EVIDENCE-BASED MEDICINE Cancérologie La chimiothérapie rend-elle les métastases hépatiques des cancers colorectaux résécables ? J. Taïeb (Paris) Ce qu’il faut retenir Des patients atteints de cancer colorectal métastatique (CCRm), non opérables initialement, considérés comme impossibles à guérir il y a 15 ans, peuvent aujourd’hui être définitivement débarrassés de leur maladie grâce à une prise en charge médicochirurgicale agressive (1). Il faut pour cela que 3 conditions soient réunies : Les lésions doivent devenir résécables, le nombre de sites de maladie doit être relativement limité et le patient doit être capable de supporter une approche médicochirurgicale agressive. On considère que 10 à 15 % des patients, ayant une maladie métastatique hépatique non opérable initialement, vont pouvoir être opérés à la suite d'un traitement d’induction permettant une réponse tumorale significative (1). Chez les patients atteints de métastases pouvant devenir résécables en cas de réponse majeure, il est donc recommandé de privilégier, après discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), un protocole donnant un taux de réponse élevé dans l’optique d’une résécabilité secondaire : trichimiothérapie ou bichimiothérapie plus biothérapie (1). En cas de métastases hépatiques non résécables traitées par chimiothérapie avec une excellente réponse permettant d’envisager secondairement une résection, la morbidité de l’hépatectomie est majorée après 6 cycles. Il est donc recommandé, si possible, d’opérer dès que les métastases deviennent résécables, sans attendre au-delà de 4 mois de chimiothérapie et de respecter un délai de 4 à 6 semaines après la fin de la chimiothérapie avant d’opérer pour diminuer le risque de complication (1). L’intérêt de ces “chirurgies secondaires” a été montré dans des séries de grands centres chirurgicaux (2). Ces travaux restent cependant critiquables méthodologiquement. Niveau de preuve : accord d’expert. Aucune étude de phase III dédiée à cette question n’a été réalisée. U n espoir de guérison est le plus souvent impossible face à une tumeur solide métastatique non opérable au moment du diagnostic. Cet adage n’est cependant plus adapté à certains cancers colorectaux métastatiques (CCRm). Au cours des 15 dernières années, 4 facteurs ont transformé la prise en charge de cette maladie : 52 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 1 - janvier-février 2012 ➤➤ les progrès des techniques d’imagerie, qui permettent une exploration préthérapeutique et une surveillance plus performantes ; ➤➤ les avancées des techniques chirurgicales et de la réanimation postopératoire ; ➤➤ l’avènement de nouveaux traitements médicaux plus efficaces ; ➤➤ la généralisation de la pluridisciplinarité permettant de réunir autour du patient et à différents temps de sa maladie toutes les compétences nécessaires à une prise en charge optimale. L’arsenal thérapeutique limité il y a 15 ans au 5-FU seul a été enrichi par 2 nouvelles molécules de chimiothérapie, l’irinotécan et l’oxaliplatine et, plus récemment par 4 thérapies ciblées, 2 antiangiogéniques, le bévacizumab et l’aflibercept, et 2 anti-EGFR, le cétuximab et le panitumumab, utiles chez les patients sans mutation KRAS au niveau de leur tumeur (1). Les taux de réponse objective validés par les critères internationaux RECIST sont, dans le même temps, passés de 25 % à plus de 50 %, voire à 60 % dans les études les plus récentes (3). Cette réduction tumorale plus fréquente, mais aussi plus importante, permet en théorie d’amener plus de patients vers une chirurgie curative secondaire alors qu’ils n’étaient pas opérables initialement. Peu de données sont actuellement disponibles pour nous permettre d’évaluer le bénéfice réel pour le patient alors qu’il a fait l’objet d’un investissement médicochirurgical lourd. Nous disposons de plusieurs études de cohortes montrant chez ces patients lorsqu’ils ont été opérés, des survies à long terme impossibles à obtenir avec un traitement médical. La série