Un sujet âgé insuffisant rénal peut

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cas clinique
Un sujet âgé insuffisant rénal peut-il bénéficier d’un traitement antiangiogénique en cas de cancer
du rein métastatique ?
Could an elderly patient with a metastatic kidney cancer
and a renal insufficiency benefit by an antiangiogenic therapy?
P. Beuzeboc*, N. Garnier-Viougeat*, C. Daniel*, M. Zerbib**
L
e traitement du cancer du rein métastatique a été révolutionné ces dernières années par l’avènement des traitements
antiangiogéniques, mais leur manipulation chez les patients
âgés, présentant des comorbidités, notamment une atteinte de la
fonction rénale, ne fait l’objet d’aucun consensus en l’absence de
données pharmacologiques adaptées à ces conditions.
Nous rapportons l’observation d’un sujet âgé insuffisant rénal
illustrant ce problème de pratique quotidienne.
Observation
M. D., âgé de 85 ans, nous est adressé pour prise en charge thérapeutique de métastases osseuses et pulmonaires d’un cancer du
rein.
Ce patient présente de lourds antécédents médicaux marqués par
une broncho-pneumopathie chronique obstructive post-tabagique,
un flutter auriculaire traité il y a douze ans par un choc électrique
externe puis, lors de la récidive de l’arythmie, par amiodarone,
responsable d’une hypothyroïdie traitée par 75 µg/j de levothyroxine sodique.
L’histoire de la maladie remonte à juillet 1997, date à laquelle il est
opéré par néphrectomie d’une tumeur du rein gauche découverte
fortuitement. À l’histologie, il s’agit d’un carcinome à cellules
claires localisé sans atteinte ganglionnaire.
* Département d’oncologie médicale, institut Curie, Paris.
** Service d’urologie, hôpital Cochin, Paris.
En avril 2006, M.D. présente une fracture pathologique de l’extrémité inférieure du coude droit sur une lésion lytique, traitée
par embolisation, curetage, cimentoplastie et radiothérapie
complémentaire. L’histologie confirme le diagnostic de métastase du carcinome à cellules claires. Lors du bilan d’extension, la
scintigraphie osseuse objective un second foyer d’hyperfixation
au niveau du genou gauche.
En juillet 2006, l’augmentation des gonalgies gauches et l’impotence fonctionnelle quasi complète font poser l’indication d’une
prothèse totale du genou gauche après embolisation. Les suites
opératoires se compliquent d’une insuffisance rénale, d’un passage
en arythmie avec œdème aigu du poumon, d’une réouverture de
la plaie chirurgicale avec surinfection à levures, le tout justifiant
3 mois de convalescence dans un service de soins de suite.
Lors de notre première consultation, en mars 2007, il présente une
reprise évolutive au niveau du coude droit avec une importante
tuméfaction des parties molles, inflammatoire et responsable
d’une impotence fonctionnelle majeure. Il est en bon état général
(OMS 1), pèse 70 kg pour 1,70 m, se déplace correctement et est
intellectuellement très actif. Il est noté un souffle systolique en
écharpe avec une auscultation pulmonaire normale. Le reste de
l’examen est sans particularité.
Le bilan biologique est marqué par une insuffisance rénale, avec
une créatininémie à 246 μmol/l correspondant à une clairance
selon la formule de Cockroft calculée à 19,2 ml/mn. Le reste du
bilan hépatique est normal. Le bilan d’extension retrouve un lâcher
de ballons bilatéral sous forme de multiples micronodules de
3 à 15 mm.
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Mots-clés
Résumé
Cancer du rein métastatique
Insuffisance rénale
Sorafénib
Cette observation montre qu’un patient âgé atteint d’un cancer du rein métastatique, d’une insuffisance rénale et de comorbidités cardiovasculaires peut présenter à la fois une réponse majeure et
durable et une bonne tolérance en utilisant de faibles doses de sorafénib.
Keywords
Metastatic kidney cancer
Renal insufficiency
Sorafenib
Summary
This observation shows that an elderly patient with a metastatic kidney cancer, a renal insufficiency
and cardiovascular morbidities can obtain a major and durable response with well-tolerated low
doses of sorafenib.
Il est décidé, dans un premier temps, d’une radiothérapie antalgique de 20 Gy sur le coude droit, ce qui améliore les douleurs et
permet une récupération fonctionnelle totale.
