Interview Maastricht III : les précédentes recommandations Helicobacter pylori

Interview
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Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 3 - vol. IX - mai-juin 2006
Maastricht III : les précédentes recommandations
sur Helicobacter pylori ont-elles changé ?
Entretien avec le Pr J.C. Delchier, service de gastroentérologie,
hôpital Henri-Mondor et unité Inserm 99, Créteil.
Interview par D. O’Toole*
* Fédération médico-chirurgicale
d’hépato-gastroentérologie, hôpital
Beaujon, Clichy.
Le 13econgrès européen (EUGW,
Copenhague, octobre 2005)
était l’endroit parfait pour expo-
ser les grandes lignes du troisième
consensus d’experts sur Helicobacter
pylori, intitulé Maastricht III et qui a eu
lieu en mars 2005, curieusement non
pas à Maastricht mais beaucoup plus
au sud, à Florence. Cette réunion
concernait les nouveaux aspects épidé-
miologiques, diagnostiques et théra-
peutiques. Les recommandations, qui
ne sont pas encore publiées, tiennent
compte d’une approche globale de la
prise en charge de cette infection bac-
térienne. Les questions traitées étaient
exposées avec leur niveau de preuve
scientifique et suivies d’un vote global
par les experts participants. J’ai ren-
contré un de ces experts, le Pr Jean-
Charles Delchier (hôpital Henri-
Mondor), afin de discuter des points
les plus importants abordés au cours
de ce consensus.
Qu’en est-t-il de l’éradication de
cette bactérie chez les malades
dyspeptiques ou présentant des
symptômes de reflux gastro-œso-
phagien (RGO) ?
Pr J.C Delchier - En ce qui
concerne la relation entre Helicobacter
pylori et dyspepsie, la distinction entre
les formes explorées et non explorées
(investigated versus non-investigated)
a de nouveau été soulignée. Il existe
maintenant assez de données pour
soutenir l’attitude du dépistage (avec
des méthodes non invasives validées)
et du traitement (test and treat) chez
des malades de moins de 55 ans et
sans symptômes inquiétants. Une
méta-analyse récente (1) a comparé la
méthode test and treat à celle asso-
ciée à une endoscopie première. Les
deux stratégies sont quasi identiques
en termes d’efficacité. Cependant,
celle du test and treat est nettement
moins onéreuse. En cas de persistance
des symptômes malgré une éradica-
tion, un traitement par antisécrétoires
peut ensuite être tenté. Bien entendu,
la stratégie test and treat doit être
réservée à des populations où la pré-
valence de H. pylori est élevée (> 10 à
20 %), ce qui est encore le cas en
France.
Il existe une forme de réticence à éra-
diquer le germe chez des malades
présentant un RGO car certains
auteurs ont suggéré que l’éradication
augmentait l’acidité gastrique et, par
conséquent, le RGO. Même s’il est
clair que le RGO ne constitue pas en
soi une indication à la recherche et au
traitement de H. pylori, on sait main-
tenant que l’éradication de H. pylori
n’accentue pas les symptômes de
RGO. Par ailleurs, l’intérêt d’une éra-
dication chez des malades sous inhibi-
teurs de la pompe à protons (IPP) au
long cours demeure, car l’hypochlor-
hydrie induite par ces médicaments
favorise la colonisation bactérienne
du fundus et accentue l’atrophie gas-
trique ; l’éradication de cette infection
pourrait donc stopper l’évolution de
cette gastrite chronique et du proces-
sus d’atrophie.
La relation entre H. pylori et AINS
a-t-elle été abordée ?
Pr J.C Delchier - Le domaine de la
toxicité des AINS (ou de l’aspirine)
associée à H. pylori est complexe et
beaucoup de questions restent en sus-
pens. Toutefois, des données récentes
nous ont permis de répondre à un cer-
tain nombre d’entre elles. D’après une
méta-analyse de 2002 (2), l’infection
par H. pylori augmente le risque d’ul-
cère peptique par un facteur de 3,5
chez les malades sous AINS ; de plus, il
existe un risque indépendant lié aux
AINS (RR 19,4). Alors qu’il semble exis-
ter une synergie entre l’infection par
cette bactérie et la prise des AINS
favorisant donc le développement
d’ulcères peptiques. Avant de débuter
un traitement au long cours par AINS
ou aspirine, il est par conséquent
recommandé de dépister l’infection et
d’éradiquer le germe. En revanche, les
experts s’accordent à dire que l’éradi-
cation de H. pylori n’est pas suffisante
pour supprimer le risque de récidive
hémorragique des ulcères compliqués.
Interview
Interview
Quelles sont les recommandations
concernant les stratégies diagnos-
tiques et thérapeutiques ?
Pr J.C Delchier - Un grand nombre
de tests diagnostiques sont actuelle-
ment disponibles. Il était donc oppor-
tun d’en préciser la valeur et d’en fixer
l’utilisation optimale. Pour les malades
dyspeptiques chez lesquels une endo-
scopie n’est pas indiquée, la méthode
de détection proposée par la majorité
des experts est le test respiratoire à
l’urée, commercialisé en France sous le
nom d’Hélikit®. La détection d’anti-
gènes dans les selles (de préférence une
méthode utilisant des anticorps mono-
clonaux) est également possible.