de l’hôpital Paul-Brousse − bien que datant de plus de 10 ans maintenant et critiquable en raison d’un biais de recrutement évident − nous montre que 12,5 % de leurs patients non résécables initialement le sont devenus et que la survie à 5 ans de ces 138 patients était de 33 % contre 0 % chez ceux qui n’ont pu être opérés cependant (2). Cancérologie Références bibliographiques 1. Thésaurus de cancérologie digestive. Tumeurs endocrines digestives. Mise à jour 12/05/2011. Disponible online : http:// www.tncd.org 2. Adam R, Delvart V, Pascal G et al. Rescue surgery for unresectable colorectal liver metastases downstaged by chemotherapy: a model to predict long-term survival. Ann Surg 2004;240(4):644-57;discussion 657-8. 3. Adam R, Haller DG, Poston G et al. Toward optimized frontline therapeutic strategies in patients with metastatic colorectal cancer-an expert review from the International Congress on AntiCancer Treatment (ICACT) 2009. Ann Oncol 2010;21(8):1579-84. EVIDENCE-BASED MEDICINE Questions non résolues »» Comment sélectionner au mieux les patients pour ce type d’approche agressive ? »» Qu’en est-il des métastases extrahépatiques ? »» Y a-t-il un bénéfice pour le patient même lorsque la maladie récidive en termes de survie et de qualité de vie ? »» Quelle est la meilleure combinaison thérapeutique “néo-adjuvante” dans cette situation et pour quel malade ? Y a-t-il des indications à la chimiothérapie adjuvante dans les cancers gastriques ? B. Landi (Paris) O Ce qu’il faut retenir La chimiothérapie adjuvante par 5-FU après résection d’un cancer gastrique est un standard thérapeutique en Asie, alors que son efficacité était discutée en Europe où la référence est la chimiothérapie périopératoire dans les formes résécables (pour les stades supérieurs à IA) [1]. Une méta-analyse récente, réalisée à partir de données individuelles, a montré pourtant un bénéfice de la chimiothérapie adjuvante à base de 5-FU chez les patients caucasiens. C’est donc une option chez les patients n’ayant pas reçu de chimiothérapie néoadjuvante. thérapie périopératoire à tous les malades de stade supérieur à IA (T1N0M0) [1]. Au Japon, la chimiothérapie adjuvante par des analogues oraux 5-FU après résection d’un cancer gastrique est un standard thérapeutique depuis longtemps. Une étude de phase III randomisée XELOX versus surveillance a montré un bénéfice en survie globale significatif dans la population asiatique (4). L’efficacité d’une telle stratégie ne semblait pas s’appliquer aux patients causasiens. Une méta-analyse récente, menée à partir des données individuelles de 3 838 patients dans 17 essais a montré un bénéfice de la chimiothérapie niveau de preuve n sait que la qualité de la résection chirurgicale et du curage ganglionnaire est essentielle dans les formes résécables de cancer gastrique. Cependant, les standards thérapeutiques du traitement associé à la chirurgie varient de par le monde. Aux États-Unis, la radiochimiothérapie adjuvante selon le schéma de MacDonald était efficace dans une étude de phase III un peu ancienne et qui a fait l’objet de nombreuses réserves (curage ganglionnaire insuffisant, toxicité d’un schéma, chimiothérapie obsolète). Elle reste néanmoins pratiquée chez les patients dont l’état général le permet. Il a été suggéré que le remplacement du FUFOL par le LV5FU2 simplifié réduisait la toxicité (1). La chimiothérapie périopératoire est la référence pour les cancers résécables en Europe. Deux essais randomisés ont montré des résultats concordants, avec un allongement significatif de la survie sans maladie et de la survie globale (2, 3). Les chimiothérapies utilisées étaient respectivement les associations épirubicine + cisplatine + 5-FU et 5-FU + cisplatine. On ne dispose cependant pas de données permettant de préciser l’efficacité selon le stade, le type histologique ou le nombre de cures réalisées. En France, le standard est de proposer une chimio- 2 La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 1 - janvier-février 2012 | 53