MISE AU POINT Recommandations de la Société française de rhumatologie pour la prise en charge en pratique courante des malades atteints de spondyloarthrite Recommendations of the French Society of Rheumatology for the management of spondyloarthritis in daily practice * Service de rhumatologie, CHRU de Besançon ; université de FrancheComté, Besançon. ** Groupe de travail : Daniel Wendling, Cédric Lukas, Julien Paccou, Pascal Claudepierre, Laurence Carton, Bernard Combe, Philippe Goupille, Francis Guillemin, Christophe Hudry, Corinne Miceli-Richard, Maxime Dougados. *** Groupe de lecture : Pr Isabelle Chary-Valckenaere, rhumatologue, CHU de Nancy ; Dr Emmanuelle Dernis, rhumatologue, CH du Mans ; Pr Antoine Feydy, radiologue, hôpital Cochin, Paris ; Pr Maria Antonietta D’Agostino, rhumatologue, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne ; Pr Thao Pham, rhumatologue, CHU de Marseille ; Pr Philippe Gaudin, rhumatologue, CHU de Grenoble ; Pr Alain Saraux, rhumatologue, CHU de Brest ; Pr Thierry Schaeverbeke, rhumatologue, CHU de Bordeaux ; Dr Jean-Marie Berthelot, rhumatologue, CHU de Nantes ; Pr Maxime Breban, rhumatologue, hôpital Ambroise-Paré, Boulogne ; Dr Laurent Grange, rhumatologue, CHU de Grenoble ; Dr Laure Gossec, rhumatologue, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris ; Dr Jean-Charles Balblanc, rhumatologue, CH de Belfort ; Dr Pierre Decavel, spécialiste de médecine physique et réadaptation, CHU de Besançon ; Dr Anne Chevrolet, spécialiste MG, cabinet de médecine générale, Noidans-le-Ferroux ; Dr Patrick Kremer, rhumatologue, cabinet de rhumatologie, Colmar ; Dr Jean-Marie Laurain, chirurgie du rachis, clinique Saint-Vincent, Besançon. D. Wendling*, au nom du groupe de travail** et du groupe de lecture*** L’ objectif de ce travail commandé par la Société française de rhumatologie (SFR) est de proposer des recommandations actualisées pour la prise en charge, en pratique, des patients atteints de spondyloarthrite (SpA). Méthode Un groupe d’experts nationaux a été constitué, aux travaux duquel des patients ont participé, en vue d’actualiser les recommandations existantes : ➤ les recommandations de l’ASAS (Assessment in SpondyloArthritis international Society) et de l’EULAR (EUropean League Against Rheumatism) concernant la spondylarthrite ankylosante (SA) [actualisées en 2010] ; ➤ les recommandations de l’ASAS pour l’utilisation des anti-TNF dans la SA (actualisées en 2010) ; ➤ les recommandations de la SFR pour l’utilisation des anti-TNF dans la SA (actualisées en 2007) ; ➤ les recommandations de l’EULAR sur le traitement du rhumatisme psoriasique (actualisées en 2012) et sur le traitement ciblé T2T sur la SpA (actualisées en 2013). 18 | La Lettre du Rhumatologue • No 401 - avril 2014 Cette actualisation s’est faite à partir d’une analyse systématique de la littérature disponible depuis le 1er janvier 2010 présentée aux experts. Les recommandations ont été reformulées, et de nouvelles recommandations ont été rédigées lorsque cela était nécessaire. Puis les experts ont procédé à une notation (force des recommandations), à distance des réunions, et l’ensemble a été évalué par un groupe de lecture. Le tout a été mené selon les procédures standardisées EULAR et AGREE II. Les médecins et l’ensemble des professionnels de santé impliqués dans la prise en charge de patients atteints de SpA constituent la cible de ces recommandations. Contexte Ces recommandations concernent les patients de tous âges (patients de pédiatrie non compris) satisfaisant les critères d’un des 4 systèmes de classification suivants : ASAS, New York modifié, ESSG (European Spondylarthropathy Study Group), Amor, et ce quelles que soient les atteintes extra-articulaires, rhumatisme psoriasique inclus. Elles prennent en Mots-clés Points forts » Les recommandations de la Société française de rhumatologie pour la prise en charge en pratique courante des malades atteints de spondyloarthrite ont été établies d’après les standards actuels. » Trente recommandations sont proposées. » Elles sont regroupées en différentes sections : principes généraux, stratégie de prise en charge, traitements non pharmacologiques, traitements pharmacologiques conventionnels, biomédicaments et chirurgie. compte les difficultés à établir le diagnostic et la forme phénotypique (axiale ou périphérique). Principes généraux 1. La SpA est une maladie chronique potentiellement sévère et invalidante, aux manifestations diverses. Le rhumatologue coordonne sa prise en charge, en général multidisciplinaire, en collaboration avec le médecin traitant (grade C ; degré d’accord : 10/10). 