DOSSIER FFCD-PRODIGE 2014 Indications thérapeutiques dans le cancer du pancréas localement avancé non résécable et non métastatique Preoperative therapy in locally advanced pancreatic cancer L. Dahan* L © La Lettre du Cancérologue 2014;5(XXIII):156-7. * Service d’oncologie digestive et d’hépato-gastroentérologie, hôpital de la Timone, Marseille. e cancer du pancréas est désormais au deuxième rang des cancers digestifs. Son incidence a doublé en 20 ans, et on compte plus de 11 600 nouveaux cas par an en France. Son pronostic est mauvais, même en cas de résection chirurgicale (seul traitement à visée curative), avec une survie à 5 ans allant de 5 à 30 % selon les séries. Chez les patients opérés, le traitement adjuvant par 5-FU ou par gemcitabine est un standard depuis 2005. Au moment du diagnostic, 10 à 20 % des patients ont une maladie localisée et résécable, et 80 % des patients ont une maladie métastatique ou localement avancée. Pour réaliser le bilan de résécabilité, 2 examens sont essentiels : la tomodensitométrie (TDM) spiralée et l’échoendoscopie. Le PET scan n’est pas validé dans cette indication, et une preuve histologique n’est pas indispensable si une résection chirurgicale est envisagée. Des critères de résécabilité ont été définis par le National Comprehensive Cancer Network (NCCN), et les tumeurs pancréatiques sont classées en 3 catégories. ➤ Les tumeurs résécables : pas de métastase à distance, persistance d’un liseré graisseux autour du tronc cœliaque et de l’artère mésentérique supérieure, la veine mésentérique et la veine porte sont libres. L’extension ganglionnaire régionale ou péripancréatique n’est pas un critère de non-résécabilité. ➤ Les tumeurs strictement non résécables : métastases à distance, atteinte de l’artère mésentérique supérieure sur plus de 180° et/ou du tronc cœliaque ou de l’aorte, thrombose de la veine mésentérique supérieure ou de la veine porte non réparable. L’envahissement ganglionnaire à distance documenté (hile hépatique, rétropéritonéal, inter-aortico-cave) est aussi une contre-indication. ➤ Les tumeurs “borderline” (envahissement vasculaire limité et réparable) : pas de métastase 120 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 à distance, atteinte de l’artère mésentérique supérieure de moins de 180°, atteinte réparable de l’artère hépatique, atteinte unilatérale ou bilatérale de la veine mésentérique supérieure ou de la veine porte sur plus de 180° et thrombose de la veine mésentérique supérieure courte et réparable. La place des traitements néo-adjuvants a d’abord été évaluée dans les cancers résécables en raison du taux élevé de résections R1 et du fait que seuls 70 à 80 % des patients bénéficient de la chimiothérapie adjuvante. Une méta-analyse a récemment fait le point sur ces traitements préopératoires (1). Elle a recensé 111 études rétrospectives et prospectives, dont 56 études de phase I-II de radiochimiothérapie, radiothérapie ou chimiothérapie. Dans le sous-groupe des cancers résécables, le taux de réponses objectives après traitement néoadjuvant était de 34,2 %, avec 42,1 % de stabilisations de la maladie et 20,9 % de progressions. Le taux de résection dans cette population était de 73,6 %, dont 82,1 % de résections R0, ce qui est similaire aux taux de résection décrits dans la littérature, qui varient de 78 à 96 %. La toxicité de grade 3-4 était de 26,3 %, ce qui est supérieur à ce qui est retrouvé dans les essais de chimiothérapie postopératoire. Enfin, la survie globale (SG) médiane était de 23,3 mois, chiffre comparable à ceux des 2 bras de chimiothérapie adjuvante de l’essai ESPAC 3 (2). Il n’y a donc pas d’indication pour un traitement néo-adjuvant en cas de cancer résécable, puisque le taux de résection et les survies sont similaires. Le traitement néo-adjuvant des cancers localement avancés est en réalité un traitement “d’induction”, dans l’espoir de rendre résécable la tumeur. Il y a Point fort » Les traitements néo-adjuvants n’ont pas d’efficacité prouvée sur les tumeurs résécables. La stratégie thérapeutique des formes localement avancées reste la chimiothérapie, qui peut être intensifiée. La radiothérapie n’a pas d’indication hors essai. Une résection secondaire est possible après un traitement d’induction. peu d’essais spécifiques dans cette situation, car les essais de chimiothérapie mélangent les formes métastatiques et les formes localement avancées. La méta-analyse de S. Gillen et al. a montré dans cette situation qu’il y a, après traitement préopératoire, 35 % de réponses objectives, 41,6 % de stabilisations de la maladie et 20,8 % de progressions comme dans les tumeurs résécables. En revanche, le taux de résection est de 33,2 %, avec 79,2 % de résections R0. La morbidité de la chirurgie est supérieure (39,1 versus 26,7 % pour les tumeurs résécables d’emblée), probablement en raison de la nécessité d’une reconstruction vasculaire. La SG médiane de ces patients dont la tumeur a été réséquée secondairement est de 20,5 mois, versus 23,3 mois dans les cas résécables d’emblée et 10,2 mois lorsque la tumeur