29
ichtre ! Voilà une vérité bien difficile à héberger, ne
pouvant tomber que de la plume d’un pamphlétaire
grincheux et valétudinaire atteint de poussées hémor-
roïdaires récurrentes et incurables, à une époque où les chirur-
giens n’étaient encore que des barbiers ; d’autant plus difficile à
encaisser, que je ne me remets encore pas de ce tableau d’apo-
calypse survenu le mardi 4 juin 2002 à 10 heures tapantes : le
coq de mon voisin, la crête rasée, le croupion déplumé, aba-
sourdi sur son tas de fumier, hurlant à la place de l’habituel
“cocorico”, “deux-zéro, deux-zéro” ! Pauvre animal, sa souf-
france était intolérable. Il a fallu douze balles à mon voisin pour
le faire taire… Les responsables de cette ignominie devraient
être châtiés, m’a soutenu un fervent adhérent de la SPA. Hélas !
le goudron et les plumes étant passés de mode, les auteurs de
cette forfaiture coulent, toute honte bue, benoîtement et certai-
nement, des vacances (?) insouciantes dans un lieu de villégia-
ture, par contre, lui, bien à la mode !
Mais la douleur patriotique m’égare, et revenons à cette presse
bien-portante, grassement nourrie par les innombrables mani-
festations savantes dont les récits épiques font la une de nos
quotidiens. Par exemple l’ASCO, bien sûr, et la fameuse session
plénière sur le docétaxel, achevée sous une tempête interminable
d’applaudissements à faire mourir de jalousie Pavarotti dans
“l’elisir d’amore”, de Donizetti, son triomphe ! L’auditoire (à
l’ASCO, pas à la Scala !) était à son comble et comblé, et curieu-
sement, les journalistes furent nettement moins dithyrambiques.
Jugez donc : “Cancer du sein: les nouvelles vertus d’une thérapie
connue” (Libération), “Cancer: la recherche évolue” (Libération
Champagne, l’Est Éclair), “Cancer du sein : meilleurs résultats
et affinement des méthodes de lutte” (Le Journal du Centre,
l’Indépendant), “Cancer du sein : des traitements mieux ciblés”
(Le Télégramme), “Cancer du sein : un traitement intéressant”
(Le Populaire du Centre) et seul Sud-Ouest se “lâche” un peu
avec “Un espoir de guérison” ! On nous avait habitués à mieux!
Mais peut-être est-ce parce que des chiffres de 32 % de réduction
du risque de récidive et de 24 % de diminution de la mortalité
font autant d’effet que l’augmentation de la TVA au mois
d’août ? Ou bien parce que, depuis le 21 avril 2002, nos amis les
échotiers ont appris à se méfier bigrement des statistiques ? Ou
bien, tout simplement, parce que, pour nous – médecins –, 10 %
de survie supplémentaire représentent, peut-être, un “petit pas
pour l’homme” mais certainement un plus grand que celui
d’Amstrong pour l’humanité !
Et le Figaro Magazine consacre tout un article à J.M. Nabholtz,
fondateur du Breast Cancer International Research Group, sous
le titre “Un Français qui redonne l’espoir”, présenté comme
l’initiateur de cet essai et le Pancho Villa d’une véritable “révo-
lution copernicienne” (Je sens qu’il y a des mâchoires qui grin-
cent !), à savoir une “force de frappe considérable permettant
d’accélérer les essais cliniques” grâce à des donateurs privés et
surtout à l’industrie pharmaceutique. Ce qui fait dire à Médecine
nouvelle et à La Vie Naturelle relatant le congrès de l’ASCO :
“Des annonces retentissantes destinées avant tout à renforcer la
position en Bourse des multinationales pharmaceutiques.” (Que
se passe-t-il ? Auraient-ils des difficultés à trouver des sponsors
pour un essai thérapeutique sur le cartilage de requin en phase
métastatique ?). Les pieds bien sur terre, la Tribune rappelle
qu’un traitement classique coûte environ 200 euros par patient
et par mois, contre 4 500 euros pour les traitements incluant
Taxotère®; et Libération,le cœur dans les nuages, riposte que cela
n’est rien face au prix d’une rechute : … 60 000 euros ! Ainsi
donc, tout va très bien, boursièrement parlant, pour Aventis,
même si Le Parisien dote Taxotère®d’un chiffre d’affaires
annuel de 5 milliards d’euros (alors qu’il n’en fait qu’un actuel-
lement…) et en profite pour souligner qu’“en clair, faute
d’annoncer la découverte de nouveaux médicaments, le labora-
toire fait du battage pour un produit efficace et utilisé depuis
longtemps” ! (La jalousie est un vilain défaut… oui, je sais, je
sais… mais pas les pruneaux). Il faut bien reconnaître que la
presse n’est pas particulièrement tendre avec certains groupes
pharmaceutiques faisant leurs choux gras (Wall Street Journal,
La Tribune, le Journal des finances) de la déconfiture de Merck,
pris les doigts dans le pot de manipulations comptables sur le
tamoxifène, et de BMS, pris en flagrant délit d’interdiction illé-
gale de générique de Taxol®! Alors que ce blockbuster est
capable de nous asphyxier les tumeurs cancéreuses avec son
dernier produit, Erbitux®(et non pas l’herbe-qui-tue, comme
pourraient le croire certains malentendants…), qui, combiné à un
anticorps monoclonal, type herceptine et à une chimiothérapie,
commence à donner des résultats fort intéressants (La Tribune).
Et quand ce même article énonce des chiffres d’affaires de 43
milliards d’euros en 2010 pour certaines molécules, on com-
prend alors toute la profondeur philosophique de cet apophtegme
de mon maître à penser, Michel Audiard : “Quand on parle
pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute” ; et
je rajouterai que cela peut en rendre certains très nerveux… (je
veux parler des investisseurs, des autorités sanitaires et des gou-
vernements, bien sûr !).
Si tous les étés nous avons la lambada ou la carioca ou la salsa
pour nous faire tourner sensuellement, eh bien ! nous avons aussi
le JAMA pour nous faire tourner… mais plutôt en bourrique,
avec, de manière endémique, l’éternelle malédiction subversive
du traitement hormonal substitutif, avec comme variante, cette
année, en plus de la sempiternelle cause de cancer du sein, la
menace planante d’infarctus du myocarde et de ramollissement
La Lettre du Sénologue - n° 17 - juillet/août/septembre 2002
RUMEURS
●
M. Escoute*
Revue de presse grand public
“Les savants sont des gens qui,
sur la route des choses inconnues,
s’embourbent un peu plus loin que les autres.”
A. Karr
* Clinique Sainte-Catherine, Avignon.
F