est pas connu. Certains auteurs conseillent de traiter en prophylaxie les malades avant la mise en route de l’interféron (21). Même si l’utilisation prophylactique systématique des antidépresseurs – essentiellement les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine – dans le traitement de l’hépatite C chronique n’est pas démontrée, il est souhaitable de proposer une prophylaxie ciblée en s’appuyant sur un faisceau de facteurs prédictifs de dépression comme l’existence d’une dépression infra-clinique préthérapeutique, l’absence de soutien familial ou une situation socio-économique instable. Conclusion L’introduction des molécules à action directe comme le bocéprévir et le télaprévir représente une avancée majeure dans la prise en charge des patients atteints d’une hépatite C chronique. La gestion des effets indésirables nécessite un suivi rapproché et parfois pluridisciplinaire, en particulier sur le plan cutané (tableau II). Des éléments nouveaux dans la gestion des trithérapies chez les patients cirrhotiques sont apportés par la cohorte CUPIC, qui préconise une utilisation prudente du bocéprévir et du télaprévir dans cette population en raison d’un risque de complications graves. ■ R. Calin déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Jacobson IM, Pawlotsky JM, Afdhal NH et al. A practical guide for the use of boceprevir and telaprevir for the treatment of hepatitis C. J Viral Hepat 2012;19:1-26. 3. Poordad F, McCone J, Bacon BR et al. Boceprevir for untreated chronic HCV genotype 1 infection. N Engl J Med 2011;364(13):1195-206. 2. Kwo PY, Lawitz EJ, McCone J et al. Efficacy of boceprevir, an NS3 protease inhibitor, in combination with peginterferon alfa-2b and ribavirin in treatment-naive patients with genotype 1 hepatitis C infection (SPRINT-1): an open-label, randomised, multicentre phase 2 trial. Lancet 2010;376(9742):705-16. 4. Bacon BR, Gordon SC, Lawitz E et al. 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Prise de position de l’Association française pour l’étude du foie (AFEF) sur les trithérapies (Peg-IFN + ribavirine + inhibiteur de protéase) dans la prise en charge des malades atteints d’hépatite chronique C, 2011. 534 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXVIII - no 6 - novembre-décembre 2013 17. Prise de position de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF), l’Association française pour l’étude du foie (AFEF), la Société française de lutte contre le sida (SFLS), et la Société nationale française de médecine interne (SNFMI) sur l’utilisation des inhibiteurs de protéase du VHC de première génération chez les patients co-infectés par le VIH et le VHC génotype 1, 2013. 18. McHutchison JG, Everson GT, Gordon SC et al. Telaprevir with peginterferon and ribavirin for chronic HCV genotype 1 infection. N Engl J Med 2009;360(18):1827-38. 19. Schaefer M, Schmidt F, Folwaczny C. 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