Interview Maastricht III : les précédentes recommandations Helicobacter pylori

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Maastricht III : les précédentes recommandations
sur Helicobacter pylori ont-elles changé ?
Entretien avec le Pr J.C. Delchier, service de gastroentérologie,
hôpital Henri-Mondor et unité Inserm 99, Créteil.
Interview
Interview
Interview par D. O’Toole*
L
e 13e congrès européen (EUGW,
Copenhague, octobre 2005)
était l’endroit parfait pour exposer les grandes lignes du troisième
consensus d’experts sur Helicobacter
pylori, intitulé Maastricht III et qui a eu
lieu en mars 2005, curieusement non
pas à Maastricht mais beaucoup plus
au sud, à Florence. Cette réunion
concernait les nouveaux aspects épidémiologiques, diagnostiques et thérapeutiques. Les recommandations, qui
ne sont pas encore publiées, tiennent
compte d’une approche globale de la
prise en charge de cette infection bactérienne. Les questions traitées étaient
exposées avec leur niveau de preuve
scientifique et suivies d’un vote global
par les experts participants. J’ai rencontré un de ces experts, le Pr JeanCharles Delchier (hôpital HenriMondor), afin de discuter des points
les plus importants abordés au cours
de ce consensus.
Qu’en est-t-il de l’éradication de
cette bactérie chez les malades
dyspeptiques ou présentant des
symptômes de reflux gastro-œsophagien (RGO) ?
Pr J.C Delchier - En ce qui
concerne la relation entre Helicobacter
●
* Fédération médico-chirurgicale
d’hépato-gastroentérologie, hôpital
Beaujon, Clichy.
pylori et dyspepsie, la distinction entre
les formes explorées et non explorées
(investigated versus non-investigated)
a de nouveau été soulignée. Il existe
maintenant assez de données pour
soutenir l’attitude du dépistage (avec
des méthodes non invasives validées)
et du traitement (test and treat) chez
des malades de moins de 55 ans et
sans symptômes inquiétants. Une
méta-analyse récente (1) a comparé la
méthode test and treat à celle associée à une endoscopie première. Les
deux stratégies sont quasi identiques
en termes d’efficacité. Cependant,
celle du test and treat est nettement
moins onéreuse. En cas de persistance
des symptômes malgré une éradication, un traitement par antisécrétoires
peut ensuite être tenté. Bien entendu,
la stratégie test and treat doit être
réservée à des populations où la prévalence de H. pylori est élevée (> 10 à
20 %), ce qui est encore le cas en
France.
Il existe une forme de réticence à éradiquer le germe chez des malades
présentant un RGO car certains
auteurs ont suggéré que l’éradication
augmentait l’acidité gastrique et, par
conséquent, le RGO. Même s’il est
clair que le RGO ne constitue pas en
soi une indication à la recherche et au
traitement de H. pylori, on sait maintenant que l’éradication de H. pylori
n’accentue pas les symptômes de
RGO. Par ailleurs, l’intérêt d’une éradication chez des malades sous inhibi-
teurs de la pompe à protons (IPP) au
long cours demeure, car l’hypochlorhydrie induite par ces médicaments
favorise la colonisation bactérienne
du fundus et accentue l’atrophie gastrique ; l’éradication de cette infection
pourrait donc stopper l’évolution de
cette gastrite chronique et du processus d’atrophie.
La relation entre H. pylori et AINS
a-t-elle été abordée ?
Pr J.C Delchier - Le domaine de la
toxicité des AINS (ou de l’aspirine)
associée à H. pylori est complexe et
beaucoup de questions restent en suspens. Toutefois, des données récentes
nous ont permis de répondre à un certain nombre d’entre elles. D’après une
méta-analyse de 2002 (2), l’infection
par H. pylori augmente le risque d’ulcère peptique par un facteur de 3,5
chez les malades sous AINS ; de plus, il
existe un risque indépendant lié aux
AINS (RR 19,4). Alors qu’il semble exister une synergie entre l’infection par
cette bactérie et la prise des AINS
favorisant donc le développement
d’ulcères peptiques. Avant de débuter
un traitement au long cours par AINS
ou aspirine, il est par conséquent
recommandé de dépister l’infection et
d’éradiquer le germe. En revanche, les
experts s’accordent à dire que l’éradication de H. pylori n’est pas suffisante
pour supprimer le risque de récidive
hémorragique des ulcères compliqués.
●
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IX - mai-juin 2006
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Quelles sont les recommandations
concernant les stratégies diagnostiques et thérapeutiques ?
● Pr J.C Delchier - Un grand nombre
de tests diagnostiques sont actuellement disponibles. Il était donc opportun d’en préciser la valeur et d’en fixer
l’utilisation optimale. Pour les malades
dyspeptiques chez lesquels une endoscopie n’est pas indiquée, la méthode
de détection proposée par la majorité
des experts est le test respiratoire à
l’urée, commercialisé en France sous le
nom d’Hélikit®. La détection d’antigènes dans les selles (de préférence une
méthode utilisant des anticorps monoclonaux) est également possible.