2. L’objectif est d’améliorer la qualité de vie, de contrôler les symptômes et l’inflammation, de prévenir les dommages structuraux, en particulier dans les atteintes périphériques, de préserver ou restaurer les capacités fonctionnelles, l’autonomie et la vie sociale des patients atteints de SpA (D ; 10). 3. Le traitement est fondé sur une décision médicale partagée avec le patient (D ; 9,8). 4. La prise en charge optimale fait appel à une combinaison de modalités pharmacologiques et non pharmacologiques (D ; 10). 5. Il est souhaitable que le diagnostic et la prise en charge soient les plus précoces possibles (C ; 9,7). Stratégie de prise en charge 6. L’objectif de la prise en charge devrait être la rémission clinique ou, à défaut, un faible niveau d’activité, en tenant compte des différents aspects de la maladie (manifestations axiales, périphériques, extra-articulaires) et des comorbidités. Cet objectif peut nécessiter un suivi rapproché du patient par le rhumatologue jusqu’à ce qu’il soit atteint. Une fois l’objectif atteint, le maintien de ce résultat sera assuré par un suivi régulier et personnalisé (D ; 9,7). 7. Outre les bénéfices attendus en termes de santé générale, l’arrêt du tabac devrait être proposé, puisque son usage est associé à une activité et à une sévérité plus marquées de la maladie (C ; 9,3). 8. L’évaluation de la maladie par le rhumatologue devra explorer les différents domaines suivants : activité de la maladie, dépendance au traitement anti-inflammatoire, sévérité (présence d’une coxite, retentissement fonctionnel, atteinte extra-articulaire invalidante, atteinte structurale) et évolution (D ; 9,5). 9. Les modalités et la fréquence du suivi seront adaptées en fonction de la présentation de la maladie, de son évolution et de son traitement, et ce suivi fera appel à des consultations médicales, à des outils d’autoévaluation et à d’éventuels examens complémentaires. L’usage d’au moins 1 outil d’évaluation de l’activité est nécessaire. L’accès au rhumatologue ou à d’autres spécialistes doit être facilité en cas d’événement intercurrent (poussée articulaire, manifestation extra-articulaire, épisode infectieux, projet de vie, etc.) [D ; 9,5]. Prise en charge non pharmacologique 10. L’information, l’éducation à la santé et l’éducation thérapeutique font partie intégrante de la prise en charge d’un malade atteint de SpA (C ; 9,8). 11. Le recours à des associations de malades, de santé ou d’aide peut être utile (D ; 9,4). 12. Les exercices à domicile, en particulier les autoprogrammes, sont utiles, mais le traitement physique avec des exercices supervisés, notamment en balnéothérapie, individuellement ou en groupe, est à privilégier, car il est plus efficace en cas de manifestations axiales (B ; 9,1). 13. Les atteintes extra-articulaires (psoriasis, uvéites, maladies inflammatoires chroniques de l’intestin [MICI]) doivent être prises en charge en collaboration avec les spécialistes concernés (D ; 9,5). 14. Dans le cadre du suivi de cette pathologie chronique, il est important que le rhumatologue s’assure que le dépistage et la prise en charge des comorbidités, y compris l’ostéoporose, soient réalisés selon les recommandations en vigueur (D ; 9,2). Spondyloarthrite Traitement Rééducation Éducation thérapeutique Kinésithérapie AINS Anti-TNF Highlights » Recommendations of the French Society of Rheumatology for the management of spondyloarthritis in daily practice were built according to the current standards. » Thirty recommendations are proposed. » They are grouped in different sections: general principles, management strategy, nonpharmacological treatments, conventional pharmacological treatments, biologic agents, surgery. Keywords Spondyloarthritis Treatment Rehabilitation Education Physiotherapy NSAIDs Anti-TNF agents Moyens pharmacologiques conventionnels 15. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont indiqués (en l’absence de contre-indication) en première ligne du traitement pharmacologique pour les patients ayant une SpA symptomatique (A ; 10). 16. La prise d’AINS sera adaptée à chaque patient selon une posologie et pour une durée minimale La Lettre du Rhumatologue • No 401 - avril 2014 | 19 MISE AU POINT Recommandations de la Société française de rhumatologie pour la prise en charge en pratique courante des malades atteints de spondyloarthrite Tableau. Indications des traitements anti-TNF chez les patients atteints de spondyloarthrite. SpA axiale Réponse aux AINS insuffisante SpA périphérique articulaire SpA périphérique enthésitique Réponse aux AINS insuffisante Réponse aux AINS insuffisante et ± infiltration ET ET ET BASDAI ≥ 4* ≥ 1 DMARD signes objectifs d’inflammation ou et et ASDAS ≥ 2,1* NAG et NAD ≥ 3** douleur ≥ 5 (item 4 du BASDAI) ET Signes objectifs d’inflammation (synovites, CRP, imagerie). En leur absence, avis d’experts prenant en compte l’existence et l’évolutivité des