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Voies d’accès au sang et embolies gazeuses
Chapitre 19
Mr DELAFOSSE
Les techniques de voies d’accès au sang par abord percutané des grosses veines du cou (veine
jugulaire interne) ou du haut du thorax (veine sous-clavière) ont largement bénéficié des progrès
réalisés en matière de matériaux et de kits prêts à l’emploi. De ce fait, l’utilisation de ces voies
veineuses centrales (VVC), initialement réservée aux services de réanimation et de chirurgie,
s’est étendue progressivement à l’ensemble des services de soins.
Toutefois, ce type de voie d’accès au sang n’est pas dénué de risques. Parmi ces risques,
l’embolie gazeuse (ou passage dans le sang de gaz, le plus souvent de l’air), est une complication
sévère, parfois mortelle, et méconnue.
Cette cause d’embolie gazeuse, dont la fréquence augmente, a été à l’origine de 184 admissions
en 32 ans au Centre Régional de Médecine Hyperbare situé à l’hôpital Edouard Herriot. Ceci
représente 37% de l’ensemble des embolies gazeuses traitées dans ce centre, toutes causes
confondues.
Les mécanismes
Toute brèche veineuse ou brèche dans un système de perfusion, située à une altitude supérieure à
celle de l’oreillette droite se trouve sous pression négative et aspire de l’air. Cet effet est majoré
en cas d’hypovolémie (= diminution du volume sanguin nécessaire au maintien d’une fonction
circulatoire normale). L’air intra-vasculaire suit la circulation sanguine et parvient dans les
vaisseaux pulmonaires. Au-delà d’un débit limite de 0,15 mL/kg/min, il y a passage de l’air dans
le territoire artériel : c’est l’embolie gazeuse artérielle paradoxale. Ce passage s’effectue soit
directement de l’oreillette droite dans l’oreillette gauche, au travers du foramen ovale perméable
présent chez 30 à 35% de la population adulte, soit par passage trans-pulmonaire. Une fois
passées dans le ventricule gauche, les bulles migrent préférentiellement vers les vaisseaux
cérébraux et les artères coronaires, puis se bloquent dans les petits vaisseaux qu’elles obstruent,
produisant alors des lésions par ischémie et par œdème. Ces lésions sont à l’origine des
symptômes observés.
En cas de survenue d’un embole massif, il peut se produire un désamorçage du cœur gauche avec
arrêt circulatoire.
Les circonstances de survenue de l’embolie gazeuse
L’embolie gazeuse peut survenir pendant les différentes phases d’utilisation d’une voie veineuse
centrale.
Lors de la pose : le patient doit être installé en position déclive de 20°, sans oreiller avec les
membres inférieurs surélevés : cette position, dite de Trendelenburg, augmente la pression
veineuse dans les vaisseaux du thorax et du cou, rend le geste plus facile et limite le risque
d’embolie gazeuse.
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Pendant la période d’utilisation de la voie veineuse centrale :
- Par débranchement accidentel de la tubulure de perfusion ou arrachement du cathéter, en
raison de l’état confusionnel du patient, et de son ignorance des dangers des voies
veineuses centrales (patient qui se lève), ou du fait d’une non-utilisation de raccords à vis,
ou d’une méconnaissance du type de raccord (avec ou sans blocage).
- Par bris de raccords en cas de vissage trop puissant.
- Par défaut de matériel mal serti.
- Par défaut du respect de l’anse de sécurité au-dessous du plan dorsal du patient.
- Par mise en pression de flacons de verre par injection d’air (cette pratique est
éminemment dangereuse et interdite).
- Par mauvaise utilisation de poches souples en matière plastique mises sous manchon de
pression et dans lesquelles de l’air a été injecté malencontreusement.
- Par blessure ou section du cathéter.
Lors de l’ablation de la voie veineuse centrale : ce risque d’accident, souvent méconnu, est de
plus en plus fréquent. Après l’ablation du cathéter, un chenal perméable à l’air peut persister
quelques minutes entre l’orifice cutané et la veine. Plus le patient est maigre, plus le chenal est
court et donc à risque majoré. De plus, l’élasticité de la peau est variable en fonction de l’âge et
des sujets. Il a été montré que 100 mL d’air peuvent entrer en une seconde à travers un chenal de
2,3 mm de diamètre si une pression négative de 5 cm d’eau est appliquée au point de ponction
(situé 5 cm au-dessus de l’oreillette droite). Ceci représente un débit d’air mortel.
Le patient doit être installé en position déclive de 20°, sans oreiller, avec les membres inférieurs
surélevés. Cette manœuvre permet d’augmenter la pression veineuse centrale et d’obstruer le
chenal par un thrombus. Après ablation du cathéter, le point de ponction et les tissus sous-cutanés
doivent être massés au moyen d’un tampon de façon à écraser le chenal. Un pansement occlusif
étanche de type Opsite * ou Tegaderm * doit être mis en place. Enfin, le patient doit rester en
position de Trendelenburg pendant une dizaine de minutes.
