DOSSIER THÉMATIQUE
112
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
H
ER2 est un récepteur transmembranaire à activité
tyrosine kinase qui appartient à la famille des récep-
teurs de l’EGF (epidermal growth factor). Il est sur-
exprimé dans 20 à 30 % des cancers du sein (1) et est associé à
un pronostic péjoratif (2). Le développement du trastuzumab,
anticorps monoclonal humanisé dirigé contre HER2, est l’un des
premiers succès des thérapies dites ciblées en oncologie solide.
Nous reviendrons tout d’abord sur l’évaluation du statut HER2
et les mécanismes d’action du trastuzumab. Nous ferons ensuite
le point sur l’efficacité et la tolérance du trastuzumab en pratique
clinique dans les adénocarcinomes mammaires surexprimant
HER2. Enfin, nous verrons que de nombreuses questions demeu-
rent en suspens, concernant :
– la meilleure séquence thérapeutique avec en particulier l’utili-
sation du trastuzumab en situation adjuvante ;
les résistances au trastuzumab, le développement de nouvelles
drogues ciblant HER2 et les voies de signalisation intracellu-
laires ;
les répercussions médico-économiques de l’utilisation du tras-
tuzumab en situation adjuvante et métastatique.
HER2 ET TRASTUZUMAB
Les méthodes de détermination du statut HER2
Le gène HER2 est un oncogène situé sur le bras long du chro-
mosome 17 (17q21) et code pour le récepteur p185 de la famille
des récepteurs de type I des facteurs de croissance. Le statut HER2
est déterminé en première intention par immunohistochimie (IHC).
Cette technique semi-quantitative évalue l’expression du récepteur
par marquage membranaire, coté de 0+ à 3+. Les scores 0+ et 1+
correspondent à l’absence de surexpression de HER2, tandis
qu’un score 3+ indique une surexpression de HER2. En cas de
résultat intermédiaire (2+), l’IHC doit être complétée par une
étude complémentaire par hybridation in situ en fluorescence
(FISH). Cette méthode, quantitative, met en évidence l’amplifi-
cation du gène grâce à l’hybridation de l’ADN tumoral avec une
sonde fluorescente reconnaissant le gène HER2. Une seconde
sonde ciblant le centromère 17 peut aussi lui être associée
(figure 1)
. Le seuil d’amplification ne fait l’objet d’aucun
consensus. Cependant, l’amplification est généralement affirmée
lorsqu’il existe au moins 5 copies du gène HER2 ou un ratio
HER2/chr17 > 2,2. En effet, entre deux et quatre copies, il peut
s’agir d’une cellule en cours de division, et le ratio HER2/chr17
permet de distinguer certains faux positifs, comme les surrepré-
sentations géniques (polyploïdies, translocations déséquilibrées,
poly- ou monosomies).
Les mécanismes d’action du trastuzumab
Le récepteur HER2 est l’un des quatre membres de la famille des
récepteurs de type I à l’EGF (R-EGF, HER2, HER3, HER4).
Dans la cellule tumorale, HER2 subit une hétérodimérisation qui
conduit à la stimulation de son activité tyrosine kinase et à l’auto-
phosphorylation des résidus tyrosine kinase. Les voies de signa-
lisation intracellulaires Ras/MAPK et PI3K/AKT sont ensuite
activées et favorisent ainsi la prolifération cellulaire
(figure 2)
.
Le trastuzumab est un anticorps murin humanisé qui se lie à la
partie extramembranaire du récepteur HER2. Ses actions sont
multiples. Une fois lié au récepteur HER2, le complexe trastu-
zumab + HER2 est internalisé, puis dégradé par ubiquitination.
Le nombre de récepteurs à la surface cellulaire est ainsi diminué
(3, 4). Le trastuzumab induit un blocage de la transduction du
signal intracellulaire via les voies Ras/MAPK et PI3K/AKT et
un blocage du cycle cellulaire en G1 (4). De plus, il module la
réponse immunitaire en induisant une réponse de type ADCC
(antibody-dependent cell-mediated cytotoxicity) via son domaine
Fc (5). Enfin, le trastuzumab a une activité antiangiogénique par
diminution du VEGF (6).
