ÉDITORIAL Thérapies ciblées et arthrose : rêve ou réalité ? Targeted therapies and osteoarthritis: myth or reality? F. Berenbaum* S ix millions de Français souffrent d’arthrose. Genoux, hanches, mains, rachis lombaire et cervical, mais aussi pieds et épaules sont le siège de douleurs et d’une perte de fonction articulaire responsable d’un handicap locomoteur tel que la qualité de vie est altérée. Malheureusement, le traitement actuel, qui associe des mesures pharmacologiques et non pharmacologiques, reste peu efficace, uniquement symptomatique, et incapable de ralentir l’évolution de cette maladie. Dans le meilleur des cas, et quand c’est possible, une prothèse à durée de vie limitée est mise en place ; mais, le plus souvent, ces patients actifs hier, désormais handicapés, n’ont plus qu’à se résigner à une nouvelle vie. L’image accablante de l’arthrose comme simple marqueur d’usure et de vieillissement (et non pas comme réelle maladie) a considérablement freiné les recherches dans le domaine. Mais, depuis une dizaine d’années, on assiste à un regain d’intérêt dans la communauté scientifique pour cette pathologie : on s’aperçoit que les mécanismes de dégradation articulaire dans l’arthrose ont des points communs avec ceux de la polyarthrite rhumatoïde (PR). En fait, de nombreux médiateurs solubles (enzymes, cytokines, etc.) se retrouvent aussi bien dans une articulation arthrosique que dans une articulation rhumatoïde, la différence étant plutôt quantitative que qualitative. En outre, l’apogée des thérapies ciblées dans la PR a démontré que la mise en évidence d’un médiateur clé dans un tissu pouvait devenir une cible pharmacologique extraordinairement efficace. C’est ainsi que, avec une dizaine d’années de retard par rapport au traitement de la PR, nous sommes en train de basculer des traitements symptomatiques plus ou moins empiriques aux traitements ciblés de l’arthrose (1). Ces thérapies ciblées visent à arrêter la dégradation articulaire mais certaines d’entre elles visent aussi à bloquer les voies de la douleur. Il est donc logique de voir naître des essais thérapeutiques pilotes dans le domaine des anticytokines : adalimumab dans l’arthrose digitale, étanercept dans la gonarthrose et l’arthrose digitale, anti-IL-1 dans la gonarthrose (essai publié * Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-VI ; service de rhumatologie, hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris. 4 | La Lettre du Rhumatologue • No 367 - décembre 2010 négatif [2]) et probablement, demain, anti-IL-6, etc. Comme pour la PR, l’objectif est d’agir à la fois sur la dégradation et sur les douleurs. La particularité de la maladie arthrosique tient surtout à l’existence d’événements osseux spécifiques, à savoir la formation d’ostéophytes et la condensation de l’os sous-chondral. Ces deux éléments, que l’on a longtemps crus simplement réactionnels à la dégradation cartilagineuse, apparaissent désormais comme de potentiels primum movens de cette atteinte matricielle. C’est la raison pour laquelle les innovations dans le domaine sont issues de molécules déjà connues pour moduler l’activité osseuse dans l’ostéoporose. Le ranélate de strontium et la calcitonine par voie orale sont les deux molécules dont le développement est le plus avancé, étudiées actuellement en phase III dans l’indication “traitement de fond de la gonarthrose”. L’échec retentissant d’un essai thérapeutique avec un bisphosphonate, le risédronate, n’a pas empêché de poursuivre dans cette voie, les résultats négatifs de cette étude pouvant avoir eu de nombreux biais méthodologiques (3). Alors que les érosions osseuses sont des événements très précoces dans les PR agressives, l’atteinte cartilagineuse est au premier plan dans l’arthrose. Ainsi, le développement clinique de facteurs de croissance à injecter localement, tels que le fibroblast growth factor-18 ou l’osteogenic protein-1, est en cours ; et des inhibiteurs de dégradation cartilagineuse sont testés (inhibiteur d’aggrécanase, inhibiteur de cathepsine K), même si le développement récent d’un inhibiteur de métalloprotéase (inefficace et