Probiotiques et maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) : des réalités expérimentales et des perspectives cliniques L. Beaugerie* I l est apparu très rapidement aux spécialistes des MICI que génétique et environnement jouaient l’un et l’autre un rôle dans la pathogenèse de l’inflammation. Restaient à déterminer la nature et le poids respectifs de ces facteurs. Rutgeerts nous a appris dans les années 1990 que le flux fécal était nécessaire à l’entretien de l’inflammation intestinale. Après les aliments, sans doute accusés à tort d’être le vecteur de cette activité pro-inflammatoire, ce sont les éléments constitutifs de la flore bactérienne résidente qui ont été mis en examen. Les résultats sont sans appel : lorsque des animaux de laboratoire génétiquement condamnés à développer une inflammation intestinale (souris IL-10-/- ou rats transgéniques HLA-B27) grandissent dans des conditions germ-free, ils restent indemnes. Lorsque ces mêmes animaux sont exclusivement contaminés à la naissance par une ou plusieurs souches de la flore bactérienne saprophyte, ils développent ou non une maladie, selon le type de bactérie et d’association. Les raisons qui déterminent le caractère pathogène de telle ou telle souche sont mystérieuses et complexes : ainsi, une même souche bactérienne, Bacteroides vulgatus, protège les souris IL-10-/- de leur colite et, à l’inverse, détermine une colite chez le rat transgénique. On retiendra cependant de ces recherches que certaines bactéries, avec lesquelles un adulte sain vit en bonne entente, peuvent, dans certaines conditions et sur certains terrains, déclencher ou pérenniser une inflammation. * Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital Rothschild, Paris. Les probiotiques sont des micro-organismes non pathogènes, qui, ingérés vivants, exercent une influence positive sur la santé ou la physiologie de l’homme. Pour contrer les effets délétères d’une bactérie pathogène, ils peuvent notamment : a) contrarier la croissance des mauvaises bactéries par simple équilibre de population ; b) occuper les récepteurs d’attache des bactéries pathogènes à l’épithélium ; c) moduler la glycosylation des récepteurs des entérocytes et/ou modifier la composition du mucus ; d) stimuler la réponse immunitaire humorale spécifique (IgA) visant à limiter l’action des bactéries pathogènes. Toutes ces actions potentielles ont comme champs d’application en pathologie digestive les infections intestinales aiguës et les MICI. Expérimentalement, les probiotiques préviennent ou atténuent certaines maladies inflammatoires génétiquement déterminées. Ainsi, les souris IL10-/- élevées avec une flore intestinale conventionnelle développent une inflammation atténuée lorsqu’elles ont ingéré dès la naissance certaines souches de lactobacilles (1). Il en est de même lorsque les souris sont traitées par VSL#3, une soupe de probiotiques non commercialisée en France, contenant par gramme 9 x 109 bifidobactéries, 8 x 1010 lactobacilles et 20 x 1010 Streptococcus salivarius thermophilus (2). Ces résultats sont très intéressants mais ne doivent pas nous faire oublier qu’à l’heure actuelle, on ignore en grande partie par quels mécanismes tel ou tel probiotique exerce une action bénéfique dans les modèles expérimentaux de colites. Les mêmes empirisme et tâtonnement prévalent dans le domaine des essais cliniques préliminaires des probiotiques dans les MICI. Les pre- É d i t o r i a l Éditorial 103 miers bénéfices sont à mettre au crédit du traitement d’entretien des RCH et du traitement des pouchites. Une souche d’E. coli non pathogène (E. coli Nissle 1917, commercialisée sous le nom de Mutaflor® en Allemagne) semble être aussi efficace que les dérivés salicylés pour prévenir les poussées des RCH quiescentes (Kruis et al., communication orale, DDW 2001). Dans la pouchite chronique, VSL#3 réduit de 80 % le risque de poussée par rapport au placebo (3). De nombreuses études sur l’effet clinique des probiotiques dans les MICI, dans différents contextes cliniques tels que la prévention de la rechute postopératoire de la maladie de Crohn, sont en cours ou prêts à démarrer à travers le monde. On voit donc que la guerre des bactéries est au centre de la recherche des MICI. Les “bonnes bactéries” peuvent devenir pathogènes à la faveur d’un dysfonctionnement immunitaire, comme on peut le concevoir au travers du dysfonctionnement génétiquement déterminé de la protéine CARD15 (ex- NOD2), impliquée dans le dialogue entre des constituants de la paroi bactérienne et la synthèse de cytokines pro-inflammatoires. Certains probiotiques apparaissent dans ce contexte comme des antidotes potentiels, dont certains commencent à trouver leur place dans le traitement des ✁ Éditorial Éditorial MICI. Le “créneau thérapeutique” qui s’ouvre actuellement concerne des situations cliniques de gravité faible à moyenne, excluant, par exemple, du débat les colites graves. Du fait de leur habituelle innocuité et des résultats positifs surprenants des premiers essais contrôlés, les probiotiques ne doivent plus, dans le champ des MICI, nous faire sourire avec condescendance mais nous engager à espérer et travailler. Références 1. Madsen KL, Doyle JS, Jewell LD et al. Lactobacillus species prevents colitis in interleukin 10 gene-deficient mice. Gastroenterology 1999 ; 116 : 1107-14. 2. Madsen KL, Doyle JS, Tavernini MM et al. Antibiotic therapy attenuates colitis in interleukin 10 gene-deficient mice. Gastroenterology 2000 ; 118 : 1094-105. 3. Gionchetti P, Rizzello F, Venturi A et al. Oral bacteriotherapy as maintenance treatment in patients with chronic pouchitis : a double-blind, placebo-controlled trial. Gastroenterology 2000 ; 119 : 305-9. À découper ou à photocopier O UI, JE M’ABONNE AU MENSUEL Gastroentérologie Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité .......................................................................................................... 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