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Correspondances en médecine - n° 1, vol. II - janv./févr./mars 2001
Gare au cybermalade !
!
!
T. Schaeverbeke*, P. Germain*
ous sommes certainement déjà nom-
breux à avoir été confrontés à un
patient disposant d’une large bibliographie sur
sa pathologie, recueillie sur l’Internet.
Le taux de ménages français connectés à
l’Internet progresse en effet rapidement :
1,6 million d’abonnements ouverts auprès des
divers fournisseurs d’accès en juillet 1999,
contre 800 000 un an plus tôt, soit près de 5 mil-
lions d’internautes. Actuellement, moins de
50 % des accès Internet se font depuis le lieu de
travail : ils proviennent de plus en plus du domi-
cile. Si l’internaute français demeure majoritai-
rement un homme d’une trentaine d’années dis-
posant de hauts revenus, les femmes, les sujets
de plus de 50 ans, les foyers aux revenus plus
modestes sont de plus en plus nombreux à se
connecter, et cette évolution ira en s’accentuant.
Il faut donc s’attendre à ce qu’une proportion de
plus en plus importante de nos patients dispose
à l’avenir d’une connexion, et donc d’une source
d’information gigantesque.
Nous vous proposons de simuler la quête d’un
cybermalade qui pourrait, demain, être le vôtre...
S
IMULATION D
UNE RECHERCHE
D
INFORMATION RHUMATOLOGIQUE SUR LE
W
EB
Vous annoncez à un patient internaute qu’il est
affecté d’une arthrose du genou. Vous lui pro-
posez un anti-inflammatoire non stéroïdien. Il
émet quelque inquiétude quant au devenir de
son estomac ! Vous lui parlez de la disponibilité
prochaine d’anti-inflammatoires agissant spéci-
fiquement sur l’inflammation et épargnant l’es-
tomac. Il vous interroge sur les autres possibili-
tés thérapeutiques, en avertissant qu’il ne veut
pas entendre parler d’infiltrations de cortisone.
Vous lui rétorquez que nous disposons d’autres
produits à injecter dans l’articulation, les déri-
vés de l’acide hyaluronique.
Muni de ces quelques données, notre cyberma-
lade se précipite sur son ordinateur et
recherche des informations sur sa pathologie et
les traitements envisagés.
La quête d’information sur l’arthrose
Notre patient entre tout simplement le mot
“arthrose” sur le moteur de recherche de Yahoo
France. Ce dernier lui fournit 511 adresses de
pages traitant du sujet ! La consultation des
premières pages sélectionnées donne une idée
du maelström qu’est l’Internet. On débute par
la classification internationale des maladies
(CIM 10), avec un guide de codage PMSI destiné
aux orthopédistes. Suivent de nombreuses
adresses de sites vantant les mérites de théra-
peutiques douces, certains se contentant de
vous fournir la recette de différentes décoctions
de prêle, d’ortie ou de citron, d’autres vous pro-
posant de commander des compléments ali-
mentaires : sulfate de glycosamine, ginseng...
chacun vous abreuvant de témoignages de
patients miraculés grâce à ces “thérapeu-
tiques”. Tout y passe, de l’indispensable brace-
let de cuivre à la voyante extralucide qui tra-
vaille d’après photographie numérique (et avec
le numéro de carte bancaire) !
Dans un autre registre, notre cybermalade
trouve également des pages publicitaires sur
des pommades à l’ibuprofène et autres analgé-
siques en vente libre. Différents hôtels de tha-
lassothérapie et stations thermales proposent
N
* Service de rhumatologie du Pr Dehais,
Groupe hospitalier Pellegrin, Bordeaux.
E-mail : thierry[email protected]
internet
Article récompensé le 5 octobre 2000
par le Prix de la meilleure initiative
rédactionnelle lors du premier
Grand Prix Éditorial du Syndicat
national de la presse médicale
© La Lettre du Rhumatologue 2000 ;
257 : 38-9.
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Correspondances en médecine - n° 1, vol. II - janv./févr./mars 2001
aussi leurs services et leurs tarifs. Cependant
ne doutons pas que notre patient avisé se
détournera probablement de ces sites à carac-
tère évidemment publicitaire.
