CAS CLINIQUE Mots-clés : Maladie de Takayasu – Sténose aortique supravalvulaire – Insuffisance aortique – Sténose coronaire ostiale – Syndrome de Leriche. Keywords: Takayasu’s disease – Supravalvular aortic stenosis – Aortic regurgitation – Coronary ostia stenosis – Leriche’s syndrome. Aortite de Takayasu avec sténose supravalvulaire engainant les ostia coronaires, insuffisance valvulaire et syndrome de Leriche Takayasu’s aortitis with supravalular stenosis, coronary ostia embedding, valve insufficiency and Leriche’s syndrome C. Bouthors1, I. El Hajjaji2, R. Boutekadjirt3, P. Fouret4, F. Koskas2, C. Acar1 U n homme, âgé de 45 ans et d’origine antillaise, est atteint de la maladie de Takayasu. Il a été hospitalisé pour la prise en charge chirurgicale d’une occlusion des 3 troncs supra-aortiques. Le patient était asymptomatique, hormis une comitialité occasionnelle, mais il présentait au scanner une séquelle d’un accident vasculaire cérébral dans le territoire frontal. Huit années plus tard, le patient a été réhospitalisé pour une claudication intermittente unilatérale qui a nécessité un pontage fémorofémoral. En raison d’une élévation anormale du taux de troponine O b s e r v a t i o n Du fait de la présence de calcifications pariétales massives, la revascularisation de l’hémicorps supérieur initialement prévue à partir de l’aorte ascendante a été réalisée à partir de l’aorte abdominale dans sa portion cœliaque qui était indemne. Malgré plusieurs tentatives de reprise chirurgicale, le pontage sur les troncs supra-aortiques a été le siège de thromboses itératives. La vascularisation de l’encéphale reposait exclusivement sur une artère vertébrale alimentée par une riche collatéralité issue de l’artère sous-clavière gauche en aval de l’occlusion. Le patient était asymptomatique sur le plan neurologique, et un nouveau geste chirurgical n’a pas été tenté. Un traitement médicamenteux comportant des corticoïdes à long terme et du méthotrexate a été instauré. 1 Service de chirurgie cardiaque, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris. 2 Service de chirurgie vasculaire, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris. 3 Service de radiologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris. 4 Service d'anatomopathologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris. 36 | La Lettre du Cardiologue • n° 458 - octobre 2012 Figure 1. Scanner de l’aorte thoracique et abdominale. A : calcifications de l’aorte ascendante et sténose supravalvulaire aortique. B : incrustation calcaire avec sténose serrée de l’ostium coronaire gauche. C : reconstruction tridimensionnelle surfacique. Noter les calcifications étendues de l’aorte ascendante, l’occlusion des troncs supra-aortiques, l’oblitération de l’aorte abdominale sous-rénale et de l’axe iliaque droit avec perméabilité des artères fémorales profondes. CAS CLINIQUE Figure 2. Pièce opératoire. A : résection monobloc comprenant les valvules aortiques, l’origine des ostia coronaires (non visibles) et l’ensemble de l’aorte ascendante. B : sténose supravalvulaire : à gauche, les valvules épaissies et rétractées (insuffisance valvulaire) sont en place ; à droite, même vue après l’ablation des valvules. Noter le rétrécissement supravalvulaire induit par la protrusion exubérante des calcifications pariétales. C : aortite de Takayasu avec calcifications pariétales massives alternant avec des plages d’ulcérations. L’origine des ostia coronaires n’est plus identifiable. Figure 3. Scanner postopératoire de contrôle. A : reconstruction tridimensionnelle surfacique. Aspect satisfaisant de l’intervention de Bentall et perméabilité du pontage aortobifémoral depuis l’aorte ascendante. B : intervention de Bentall avec prothèse de Saint-Jude (en gris) incluse dans un tube en Dacron® (en jaune). Noter le tube prothétique intermédiaire (en bleu) sur le tronc commun et la translocation avec anastomose directe de l’artère coronaire droite. Un deuxième tube en Dacron® (en jaune) destiné à la revascularisation des membres inférieurs est anastomosé au tube remplaçant l’aorte ascendante. C : projection d’intensité maximale. Noter l’émergence des artères coronaires : à l’opposé de l’ostium gauche, qui est en position anatomique, l’artère coronaire droite a été repositionnée sur le flanc droit du tube prothétique aortique. D : reconstruction tridimensionnelle surfacique. Reconstruction du tronc coronaire gauche à l’aide d’un court tube prothétique (T) de Gore-Tex® anastomosé au tube aortique. dans la période postopératoire, une coronarographie a été réalisée. Celle-ci a retrouvé une sténose serrée du tronc coronaire gauche proximal qui a