HER2 et cancer du sein
HER2 and breast cancer
M.P. Sablin
1
, C. Le Tourneau
1
D’après les 4es Entretiens du département d’oncologie médicale (DOM) de l’Institut Curie
Orateurs : L. Mignot
2
, A. Vincent-Salomon
2
, P. Beuzeboc
2
, M.F. Poupon
2
, P. Cottu
3
, J.Y. Pierga
2
, R. Dendale
2
, E. Ferrari
4
,
P. de Cremoux
2
, A. Livatorwski
1
, B. Sigal
2
.
1
Hôpital Beaujon,
2
Institut Curie,
3
hôpital des Diaconesses,
4
CHU de Nice.
138 579
7
40
Figure 1. Cellule tumorale
mammaire présentant
une amplification du gène
HER2 en FISH.
Les spots rouges sont le signe
d’une amplification du gène
HER2 et les points verts
correspondent au centromère
du chromosome 17.
113
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
EFFICACITÉ ET TOLÉRANCE DU TRASTUZUMAB
EN PRATIQUE CLINIQUE
En situation métastatique
De multiples études de phase II ont apporté la preuve de l’effica-
cité du trastuzumab et de sa faible toxicité en situation métasta-
tique chez des patientes atteintes d’un cancer du sein surexprimant
HER2. En monothérapie, après échec des chimiothérapies dites
traditionnelles, les taux de réponse s’échelonnent entre 11,6 % et
15 % (7, 8). En première ligne et toujours en monothérapie, l’étude
de C.L. Vogel et al. retrouve des taux de réponse de 34 % (9). Cette
étude montrait par ailleurs qu’il était inutile d’administrer des doses
supérieures à 2 mg/kg/semaine. En association à une chimiothé-
rapie classique (cisplatine, taxanes, gemcitabine, vinorelbine), les
taux de réponses objectives vont de 55 % à 65 % (10-13).
L’étude pivotale de D.J. Slamon et al. a évalué en première ligne
métastatique l’intérêt de l’association trastuzumab + chimiothé-
rapie classique, cette dernière étant soit une association doxoru-
bicine + cyclophosphamide (AC) soit du paclitaxel (si les
patientes avaient reçu des anthracyclines en adjuvant) [14]. Que
ce soit en association à une anthracycline ou à un taxane, l’adjonc-
tion du trastuzumab augmente de façon significative le taux de
réponse objective (50 % versus 32 %, p < 0,001), la durée de la
réponse (9,1 mois versus 6,1 mois, p < 0,001), le temps jusqu’à
progression (7,4 mois versus 4,6 mois, p < 0,001) et la survie glo-
bale (25,3 mois versus 20,3 mois, p = 0,046), correspondant à
une diminution du risque de décès de 20 % à un an.
En situation métastatique, il est donc recommandé d’administrer le
trastuzumab en association avec le docétaxel en première intention
chez les patientes qui ont un cancer du sein surexprimant HER2.
En situation adjuvante
Devant les résultats intéressants obtenus en situation métasta-
tique, des essais en situation adjuvante ont été conduits. Plus de
13 000 patientes ont participé à des études internationales
(NSABP-B31, NCCTG N9831, HERA, FinHER, BCIRG 006)
qui évaluent l’efficacité du trastuzumab en situation adjuvante
(figure 3)
. Ces études diffèrent les unes des autres par le type
de chimiothérapie associée, la séquence thérapeutique et la durée
du traitement.
PIP2-Kinase
Ras-GDP
Dimérisation
Phospholipase C7
PIP2
NF-kB
NF-kB
kB kB
P
P
PIP3
MEKa
MAP-KinaseaMAP-Kinasei
MEKi
Rafi
GRB2 SOS
SH3
SH2
Ras-GTP
HER2
NDF
c-myc, c-fos,
c-jun, u.a.
Nucleus
Bcl-2
Bad
Caspase 9
Cyclin D1
Rafa
Inhibition
de l'apoptose
Prolifération
Transcription :
Cytoplasma
extracellular
Akt-Kinase (Protein Kinase B)
IKK (Complexe IκB
kinase complex)
{
Figure 2. Mécanismes impliqués lors de l’activation du récepteur HER2.