D’autres sites fournissent une réelle information
sur l’arthrose. Ils émanent pour la plupart de la
presse santé grand public. Ces sites proposent
souvent une information de bonne qualité, mais,
comme souvent dans la presse généraliste, les
commentaires manquent singulièrement de pon-
dération. Tel magazine publie, par exemple, les
résultats d’une étude menée dans un service
hospitalier parisien sur la thérapie par signal
pulsé dans les douleurs arthrosiques, avant que
les résultats obtenus par cette équipe ne soient
confirmés par d’autres travaux ; un autre insiste,
après un exposé très correct de la maladie
arthrosique, sur les bienfaits du sulfate de glyco-
samine... Des associations de malades, notam-
ment canadiennes, diffusent une information
vulgarisée d’une grande richesse sur l’ensemble
de la pathologie articulaire, comprenant des
notions générales sur la pathologie, les mesures
hygiénodiététiques, les traitements et les pers-
pectives d’avenir. Enfin, des établissements de
soins proposent également des informations de
qualité ; on peut cependant parfois s’interroger
sur les limites entre information et publicité pour
les équipes de soins sur certains de ces sites...
Q
UID DES TRAITEMENTS
ANTI
-
INFLAMMATOIRES
?
Là encore, notre cybermalade sera confronté à
une information très disparate : des vertus anti-
inflammatoires de la racine de bugrane aux émul-
sions de Mimosa tenuiflora, en passant par une
panacée universelle, le G5, non promu par l’in-
dustrie pharmaceutique car commercialement
inintéressant ! Plus sérieusement, notre patient
pourra également obtenir des monographies
complètes sur différents anti-inflammatoires (en
français sur des sites canadiens), et, s’il maîtrise
la langue de Shakespeare, des informations très
récentes sur les COX-2 sélectifs, au travers
notamment de listes de FAQs qui lui fourniront de
multiples renseignements sur ces molécules... et
leurs effets secondaires potentiels !
E
TL
ACIDE HYALURONIQUE
?
Là, les choses se compliquent pour notre inter-
naute. La simple interrogation des moteurs de
recherche généralistes ne lui apportera aucune
réponse. Reste l’interrogation du Medline, dis-
ponible gratuitement via le site de HealthGate
notamment. S’il lit l’anglais, il aura accès à l’en-
semble de la littérature scientifique sur le sujet
(résumés des articles).
E
NRÉSUMÉ
Notre cybermalade a obtenu en quelques minutes
une masse considérable d’informations, parmi
lesquelles certaines relèvent du charlatanisme,
tandis que d’autres paraissent tout à fait perti-
nentes. Cependant, une bonne partie des infor-
mations recueillies ne semble pas directement
accessible à un public non médical, et nécessite-
rait donc quelques explications... que ce patient
ne manquera certainement pas de demander à
son médecin lors de la consultation suivante !
Q
UELLE RÉPONSE PEUT APPORTER
LE MÉDECIN FACE À CETTE ÉVOLUTION
?
Le besoin d’information de nos patients est une
évidence. Comme le rappelle un éditorial récent
du Journal of Rheumatology, l’information est une
médication peu onéreuse, efficace quelle que soit
la pathologie, et dépourvue d’effet secondaire.
Ainsi, la première réponse à apporter à cette évo-
lution nous paraît être que le médecin fournisse
lui-même une information de qualité dans le dia-
logue singulier qu’il entretient avec son patient,
avant que ce dernier n’exprime le besoin d’aller
chercher ailleurs une information dont la qualité
est incertaine. La seconde réponse pourrait être
que les sociétés savantes prennent elles-mêmes
en charge l’information grand public, peut-être
en relation avec les associations de malades, au
travers de l’Internet ou de tout autre support de
communication. Les limites majeures, com-
munes à ces deux démarches, sont le temps que
réclame cette information du patient et le sur-
coût qu’elle engendre.
Une adresse
que vous pourriez
conseiller à vos
patients :
La Société d’Arthrite :
http://french.arthritis.
ca/frames/home.html
internet
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