É D I T O R I A L Chronique de San Francisco ● J.F. Morère* L a 37e édition de l’American Society of Clinical Oncology nous aura présenté le double visage de la médecine actuelle. Le premier a les traits de l’innovation technologique au service de l’avancée thérapeutique. L’information médicale essentielle de cette réunion est sans conteste l’apparition d’une nouvelle molécule, le STI 571. Celui-ci est particulièrement remarquable par plusieurs aspects. Issue d’une recherche pharmaceutique ciblant un mécanisme précis de prolifération, cette molécule de synthèse inhibe l’activité de plusieurs tyrosine kinases telles que Abl-kinase et C-kit tyrosine kinase. Son activité clinique est spectaculaire, puisqu’elle permet une rémission complète hématologique chez 98 % des patients traités pour une leucémie myéloïde chronique, et chez la moitié des patients atteints d’une tumeur stromale gastro-intestinale, jusque-là non accessible à un traitement médicamenteux. Grâce à elle, le concept jusqu’alors virtuel du ciblage prend quelque matérialité. Elle remet aussi en question notre schéma classique de la prolifération cancéreuse, puisqu’elle bat en brèche l’idée reçue de l’inefficacité probable d’un traitement qui ne s’attaquerait qu’à un mécanisme biologique unique. * Hôpital Avicenne, 125, route de Stalingrad, 93009 Bobigny Cedex. 88 D’autres applications peuvent être envisagées dans des tumeurs exprimant les kinases concernées. Elle permettrait encore de “réverser” la résistance à la chimiothérapie induite par Abl. On mesure donc le chemin parcouru dans le traitement médical du cancer. L’espoir de combinaisons nouvelles de biothérapies ciblant des mécanismes différents (antirécepteurs de facteurs de croissance, antiangiogènes, etc.) devient fondé. À l’opposé de cette modernité se dessine l’autre visage. Celuici a les traits de la bureaucratie paperassière. Une enquête de l’ASCO démontre ainsi que les “travaux de papiers” documentant la prise en charge du patient deviennent réellement excessifs, au détriment de la médecine en général et du bien du patient en particulier. Le temps moyen passé à ces travaux a en effet quadruplé au cours des 25 dernières années, alors que, sur la même période, le temps dévolu à la recherche clinique ou à l’enseignement des jeunes spécialistes a été réduit de moitié. Cette enquête nord-américaine est malheureusement probablement extrapolable à la situation française (saint PMSI priez pour nous !). On ne peut donc qu’attendre avec impatience les prochaines recommandations de l’ASCO ayant pour but d’améliorer ce phénomène. Elles pourront guider notre réflexion. D’ici là, gardons en mémoire les propos du Dr Einhorn, président de l’ASCO : “People who choose to go into medicine choose this profession because they want to help people. Patients have always come first, still come first, and will always come first”. ■ La Lettre du Cancérologue - volume X - n° 3 - mai/juin 2001