NCCTG N9831
Intergroup NSABP-B31
US
BCIRG 006
Adjuvant Breast Cancer
Node Positive and High Risk Node Negative
Breast InterGroup
HERA
4 x AC
Observation
Accepted CT :
AC, EC, FAC, FEC,
ET, AT, CMF
12 x paclitaxel 90 mg/m
2
4 x AC
4 x AC
6 x 600 mg/m24 x Docétaxel
100 mg/m2
4 x paclitaxel 175 mg/m
2
HER2 +
IHC ou FISH
HER2 +
IHC ou FISH
HER2 +
FISH
n = 3 046
n = 5 090 n = 3 150
HER2 +
IHC ou FISH
n = 1 960
Trastuzumab
1 an
Trastuzumab
1 an
Trastuzumab
2 ans
Trastuzumab
1 an
Trastuzumab 1 an
Trastuzumab 1 an
6 x Docetaxel and Platinum salts
75 mg/m275 mg/m2ou AUCS
AC
AC
TCH
T
TH
Essai FinHER
RT
TAM
x 5 ans
(HR + ve)
F 600 mg/m
2
C 600 mg/m
2
E 60 mg/m
2
F 600 mg/m
2
C 600 mg/m
2
E 60 mg/m
2
3 semaines 3 semaines
Pas d'antibiotique
ni G-CSF en prophylaxie
R1
R2
n = 1 010 - Patientes : n+, n- (T > 20 mm et PgR-)
Tax
100 mg/m2*
VNR
25 mg/m2/sem.
H
4 à 2 mg/kg/m2/sem.
n = 232
Pas de trastuzumab
(CT seule)
Si HER2+
(CISH) Tax : taxotère ; H : trastuzumab ; VNR : vinorelbine ; RT : radiothérapie
Figure 3. Schémas des principales études étudiant le trastuzumab en
situation adjuvante dans les cancers du sein.
Les deux études nord-américaines, NSABP-B31 et NCCTG N9831,
ont fait l’objet d’une analyse combinée (15). L’essai NCCTG
N9831 a comparé trois schémas, le bras de référence étant quatre
cycles de doxorubicine + cyclophosphamide (AC) suivis de
douze cycles de paclitaxel hebdomadaires. Le second bras com-
portait quatre cycles d’AC suivis de douze cycles de paclitaxel
+ trastuzumab hebdomadaire. Le trastuzumab était ensuite admi-
nistré pendant un an. Le troisième bras associait le même schéma
de chimiothérapie + trastuzumab au décours des douze cycles de
paclitaxel pendant un an. L’étude NSABP-B31 a comparé quatre
cycles d’AC suivis de quatre cycles de paclitaxel toutes les
3 semaines versus cette même séquence suivie d’un an de tras-
tuzumab hebdomadaire. La première analyse intermédiaire
retrouvait à 3 ans un gain significatif en survie globale de 33 %
avec l’adjonction du trastuzumab (risque relatif [RR] = 0,67,
p = 0,015) et une diminution du risque de récidive de 52 %
(RR = 0,48, p < 0,0001), correspondant à une diminution du
risque absolu de récidive de 12 % à 3 ans
(figures 4, 5 et 5 bis)
.
DOSSIER THÉMATIQUE
114
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
L’étude HERA a inclus plus de 5 000 patientes opérées d’une
tumeur surexprimant HER2, avec ou sans envahissement gan-
glionnaire (16). Cet essai comprenait trois bras et comparait une
chimiothérapie adjuvante seule à une chimiothérapie associant
du trastuzumab toutes les 3 semaines pendant 1 ou 2 ans
(figure 3)
.
L’administration de trastuzumab pendant 1 an diminuait de façon
très significative le risque de récidive (RR = 0,54, p < 0,001)
[figure 6]
. Les résultats concernant l’intérêt de l’administration
du trastuzumab pendant deux ans sont en attente.