Cependant, quel que soit le test utilisé,
la possibilité de faux négatifs doit être
soulignée (notamment après un traitement par des antibiotiques, des IPP ou
devant une gastrite atrophique).
L’intérêt de la sérologie comme test diagnostique initial a été souligné dans
certaines circonstances telles que l’ulcère en période hémorragique, le lymphome du MALT ou l’atrophie gastrique. Les méthodes de détection
rapide (utilisables chez le généraliste,
(et appelées GP tests par les AngloSaxons) ne sont pas fiables et doivent
être abandonnées. Les experts se sont
accordés pour ne pas recommander en
pratique clinique la recherche des facteurs de virulence tels que l’ilôt de
pathogénicité CagA. Afin de confirmer
l’éradication (recherche qui doit être
réalisée au moins 4 semaines après l’arrêt du traitement), le test respiratoire
est recommandé en première ligne,
suivi des antigènes fécaux ; bien
entendu, pour des malades chez lesquels une endoscopie de contrôle est
indiquée, des biopsies pour étude histologique doivent être pratiquées.
En ce qui concerne le traitement, peu
de modifications ont été faites : une tri-
thérapie (IPP associés à la clarithromycine et à l’amoxicilline) pendant 7 ou
10 jours reste le traitement standard de
première ligne. L’attention est portée
sur la résistance importante aux macrolides dans les pays de l’Europe du Sud
(> 20 % dans certains pays). La clarithromycine ne doit pas être utilisée si
son seuil de résistance dépasse 15 à
20 %. La deuxième ligne de traitement
reste inchangée en France (dans plusieurs autres pays, une quadrithérapie à
base de bismuth est possible) : IPP associés à la combinaison métronidazole +
amoxicilline. Après deux lignes de traitement, une culture avec antibiogramme est impérative, puis un traitement adapté en fonction des résultats.
Il n’y a pas assez de preuves pour proposer des recommandations solides en
ce qui concerne une troisième ligne de
traitement, bien qu’il soit admis que les
associations comprenant des quinolones de nouvelles génération ou la
rifabutine semblent prometteuses.
Que pensent les experts de la
question de l’éradication globale
de l’infection pour diminuer le
risque de cancer gastrique ?
Pr J.C Delchier - Bien que l’incidence du cancer gastrique diminue en
France, ce cancer reste un problème de
santé publique du fait de son très mauvais pronostic. La séquence des lésions
histologiques qui conduit de la gastrite
chronique au cancer est bien connue
depuis les années 1970. Il est établi que
l’infection par H. pylori est la principale
cause de gastrite chronique. Les études
épidémiologiques montrent une augmentation du risque relatif de cancer
d’un facteur de 3,6 à 30 en cas d’infection par H. pylori. Un à 3 % des
malades infectés développent un adénocarcinome gastrique, qu’il soit de
●
type intestinal ou diffus. Les facteurs
favorisants sont la virulence de la bactérie (toxine vacuolisante Vac A, protéine
Cag A), la réponse immunitaire de
l’hôte et la carence d’apports alimentaires en agents antioxydants. La surveillance de cohortes infectées ou non
dans les pays à haut risque de cancer a
démontré le rôle majeur de l’infection
par H. pylori dans la survenue du cancer.
Il est actuellement admis que l’éradication de l’infection est efficace pour limiter la progression des lésions prénéoplasiques (atrophie, métaplasie intestinale,
etc.) ; par conséquent, elle devrait diminuer l’incidence du cancer. Compte
tenu de la faible incidence du cancer
gastrique dans les pays occidentaux et
du risque entraîné par l’utilisation massive des antibiotiques en termes d’écologie bactérienne, les experts sont tombés d’accord sur l’absence de justification d’un dépistage systématique de H.
pylori. En revanche, il est licite de rechercher et de traiter des sujets à haut risque
(patients apparentés du premier degré à
des patients ayant développé un cancer
gastrique et sujets gastrectomisés).
Davantage de données, et notamment
les résultats des études longitudinales
en cours, nous permettront dans un
avenir proche de répondre plus clairement à la question d’une éradication
globale, avec pour but de diminuer non
seulement l’incidence du cancer gastrique, mais aussi les complications des
ulcères peptiques.
Interview
Interview
1. Ford AC, Qume M, Moayyedi P et
al. Helicobacter pylori "test and treat"
or endoscopy for managing dyspepsia:
an individual patient data meta-analysis. Gastroenterology 2005;128:183844.
2. Huang JQ, Sridhar S, Hunt RH. Role
of Helicobacter pylori infection and
non-steroidal anti-inflammatory drugs
in peptic-ulcer disease: a meta-analysis.
Lancet 2002;359:14-22.
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IX - mai-juin 2006
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