manifestations extra-articulaires (uvéite, MICI, psoriasis), l’évolution structurale et le retentissement fonctionnel Le BASDAI, l’ASDAS, le NAD, le NAG et la CRP doivent être constatés lors de 2 visites à 1 mois d’intervalle. * Valeur plus basse en cas de prise quotidienne d’AINS à la dose maximale ou de risque cardiovasculaire. ** Nombre inférieur en cas de coxite ou d’arthrite réfractaire aux infiltrations, ou en cas de progression radiographique. ASDAS : Ankylosing Spondylitis Disease Activity Score ; BASDAI : Bath Ankylosing Spondylitis Disease Activity Index ; DMARD : Disease-Modifying AntiRheumatic Drug ; MICI : maladie inflammatoire chronique de l’intestin ; NAD : nombre d’articulations douloureuses ; NAG : nombre d’articulations gonflées. Support financier : la Société française de rhumatologie a pris en charge l’organisation de la réunion du groupe de travail et les frais de publication et de traduction. Référence bibliographique 1. Wendling D, Lukas C, Paccou J et al. Recommendations of the French Society for Rheumatology (SFR) on the everyday management of patients with spondyloarthritis. Joint Bone Spine 2014;81(1):6-14. nécessaires au contrôle des symptômes. Le choix de l’AINS sera fondé notamment sur l’appréciation des risques cardiovasculaires, gastro-intestinaux et rénaux (C ; 9,7). 17. Les antalgiques peuvent être utilisés en cas de douleurs résiduelles ou en cas d’échec, de contreindication ou d’intolérance des AINS (D ; 9,8). 18. Des injections locales de corticoïdes aux sites symptomatiques (arthrites et enthésites, notamment) peuvent être envisagées (D ; 9,8). 19. La corticothérapie générale n’est, dans la majorité des cas, pas justifiée pour le traitement des manifestations axiales de la SpA (D ; 9,7). 20. Il n’y a pas actuellement d’indication pour un traitement de fond conventionnel (méthotrexate, léflunomide et sulfasalazine) en cas de manifestations axiales ou enthésitiques isolées (C ; 9,3). 21. Les traitements de fond conventionnels (méthotrexate, léflunomide et sulfasalazine) peuvent être envisagés en cas d’arthrite périphérique réfractaire au traitement symptomatique (D ; 9,8). Biomédicaments 22. Les anti-TNF devraient être proposés aux patients ayant une maladie dont l’activité est persistante malgré le traitement conventionnel, selon les recommandations présentées dans le tableau (D ; 9,8). 23. La réponse thérapeutique au traitement anti- 20 | La Lettre du Rhumatologue • No 401 - avril 2014 TNF sera évaluée après au moins 3 mois à l’aide de critères d’activité mesurables (D ; 9,1). 24. Il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’arguments démontrant formellement l’intérêt de l’augmentation de la posologie en cas d’inefficacité primaire ou secondaire d’un anti-TNF. Il est justifié d’envisager, après avoir reconsidéré le diagnostic de SpA et écarté la possibilité d’un diagnostic différent ou d’une complication de la maladie, de changer d’antiTNF (D ; 9,7). La rotation vers un second anti-TNF peut être bénéfique, en particulier en cas de perte de réponse, d’inefficacité primaire ou d’intolérance à un premier anti-TNF (C ; 9,7). 25. En cas de rémission ou de faible activité maintenue au moins 3 à 6 mois sous anti-TNF, l’espacement progressif des administrations ou la réduction de la posologie du traitement peuvent être envisagés (C ; 9,6). 26. Il n’y a pas d’argument en faveur d’une différence d’efficacité entre les divers anti-TNF sur les manifestations axiales ou périphériques/enthésitiques, mais, en cas de MICI active, leur efficacité sur les manifestations digestives n’est pas égale et doit être prise en compte (D ; 9,7). 27. Actuellement, il n’y a pas d’argument en faveur de l’utilisation de biomédicaments autres que les anti-TNF dans les formes axiales de SpA (D ; 9,6). Moyens chirurgicaux 28. L’arthroplastie totale peut être proposée chez les patients ayant une douleur réfractaire et une gêne fonctionnelle sévère, avec une lésion articulaire structurale, indépendamment de leur âge (D ; 10). 29. L’ostéotomie rachidienne peut exceptionnellement être envisagée chez les patients présentant une déformation rachidienne invalidante sévère (D ; 9,2). 30. En cas de fracture rachidienne récente ou n’évoluant pas vers la consolidation, un chirurgien du rachis devrait être consulté. En cas de modification importante ou brutale de la symptomatologie, d’autres causes que l’inflammation, telle une fracture du rachis, devraient être envisagées et faire réaliser une évaluation appropriée, incluant un examen d’imagerie (D ; 9,7). Il est ainsi proposé un cadre général de prise en charge en pratique courante des patients atteints de SpA, avec un argumentaire bibliographique récent actualisé pour chaque recommandation, assorti d’un agenda de recherche (1). ■