été traitée par la mise en place d’une endo­prothèse active. Trois années ont passé et le patient a de nouveau été admis pour un œdème aigu du poumon. On notait par ailleurs une récidive de la claudication intermittente, affectant cette fois les 2 membres inférieurs dans le cadre d’un syndrome de Leriche. Le patient se plaignait également de l’apparition d’une impuissance sexuelle. L’échographie cardiaque a révélé l’existence d’une insuffisance valvulaire aortique volumineuse dont le mécanisme était une rétraction et un épaississement des valvules. Le ventricule gauche était notablement hypertrophié et la fraction d’éjection était abaissée à 35 %. En l’absence d’accès vasculaire, une nouvelle coronarographie n’était plus possible et un angioscanner de l’ensemble de l’aorte thoracique et abdominale et de ses branches a été effectué. L’aorte ascendante était entièrement calcifiée et présentait un rétrécissement prononcé au niveau de la ­jonction sinotubulaire (diamètre : 12 mm) [figure 1A]. Les calcifications pariétales étaient responsables de sténoses coronaires serrées aux dépens des ostia droit et gauche en dépit du stent (figure 1B et 1C). Plus en aval, le réseau coronaire distal était intact. Le scanner a également révélé l’existence d’une oblitération complète de l’aorte abdominale sous-rénale étendue à l’axe iliaque d’un côté, associée à une thrombose des 2 artères fémorales superficielles (figure 1). Un traitement chirurgical en 1 temps des différentes oblitérations artérielles thoraciques et abdominales a été planifié. L’anesthésie a été monitorée à partir de la pression systémique radiale gauche. Bien que moins pulsée, celle-ci reflétait assez fidèlement la pression aortique moyenne mesurée par ponction directe pendant l’opération. Le débit cardiaque a été mesuré à l’aide d’une sonde de Swan-Ganz à débit continu. Le traitement chirurgical a été effectué par reprise de la sternotomie avec abord des artères fémorales communes au triangle de Scarpa. La circulation extracorporelle a été instituée entre l’oreillette droite et la crosse aortique qui était indemne de calcification. En raison de l’importance des calcifications pariétales de l’aorte ascendante, la protection du myocarde par canulation sélective des ostia coronaires nous a semblé hasardeuse. Le cœur a donc été arrêté par injection de cardioplégie par voie rétrograde après la canulation du sinus coronaire. L’aorte a été sectionnée au niveau de la voie d’éjection au-dessous des valvules aortiques et l’ensemble de l’aorte ascendante, comprenant la valve aortique et la portion initiale des artères coronaires, a été réséqué en bloc (figure 2). Un remplacement de la valve aortique et de l’aorte ascendante a été effectué selon la méthode de Bentall à l’aide une prothèse valvulaire mécanique Saint-Jude de 25 mm de diamètre incluse dans un tube prothétique en Dacron® de 28 mm de diamètre (figure 3A et 3B). Le tronc coronaire gauche a été réimplanté par l’intermédiaire d’un court segment de tube prothétique en Gore-Tex® de 6 mm de diamètre selon une modification de la technique de Cabrol (figure 3). L’artère coronaire droite a été mobilisée sur plusieurs centimètres avec section de la branche du cônus, ce qui a permis une réimplantation directe sur le tube prothétique aortique (figure 3A, 3C et 3D). La Lettre du Cardiologue • n° 458 - octobre 2012 | 37 CAS CLINIQUE Un pontage aorto-bifémoral a alors été réalisé à partir de l’aorte ascendante au moyen d’un deuxième tube en Dacron® de 25 mm de diamètre. Celui-ci a été acheminé au niveau de l’abdomen selon un trajet rétromusculaire pararectal gauche et prépéritonéal jusqu’à une troisième prothèse de Dacron® dont les extrémités ont été anastomosées aux artères fémorales profondes (figure 3). L’examen anatomopathologique a confirmé la sévérité de l’atteinte pariétale de l’aorte ascendante avec la présence de calcifications massives au voisinage de portions ulcérées (figure 2). L’examen microscopique a retrouvé une hyperplasie intimale avec disparition de la média, remplacée par un intense remaniement fibrocalcaire dépourvu de cellules spécifiques. Les suites opératoires ont été marquées par une durée prolongée de ventilation assistée en raison d’une pneumopathie. Le contrôle par angioscanner au premier mois a confirmé l’absence d’anomalie du montage réalisé sur l’aorte ascendante et la perméabilité du pontage aorto-bifémoral (figure 3). Le patient a quitté l’hôpital après le délai habituel, les signes d’ischémie des membres inférieurs ayant disparu. L’échographie cardiaque a confirmé le fonctionnement normal de la prothèse valvulaire alors que la fraction d’éjection était