4 | La Lettre du Rhumatologue • No 367 - décembre 2010
ÉDITORIAL
Thérapies ciblées et arthrose : rêve ou réalité ?
Targeted therapies and osteoarthritis: myth or reality?
F. Berenbaum*
* Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-VI ; service de rhumatologie, hôpital Saint-Antoine,
AP-HP, Paris.
S
ix millions de Français souffrent d’arthrose. Genoux,
hanches, mains, rachis lombaire et cervical, mais aussi
pieds et épaules sont le siège de douleurs et d’une perte
de fonction articulaire responsable d’un handicap locomoteur
tel que la qualité de vie est altérée. Malheureusement, le
traitement actuel, qui associe des mesures pharmacologiques
et non pharmacologiques, reste peu efficace, uniquement
symptomatique, et incapable de ralentir l’évolution de cette
maladie. Dans le meilleur des cas, et quand c’est possible,
une prothèse à durée de vie limitée est mise en place ; mais,
le plus souvent, ces patients actifs hier, désormais handi-
capés, n’ont plus qu’à se résigner à une nouvelle vie. L’image
accablante de l’arthrose comme simple marqueur d’usure et
de vieillissement (et non pas comme réelle maladie) a consi-
dérablement freiné les recherches dans le domaine. Mais,
depuis une dizaine d’années, on assiste à un regain d’intérêt
dans la communauté scientifique pour cette pathologie : on
s’aperçoit que les mécanismes de dégradation articulaire dans
l’arthrose ont des points communs avec ceux de la polyarthrite
rhumatoïde (PR). En fait, de nombreux médiateurs solubles
(enzymes, cytokines, etc.) se retrouvent aussi bien dans une
articulation arthrosique que dans une articulation rhumatoïde,
la différence étant plutôt quantitative que qualitative. En
outre, l’apogée des thérapies ciblées dans la PR a démontré
que la mise en évidence d’un médiateur clé dans un tissu
pouvait devenir une cible pharmacologique extraordinaire-
ment efficace. C’est ainsi que, avec une dizaine d’années de
retard par rapport au traitement de la PR, nous sommes en
train de basculer des traitements symptomatiques plus ou
moins empiriques aux traitements ciblés de l’arthrose (1). Ces
thérapies ciblées visent à arrêter la dégradation articulaire
mais certaines d’entre elles visent aussi à bloquer les voies
de la douleur.
Il est donc logique de voir naître des essais thérapeutiques
pilotes dans le domaine des anticytokines : adalimumab
dans l’arthrose digitale, étanercept dans la gonarthrose et
l’arthrose digitale, anti-IL-1 dans la gonarthrose (essai publié
négatif [2]) et probablement, demain, anti-IL-6, etc. Comme
pour la PR, l’objectif est d’agir à la fois sur la dégradation et
sur les douleurs.
La particularité de la maladie arthrosique tient surtout à l’exis-
tence d’événements osseux spécifiques, à savoir la formation
d’ostéophytes et la condensation de l’os sous-chondral. Ces
deux éléments, que l’on a longtemps crus simplement réac-
tionnels à la dégradation cartilagineuse, apparaissent désor-
mais comme de potentiels primum movens de cette atteinte
matricielle. C’est la raison pour laquelle les innovations dans le
domaine sont issues de molécules déjà connues pour moduler
l’activité osseuse dans l’ostéoporose. Le ranélate de strontium
et la calcitonine par voie orale sont les deux molécules dont
le développement est le plus avancé, étudiées actuellement
en phase III dans l’indication “traitement de fond de la gon-
arthrose”. L’échec retentissant d’un essai thérapeutique avec un
bisphosphonate, le risédronate, n’a pas empêché de poursuivre
dans cette voie, les résultats négatifs de cette étude pouvant
avoir eu de nombreux biais méthodologiques (3).
Alors que les érosions osseuses sont des événements très
précoces dans les PR agressives, l’atteinte cartilagineuse est au
premier plan dans l’arthrose. Ainsi, le développement clinique
de facteurs de croissance à injecter localement, tels que le
fibroblast growth factor-18 ou l’osteogenic protein-1, est en
cours ; et des inhibiteurs de dégradation cartilagineuse sont
testés (inhibiteur d’aggrécanase, inhibiteur de cathepsine K),
même si le développement récent d’un inhibiteur de métallo-
protéase (inefficace et responsable de douleurs musculo-
tendineuses) a laissé un mauvais souvenir (4).
Enfin, la douleur étant le maître mot de cette maladie, il est
logique de constater que des neurotransmetteurs deviennent
désormais des cibles privilégiées : agonistes des récepteurs
cannabinoïdes ou des récepteurs vanilloïdes (Transient Receptor
Potential Vanilloid [TRPV]), antagonistes de récepteurs aux
kanainates ou à la bradykinine B2. Mais ce sont surtout les
anticorps anti-Nerve Growth Factor (NGF) qui ont fait l’objet
d’un grand nombre d’études cliniques. Pfizer, AstraZeneca,
Sanofi-Aventis, Amgen, Abbott sont sur les rangs. Malheureu-
sement, tous les essais en cours avec le tanezumab, l’anticorps
anti-NGF développé par Pfizer, dans le traitement de la douleur