Dans le cas d’un patient supportant mal la position de Trendelenburg (insuffisant cardiaque ou
respiratoire), il convient de mettre le patient le plus à plat possible afin de défaire le pansement
(en veillant à ce que le cathéter soit bien fixé), puis au moment d’enlever le cathéter, le patient est
placé comme précédemment en position de Trendelenburg, membres inférieurs surélevés. Une
fois le cathéter enlevé, le point de ponction est massé, le pansement occlusif installé. Le patient
peut à nouveau être installé en position assise alors qu’on appuie sur le point de ponction pendant
5 minutes environ.
Il peut arriver de façon exceptionnelle qu’il soit nécessaire de fermer l’orifice de ponction à l’aide
d’un point cutané.
Les symptômes
La symptomatologie peut être parfois retardée par rapport à l’accident. Aussi, l’absence initiale
de symptômes ne doit pas faire négliger l’embolie gazeuse.
Les signes cardio-respiratoires : les formes mineures sont caractérisées par un malaise brutal
associant pâleur, cyanose périphérique, diminution de la tension artérielle et gêne respiratoire
avec présence d’une toux sèche. Les formes graves associent un tableau de détresse respiratoire
aiguë avec œdème pulmonaire, un effondrement de la tension artérielle, des troubles du rythme
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cardiaque, ou parfois un arrêt cardio-circulatoire inaugural. L’embolie gazeuse coronarienne doit
être évoquée devant un tableau de douleur thoracique constrictive ou de troubles du rythme.
Les signes neurologiques : l’apparition du premier symptôme est toujours brutale. Il s’agit le
plus souvent d’une perte de connaissance plus ou moins complète, isolée ou associée à des
mouvements convulsifs et parfois à un déficit moteur. A la phase d’état, les troubles de
conscience sont fréquents (80%), de même que les crises convulsives (50%), les déficits moteurs
(50%), et l’hypertonie (50%). Des troubles visuels ou une cécité peuvent être observés dans 20%
des cas.
L’évolution sans traitement est imprévisible. Les séquelles sont fréquentes (34%) et très
invalidantes ; le décès survient dans plus de deux tiers des cas.
Mesures thérapeutiques initiales
Tout incident ou accident neurologique et/ou cardio-vasculaire survenant dans un contexte de
rupture de continuité de voie veineuse centrale doit être considéré a priori comme une embolie
gazeuse potentielle, même en l’absence de symptômes initiaux. En cas de déconnexion de
tubulure ou d’arrachement de cathéter, la présence de sang au niveau du cathéter ou du point de
ponction ne doit pas faire rejeter l’hypothèse de l’embolie gazeuse car la séquence habituelle est :
embolie gazeuse – perte de connaissance – chute – hémorragie.
Les gestes d’urgence sont alors :
- Coucher le patient s’il n’est pas dans cette position et relever ses membres inférieurs.
- En cas de déconnexion cathéter-tubulure : pincer le cathéter avec la pulpe des doigts et si
possible aspirer dans le cathéter au moyen d’une seringue stérile. Ce geste peut parfois
permettre de retirer de l’air.
- En cas d’arrachement du cathéter : compression immédiate du point de ponction et mise
en place d’un pansement étanche.
- Mise en place d’un masque à oxygène à haute concentration.
- Manœuvres de réanimation pour les cas plus graves en fonction de l’état de conscience et
de l’état hémodynamique.
- Administration de 250 mg d’aspirine afin d’éviter l’agrégation des plaquettes sur les
bulles (en-dehors de toute contre-indication absolue).
- Administration d’un anti-comitial per os (Urbanyl * 10 mg) ou intra-veineux en fonction
de l’état de conscience.
- Prendre contact auprès du centre de médecine hyperbare (04.72.11.00.31) afin
d’envisager l’éventualité d’un traitement par recompression.
Conclusion
L’embolie gazeuse sur voie veineuse centrale est en augmentation constante. Il s’agit d’un
accident iatrogène aux conséquences graves. Cet accident peut être évité par un respect strict des
procédures. En cas de survenue, les conséquences peuvent être minorées par une parfaite
application de soins d’urgence et un traitement sans délais par recompression représentant un
total de 34 heures de passage en caisson. Le pourcentage de guérison sans séquelle est alors de
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75%, mais on note toutefois 7% de décès, 12% de séquelles invalidantes et 6% de séquelles
minimes, malgré le traitement.
Cependant, avant toute pose de voie veineuse centrale, il conviendrait de se poser la question : ce
type de voie veineuse est-elle réellement nécessaire pour ce malade ? N’a-t-il pas d’autres
alternatives avec moins de risques potentiels ?
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