Un traitement par sorafénib est ensuite débuté sous surveillance
très étroite à doses faibles, du fait de l’âge et de l’insuffisance
rénale sévère : 200 mg x 2/j (moitié de la posologie recommandée).
Après un mois de traitement, la tolérance s’est révélée parfaite,
en dehors d’une thrombopénie de grade 1 rapidement résolutive
après une suspension courte du traitement.
En mai 2007, une nouvelle fracture pathologique est traitée
par une résection monobloc de la tumeur (responsable d’une
lyse complète de l’extrémité inférieure de l’humérus) et par une
prothèse du coude.
En juillet 2007, la radiographie du thorax montrant une stabilité
des lésions pulmonaires, le traitement par sorafénib est repris
aux mêmes doses, interrompu pour de courtes périodes en cas
de thrombopénie. La tolérance s’avère parfaite tant sur le plan de
l’état général que sur les plans cardiovasculaire (en particulier la
tension artérielle) et biologique, au niveau des fonctions rénale
et thyroïdienne.
Lors du dernier bilan d’avril 2008, le patient mène une vie quasi
normale, en dehors de la gêne occasionnée par la raideur du coude
qui reste indolore. Le contrôle radiographique thoracique montre
après un an un aspect de réponse majeure (photos). Le bilan
hématologique et biochimique est normal. La fonction rénale
est stable avec une créatininémie à 201 μmol/l et une clairance
à 23,1 ml/mn. Le traitement par sorafénib, toujours en cours, a
été maintenu à la même dose.
Commentaires
Ce cas montre bien la difficulté de décision concernant la mise
en route d’un traitement antiangiogénique chez un patient âgé
présentant des comorbidités importantes. Il est aussi la preuve
que l’on peut attendre d’un tel traitement un bénéfice important,
à condition d’en maîtriser les effets indésirables….
Il apparaît nécessaire, dans un premier temps, de réaliser une
évaluation correcte de l’état physique et mental du sujet âgé
comme l’a recommandé très récemment un groupe d’experts
internationaux (1).
Dans les cancers du rein métastatiques, le choix du type de traitement antiangiogénique dépend actuellement des groupes
pronostiques, que ce soit de ceux de Motzer (PS, néphrectomie
antérieure, taux d’hémoglobine, lacticodéshydrogénase [LDH],
calcémie corrigée) ou ceux de la Fédération nationale des centres
de lutte contre le cancer (FNCLCC) [fondés sur le PS et le nombre
de sites] (2). En première ligne, le sunitinib peut être utilisé dans
tous les cas alors que l’association d’interféron et de bévacizumab est plutôt réservée aux tumeurs de bon pronostic, et le
temsirolimus aux tumeurs de mauvais pronostic. Le sorafénib a
obtenu son AMM en deuxième ligne après immunothérapie par
cytokine (3).
Dans notre cas particulier, la balance bénéfice/risque avec le
sunitinib, au vu de ses effets indésirables, contre-indiquait son
utilisation, raison pour laquelle nous avons opté pour le sorafénib,
mieux toléré (4).
Existe-t-il une relation dose/efficacité pour le sorafénib ? Les
données récentes des études d’escalade de doses rapportées à
l’ASCO en 2007 (5) semblent aller dans ce sens, montrant plus
de réponses objectives avec des doses de 800 mg x 2/j, mais au
prix d’une toxicité plus importante.
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cas clinique
Peut-on utiliser le sorafénib chez l’insuffisant rénal,
et comment adapter les doses ?
Comme pour la plupart des nouveaux médicaments, il n’existe
aucune donnée disponible dans la littérature et, a fortiori, aucune
recommandation posologique chez l’insuffisant rénal sévère (clairance de la créatinine inférieure à 30 ml/mn).
Les principales données pharmacocinétiques (6-9) font état :
➤ d’une biodisponibilité relative moyenne de 38 à 49 % avec un
pic plasmatique à 3 heures ;
➤ d’une demi-vie du médicament de 25 à 48 heures ;
➤ d’une métabolisation majoritairement hépatique par le cytochrome P3A4 (oxydatif) ainsi que d’une glucuro-conjugaison par
l’UGT1A9, 77 % étant éliminés par les fèces et 19 % dans les urines,
sous une forme glucuro-conjuguée.
