HGE 5 05/11/01 N 12:53 O Page 263 U V E L L E S T E C H N I Q U E S Exérèse transanale par microchirurgie endoscopique des volumineuses lésions villeuses du rectum ● S. Benoist, Y. Panis* S i les petites lésions sessiles ou pédiculées du rectum sont facilement réséquées par voie endoscopique, les plus volumineuses, quant à elles, nécessitent une exérèse chirurgicale et constituent un challenge thérapeutique. L’exérèse transanale conventionnelle est actuellement une technique reconnue pour de telles lésions situées dans le bas rectum, qu’il s’agisse de lésions bénignes ou même, dans certains cas très sélectionnés, de tumeurs malignes peu invasives (1-3). Pour les tumeurs villeuses du moyen et du haut rectum, l’exérèse transanale conventionnelle n’est pas appropriée, et la résection postérieure par voie transsacrée de Kraske ou la résection transsphinctérienne décrite par Masson ont été abandonnées au profit de la résection rectale par voie abdominale, en raison d’un taux élevé de fistules rectales et d’incontinence anale. Cependant, la morbidité et les conséquences fonctionnelles d’une résection rectale ne sont pas négligeables et peuvent paraître disproportionnées pour l’exérèse d’une lésion supposée bénigne (4, 5). L’exérèse transanale par microchirurgie endoscopique (TEM), décrite par Buess et al. en 1984, permet l’excision complète des tumeurs du moyen et du haut rectum par un rectoscope opérateur avec une morbidité opératoire faible et sans conséquence fonctionnelle à long terme (6). En dépit de premiers résultats encourageants, la TEM n’est encore réalisée que dans très peu de centres ; en particulier en France, où elle est peu connue et absolument pas développée. Une préparation colique doit être réalisée la veille de l’intervention. L’installation du malade sur la table opératoire est variable en fonction de la localisation de la tumeur. En cas de lésion postérieure, le malade est installé en décubitus dorsal ; en cas de lésion antérieure, en procubitus ventral ; et en cas de lésion latérale, en décubitus latéral (figure 1). Sous anesthésie générale ou locorégionale, une dilatation anale progressive est réalisée à l’aide de bougie avant l’introduction d’un rectoscope opérateur de 4 cm de diamètre et de 12 ou 20 cm de longueur selon la localisation de la tumeur (figure 1A). Le rectoscope est ensuite maintenu en place par un bras articulé fixé à la table. Ce rectoscope est fenêtré à sa base, laissant le passage simultané à quatre instruments et à un système optique binoculaire grossissant six fois. L’ensemble du système est relié à un insufflateur-exsufflateur de C02 permettant une distension continue du rectum, à la pression constante 10 mmHg. Le système binoculaire est relié à une caméra de retransmission sur télévision (figure 1B). Les instruments à disposition sont : un bistouri * Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Lariboisière, Paris. électrique à haute fréquence, une pince à préhension, un aspirateur-coagulateur, un porte-aiguille, des ciseaux et une pince à clips. Après repérage endoscopique de la lésion (figure 2A), la zone de résection est délimitée, puis l’excision de la lésion réalisée à l’aide du bistouri électrique et de la pince à préhension, avec une marge de sécurité d’au moins 5 mm (figure 2B). En profondeur, la résection est menée jusqu’à la graisse périrectale, y compris en cas de lésion supposée bénigne (figure 2C). Le défect pariétal est fermé par un surjet de fil monobrin résorbable, arrêté à ses deux extrémités par un clip métallique (figure 2D). En postopératoire, une alimentation liquide est autorisée le soir même de l’intervention. Pour l’analyse histologique, la lésion réséquée est étendue et épinglée à ses extrémités sur un morceau de liège par de multiples aiguilles, puis fixée dans une solution de formaldéhyde afin d’étudier au mieux les marges de résection. Techniquement, la TEM présente de nombreux avantages par rapport aux autres techniques d’exérèse chirurgicale de tumeur rectale. Tout d’abord, le taux de mortalité est inférieur à 0,5 %, et le taux de morbidité, incluant des complications mineures, inférieur à 20 %, y compris chez des patients à haut risque chirurgical et anesthésique (7-9). Ce taux de morbidité est comparable aux taux habituellement rapportés après exérèse transanale conventionnelle, variant de 6 à 15 % (1, 10). En revanche, comme cela est démontré dans un essai contrôlé, le taux de morbidité après TEM est significativement inférieur à celui observé après résection rectale par voie abdominale (11). Les complications les plus fréquemment