Libérale Prévention du cancer gastrique Faut-il éradiquer Helicobacter pylori ? L’importance de l’implication de l’infection par Helicobacter pylori dans la physiopathologie du cancer gastrique a été renforcée au cours de ces dernières années par des études épidémiologiques. Mais c’est un sujet très discuté aujourd’hui. S i l’éradication systématique par les antibiotiques de Helicobacter pylori reste toujours un sujet débattu entre les spécialistes, elle est recommandée dans la population ciblée, à savoir chez les patients atteints d’une maladie ulcéreuse gastroduodénale ou d’un ulcère évolutif sous AINS et chez les sujets à risque de cancer gastrique. Un rôle certain Il est acquis que Helicobacter pylori joue un rôle dans l’apparition de l’ulcère gastrique et de la gastrite chronique, laquelle peut évoluer vers l’atrophie de la muqueuse, la métaplasie, la dysplasie et le cancer gastrique. Aux yeux du Dr J.C. Delchier (Créteil), « il convient de faire évoluer les recommandations de la conférence de consensus de 1999, selon lesquelles seuls les ulcères démontrés en endoscopie et un lymphome gastrique du MALT justifiaient la recherche et le traitement de l’infection à Helicobacter pylori ». Aujourd’hui, on admet que l’infection à H. pylori n’a qu’un rôle mineur dans la prévention du reflux gastro-œsophagien ainsi que dans la dyspepsie non ulcéreuse. En revanche, les nouvelles données suggèrent l’intérêt de l’éradication de l’infection à H. pylori chez les patients devant prendre des AINS (afin d’en diminuer la gastrotoxicité) et dans le cadre de la prévention du cancer gastrique. Il existe un faisceau d’arguments en faveur du dépistage et du traitement de toute la population infectée : des expériences réalisées sur des modèles animaux et des études plus récentes tenant compte de la sous-estimation de la prévalence de l’infection chez les patients cancéreux et qui ont montré que le risque du cancer gastrique est multiplié par un facteur allant de 8 à 30 en cas d’infection de H. pylori. Selon le Dr J.C. Delchier, « l’éradication de la bactérie ne peut pas être considérée comme un facteur significatif d’augmentation du risque de reflux gastro-œsophagien ni d’adénocarcinome de l’œsophage ». Le taux d’éradication atteint 70 % et de 95 % respectivement après les traitements de première et de deuxième intention (l’association d’un inhibiteur de la pompe à proton et de deux antibiotiques, amoxicilline et clarythro- mycine, et en cas d’échec, de métronizadole à la place de clarythromycine). Parmi les tests non invasifs pour le diagnostic de H. pylori, le test respiratoire à l’urée marquée au carbone 13 (TRU) reste le seul utilisable pour contrôler son éradication, en sachant qu’il est nécessaire d’arrêter la prise d’antisécrétoires au moins une semaine avant de l’effectuer. Selon d’autres arguments, toutes les conditions ne sont pas réunies en France pour proposer la prévention du cancer gastrique par le dépistage de masse de l’infection à H. pylori et son éradication systématique. Si 70 % des adénocarcinomes distaux sont attribuables à H. pylori, le pourcentage ne serait plus que de 40 % en considérant tous les cancers de l’estomac (le cancer du cardia n’est pas lié à l’infection à H. pylori). D’ailleurs, le risque individuel de cancer gastrique est faible (de l’ordre de 1 %) chez les patients infectés par H. pylori et dépend d’un certain nombre de facteurs tels que l’âge d’acquisition de l’infection, la virulence de la bactérie, le génotype de l’hôte mais aussi les facteurs d’environnement comme le tabac et l’alimentation. Des études menées en Suède ont montré que le tabac multipliait le risque de cancer gastrique par 2,3 ; en revanche, ce risque était réduit de 40 % grâce à un apport élevé en nutriments anti-oxydants. De même, dans une étude menée en Colombie, l’éradication de H. pylori permettait de réduire la prévalence de l’atrophie et de la métaplasie intestinale, mais cette stratégie n’était pas supérieure à la supplémentation en acide ascorbique ou en bêtacarotène. En conclusion, plutôt qu’un dépistage de masse qui n’est pas un objectif réaliste en France, il importe de définir les indications sélectives où le traitement d’éradication doit être proposé : chez les patients ayant un antécédent personnel de cancer gastrique, chez les sujets apparentés au premier degré d’un patient ayant un cancer gastrique et, en cas de découverte fortuite, en endoscopie, d’une gastrite atrophique à risque. Ludmila Couturier 2es Avancées en gastro-entérologie et Medec 2003 Professions Santé Infirmier Infirmière - No 46 - mai 2003 37