responsable de douleurs musculotendineuses) a laissé un mauvais souvenir (4). Enfin, la douleur étant le maître mot de cette maladie, il est logique de constater que des neurotransmetteurs deviennent désormais des cibles privilégiées : agonistes des récepteurs cannabinoïdes ou des récepteurs vanilloïdes (Transient Receptor Potential Vanilloid [TRPV]), antagonistes de récepteurs aux kanainates ou à la bradykinine B2. Mais ce sont surtout les anticorps anti-Nerve Growth Factor (NGF) qui ont fait l’objet d’un grand nombre d’études cliniques. Pfizer, AstraZeneca, Sanofi-Aventis, Amgen, Abbott sont sur les rangs. Malheureusement, tous les essais en cours avec le tanezumab, l’anticorps anti-NGF développé par Pfizer, dans le traitement de la douleur ÉDITORIAL arthrosique, ont dû être arrêtés pour tenter de comprendre pourquoi, dans un essai de phase III, il y avait eu plus de poses de prothèses dans le groupe tanezumab que dans le groupe contrôle : ostéonécrose ? Arthrose accélérée par excès d’utilisation articulaire du fait de l’efficacité symptomatique ? Simple différence statistique due au hasard ? Ces questions restent en suspens ; y répondre ouvrira ou fermera la porte au développement de ce qui serait la première biothérapie dans l’arthrose. L’efficacité démontrée des thérapies ciblées dans la PR, la spondylarthrite, le rhumatisme psoriasique et l’ostéo­ porose devient désormais un vecteur d’espoir pour nous tous, qui traitons ces malades encore bien injustement délaissés. Personne ne peut dire si les molécules aujourd’hui testées seront les médicaments ciblés de l’arthrose de demain, mais la dynamique est lancée : la fin du tunnel ? ■ Références bibliographiques 1. Berenbaum F. Targeted therapies in osteoarthritis: a systematic review of the trials on www. clinicaltrials.gov. Best Pract Res Clin Rheumatol 2010;24(1):107-19. 2. Chevalier X, Goupille P, Beaulieu AD et al. Intraarticular injection of anakinra in osteoarthritis of the knee: a multicenter, randomized, double-blind, placebocontrolled study. Arthritis Rheum 2009;61(3):344-52. 3. Bingham CO 3rd, Buckland-Wright JC, Garnero P et al. Risedronate decreases biochemical markers of cartilage degradation but does not decrease symptoms or slow radiographic progression in patients with medial compartment osteoarthritis of the knee: results of the two-year multinational knee osteoarthritis structural arthritis study. Arthritis Rheum 2006;54(11):3494-507. 4. Krzeski P, Buckland-Wright C, Bálint G et al. Development of musculoskeletal toxicity without clear benefit after administration of PG-116800, a matrix metalloproteinase inhibitor, to patients with knee osteoarthritis: a ra n d o m i ze d , 1 2 - m o n t h , d o u b l e - b l i n d , placebo-controlled study. Arthritis Res Ther 2007;9(5):R109. XXIVe JOURNÉE SCIENTIFIQUE DU GROUPE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION SUR LES OSTÉOPOROSES Paris (Maison de la chimie), vendredi 21 janvier 2011 Le GRIO regroupe des médecins d’horizons différents, tant par leur spécialité que par leur implantation régionale, ayant en commun leur intérêt scientifique pour les ostéoporoses. w w w.grio.org Pour sa XXIVe Journée scientifique, le bureau du GRIO* a conçu le programme suivant : Session 1 : Métabolisme osseux : toujours plus intégré Session 2 : La page des recommandations Session 3 : Os et conduites alimentaires Session 4 : Mesures physiques osseuses * Bureau actuel du GRIO : Président : T. Thomas (Saint-Étienne) ; vice-présidents : E. Drapier-Faure (Lyon), C. L. Benhamou (Orléans) ; secrétaire général : B. Cortet (Lille) ; trésorier : F. Trémollières (Toulouse) ; président d’honneur : P.J. Meunier (Lyon). Session 5 : Calcium, je t’aime, moi non plus Symposium « Ostéoporose postménopausique : une approche multiparamétrique » Pour tout renseignement et/ou inscription : Monsieur le Pr Thierry Thomas/Mlle Patricia Halouze Secrétariat du GRIO Hôpital Cochin Centre d’évaluation des maladies osseuses Service de rhumatologie 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques 75014 Paris La Lettre du Rhumatologue • No 367 - décembre 2010 | 5