L’ostéodensitométrie doit être remboursée !

es épidémiologistes nous indiquent que 40 % des
femmes et 13 % des hommes atteignant cette année en
France l’âge de 50 ans souffriront avant la fin de leur vie
d’une fracture par fragilité osseuse touchant le poignet, les
vertèbres, l’extrémité supérieure du fémur ou d’autres os.
Ils prévoient, par ailleurs, un doublement du nombre de ces
fractures pour l’an 2025. On pourrait penser que ces frac-
tures sont l’inévitable prix à payer pour l’accroissement de
la longévité, qui, rappelons-le, a progressé dans notre pays
de 30 années en 100 ans et poursuit une croissance linéaire
à raison de 3 mois par an. “Vieillir
sans fracture” relèverait donc de
l’utopie et il faudrait se résigner à
voir doubler en quelques années la
morbidité, la mortalité et les coûts
liés à l’ostéoporose. En réalité, ce
pessimisme n’est pas justifié, car
d’indiscutables progrès ont été
accomplis depuis 10 ans dans l’ap-
proche de l’ostéoporose. Le pro-
grès le plus important réside dans
la possibilité de diagnostiquer
désormais la maladie avant la pre-
mière fracture, grâce à l’ostéo-
densitométrie. Cette démarche est
similaire à celle accomplie pour
l’hypertension artérielle il y a
60 ans, et qui a abouti à une réduc-
tion substantielle des accidents
vasculaires cérébraux et des
défaillances cardiaques.
À côté de ce progrès fondamental,
d’autres travaux récents sont
venus, d’une part, valider par de
grandes études épidémiologiques prospectives les facteurs
de risque d’ostéoporose, donc le choix des patients éligibles
pour une ostéodensitométrie, et, d’autre part, démontrer l’ef-
ficacité de certaines thérapeutiques pour réduire d’environ
50 % le risque de première fracture lorsqu’elles sont appli-
quées à des sujets identifiés par l’ostéodensitométrie comme
ostéoporotiques. Tous ces progrès sont accomplis et vali-
dés. Il reste à les faire connaître et à les mettre en œuvre par
la reconnaissance de la valeur de l’ostéodensitométrie, exa-
men clé du diagnostic et du suivi thérapeutique des ostéo-
poroses, qu’il s’agisse de celles non encore compliquées de
fractures, ou bien de la prévention des fractures ultérieures
chez des patients déjà fracturés. On sait que ces derniers
courent un risque fracturaire quatre fois plus grand que celui
que courent les sujets ostéoporo-
tiques non encore fracturés.
Parmi les techniques d’ostéodensi-
tométrie, l’absorptiométrie bipho-
tonique à rayons X a été reconnue
comme la méthode de référence du
fait de sa bonne reproductibilité, de
l’irradiation minime à laquelle elle
expose le patient, de la possibilité
qu’elle offre d’explorer directement
les sites fracturaires principaux
(corps vertébraux, extrémité supé-
rieure du fémur et inférieure du
radius), et surtout de sa valeur hau-
tement prédictive du risque fractu-
raire. Celle-ci a été confirmée par
plusieurs études prospectives, dont
l’une conduite en France, l’étude
EPIDOS, qui a été réalisée chez
3 575 femmes de plus de 75 ans sui-
vies 3 ans. Ces études ont conduit
l’Organisation mondiale de la santé
(OMS), à travers les conclusions
d’un groupe de travail réuni dès
1992, à redéfinir les critères d’un diagnostic précoce de l’os-
téoporose, non plus porté tardivement, après la première frac-
ture, mais sur la base d’une densité minérale osseuse abaissée
au-dessous d’un certain seuil. Ce seuil, particulièrement bien
validé chez la femme pour la mesure de la densité fémorale,
se situe au-dessous de 2,5 déviations standard par rapport à
une population de référence de femmes jeunes (T score). Ainsi,
La Lettre du Rhumatologue - n° 269 - février 2001
3
L’ostéodensitométrie doit être remboursée !
P.J. Meunier*
* Service de rhumatologie et de pathologie osseuse, pavillon F, hôpital
Édouard-Herriot, Lyon.
L
L’ostéoporose est à l’os ce que la tempête de l’An 2000
fut aux arbres. La France de 2001 financera-t-elle à temps
l’évaluation de son “parc osseux” ?
La Lettre du Rhumatologue - n° 269 - février 2001
4
dans l’étude EPIDOS, les femmes ayant un T score inférieur
à – 2,5 ont présenté en 3 ans 16 fois plus de fractures que celles
ayant un Tscore “normal”, c’est-à-dire supérieur à – 1. Sur le
plan thérapeutique, l’étude FIT-2, développée chez des
femmes ostéoporotiques non encore fracturées et traitées par
l’alendronate, et une étude toute récente, menée chez des
femmes âgées traitées par le risédronate, ont montré qu’une
densité minérale osseuse fémorale abaissée était prédictive
d’un effet antifracturaire significatif de ces médicaments.
