La Lettre du Cancérologue - Vol. XV - n° 5 - octobre 2006
Dossier thématique
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globale, au prix d’une toxicité plus importante (12-14). L’adminis-
tration intraveineuse de l’IL-2 a été abandonnée en raison d’une
toxicité majeure, sans gain suffi sant en termes de réponse ou de
survie (15). Pour les patients de pronostic intermédiaire traités
par médroxyprogestérone, IFNα, IL-2 ou l’association, aucune
diff érence de survie n’a été mise en évidence (16). Peu de patients
vont donc bénéfi cier d’un traitement d’immunothérapie, c’est-à-dire
obtenir une réponse complète prolongée. En 2006, l’immunothé-
rapie semble devoir être réservée aux patients de bon pronostic.
Leur sélection est alors primordiale, et de nombreuses équipes ont
cherché à défi nir des critères pronostiques. Suivant les études, des
facteurs cliniques (PS, sites métastatiques, délai d’apparition des
métastases…) ou biologiques (lactate déshydrogénase sérique,
hémoglobine…) ont été retrouvés (17-19).
Malgré la prise en charge médicochirurgicale des CRM métas-
tatiques, la survie globale médiane reste limitée à 8-10 mois
(20), et le taux de survie à 5 ans est inférieur à 10 % (21). Devant
ces résultats décevants, des alternatives thérapeutiques ont été
recherchées. La meilleure connaissance des mécanismes molé-
culaires physiopathologiques du cancer du rein, notamment
dans le type histologique à cellules claires, a permis d’orienter les
recherches vers des traitements ciblant la néo-angiogenèse tumo-
rale. Plusieurs cibles ont été identifi ées, et des molécules ont été
évaluées. Certaines de ces thérapies ciblées ont récemment montré
un bénéfi ce clinique dans des essais de phase II et III, conduisant
à la délivrance d’autorisations temporaires d’utilisation (ATU),
puis d’autorisations de mise sur le marché (AMM) en juillet 2006.
Dans cette revue, nous soulignerons les principaux mécanismes
mis en jeu dans la néovascularisation et les cibles moléculaires
potentielles. Puis, dans un second temps, nous développerons
les résultats des essais cliniques évaluant ces nouveaux agents
antiangio géniques dans le CRM.
CANCER DU REIN ET NÉOANGIOGENÈSE
Le cancer du rein à cellules claires est réputé être une tumeur
maligne hypervascularisée, démontrant l’existence d’une
angiogenèse importante en son sein. Une mutation du gène
von Hippel-Lindau (VHL) a été retrouvée dans 60 à 80 % des
formes sporadiques (22). Cet événement est reconnu comme
étant précoce dans le processus de développement du cancer
rénal à cellules claires (23, 24). En l’absence de mutation du
gène VHL suppresseur de tumeur, la protéine pVHL interagit
avec l’hypoxia-inducible factor (HIF-1) et forme un complexe
multiprotéique (VEC) avec elongin B, elongin C, cullin 2 et
Rbx1 (25, 26). Dans des conditions de normoxie, HIF-1 est
exprimé en faible quantité et hydroxylé, et la sous-unité HIF-
1α se fi xe sur le VEC, ce qui conduit à sa dégradation. Lors
de l’hypoxie, HIF-1α n’est plus dégradée, s’accumule et se lie
à la sous-unité HIF-1β. Le complexe HIF-1 formé initie alors
la transcription de gènes inductibles par l’hypoxie qui codent
pour plusieurs facteurs de croissance : vascular endothelial
growth factor (VEGF), platelet-derived growth factor (PDGF), ou
transforming growth factor α (TGFα) [27]. L’absence de pVHL,
par mutation ou inactivation biallélique du gène, conduit de la
même façon à l’accumulation de HIF-1α, et à la surexpression
de ces mêmes facteurs de croissance, puis à l’angiogenèse et à
la prolifération cellulaire (28).
La néovascularisation est essentielle à la croissance tumorale
(29), et le VEGF est le facteur prépondérant de ce mécanisme.
Par sa liaison au récepteur de VEGF (VEGF-R), il va induire
une angiogenèse, via la migration de cellules endothéliales,
leur prolifération et leur survie. Cinq isomères de VEGF et
trois de son récepteur existent, permettant une régulation de
ce mécanisme, mais ce sont autant de cibles thérapeutiques
possibles. Cependant, d’autres systèmes sont impliqués dans
la néovascularisation, notamment les gènes inductibles par
l’hypoxie. Ainsi, le PDGF favorise l’angiogenèse, en particulier
par son action sur les péricytes riches en récepteurs au PDGF
(PDGF-R). Le TGFα, ligand du récepteur à l’epidermal growth
factor (EGF-R), conduit à la prolifération, la survie, la diff é-
renciation et la migration cellulaires. Au sein de ces facteurs
existent des boucles autocrines par lesquelles le TGFα et l’EGF
stimulent notamment l’expression du VEGF (28).
Outre les facteurs de croissance, leurs récepteurs sont également
présents sur les cellules endothéliales (PDGF-R ou VEGF-R) et
sur les cellules tumorales (EGF-R). En régulant les voies de trans-
duction par leur activité tyrosine kinase (TK), ils participent à la
néoangiogenèse, à la prolifération, la migration, l’adhésion et la
survie cellulaires. Parmi ces cascades, deux ont un rôle majeur :
la voie PI3kinase/AKT, et celle de Raf/MEK/ERK. Sur la première,
une cible potentielle est représentée par mTOR (mammalian target
of rapamycin), une protéine impliquée dans la survie cellulaire et
sa division. Mais mTOR est aussi connue pour induire une surex-
pression de HIF-1 (30) et, par son intermédiaire, des facteurs de
l’angiogenèse. Plusieurs mécanismes peuvent infl uencer l’activité
de mTOR, en particulier PI3K, qui agit après avoir été activée par
des facteurs de croissance ou inhibée par le gène PTEN, un gène
suppresseur de tumeur. Or, le gène PTEN est fréquemment muté
et dérégulé dans le CRM (31, 32). La voie Raf/MEK/ERK, ubiqui-
taire, occupe un rôle prépondérant dans la progression du cycle
cellulaire. Son activation est sous la dépendance, entre autres, de
Ras, protéine largement impliquée dans les mécanismes d’oncoge-
nèse, et elle-même située en aval des récepteurs à activité tyrosine
kinase, tels que PDGF-R, VEGF-R ou EGF-R. Dans le CRM, cette
voie est fréquemment activée de façon constitutive, ce qui entraîne
l’expression de nombreux facteurs, notamment proangiogéniques.
Enfi n, la voie Raf/MEK/ERK induit un signal de survie par son
action sur les protéines de la famille Bcl-2 (33). De même, par son
interaction avec la protéine antiapoptotique bcl-2, la protéine Raf
a une action antiapoptotique.
Toutes ces voies de signalisation intervenant dans l’angiogenèse, la
prolifération cellulaire ou l’apoptose sont autant de cibles potentielles
pour les thérapies ciblées en développement. Enfi n, plusieurs méca-
nismes d’action sont possibles : agir sur le ligand ou sur le récepteur,
utiliser un anticorps ou une petite molécule inhibitrice de l’activité
TK, agir sur une seule ou plusieurs cibles…