Cependant, quel que soit le test utilisé,
la possibilité de faux négatifs doit être
soulignée (notamment après un traite-
ment par des antibiotiques, des IPP ou
devant une gastrite atrophique).
L’intérêt de la sérologie comme test dia-
gnostique initial a été souligné dans
certaines circonstances telles que l’ul-
cère en période hémorragique, le lym-
phome du MALT ou l’atrophie gas-
trique. Les méthodes de détection
rapide (utilisables chez le généraliste,
(et appelées GP tests par les Anglo-
Saxons) ne sont pas fiables et doivent
être abandonnées. Les experts se sont
accordés pour ne pas recommander en
pratique clinique la recherche des fac-
teurs de virulence tels que l’ilôt de
pathogénicité CagA. Afin de confirmer
l’éradication (recherche qui doit être
réalisée au moins 4 semaines après l’ar-
rêt du traitement), le test respiratoire
est recommandé en première ligne,
suivi des antigènes fécaux ; bien
entendu, pour des malades chez les-
quels une endoscopie de contrôle est
indiquée, des biopsies pour étude his-
tologique doivent être pratiquées.
En ce qui concerne le traitement, peu
de modifications ont été faites : une tri-
thérapie (IPP associés à la clarithromy-
cine et à l’amoxicilline) pendant 7 ou
10 jours reste le traitement standard de
première ligne. L’attention est portée
sur la résistance importante aux macro-
lides dans les pays de l’Europe du Sud
(> 20 % dans certains pays). La clari-
thromycine ne doit pas être utilisée si
son seuil de résistance dépasse 15 à
20 %. La deuxième ligne de traitement
reste inchangée en France (dans plu-
sieurs autres pays, une quadrithérapie à
base de bismuth est possible) : IPP asso-
ciés à la combinaison métronidazole +
amoxicilline. Après deux lignes de trai-
tement, une culture avec antibio-
gramme est impérative, puis un traite-
ment adapté en fonction des résultats.
Il n’y a pas assez de preuves pour pro-
poser des recommandations solides en
ce qui concerne une troisième ligne de
traitement, bien qu’il soit admis que les
associations comprenant des quino-
lones de nouvelles génération ou la
rifabutine semblent prometteuses.
Que pensent les experts de la
question de l’éradication globale
de l’infection pour diminuer le
risque de cancer gastrique ?
Pr J.C Delchier - Bien que l’inci-
dence du cancer gastrique diminue en
France, ce cancer reste un problème de
santé publique du fait de son très mau-
vais pronostic. La séquence des lésions
histologiques qui conduit de la gastrite
chronique au cancer est bien connue
depuis les années 1970. Il est établi que
l’infection par H. pylori est la principale
cause de gastrite chronique. Les études
épidémiologiques montrent une aug-
mentation du risque relatif de cancer
d’un facteur de 3,6 à 30 en cas d’infec-
tion par H. pylori. Un à 3 % des
malades infectés développent un adé-
nocarcinome gastrique, qu’il soit de
type intestinal ou diffus. Les facteurs
favorisants sont la virulence de la bacté-
rie (toxine vacuolisante Vac A, protéine
Cag A), la réponse immunitaire de
l’hôte et la carence d’apports alimen-
taires en agents antioxydants. La sur-
veillance de cohortes infectées ou non
dans les pays à haut risque de cancer a
démontré le rôle majeur de l’infection
par H. pylori dans la survenue du cancer.
Il est actuellement admis que l’éradica-
tion de l’infection est efficace pour limi-
ter la progression des lésions prénéopla-
siques (atrophie, métaplasie intestinale,
etc.) ; par conséquent, elle devrait dimi-
nuer l’incidence du cancer. Compte
tenu de la faible incidence du cancer
gastrique dans les pays occidentaux et
du risque entraîné par l’utilisation mas-
sive des antibiotiques en termes d’éco-
logie bactérienne, les experts sont tom-
bés d’accord sur l’absence de justifica-
tion d’un dépistage systématique de H.
pylori. En revanche, il est licite de recher-
cher et de traiter des sujets à haut risque
(patients apparentés du premier degré à
des patients ayant développé un cancer
gastrique et sujets gastrectomisés).
Davantage de données, et notamment
les résultats des études longitudinales
en cours, nous permettront dans un
avenir proche de répondre plus claire-
ment à la question d’une éradication
globale, avec pour but de diminuer non
seulement l’incidence du cancer gas-
trique, mais aussi les complications des
ulcères peptiques.
1. Ford AC, Qume M, Moayyedi P et
al. Helicobacter pylori "test and treat"
or endoscopy for managing dyspepsia:
an individual patient data meta-analy-
sis. Gastroenterology 2005;128:1838-
44.
2. Huang JQ, Sridhar S, Hunt RH. Role
of Helicobacter pylori infection and
non-steroidal anti-inflammatory drugs
in peptic-ulcer disease: a meta-analysis.
Lancet 2002;359:14-22.
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