52 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XV - n° 1 - janvier-février 2012
EVIDENCE-BASED MEDICINE Cancérologie
La chimiothérapie rend-elle
les métastases hépatiques
des cancers colorectaux résécables ?
J. Taïeb (Paris)
Des patients atteints de cancer colorectal métastatique (CCRm), non
opérables initialement, considérés comme impossibles à guérir il y a 15
ans, peuvent aujourd’hui être définitivement débarrassés de leur maladie
grâce à une prise en charge médicochirurgicale agressive
(1)
. Il faut pour
cela que 3 conditions soient réunies :
Les lésions doivent devenir résécables, le nombre de sites de maladie
doit être relativement limité et le patient doit être capable de supporter
une approche médicochirurgicale agressive. On considère que 10 à 15 %
des patients, ayant une maladie métastatique hépatique non opérable
initialement, vont pouvoir être opérés à la suite d'un traitement d’induc-
tion permettant une réponse tumorale significative (1).
Chez les patients atteints de métastases pouvant devenir résécables en
cas de réponse majeure, il est donc recommandé de privilégier, après
discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), un proto-
cole donnant un taux de réponse élevé dans l’optique d’une résécabilité
secondaire : trichimiothérapie ou bichimiothérapie plus biothérapie (1).
En cas de métastases hépatiques non résécables traitées par chimio-
thérapie avec une excellente réponse permettant d’envisager secon-
dairement une résection, la morbidité de l’hépatectomie est majorée
après 6 cycles. Il est donc recommandé, si possible, d’opérer dès que les
métastases deviennent résécables, sans attendre au-delà de 4 mois de
chimiothérapie et de respecter un délai de 4 à 6 semaines après la fin de
la chimiothérapie avant d’opérer pour diminuer le risque de complica-
tion (1). L’intérêt de ces “chirurgies secondaires” a été montré dans des
séries de grands centres chirurgicaux (2). Ces travaux restent cependant
critiquables méthodologiquement.
Niveau de preuve : accord d’expert. Aucune étude de phase III dédiée à
cette question n’a été réalisée.
Ce qu’il faut retenir
U
n espoir de guérison est le plus souvent
impossible face à une tumeur solide méta-
statique non opérable au moment du
diagnostic. Cet adage n’est cependant plus adapté à
certains cancers colorectaux métastatiques (CCRm).
Au cours des 15 dernières années, 4 facteurs ont
transformé la prise en charge de cette maladie :
➤
les progrès des techniques d’imagerie, qui
permettent une exploration préthérapeutique et
une surveillance plus performantes ;
➤les avancées des techniques chirurgicales et de
la réanimation postopératoire ;
➤
l’avènement de nouveaux traitements médicaux
plus efficaces ;
➤
la généralisation de la pluridisciplinarité permet-
tant de réunir autour du patient et à différents temps
de sa maladie toutes les compétences nécessaires
à une prise en charge optimale.
L’arsenal thérapeutique limité il y a 15 ans au 5-FU
seul a été enrichi par 2 nouvelles molécules de
chimiothérapie, l’irinotécan et l’oxaliplatine et,
plus récemment par 4 thérapies ciblées, 2 anti-
angiogéniques, le bévacizumab et l’aflibercept,
et 2 anti-EGFR, le cétuximab et le panitumumab,
utiles chez les patients sans mutation KRAS au
niveau de leur tumeur (1). Les taux de réponse
objective validés par les critères internationaux
RECIST sont, dans le même temps, passés de 25
% à plus de 50 %, voire à 60 % dans les études les
plus récentes (3). Cette réduction tumorale plus
fréquente, mais aussi plus importante, permet
en théorie d’amener plus de patients vers une
chirurgie curative secondaire alors qu’ils n’étaient
pas opérables initialement. Peu de données sont
actuellement disponibles pour nous permettre
d’évaluer le bénéfice réel pour le patient alors
qu’il a fait l’objet d’un investissement médicochi-
rurgical lourd. Nous disposons de plusieurs études
de cohortes montrant chez ces patients lorsqu’ils
ont été opérés, des survies à long terme impos-
sibles à obtenir avec un traitement médical. La
série de l’hôpital Paul-Brousse − bien que datant
de plus de 10 ans maintenant et critiquable en
raison d’un biais de recrutement évident − nous
montre que 12,5 % de leurs patients non résé-
cables initialement le sont devenus et que la
survie à 5 ans de ces 138 patients était de 33 %
contre 0 % chez ceux qui n’ont pu être opérés
cependant (2).