mesurée à 40 %. D i s c u s s i o n Les patients atteints de la maladie de Takayasu font habituellement l’objet de multiples interventions de revascularisation, le risque de complication artérielle postopératoire étant notoirement élevé (1). L’atteinte de la valve aortique au cours de la maladie de Takayasu a été documentée depuis longtemps (2, 3). Dans le cas décrit ci-dessus, il existait en outre une aorte ascendante porcelaine et, de façon plus inhabituelle, la protrusion de ­calcifications exubérantes était responsable d’un aspect de sténose supravalvulaire au niveau de la jonction sinotubulaire (figure 1). La saillie des calcifications masquait l’émergence des artères coronaires dont les ostia étaient sévèrement rétrécis (figure 1), une localisation classique de la maladie coronaire en cas d’aortite de Takayasu (4, 5). Il existait une altération de la fonction ventriculaire gauche systolique associée à une hypertrophie myocardique notable, et on connaît le pronostic péjoratif de ces anomalies échographiques au cours de la maladie de Takayasu (6). Les valvules aortiques étaient rétractées et fibreuses (figure 2) et une intervention conservatrice telle que certains ont pu la réaliser lorsque le mécanisme de la fuite était lié à une ectasie de l’aorte ascendante n’était pas envisageable (7). Un remplacement de l’ensemble de la valve et de l’aorte ascendante a donc été réalisé (intervention de Bentall). La portion initiale du tronc coronaire gauche a été excisée et celui-ci a été réimplanté par l’intermédiaire d’un court segment de tube prothétique (technique de Cabrol modifiée) [figure 3]. Après l'excision de son premier centimètre, l’artère coronaire droite a été mobilisée et réimplantée directement sur la face antérodroite du tube aortique. Certains ont proposé des méthodes alternatives pour traiter les sténoses coronaires ostiales liées à une maladie de Takayasu : endartériectomie avec ou sans patch d’élargissement (8, 9), ou encore pontages aortocoronaires avec des greffons veineux, car l’artère mammaire interne est souvent inutilisable (10, 11). Dans le cas de notre patient, l’ancienneté et la sévérité des calcifications pariétales aortiques, alors que le réseau coronaire d’aval était indemne, nous ont conduits à préférer une revascularisation coronaire directe. Il a enfin été possible de traiter le syndrome de Leriche par un pontage entre l’aorte ascendante et les artères fémorales profondes (12) [figure 3]. ■ Références bibliographiques 1. Saadoun D, Lambert M, Mirault T et al. Retrospective analysis of surgery versus endovascular intervention in Takayasu arteritis: a multicenter experience. Circulation 2012;125:813-9. 2. Dubourg O, Thomas D, Sirinelli A et al. Insuffisance aortique dans la maladie de Takayasu : à propos de 3 cas opérés et revue de la littérature. Arch Mal Cœur Vaiss 1984; 77:998-1005. 3. Matsuura K, Ogino H, Kobayashi J et al. Surgical treatment of aortic regurgitation due to Takayasu arteritis: long-term morbidity and mortality. Circulation 2005;112: 3707-12. 4. Amano J, Suzuki A. Coronary artery involvement in Takayasu’s arteritis. Collective review and guideline for surgical treatment. J Thorac Cardiovasc Surg 1991;102:554-60. 5. Endo M, Tomizawa Y, Nishida H et al. Angiographic findings and surgical treatments of coronary artery involvement in Takayasu arteritis. J Thorac Cardiovasc Surg 2003; 125:570-7. 6. Soto ME, Espinola-Zavaleta N, Ramirez-Quito O, Reyes PA. Echocardiographic follow-up of patients with Takayasu’s arteritis: five-year survival. Echocardiography 2006;23:353-60. 7. Adachi O, Saiki Y, Akasaka J, Oda K, Iguchi A, Tabayashi K. Surgical management of aortic regurgitation associated with Takayasu arteritis and other forms of aortitis. Ann Thorac Surg 2007;84:1950-3. 8. Matteucci ML, Iascone M, Gamba A et al. Left main stem patch plasty and aortic root homograft in Takayasu’s disease. Ann Thorac Surg 2004;77:314-7. 38 | La Lettre du Cardiologue • n° 458 - octobre 2012 9. Nakano S, Shimazaki Y, Kaneko M et al. Transaortic patch angioplasty for left coronary ostial stenosis in a patient with Takayasu’s aortitis. Ann Thorac Surg 1992;53: 694-6. 10. Bottio T, Cardaioli P, Ossi E, Casarotto D, Thiene G, Basso C. Left main trunk ostial stenosis and aortic incompetence in Takayasu’s arteritis. Cardiovasc Pathol 2002;11: 291-5. 11. Kazui T, Mitsunaga Y, Nakajima T, Okabayashi H. Bentall operation with saphenous vein graft for a Takayasu’s aortitis patient. Ann Thorac Cardiovasc Surg 2010;16: 373-5. 12. Ahn H, Hwang HY. Ascending aorta-abdominal aorta bypass for Takayasu’s arteritis. 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