rapportées après TEM sont les brèches péritonéales peropératoires, les hémorragies tardives et les complications urinaires (7, 12-14). Quelques cas de sténose rectale et de fistule recto-vaginale ont également été rapportés (13, 14). La TEM a pour deuxième avantage de n’avoir aucune conséquence à long terme sur la fonction ano-rectale. En effet, si les études manométriques attestent qu’il existe, à court terme, un traumatisme du sphincter interne lié à l’introduction du rectoscope opérateur et une diminution de la compliance rectale liée à la fibrose cicatricielle, ces troubles sont réversibles au-delà de 6 mois, et le taux d’incontinence anale reste inférieur à 0,5 % (15). De plus, grâce à la distension continue du rectum par insufflation de CO2, la TEM offre une parfaite exposition du site opératoire, quelle que soit la localisation de la tumeur, et permet ainsi une excision monobloc complète de la lésion sans fragmentation tumorale. Cela a pour principaux avantages, par rapport aux autres techniques d’exérèse locale, comme la résection endoscopique utilisant un résecteur urologique, la destruction au laser, l’électrocoagulation ou la cryochirurgie, d’autoriser La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. IV - octobre 2001vol. IV - septembre 2001 263 HGE 5 05/11/01 N 12:53 O U Page 264 V E L L E S T E C H N I Q U E S Figure 1. Équipement utilisé pour l’exérèse transanale par microchirurgie endoscopique. (A) Introduction du rectoscope opérateur. (B) Équipement installé en totalité. Figure 2. Excision complète d’une lésion villeuse du moyen rectum. (A) Lésion villeuse non réséquable sous coloscopie. (C) Cavité résiduelle après excision complète. 264 (B) Excision complète jusqu’à la graisse périrectale. (D) Aspect de la cavité rectale en fin d’intervention. La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. IV - octobre 2001 HGE 5 05/11/01 N 12:53 O U Page 265 V E L L E S T une étude histologique précise des marges de sécurité et de garantir ainsi le caractère complet de l’excision, qui est confirmé dans plus de 95 % des cas (16). Enfin, la TEM a pour avantage, par rapport à l’exérèse transanale conventionnelle, de permettre, sans majoration de la difficulté technique, l’accès aux lésions du haut rectum, à condition qu’elles soient localisées dans la partie du rectum située sous le cul-de-sac péritonéal de Douglas, afin de limiter le risque de perforation péritonéale qui constitue la complication majeure de cette technique. Anatomiquement, cela correspond à une hauteur de 12 cm par rapport à la marge anale à la face antérieure et de 20 cm à la face postérieure (16). Pour les lésions très basses, situées à moins de 6 cm de la marge anale, contrairement à l’exérèse transanale conventionnelle, la TEM est techniquement difficile en raison de l’absence d’étanchéité du système d’insufflation et constitue probablement une mauvaise indication (7). Les tumeurs villeuses bénignes sont probablement la meilleure indication de la TEM, qui permet d’éviter une exérèse rectale plus complexe et morbide, avec un faible taux de récidive variant de 4 à 10 % selon les auteurs (7, 8, 14). Ce faible taux de récidive, nettement inférieur aux taux habituellement rapportés après exérèse transanale conventionnelle variant de 10 à 30 % (1, 10, 17), est probablement dû au fait que la TEM offre une parfaite exposition du site opératoire et permet la réalisation, en toute sécurité, d’excisions plus larges, à la fois latéralement et en profondeur. En cas de lésion maligne, le rôle de la TEM est beaucoup plus controversé, dans la mesure où elle est le plus souvent indiquée dans des lésions du moyen et du haut rectum, pour lesquelles le risque de sacrifice sphinctérien est quasiment nul. Pour les tumeurs classées T1, ayant des critères histologiques à faible risque de métastases ganglionnaires, les résultats carcinologiques de la TEM sont satisfaisants, et des taux de récidive locale variant de 3 à 6 % ont été rapportés (9, 12, 18). Plus récemment, un essai contrôlé, dans lequel le suivi moyen était de 4 ans, a montré que le taux de récidive locale après exérèse de telles lésions était comparable après TEM et résection antérieure (11) ; mais ces résultats méritent d’être confirmés par d’autres essais. Pour les tumeurs classées T2 ou T3, il est clairement établi que la TEM seule ne peut être curative en raison d’un taux élevé de récidive locale variant de 30 à 60 % (8, 12, 13, 19). Il est probable que l’excision à visée palliative, en cas de lésion métastatique ou chez un patient trop fragile pour subir une procédure plus