C
ette utilité bien démontrée de l’ostéodensitométrie pour faire
face à l’énorme problème de santé publique que représente
dès aujourd’hui l’ostéoporose
a été reconnue en 1998 par la
Communauté européenne,
puis par la Task Force on
Osteoporosis de l’Organisa-
tion mondiale de la santé qui
ont recommandé la pratique
et le remboursement de l’exa-
men chez tous les sujets pré-
sentant des facteurs de risque
de fracture. En France, la
situation est particulière car
les autorités sanitaires et la
Caisse d’Assurance maladie
n’ont pour l’instant tenu
aucun compte de ces recom-
mandations de la Commis-
sion européenne et de l’OMS,
alors même que la pratique de
l’ostéodensitométrie s’est lar-
gement développée dans
notre pays qui, en nombre d’appareils par million d’habitants,
arrive en 5eposition parmi les pays d’Europe. En effet, plus
de 550 absorptiomètres à rayons X sont opérationnels, déte-
nus pour plus de 80 % d’entre eux par des médecins radiolo-
gistes qui n’ont jamais sollicité ni l’inscription à la nomen-
clature, ni le remboursement de l’ostéodensitométrie, et qui
pratiquent à son égard des honoraires libres paraissant leur
convenir, mais qui pénalisent indiscutablement les patients les
moins fortunés, du fait de l’absence de remboursement. Les
syndicats de rhumatologues, bien que ces derniers détiennent
le reste du parc des ostéodensitomètres, n’ont guère montré
plus d’empressement à plaider pour un remboursement de
l’examen. Associée à l’absence de remboursement des médi-
cations anti-ostéoporotiques lorsqu’elles sont prescrites avant
la fracture (bisphosphonates, raloxifène), cette situation de
non-prise en charge de l’ostéodensitométrie par l’Assurance
maladie contribue à faire de l’ostéoporose une maladie dont
le diagnostic et le traitement sont réservés à une certaine
classe sociale. Imaginerait-on de telles restrictions appliquées
au dosage de la cholestérolémie ou à la mammographie ?
L
e temps paraît venu pour la France de sortir d’une situa-
tion anormale et malsaine sur le plan de l’égalité d’accès
aux soins, et de décider – sans prolonger davantage le délai
par la consultation de nouveaux comités d’experts, qui ne
feront que redécouvrir la réalité scientifique internationale
de s’aligner sur la plupart des pays développés et de prendre
en charge pour les sujets à risque un remboursement modeste
de l’ostéodensitométrie, cette pratique étant alors assortie
d’un contrôle de qualité des mesures, et du compte-rendu
de l’examen. La liste des facteurs de risque peut donner lieu
à discussion, bien qu’un consensus émanant des rapports de
l’OMS, de la Commission européenne, de la Fondation inter-
nationale contre l’ostéopo-
rose et du Groupe de recher-
ches et d’information sur les
ostéoporoses (GRIO) se soit
déjà dégagé. Ces instances
recommandent, en effet, une
ostéodensitométrie chez les
sujets des deux sexes ayant
un antécédent de fracture
par fragilité, une ménopause
précoce, un âge supérieur à
65 ans sans mesure préven-
tive de la perte osseuse
depuis la ménopause, une
hérédité maternelle de frac-
ture de hanche, des antécé-
dents de corticothérapie,
une carence calcique, une
hypovitaminose D, une hy-
perparathyroïdie primitive,
un besoin de suivi thérapeu-
tique annuel ou bisannuel pour une ostéopathie fragilisante
traitée.
Le remboursement par l’Assurance maladie du dosage des
marqueurs biochimiques du remodelage osseux, acquis
depuis environ deux ans, contraste étonnamment avec la
non-prise en charge actuelle de l’ostéodensitométrie dont
l’utilité clinique individuelle est au moins aussi bien établie
que celle de ces marqueurs.
L
a France, que l’OMS a distinguée récemment comme la
nation ayant le meilleur système de soins du monde, doit
rejoindre au plus vite les 14 pays européens qui rembour-
sent déjà totalement ou partiellement l’ostéodensitométrie
par absorptiométrie biphotonique à rayons X (Allemagne,
Autriche, Danemark, Finlande, Grande-Bretagne, Grèce,
Italie, Liban, Pays-Bas, République tchèque, Slovaquie,
Suède, Suisse, Turquie).
Les fracturés de l’an 2025 méritent dès aujourd’hui que l’on
s’occupe d’eux !
ÉDITORIAL
L’ostéodensitométrie fémorale :
la mieux validée pour la prédiction du risque fracturaire
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