Première partie : thyroïde – parathyroïde Thyroïdites aiguës et subaiguës Acute and subacute thyroiditis J. Mahoudeau* L e terme de thyroïdite est ambigu et critiquable, car il désigne des pathologies aussi diverses que les abcès (thyroïdite aiguë), les inflammations (thyroïdite subaiguë), la maladie auto-immune chronique (thyroïdite de Hashimoto) et la fibrosclérose (thyroïdite de Riedel) thyroïdiennes. Dans le cadre des situations urgentes, nous nous limiterons aux maladies infectieuses et inflammatoires et aux autres cas où une hyperthyroïdie accompagne une thyroïdite (auto-immune ou iatrogène). Les antibiotiques sont nécessaires, et parfois le drainage chirurgical. La tuberculose est rarement en cause, mais possible. Cortège biologique Thyroïdite subaiguë de De Quervain Moins rare, elle est souvent stéréotypée, de diagnostic facile et d’évolution cyclique vers la guérison. Physiopathologie Thyroïdite aiguë à pyogènes Très rare, elle survient surtout chez un jeune dans un contexte septicémique ou porteur d’une fistule du sinus piriforme. Cliniquement, elle réalise une masse dans la région thyroïdienne, le plus souvent unilatérale, douloureuse et fébrile. Lorsque le contexte n’est pas évocateur, le risque est de la confondre avec une thyroïdite subaiguë, plus fréquente, et de prescrire une corticothérapie malencontreuse qui accélère l’évolution vers l’abcédation. L’échographie montre une vaste zone hypoéchogène, hétérogène et mal limitée, dont la ponction recueille le germe et permet parfois d’évacuer du pus. * Service d’endocrinologie, CHU Côte de Nacre, Caen. cardie, tremblement, thermophobie, nervosité, etc. Il s’agit d’une maladie virale (oreillons, coxsackie, influenza, etc., le virus n’étant pas toujours identifié) au cours de laquelle les follicules thyroïdiens sont lésés, et libèrent dans la circulation de la thyroglobuline (Tg), de la T4 et de la T3. Histologiquement, on note une infiltration par des mono- et polynucléaires, des effractions de colloïde en dehors des follicules plus ou moins désorganisés, entourées de cellules géantes multinucléées. Tableau clinique Le tableau typique comporte une douleur d’intensité variable, parfois intense et insomniante, parfois discrète et seulement déclenchée par la palpation, rarement absente. Son irradiation aux deux oreilles est classique et évocatrice de la douleur thyroïdienne. Elle s’associe à : un gonflement de l’ensemble de la thyroïde, rarement d’un seul côté, à une dysphagie dans un contexte grippal, et à des signes d’hyperthyroïdie : asthénie, tachy- Il comprend : – une VS très accélérée ; – une élévation franche de la CRP ; – une leucocytose normale ou peu altérée ; – et, habituellement, une TSH abaissée avec élévation discrète de T4 et T3 libres et de la Tg, ce dernier dosage n’étant pas indispensable ; – les anticorps antithyroïdiens (antiTg et antithyroperoxydase [TPO]) sont absents ou peu élevés. Un tel tableau clinique et biologique est si évocateur qu’une scintigraphie d’urgence n’est plus exigée pour le diagnostic (fixation nulle ou faible). L’échographie montre un aspect hypoéchogène global ou par zones. Diagnostic différentiel – Kyste thyroïdien hémorragique, mais il est unilatéral et l’échographie le reconnaît. – Maladie de Basedow : elle est évoquée si on méconnaît le syndrome inflammatoire dans les formes peu ou pas douloureuses, et que l’hyperthyroïdie est au premier plan, ce qui est rare. Le diagnostic est rectifié par l’absence des anticorps antirécepteurs de la TSH (TSI) conduisant à la scintigraphie comme dans toute hyperthyroïdie inexpliquée. – Goitre nodulaire toxique : lui aussi éliminé par la scintigraphie. – Enfin, les symptômes peuvent égarer le diagnostic vers une pharyngite (parfois associée) ou une otite (mais tympans normaux). Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 127 diabétologie Urgences en endocrinologie, et maladies métaboliques Traitement d’urgence Il est uniquement symptomatique, par les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) pendant quelques jours pour calmer la douleur. Les AINS ne sont pas toujours nécessaires dans les formes peu douloureuses. À l’inverse, en cas de douleur intense ou non calmée par les AINS, ne pas hésiter à utiliser les corticoïdes en commençant par 40 mg/j de prednisone, puis diminution pendant 4 à 8 semaines. Leur effet est généralement spectaculaire en 24 heures. Mais aucun traitement ne modifiera l’évolution spontanée de la thyroïdite. Les -bloquants sont utiles si la thyrotoxicose est nette, avec tachycardie, tremblement, etc. Les antithyroïdiens de synthèse (ATS) sont absolument inefficaces sur la thyrotoxicose, qui, ici, est due à une lésion et non à une hyperactivité thyroïdienne. Évolution Après la phase initiale, douloureuse, le syndrome inflammatoire et la thyrotoxicose s’estompent en quelques jours ou semaines. Une phase d’hypothyroïdie transitoire peut apparaître secondairement vers le sixième mois, habituellement suivie d’un retour à l’euthyroïdie, sans qu’il soit nécessaire de la substituer. D’autres modes évolutifs sont plus rares : résistance à la corticothérapie, nécessitant