L’essai du BCIRG 006 a comparé quatre cycles d’AC suivis de
quatre cycles de docétaxel versus ce même schéma avec une admi-
nistration concomitante de docétaxel + trastuzumab toutes les
3 semaines, ce dernier étant donné pendant 1 an, versus six cycles
de sel de platine + docétaxel + trastuzumab en concomitant suivi
de 1 an de trastuzumab (17). Quel que soit le schéma de chimio-
thérapie, le trastuzumab améliore de façon significative la survie
sans récidive. Il diminue le risque de récidive de 51 % (RR = 0,49,
p < 0,0001) dans le bras AC suivi de docétaxel et de 39 %
(RR = 0,61, p = 0,0002) dans le bras avec les sels de platine.
A contrario, l’étude FinHER a inclus 1 010 patientes opérées d’un
adénocarcinome mammaire avec un envahissement ganglion-
naire ou considérées comme étant à haut risque, avec un schéma
d’administration du trastuzumab de 9 semaines seulement
(figure 3)
[18]. Les patientes étaient randomisées entre trois cycles de docé-
taxel toutes les trois semaines suivis de trois cycles de fluoro-
uracile + épirubicine + cyclophosphamide (FEC) et trois cycles
de vinorelbine hebdomadaires suivis de trois FEC. Les patientes
surexprimant HER2 étaient de nouveau randomisées entre un
bras comportant neuf injections de trastuzumab hebdomadaire
en même temps que la chimiothérapie par docétaxel ou vinorel-
bine et un bras sans trastuzumab. Dans cette étude, l’administra-
tion de trastuzumab était associée à une amélioration significa-
tive de la survie sans récidive à 3 ans (89 % versus 78 %,
p = 0,01). En revanche, le seuil de significativité n’était pas atteint
pour la survie globale (96 % versus 90 %, p = 0,07).
En situation adjuvante, il est actuellement recommandé en France
d’administrer le trastuzumab à l’issue de la radiothérapie pen-
dant une durée de 1 an, qu’il y ait un envahissement ganglion-
naire ou non.
En situation néoadjuvante
L’étude de A.U. Budzar et al. a observé l’intérêt de l’introduc-
tion du trastuzumab en situation néoadjuvante chez des patientes
ayant une tumeur mammaire surexprimant HER2 (19). Cent
soixante-quatre patientes présentant une tumeur localement avan-
cée devaient être randomisées entre un schéma classique avec
l’administration séquentielle de quatre cycles de paclitaxel, puis
de quatre cycles de FEC versus ces mêmes drogues associées à
6 mois de trastuzumab hebdomadaire. Le critère de jugement
100
80
90
70
60
50
%
011345
Années depuis la randomisation
HR = 0,67 ; 2 p = 0,015
AC T
AC TH
AC TH
AC T
nDécès
1 679
1 672 62
94 %
91 %
92 % 87 %
92
B31/N9831
Figure 4. Courbes de survie globale de l’analyse combinée des études
NSABP-B31 et NCCTG N9831.
AC T
AC T
AC TH
1 679
1 672 134
261
AC TH
nÉvénements
HR = 0,48 ; 2 p = 3 x 10-12
87 %
85 %
100
80
90
70
60
50
%
011345
Années depuis la randomisation
B31/N9831
75 %
67 %
Figure 5. Courbes de survie sans maladie de l’analyse combinée des
études NSABP-B31 et NCCTG N9831.
1,0
0,9
0,8
0,7
0,6
0,5 01 2 345
Années
Patients Événements
1 073 147 AC
T
1 074 77 AC
TH
1 075 98 TCH
HR (ACTH vs ACT) = 0,49 (0,37 ; 0,65) p < 0,0001
HR (TCH vs ACT) = 0,61 (0,47 ; 0,79) p = 0,0002
93 %
88 % 84 %
91 %
80 % 80 %
73 %
77 %
88 %
Probabilité (%)
Figure 5 bis. Courbes de survie sans récidive de l’étude du BCIRG 006.
1 an de trastuzumab
100
80
60
40
20
0
0 5 10 15 20 25
Observation
2 - ans
SSM % HR IC95 p
127 85,8 0,54 0,43-0,67 < 0,0001
220 77,4
1 694 1 472 1 067 629 303
1 693 1 428 994 580 280
n à risque Mois depuis la randomisation
Vie sans maladie (%)
Figure 6. Courbes de survie sans maladie de l’étude HERA.
