ÉDITORIAL ASCO® 2014 : 50 ans de réflexion L a cinquantième édition du congrès annuel de la Société américaine de cancérologie, à Chicago, a été, comme chaque année, l’occasion de découvrir les dernières avancées, cette fois-ci, pour certaines d’entre elles, spectaculaires de la cancérologie mondiale. C’est aussi un moment unique de rencontres, de partages, où des projets locaux, régionaux, nationaux, internationaux se mettent en place par le partage de concepts, d’idées et d’expériences. D. Khayat Membre du board de l’ASCO®. Jamais la participation au 50e congrès annuel de l’ASCO® n’a été aussi importante, dépassant largement les 30 000 participants, dont un peu plus de la moitié venaient de l’extérieur des États-Unis. Bien sûr, cette année encore, comme je l’ai indiqué, de grandes avancées ont été décrites, qu’il s’agisse de la confirmation de la possibilité de préserver la fertilité des femmes préménopausées devant subir une chimiothérapie, même si ces données avaient déjà été publiées il y a une dizaine d’années par l’équipe de Genova en Italie, mais aussi l’importance des associations de thérapeutiques ciblées dans les cancers de l’ovaire. A été rapportée pour la première fois, une augmentation significative de la survie grâce à l’adjonction d’une thérapeutique ciblée à la chimiothérapie en deuxième ligne dans les cancers du poumon. Des progrès également spectaculaires ont été rapportés dans la leucémie lymphoïde chronique ou les cancers différenciés de la thyroïde radio-résistants… Comme cela, on pourrait citer encore une bonne dizaine d’autres communications extrêmement intéressantes qui correspondent à ce que l’on appelle traditionnellement des “practices changing studies”. La maturité qu’apportent ces 50 années d’expérience et la crise qui secoue aujourd’hui les économies de tous nos pays et qui amène nos institutions à se poser la question de l’intérêt de prescrire et de financer des traitements chaque année plus lourds dans des pathologies souvent encore incurables au final ont conduit la société américaine à se pencher sur la notion de “value”. Il s’agit là d’une notion extrêmement intéressante car elle est à cheval entre la politique et l’économie d’une part, et la science et la médecine d’autre part. Elle consiste à étudier quel est l’impact pour l’individu en comparaison de l’impact pour la société, pour la collectivité, de l’utilisation de telle ou telle thérapeutique. Elle est fondamentale pour ceux qui, comme ce fut mon cas lors de l’élaboration du premier Plan cancer en 2002, ont à défendre cette nécessité première, indiscutable, qui correspond à notre devoir de traiter tous les patients qui en ont besoin, indépendamment de leurs conditions de ressources et de leurs moyens, ou même du coût que cela représente, si l’intérêt pour le patient est là. Ce ne sera jamais aux médecins de décliner la proposition d’un traitement efficace sous la seule raison que ce traitement serait trop cher. Cela tient d’une décision collective, donc forcément politique, et sort donc automatiquement du champ de la médecine. Défendre l’intérêt d’un traitement, loin des polémiques qui peuvent amener certains à penser, comme à chaque fois, que si nous, cancérologues, défendons l’usage de tel ou tel médicament, c’est parce que nous sommes “achetés” par l’industrie pharmaceutique, loin de cette polémique, notre devoir est de préparer notre pensée afin de mieux exprimer face aux politiques, face aux administrations, face aux institutions, la valeur réelle de ce que nous allons pouvoir, le cas échéant, apporter à nos patients: de la vie en plus, des souffrances en moins… 4 | La Lettre du Sénologue • No 65 - juillet-août-septembre 2014 ÉDITORIAL De très nombreux débats ont eu lieu pendant cette session de l’ASCO® sur cette notion de “clinical value” qui va au-delà de l’efficacité, au-delà même de l’utilité, mais qui rejoint, dans une notion bien plus large, l’ensemble des éléments qui nous permettent intuitivement de penser que tel ou tel traitement, telle ou telle attitude diagnostique ou thérapeutique, finalement, “en vaut la peine”. Nous ne pourrons faire l’économie, nous mêmes, en France, de ce débat. Il revient, je pense, à l’Institut National du Cancer d’en préparer les prémices, d’en organiser la tenue. Car, si pour l’instant, aujourd’hui encore, les contraintes sur nos hôpitaux et sur nos pratiques, même si elles existent, ne limitent que relativement peu notre prescription, et donc relativement peu l’accès pour nos malades aux thérapeutiques innovantes. Il n’en demeure pas moins que le sens de l’histoire ne nous est pas favorable, et que, demain, ces contraintes reviendront s’imposer à nous. Il est fondamental que nous ayons réfléchi au préalable aux conséquences de ce que nous dirons et de ce que nous proposerons de faire. Cela ne peut être la décision d’un seul cancérologue dans son cabinet ou dans son service, mais ne peut être que le résultat d’une concertation, d’une prise en compte de l’ensemble des éléments et, finalement, d’un engagement collectif. La Lettre du Sénologue • No 65 - juillet-août-septembre 2014 | 5