Avec le soutien institutionnel de CAS CLINIQUE Mots-clés Embolie gazeuse – CPRE Keywords Gaseous embolism – ERCP L’embolie gazeuse, une complication exceptionnelle mais redoutable du cathétérisme rétrograde C. Duburque(1,2,3,4), E. Beaujard(5), J.B. Landel(1,2,3,6), R. Rihani(1,2,3,6), K. Merouani(7), W. Yassine(1,2,3,4), O. Lucidarme(8), D. Lucidarme (1,2,3,4) L’ embolie gazeuse est une complication exceptionnelle du cathétérisme rétrograde, de mauvais pronostic, qui impose un diagnostic et une prise en charge rapides. Observation n° 1 Un homme de 45 ans, alcoolique chronique non sevré, présentait une pancréatite chronique calcifiée. Devant l’apparition d’une cholestase anictérique et de douleurs résistant au traitement, une cholangiographie pancréatique rétrograde endoscopique (CPRE) était réalisée. L’opacification du canal de Wirsung montrait une dilatation corporéocaudale. Celle de la voie biliaire principale (VBP) retrouvait une sténose responsable d’une rétrodilatation d’amont. Le traitement consistait en la mise en place de 2 prothèses métalliques extirpables (figure 1), la première dans la VBP et la seconde dans le Wirsung. En fin de procédure, le patient présentait une hypocapnie, puis un passage en fibrillation ventriculaire. Après 2 chocs électriques externes, on notait une asystolie, récupérée en 10 minutes. L’électrocardiogramme révélait un sus-décalage inférolatéral justifiant une coronarographie qui mettait en évidence de volumineuses bulles d’air intracavitaires bilatérales, signant le diagnostic d’embolie gazeuse, avec foramen ovale perméable (FOP) [figure 2]. Une angiographie pulmonaire retrouvait une embolisation pulmonaire prédominant à droite. L’aspiration de l’air à l’aide de sondes pigtail permettait une amélioration de l’état hémodynamique. Devant une hémiparésie gauche, le patient bénéficiait d’une IRM qui mettait en évidence des lésions ischémiques profondes d’allure embolique. (1) Université Nord-de-France, Lille. (2) UC Lille, Lille. (3) GH de l’institut catholique lillois/faculté libre de médecine. (4) Département médico-chirurgical d’hépato-gastroentérologie, CH Saint-Philibert, Lomme-lès-Lille. (5) Service de gastro-entérologie, CHI Alençon-Mamers, Alençon. (6) Département de cardiologie, CH Saint-Philibert, Lomme-lès-Lille. (7) Service de réanimation, CHI Alençon-Mamers, Alençon. (8) Service de réanimation, CH de Caen. À 5 mois de l’embolie gazeuse, le patient présente toujours de lourdes séquelles neurologiques à type de tétraparésie. Observation n °2 Un homme de 87 ans, aux antécédents de cholécystectomie en 2007 avec cholédocotomie, était hospitalisé en urgence pour angiocholite. Le scanner abdominopelvien injecté mettait en évidence une dilatation globale des voies biliaires, en amont d’un obstacle lithiasique. La CPRE confirmait les données du scanner. Les différentes tentatives d’extraction ou de fragmentation de la lithiase ont été infructueuses. La mise en place d’une endoprothèse biliaire plastique était décidée. Au moment de sa pose, le patient présentait une instabilité hémodynamique suivie d’un arrêt cardiaque. Après retrait en exsufflation de l’endoscope et réanimation cardiorespiratoire, un rythme cardiaque sinusal et un état hémodynamique correct étaient récupérés. L’échographie transthoracique confirmait le diagnostic d’embolie gazeuse. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien montrait un collapsus pulmonaire postérobasal droit et un infarctus hépatique sous-capsulaire renfermant des images aériques. Le patient bénéficiait d’une séance d’oxygénothérapie hyperbare, 5 heures après l’incident, permettant une amélioration clinique et morphologique rapide, avec disparition de l’air du système porte. L’évolution sera favorable, permettant la sortie du patient à J8 sans séquelle neurologique. Discussion L’embolie gazeuse est une complication exceptionnelle, mais redoutable du cathétérisme rétrograde (1). Deux facteurs sont nécessaires pour aboutir à une embolie gazeuse : une communication entre le tube digestif et la vascularisation sanguine, ainsi qu’un gradient de pression favorisant le passage de l’air dans la circulation (2). 