Au vu des essais cliniques, il ne semble pas que la pharmacocinétique soit modifiée pour une clairance de la créatinine supérieure
à 30 ml/mn. Le traitement ne nécessite pas alors d’adaptation de
dose. En revanche, pour une clairance inférieure à 30 ml/mn, il
n’existe pas de données pharmacocinétiques disponibles à notre
connaissance et aucune recommandation concernant la dose. La
prévention de la toxicité rénale pour les antiangiogéniques passe
par une surveillance étroite de la fonction rénale, de la tension
artérielle et de la protéinurie.
Pour l’utilisation des traitements antitumoraux en cas d’insuffisance rénale, une aide précieuse peut être apportée par l’association ICAR1. Dans notre cas, nous avons décidé empiriquement de
commencer le traitement à mi-dose, étant donné l’âge du patient,
avec une surveillance clinique et biologique très étroite.
1
[email protected]
Nous n’avons pas eu à modifier le traitement, en raison de la tolérance hématologique limite au niveau de la lignée plaquettaire et
de l’excel­lente réponse. On peut espérer à l’avenir que des données
pharmacocinétique d’études chez les sujets âgés nous aideront à
trouver la dose la plus adaptée à l’aide de contrôles sanguins.■
Références bibliographiques
1. Wildiers H, Kunkler I, Biganzoli L et al. Management of breast cancer in elderly
individuals: recommendations of the International Society of Geriatric Oncology.
Lancet Oncol 2007;8(12):1101-15.
2. Négrier S, Escudier B, Gomez F et al. Prognostic factors of survival and rapid
progression in 782 patients with metastatic renal carcinomas treated by cytokines:
a report from the Groupe français d’immunothérapie. Ann Oncol 2002;13:1460-8.
3. Escudier B, Eisen T, Stadler WM et al. Sorafenib in advanced clear-cell renal-cell
carcinoma. N Engl J Med 2007;356(2):125-34.
4. Riechelmann RP, Chin S, Wang L et al. Sorafenib for metastatic renal cancer: the
Princess Margaret experience. Am J Clin Oncol 2008;31(2):182-7.
5. Amato RJ, Harris P, Dalton M et al. A phade II trial of intra-patient doseescalated sorafenib in patients with metastatic renal cell cancer. J Clin Oncol
2007;25(Suppl. 18): abstract 5026.
6. Strumbreg D, Richly H, Hilger RA et al. Phase I clinical and pharmacokinetic
study of the novel Raf kinase and vascular endothelial growth factor receptor
inhibitor BAY 43-9006 in patients with advanced refractory solid tumors. J Clin
Oncol 2005;23(5):965-72.
7. Awada A, Hendlisz A, Gil T et al. Phase I safety and pharmacokinetics of BAY 439006 administred for 21 days on/7 days off in patients with advanced, refractory
solid tumours. Br J Cancer 2005;92(10):1855-61.
8. ClarkJW, Eder JP, Ryan D, Lathia C, Lenz HJ. Safety and pharmacokinetics of the dual
action Raf kinase and vascular endothelial growth factor receptor inhibitor, BAY 439006, in patientswith advanced, refractory solidtumors.ClinCancer Res 2005;11(15):
5472-80.
9. Strumberg D, Clark JW, Awada A et al. Safety, pharmacocinetics, and preliminary
antitumor activity of sorafenib: a review of four phase I trials in patients with
advanced refractory solid tumors. Oncologist 2007;12(4):426-37.
Agenda
3e cours supérieur de chirurgie
mammaire Techniques en chirurgie
mammaire
Marseille (World Trade Center Marseille-Provence),
les 10 et 11 octobre 2008.
Organisation : G. Magalon, P. Bonnier et D. Casanova.
Pour toute information complémentaire,
et pour s’inscrire,
consulter le site www.congres-sein.fr
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Au cours de ces Journées organisées par C. Pelissier-Langbort,
J. Belaisch-Allart, A. Lesur et T. Maudelonde, une large part
sera faite à la prise en charge et au traitement des cancers
gynécologiques les plus fréquents : le sein et l’ovaire. Les
possibilités qu’offre la génétique en matière de dépistage et
de prédisposition chez la femme, l’enfant, le couple seront
également explorées.
Pour toute information complémentaire,
et pour s’inscrire,
consulter le site www.sfgparis2008.com
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