complexe, constitue actuellement la meilleure indication de la TEM pour une lésion maligne (13). Dans cette indication, elle peut éventuellement être associée à une radiothérapie pré- ou postopératoire afin d’essayer de diminuer le taux de récidive locale (20). Malgré tous ces avantages démontrés, un certain nombre d’inconvénients ont probablement limité le développement de la TEM. Bien que pouvant s’apparenter à la cœlioscopie, il s’agit d’une technique difficile qui nécessite un long apprentissage, la difficulté étant principalement liée au confinement du site opératoire. De plus, son équipement est complexe et coûteux, de l’ordre de 500 000 F. Enfin, hormis dans les centres spécialisés en chirurgie colorectale, l’investissement requis peut paraître disproportionné par rapport à la fréquence des indications (12). La lettre du l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. IV - octobre 2001 E C H N I Q U E S En conclusion, la TEM permet, dans la majorité des cas, l’excision complète par voie transanale des lésions du rectum et autorise ainsi une évaluation histologique exhaustive de la lésion et des marges de résection. Elle offre un accès aux lésions situées dans le moyen et le haut rectum et permet d’éviter une résection rectale dans de nombreux cas. Elle devrait donc faire partie de l’arsenal thérapeutique pour le traitement des lésions bénignes volumineuses du rectum sous-douglassien non réséquables sous coloscopie. Son rôle précis dans le traitement à visée curative des lésions malignes reste encore à déter■ miner. Mots clés. Exérèse locale – Endoscopie – Microchirurgie – Adénome villeux – Cancer – Rectum. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Sakamoto GD, MacKeigan JM, Senagore AJ. Transanal excision of large, rectal villous adenomas. Dis Colon Rectum 1991 ; 34 : 880-5. 2. Benoist S, Panis Y, Martella L et al. Local excision of rectal cancer for cure. Should we have always regard for rigid pathological criteria ? Hepatogastroenterology 1998 ; 45 : 1546-51. 3. Varma MG, Rogers SJ, Schrock TR, Welton ML. Local excision of rectal carcinoma. Arch Surg 1999 ; 134 : 863-8. 4. Thorlakson RH. An anterior approach for excision of benign tumors of the middle part of the rectum. Surg Gynecol Obstet 1984 ; 159 : 498-500. 5. Panis Y, Perrin H, Poupard B et al. Coloanal anastomosis for benign lesions : long term functionnal results in 11 patients. Eur J Surg 1996 ; 162 : 555-9. 6. Buess G, Thiess R, Gunther M. Endoscopic operative procedures for the removal of rectal polyps. Coloproctology 1984 ; 6 : 254-9. 7. Steele RJ, Hershman MJ, Mortensen NJ et al. Transanal endoscopic microsurgery – initial experience from three centres in the United Kingdom. Br J Surg 1996 ; 83 : 207-10. 8. Smith LE, Ko ST, Saclarides T et al. Transanal endoscopic microsurgery. Initial registry results. Dis Colon Rectum 1996 ; 39 : S79-S84. 9. Said S, Huber P, Pichlmaier H. Technique and clinical results of endorectal surgery. Surgery 1993 ; 113 : 65-75. 10. Winburn GB. Surgical resection of villous adenomas of the rectum. Am Surg 1998 ; 64 : 1170-3. 11. Winde G, Nottberg H, Keller R, Schmid KW, Bünte H. Surgical cure for early rectal carcinomas (T1). Transanal endoscopic microsurgery vs Anterior resection. Dis Colon Rectum 1996 ; 39 : 969-76. 12. Saclarides TJ. Transanal Endoscopic microsurgery. A single surgeon’s experience. Arch Surg 1998 ; 133 : 595-99. 13. Türler A, Schäfer H, Pilchmaier H. Role of transanal endoscopic surgery in palliative treatment of rectal cancer. Scand J Gastroenterol 1997 ; 32 : 58-61. 14. Said S, Stippel D. Transanal endoscopic microsurgery in large, sessile adenomas of the rectum. Surg Endosc 1995 ; 9 : 1106-12. 15. Kreis ME, Jehle EC, Haug V et al. Functional results after transanal endoscopic microsurgery. Dis Colon Rectum 1996 ; 39 : 1116-21. 16. Banerjee AK, Jehle EC, Shorthouse AJ, Buess G. Local excision of rectal tumours. Br J Surg 1995 ; 82 : 1165-73. 17. Pollard SG, Macfarlane R, Everett WG. Villous tumours of the large bowel. Br J Surg 1988 ; 75 : 910-2. 18. Heintz A, Mörschel M, Junginger T. Comparison of results after transanal endoscopic microsurgery and radical resection for T1 carcinoma of the rectum. Surg Endosc 1998 ; 12 : 1145-8. 19. Mentges B, Buess G, Effinger G et al. Indications and results of local treatment of rectal cancer. Br J Surg 1997 ; 84 : 348-51. 20. Lezoche E, Guerrieri M, Paganini AM, Feliciotti F. Transanal endoscopic microsurgical excision of irradiated and non irradiated rectal cancer. A 5-year experience. Surg Laparosc Endosc 1998 ; 8 : 249-56. 265