de plus fortes doses, récidives inflammatoires (surtout après corticothérapie trop brève) ou hypothyroïdie durable nécessitant une substitution. Thyroïdites subaiguës silencieuses ou indolentes Les thyroïdites subaiguës silencieuses peuvent répondre à deux mécanismes : 128 ■ Une thyroïdite de De Quervain indolente. Le diagnostic est initialement méconnu, faute de rechercher un syndrome inflammatoire au cours des hyperthyroïdies. ■ Une thyroïdite lymphocytaire subaiguë. Ici, les lésions histologiques et le mécanisme sont différents : il existe un goitre modéré avec une infiltration lymphocytaire rappelant la thyroïdite de Hashimoto. Les anticorps anti-Tg et anti-TPO sont présents à un taux modéré et il n’y a pas de syndrome inflammatoire. La survenue en post-partum est fréquente. roïdie durable (ou parfois une maladie de Basedow ultérieure) plus fréquente dans le deuxième cas. Traitement En phase de thyrotoxicose, les -bloquants peuvent être utiles. Si les ATS ont été prescrits avec un diagnostic initial de maladie de Basedow, ils doivent être arrêtés après réception de la scintigraphie qui redresse le diagnostic. Autres thyroïdites urgentes Hashitoxicose Tableau clinique Quel que soit leur mécanisme, inflammatoire ou auto-immun, les thyroïdites subaiguës silencieuses se présentent comme une hyperthyroïdie modérée avec son cortège symptomatique connu (tachycardie, tremblement, nervosité, etc.), authentifiée par l’élévation légère des taux de T4 et T3 libres et une TSH basse. La Tg plasmatique est normale ou élevée. L’absence de signe manifeste de maladie de Basedow (goitre net, soufflant, signes oculaires, recherche de TSI positive) impose la réalisation d’une scintigraphie qui montre une fixation nulle ou très faible, en l’absence de saturation iodée. Le diagnostic différentiel est la thyrotoxicose factice, mais dans ce cas il n’y a pas de goitre, et le taux plasmatique de Tg est très bas. Comme le tableau clinico-isotopique (hyperthyroïdie avec scintigraphie blanche) n’impose pas une étude histologique, le diagnostic du mécanisme en cause repose sur la recherche d’un syndrome inflammatoire, présent dans le premier cas, tandis que la survenue durant le post-partum et la présence d’anticorps antithyroïdiens sont habituelles dans le deuxième. L’évolution de ces deux formes de thyroïdite se fait vers la guérison, avec un passage en hypothyroïdie possible dans les deux cas, et une hypothy- Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 Contrairement aux cas habituels de thyroïdite de Hashimoto (hypothyroïdie progressive avec ou sans goitre, avec forte élévation des anticorps antithyroïdiens), certains cas commencent par une phase d’hyperthyroïdie, simulant une maladie de Basedow sans signe oculaire, mais évoluent spontanément en quelques semaines vers une hypothyroïdie durable. Mais comment distinguer la hashitoxicose de la maladie de Basedow qui passe rapidement en hypothyroïdie sous ATS ? La scintigraphie thyroïdienne n’est pas discriminative. La rapidité d’installation de l’hypothyroïdie, l’absence habituelle de TSI (sauf en cas d’association à une maladie de Basedow) et la forte élévation du taux des anticorps anti-Tg et anti-TPO doivent faire soupçonner une hashitoxicose et faire cesser le traitement par ATS lorsqu’il n’y a pas de signe oculaire : l’hyperthyroïdie va se manifester à nouveau s’il s’agit d’une maladie de Basedow, au contraire de la hashitoxicose. Thyroïdites iatrogènes • L’interféron peut provoquer une thyroïdite silencieuse, mais aussi une maladie de Basedow et une hypothyroïdie durable. Première partie : thyroïde – parathyroïde • L’amiodarone peut entraîner une hyperthyroïdie, soit par hyperactivité thyroïdienne sur un goitre ou des nodules préexistants, soit, et c’est ce qui nous intéresse ici, par lésion inflammatoire dont le diagnostic est peu évident, car il n’existe ni les douleurs ni les critères inflammatoires de la thyroïdite de De Quervain. Ce sont des critères subtils qui amènent à identifier ce mécanisme : – volume thyroïdien normal ; – fixation de l’iode radioactif < 2 % à 24 h ; – augmentation du taux plasmatique de l’interleukine 6 ; – Tg peu augmentée ; – résistance aux ATS. La corticothérapie est en principe efficace, contrairement aux ATS lorsque ce mécanisme est en cause. En pratique, le diagnostic du mécanisme de l’hyperthyroïdie est rarement possible, et le traitement de l’hyperthyroïdie due à l’amiodarone reste très empirique, nécessitant des essais de corticothérapie et d’ATS, successifs ou associés, avec des résultats souvent décevants tant que dure la surcharge iodée. Références ■ Duron F, Dubosclard E, Ballot E, Johanet C. Thyroïdites. Encyclopédie médico-chirurgicale, 2004;10-008-A-40. ■ Larsen PR, Davies TF, Hay ID. Transient hyperthyroidism. In: Williams Textbook of Endocrinology. Wilson JD, Foster DW, Kronenberg HM, Larsen PR, Editors. WB Saunders, Philadelphia, 9th edition 1998, pp. 454-9. ■ Martino E, Bartalena L, Bogazzi F, Braverman LE. Amiodarone and the thyroid. Endocr Rev 2001;22: 240-54. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (IX), n° 4, juillet/août 2005 129