115
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
principal était le taux de réponse histologique complète. L’essai
a été prématurément interrompu après l’inclusion de 42 patientes
en raison de résultats significatifs de l’analyse intermédiaire. En
effet, 65 % des patientes traitées par trastuzumab présentaient
une réponse histologique complète, versus 26 % dans le bras
contrôle (p = 0,016). Malgré ces résultats, cette attitude théra-
peutique n’est pas un standard, car non seulement aucun avan-
tage en survie globale n’a été démontré, mais, de plus, le taux de
conservation mammaire n’est pas augmenté de façon significa-
tive (56,5 % de tumorectomie dans le bras avec du trastuzumab,
contre 52,5 % dans le bras de référence).
En association avec la radiothérapie
Les essais précliniques de R.J. Pietras et al. ainsi que l’étude de
phase I/II de C.I. Sartor et al. sont en faveur d’un effet radiosen-
sibilisant du trastuzumab (20, 21). La tolérance de l’association
est correcte. Cependant, aucun essai randomisé n’ayant validé
cette attitude, il n’est pas recommandé actuellement d’associer
le trastuzumab à la radiothérapie en dehors d’essais cliniques.
Tolérance du trastuzumab
Les principales toxicités du trastuzumab sont la cardiotoxicité et les
réactions allergiques. Concernant la cardiotoxicité, l’essai pivotal de
D.J. Slamon et al. retrouve 27 % d’événements cardiaques dans le
bras associant le trastuzumab et une anthracycline versus 13 % dans
le bras en association avec un taxane. Les taux d’événements car-
diaques dans les bras contrôle respectifs étaient de 8 % avec l’anthra-
cycline et de 1 % avec le taxane (14). Les études en situation adju-
vante retrouvent aussi cette toxicité. Dans l’étude HERA, on note 1,6 %
d’insuffisance cardiaque symptomatique versus 0,06 % dans le bras
contrôle (15). L’étude NSABP-B31 retrouve 4,1 % d’insuffisance
cardiaque de stade III-IV versus 0,04 % dans le bras contrôle (16).
La physiopathologie de la cardiotoxicité du trastuzumab est mal
connue. Cependant, la voie de signalisation favorisant la survie
du myocyte cardiaque en cas de stress semble être mise en cause
(22-24)
[figure 7]
. En effet, cette voie implique l’hétérodimère
HER2-HER4, le récepteur gp130 et leurs ligands. Lors de l’admi-
nistration de trastuzumab, cette voie est bloquée et les agressions
du myocarde sont alors à l’origine d’une perte de myocytes. Cela
explique donc que, en cas d’antécédents cardiaques ou d’admi-
nistration d’anthracyclines, il y ait une majoration des événe-
ments cardiaques. En revanche, chez les patientes non exposées
à un stress (pas d’anthracyclines, myocarde sain), cette voie, bien
que bloquée, n’est pas sollicitée, et l’on observe peu de toxicité
cardiaque.
QUESTIONS EN SUSPENS
La stratégie thérapeutique
La séquence
Comme il a été vu précédemment, de multiples modalités d’admi-
nistration du trastuzumab ont été étudiées. L’essai NCCTG
N9831, qui compare une administration séquentielle et une admi-
nistration concomitante de trastuzumab et de taxane, est en faveur
d’une administration concomitante. En effet, dans le bras où le
trastuzumab est administré avec le taxane, on obtient une dimi-
nution significative, de 36 %, du risque de récidive (RR = 0,64,
2p = 0,0114), tandis qu’aucun bénéfice sur la survie sans mala-
die n’a été observé avec une administration séquentielle
(RR = 0,87, 2p = 0,29) [25].
Place des anthracyclines en situation adjuvante
Étant donné l’efficacité démontrée du trastuzumab en situation
métastatique, l’introduction du trastuzumab en situation adju-
vante, le plus précocement possible après le geste chirurgical, est
recherchée. La cardiotoxicité observée lors de l’administration
concomitante du trastuzumab avec des anthracyclines contre-
indique cette association. C’est la raison pour laquelle des pro-
tocoles de chimiothérapie sans anthracyclines ont été étudiés.