268 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 6 - novembre-décembre 2012 Dans la littérature, nous avons colligé 24 cas d’embolie gazeuse au cours de CPRE. Il s’agissait, dans 15 cas sur 26, d’hommes âgés en moyenne de 57 ans. La sphinctérotomie exposant les veinules de la papille, notamment en cas de néoplasie, est le point d’entrée le plus souvent décrit, mais elle n’est ni suffisante ni nécessaire (3-6). En revanche, la reprise du geste pourrait être un facteur favorisant, car il est retrouvé dans 50 % des cas (12/24). Chez huit de ces 12 patients, une prothèse avait été mise en place. La mortalité de l’embolie gazeuse est de 38,5 % (10/26). Un FOP est une anomalie fréquente, retrouvée dans 20 à 25 % des cas. Cette particularité anatomique comporte un risque théorique d’embolie paradoxale. Dans les cas recensés, l’information sur la perméabilité du FOP était disponible chez 16 sujets sur 26. Sur les 16 patients, 4 présentaient un FOP : 3 patients sur 16 ont eu des séquelles neurologiques après l’embolie gazeuse, le dernier est décédé au décours du geste. Aucun des patients n’ayant pas de FOP n’a eu de complications neurologiques. La recherche de cette anomalie doit donc être systématique, car elle joue un rôle sur le pronostic fonctionnel à long terme. L’échographie cardiaque est donc l’examen de choix à visée diagnostique (embolie gazeuse et FOP), réalisable même en cas d’instabilité hémodynamique. B.K. Tan et al. (5) proposent un examen tomodensitométrique injecté corps entier, pour faire un bilan complet des lésions. L’aéroportie pathognomonique est aisément retrouvée sous la forme d’une image de lacune hypodense au niveau du tronc porte ou de ses branches, alors que la présence d’air dans les cavités cardiaques droites est moins évidente. Les premières mesures thérapeutiques sont l’arrêt immédiat de la procédure interventionnelle, avec un retrait de l’endoscope en exsufflant un maximum d’air. La mise en place d’une sonde nasogastrique en aspiration et d’une antiobioprophylaxie pourraient être suffisantes en cas d’embolisation uniquement dans le système porte (6). En cas d’embolisation systémique, l’oxygène pur permet de réduire la taille des bulles (4) et d’augmenter la saturation de l’hémoglobine. L’aspiration des emboles gazeux intracardiaques par voie veineuse centrale peut être proposée en attendant le transfert vers le caisson hyperbare. Les meilleurs résultats, notamment sur la réversibilité des déficits neurologiques, sont obtenus si l’oxygénothérapie hyperbare est débutée moins de 5 heures après l’accident (7). Références bibliographiques 1. Christensen M, Matzen P, Schulze S et al. Complications of ERCP. Gastrointest Endosc 2004;60:721-31. 2. Green BT, Tendler DA. Cerebral air embolism during upper endoscopy: case report and review. Gastrointest Endosc 2005;61:620-3. 3. Nayagam J, Ho KM, Liang J. Fatal systemic air embolism during endoscopic retrograde cholangiopancreatography. Anaesth Intensive Care 2004;32:260-4. 4. Rabe C, Balta Z, Wüllner U et al. Biliary metal stents and air embolism: a note of caution. Endoscopy 2006;38:648-50. 5. Tan BK, Saunier CF, Cotton F et al. Thoracoabdominal CT scan: a useful tool for the diagnosis of air embolism during an endoscopic retrograde cholangiopancreatography. Ann Fr Anesth Reanim 2008;27:240-3. 6. Finsterer J, Stöllberger C, Bastovansky A. Cardiac and cerebral air embolism from endoscopic retrograde cholangio-pancreatography. Eur J Gastroenterol Hepatol 2010;22:1157-62. 7. Raju GS, Bendixen BH, Khan J et al. Cerebrovascular accident during endoscopy: consider cerebral air embolism, a rapidly reversible event with hyperbaric oxygen therapy. Gastrointest Endosc 1998;47:70-3. Figure 1. CPRE (patient 1) : 2 prothèses métalliques extirpables en place. Conclusion L’incidence de l’embolie gazeuse au cours des CPRE et des autres gestes endoscopiques reste inconnue. L’analyse de la littérature ne permet pas de dégager de facteurs prédictifs. La rareté de cette complication lui confère donc un caractère imprévisible, ce qui souligne la nécessité d’une indication indiscutable de la CPRE. La prévention doit être large et pourrait consister en une intubation-ventilation systématique pour permettre un diagnostic précoce grâce au monitorage en CO2 expiré/capnogramme et l’utilisation large des insufflateurs à CO2. ■ Figure 2. Coronarographie (patient 1) : bulles d'air intracavitaires. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 6 - novembre-décembre 2012 | 269