n’avait jamais été réséquée. La réévaluation après traitement d’induction permet parfois une résection secondaire des tumeurs localement avancées, avec une survie médiane proche de celle observée chez les patients dont les tumeurs étaient résécables d’emblée. Deux essais prospectifs dont les résultats sont contradictoires ont évalué la radiochimiothérapie néo-adjuvante dans les cancers localement avancés. La première étude (3) a inclus 119 patients atteints d’adénocarcinomes pancréatiques localement avancés, randomisés entre une radiochimiothérapie par 5-FU + cisplatine et une chimiothérapie par gemcitabine. La SG et la survie sans progression (SSP) étaient significativement moins bonnes dans le bras radiochimiothérapie (SG médiane : 8,6 versus 13 mois ; p = 0,03). Le deuxième essai (4) a inclus 74 patients randomisés entre une prise en charge par radiochimiothérapie avec de la gemcitabine et un traitement par gemcitabine seule. La SG était significativement meilleure dans le bras radiochimiothérapie (11,1 versus 9,2 mois ; p = 0,017). Devant ces résultats contradictoires, certains auteurs ont suggéré qu’il fallait réaliser une chimiothérapie première et réserver la radiochimiothérapie aux patients dont la maladie était sous contrôle grâce à la chimiothérapie. Une analyse rétrospective de 2 études prospectives (5) a recensé 181 tumeurs localement avancées traitées par chimiothérapie pendant 3 mois ; en cas de maladie contrôlée (n = 128), les patients pouvaient être traités par radiochimiothérapie ou poursuivre la chimiothérapie initiale, décision laissée au libre choix de l’investigateur. Dans cette étude, il y avait une amélioration significative de la SSP et de la SG avec une radiochimiothérapie de clôture après une chimiothérapie d’induction chez les patients dont la maladie était sous contrôle (15 versus 11,7 mois ; p = 0,0009). Mots-clés Cancer du pancréas Chimiothérapie Radiothérapie Summary Neoadjuvant treatments have no proved efficiency for resectable tumors. Chemotherapy is the standard for locally advanced tumors. There is no indication for radiotherapy. Secondary resection is feasible after induction treatment. Keywords Pancreatic cancer Chemotherapy Radiotherapy Une grande étude internationale de phase III, randomisée, a tenté de répondre définitivement à la question : l’essai LAP 07 (6). Au total, 449 patients ont été inclus et randomisés entre gemcitabine et gemcitabine + erlotinib. Chez les 269 patients contrôlés après 3 mois, une deuxième randomisation était réalisée entre poursuite de la chimiothérapie initiale et radiochimiothérapie. Dans cet essai, il n’y a pas eu d’amélioration significative de la SSP, ni de la SG (médiane : 16,4 versus 15,2 mois ; HR = 1,03). Cet essai complètement négatif nous incite à ne réaliser une radiochimiothérapie que dans le cadre d’un essai thérapeutique ; hors essai, c’est la chimiothérapie qui doit être préférée. La chimiothérapie intensifiée est sans doute une piste intéressante, qui est en cours d’évaluation. Les résultats préliminaires d’une étude de cohorte prospective conduite entre février 2010 et février 2012 et ayant inclus 77 patients atteints d’un adénocarcinome localement avancé ont retrouvé 28 % de réponses complètes, et une médiane de SG de 22 mois. Parmi ces patients, 36 % ont pu avoir une résection secondaire. ■ L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Gillen S, Schuster T, Meyer Zum Büschenfelde C, Friess H, Kleeff J. Preoperative/neoadjuvant therapy in pancreatic cancer: a systematic review and meta-analysis of response and resection percentages. PLoS Med 2010;7(4):e1000267. 2. Neoptolemos JP, Stocken DD, Bassi C et al.; European Study Group for Pancreatic Cancer. Adjuvant chemotherapy with fluorouracil plus folinic acid vs gemcitabine following pancreatic cancer resection: a randomized controlled trial. JAMA 2010;304(10):1073-81. 3. Chauffert B, Mornex F, Bonnetain F et al. Phase III trial 5. Huguet F, André T, Hammel P et al. Impact of chemocomparing intensive induction chemoradiotherapy (60 radiotherapy after disease control with chemotherapy in Gy, infusional 5-FU and intermittent cisplatin) followed locally advanced pancreatic adenocarcinoma in GERCOR by maintenance gemcitabine with gemcitabine alone for phase II and III studies. J Clin Oncol 2007;25(3):326-31. locally advanced unresectable pancreatic cancer. Defini6. Hammel P, Huguet F, van Laethem JL et al. Comparison tive results of the 2000-01 FFCD/SFRO study. Ann Oncol of chemoradiotherapy and chemotherapy in patients with 2008;19(9):1592-9. a locally advanced pancreatic cancer controlled after 4 4. Loehrer PJ Sr, Feng Y, Cardenes H et al. Gemcitabine months of gemcitabine with or without erlotinib: final results alone versus gemcitabine plus radiotherapy in patients with of the international phase III LAP 07 study. ASCO® 2013: locally advanced pancreatic cancer: an Eastern Cooperative La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Oncology Group trial. J Clin Oncol 2011;29(31):4105-12. abstr. LBA4003. • Vol. XVII - n° 3 - mai-juin 2014 | 121