Dans l’étude du BCIRG 006, le bras associant sel de platine +
docétaxel + trastuzumab est supérieur au bras contrôle (4 AC,
puis 4 cycles de docétaxel) et diminue significativement le risque
de récidive, de 39 %. Les résultats de la comparaison des deux
bras contenant du trastuzumab ne sont pas encore disponibles.
Cependant, la courbe de survie sans récidive semble être moins
bonne avec l’association du sel de platine et du docétaxel (17).
L’étude du statut du gène de la topo-isomérase IIαest apparue
intéressante pour distinguer les patientes chez lesquelles l’admi-
nistration d’anthracyclines est bénéfique des patientes chez les-
quelles elle l’est moins. En effet, les patientes qui ont une ampli-
fication du gène de la topo-isomérase IIαrépondent mieux aux
anthracyclines que celles qui n’ont pas d’amplification (26).
Durée du traitement par trastuzumab en situation adjuvante
La durée optimale de traitement par trastuzumab en situation adju-
vante n’est pas encore clairement définie. En effet, l’étude Fin-
HER montre qu’une administration pendant 9 semaines diminue
de manière significative le risque de récidive (18). Les autres
études ont montré l’intérêt de 1 an de traitement (15-17). L’étude
HERA permettra de savoir si une administration prolongée pen-
dant 2 ans est plus efficace. Il serait intéressant de comparer de
façon prospective 9 semaines de trastuzumab à 1 an de traitement.
Anthracyclines, hypoxie,
surcharge cardiaque
Cytokines Neuréguline
gp130 LIFR ErbB2-ErbB4
Voie de
la mort
cellulaire
Voie de la survie cellulaire
Défaillance
cardiaque
X
Figure 7. Mode d’activation de la voie de survie du myocyte cardiaque
en cas de stress.
DOSSIER THÉMATIQUE
116
La Lettre du Cancérologue - Volume XV - n° 3 - mai-juin 2006
Résistance au trastuzumab
La surexpression de HER2 est une condition nécessaire, mais non
suffisante, pour obtenir une réponse au trastuzumab. En effet, on
observe, en situation métastatique, environ 60 % de patientes qui
ne répondent pas au trastuzumab (une résistance primaire) [9, 14].
Par ailleurs, la majorité des patientes répondant initialement déve-
loppe une résistance secondairement.
Les mécanismes de résistance au trastuzumab sont multiples.
Ainsi, il peut s’agir du récepteur HER2 qui est tronqué ou auto-
phosphorylé (27, 28). Les voies de signalisation intracellulaires
peuvent être mises en cause en cas, par exemple, d’autophos-
phorylation de PI3K/AKT ou d’altération du gène suppresseur
de tumeur PTEN (29-31). En effet, après liaison du trastuzumab
à HER2, le gène PTEN est activé et régule alors négativement la
voie PI3K/AKT
(figure 8)
[30]. Cependant, dans près de 50 %
des tumeurs mammaires, PTEN n’est pas fonctionnel par muta-
tion ou perte d’une copie du gène (30, 31). Par ailleurs, les élé-
ments régulant le cycle cellulaire tels que les inhibiteurs de
kinases cyclines-dépentantes (niveau bas de p27) peuvent être
mis en cause. Enfin, une altération des récepteurs collatéraux tel
que le récepteur à l’IGF1 qui interagit avec HER2 peut aussi
expliquer ces phénomènes de résistance (32).
Le GW572016 (lapatinib) est un inhibiteur de tyrosine kinase,
réversible et spécifique des récepteurs HER1 et HER2. En mono-
thérapie dans le cancer du sein métastatique multitraité, il per-
met d’obtenir 5 % de réponses objectives et un taux de stabilisa-
tion de 24 % (36). En association avec le trastuzumab, on observe
29 % de réponses, ainsi que 29 % de stabilisations (37). De plus,
l’association du GW572016 au létrozole semblerait être syner-
gique (38).
Étant donné l’activation des deux voies de signalisation intra-
cellulaires PI3K/AKT et Ras/MAPK des tumeurs mammaires
surexprimant HER2, leur inhibition paraît être une piste théra-
peutique intéressante. Les inhibiteurs de PI3K tels que le
LY294002 et les inhibiteurs de mTOR tels que le CCI-779 (tem-
sirolimus) ou le RAD-001 (everolimus) agissent sur la voie
PI3K/AKT. Dans une étude de phase II randomisée comportant
92 patientes avec un cancer du sein métastatique déjà prétraitées,
le CCI-779 associé à un inhibiteur de l’aromatase (létrozole) per-
met d’obtenir un taux de survie sans progression à un an de 69 %
avec 10 mg/j de CCI-779 (39). La voie Ras/MAPK, quant à elle,
est la cible des inhibiteurs de farnésyltransférase. Malgré un
rationnel préclinique intéressant, avec un effet cytostatique et une
synergie avec la tamoxifène et les inhibiteurs de l’aromatase, on
ne retrouve qu’une activité très modeste en situation clinique (40).
Enfin, la voie de l’angiogenèse est très activée dans les tumeurs
mammaires surexprimant HER2 (6). Ce constat a motivé l’utili-
sation du bevacizumab, anticorps anti-VEGF, en association avec
le trastuzumab dans les cancers surexprimant HER2 (41). Dans
l’étude de phase I de M.D. Pegram et al., qui a inclus 9 patientes
ayant des adénocarcinomes mammaires métastatiques ou en réci-
dive surexprimant HER2, le taux de réponse objective était de
55 % (42).
Considérations économiques
La nécessité d’administrer du trastuzumab chez les patientes
ayant un adénocarcinome mammaire surexprimant HER2 est
dorénavant indéniable en situation métastatique et adjuvante.
Cependant, même si seulement 20 à 25 % des patientes ayant un
cancer du sein présentent une surexpression de HER2, l’exten-
Trastuzumab Bevacizumab
Inhibiteur
de la
farnésyl
transférase
HER3
EC
EGFR
VEGF 121
VEGF 165
PIGF-1
PIGF-2
VEGF-B
Erlotinib
Gefitinib
HER2 sml
LY294002
P13 kinase
PDK
ERK
TC
MEK
Raf
Ras
cdk
PD98059
AKT
Figure 9. Cibles des thérapies visées en cours d’étude dans les cancers
du sein surexprimant HER2.
ABC
ErbB2
Cell
membrane
ErbB2 ErbB2
Cell
membrane Cell
membrane
PIP3 PIP3 PIP3
913K 913K 913K
Tumorogénèse Inhibition tumorale Tumorogénèse et résistance
au trastuzumab
PTEN PTEN
PPPP
P
P
P
P
PP
P
P
P
P
PP
P
P
P
PPP
PP
5rc 5rc 5rc
5rc 5rc
Trastuzumab Trastuzumab
5rc 5rc
5rc
Akt Akt Akt
rt TOR rt TORrt TOR
Rapamycin
Emerolimus (RAD001)
CCI-779
Figure 8. Résistance au trastuzumab par altération de PTEN. A: sur-
expression de HER2 et activation de la voie PI3K/AKT. B : adminis-
tration de trastuzumab et activation de PTEN, qui inhibe la voie
PI3K/AKT. C : administration de trastuzumab et altération de PTEN ;
absence d’inhibition de la voie PI3K/AKT.
Meilleur ciblage de HER2
Devant ces résistances au trastuzumab, il a paru important de
développer de nouvelles stratégies permettant de mieux cibler
HER2. L’inhibition de la transduction du signal intracellulaire
est l’une des principales voies explorées. Des thérapies ciblées
visant le récepteur ou les deux voies de signalisation Ras/MAPK
et PI3K/AKT sont en cours d’étude
(figure 9)
.
Le pertuzumab est un anticorps monoclonal dirigé contre un épi-
tope différent de celui que cible le trastuzumab. Il inhibe l’hété-
rodimérisation de HER2 (33, 34). L’étude de phase II de J. Cortes
et al., qui a inclus 79 patientes ayant un adénocarcinome mam-
maire en troisième ligne métastatique, retrouve une activité
modeste non dose-dépendante de cet anticorps, avec 6 réponses
(réponse partielle ou stabilisation) pendant plus de 6 mois, soit
environ 8 % de réponses (35).
1 / 6 100%