Échos des congrès É chos des congrès Actualités sur le cétuximab à l’American Association for Cancer Research – Annual Meeting 2007, Los Angeles News on cetuximab ● ● A. Lièvre* LES RÉSULTATS DE DEUX ESSAIS CLINIQUES DE PHASE III ● Jonker et al. (late breaking, abstract 1) Les résultats de la première étude randomisée de phase III comparant le cétuximab en monothérapie (400 mg/m2 puis 250 mg/m2/semaine) à des soins de confort dans le cancer colorectal métastatique ont été présentés en séance plénière. Cet essai intergroupe (National Cancer Institute of Canada Clinical Trials Group et Australasian Gastro-Intestinal Trials Group) a été réalisé chez 572 patients (287 dans le bras cétuximab + soins de confort, 285 dans le bras soins de confort seuls) atteints d’un cancer colorectal EGFR-positif ayant progressé après traitement par 5-FU, irinotécan et oxaliplatine. La réponse était évaluée toutes les 8 semaines jusqu’à progression. Les caractéristiques des patients étaient identiques dans les deux bras (âge médian : 63,2 ans ; hommes : 64 % ; performance status 0-1 : 77 % ; 3 à 4 lignes de chimiothérapie antérieure : 65 %). L’objectif principal était atteint, puisque la survie globale était significativement augmentée dans le bras cétuximab (6,1 mois versus 4,6 mois ; HR = 0,77 ; IC95 [0,64-0,92] ; p = 0,0046), et cela était vrai pour tous les sous-groupes de patients, hormis ceux présentant une altération de l’état général (PS = 2 : HR = 0,89 [0,62-1,27]). La survie sans progression était également améliorée de façon significative (1,8 versus 1,9 mois ; HR = 0,68 [0,57-0,80] ; p < 0,0001), de même que le taux de réponse objective (6,6 % versus 0 %, p < 0,0001). La toxicité était plus importante dans le bras cétuximab que dans celui recevant des soins de confort, notamment le rash cutané, l’hypersensibilité et l’hypomagnésémie, mais l’anémie était plus fréquente dans le bras soins de confort (tableau). Enfin, il existait une corrélation significative entre la toxicité cutanée et la survie globale (grade 0 : 2,6 mois ; grade 1 : 4,8 mois ; grade 2 et plus : 8,4 mois). Cette étude est donc la première à montrer le bénéfice d’une thérapie ciblée comparée aux soins de confort en termes de survie globale et de survie sans progression après échec des chimiothérapies standards dans le cancer colorectal métastatique. * Service d’hépato-gastroentérologie et oncologie digestive, CHU Ambroise-Paré, BoulogneBillancourt ; Inserm U775, université Descartes-Paris 5. 200 Tableau. Toxicités observées dans les 2 bras. Toxicité de grade 3/4 Cétuximab + Soins de confort soins de confort (n = 285) (n = 287) p Toutes 78,5 % 59,1 % < 0,0001 Infection sans neutropénie 12,8 % 5,5 % 0,003 4% 11 % 0,03 11,8 % 0,4 % < 0,0001 Anémie Rash cutané/desquamation Hypomagnésémie 5,8 % 0% < 0,0001 Hypersensibilité 4,5 % 0% < 0,0001 ● Sobrero et al. (late breaking, abstract 2) Alberto Sobrero a présenté au cours de la même séance plénière les résultats finaux de l’essai EPIC, essai multicentrique international de phase III randomisé comparant l’association de cétuximab (400 mg/ m2, puis 250 mg/m2/semaine) + irinotécan (350 mg/m2 toutes les 3 semaines) à l’irinotécan seul en traitement de deuxième ligne du cancer colorectal métastatique après échec d’une chimiothérapie à base d’oxaliplatine. Ont été inclus 1 298 patients (648 dans le groupe cétuximab + irinotécan et 650 dans le groupe irinotécan) atteints d’un cancer colorectal EGFR-positif et ayant un indice de performance ECOG ≤ 2. Les caractéristiques cliniques des patients étaient similaires dans les deux groupes (âge médian : 62 ans ; hommes : 62,9 % ; PS 0-1 : 94 %). Le taux de réponse objective était significativement supérieur dans le groupe ayant reçu l’association cétuximab + irinotécan : 16,4 % (RC : 1,4 % ; RP : 15 %) versus 4,2 % (p < 0,0001), de même que la survie sans progression : 4 mois versus 2,6 mois (HR = 0,69 ; IC95 [0,62-0,78] ; p < 0,0001). En revanche, il n’y avait pas de bénéfice du traitement combiné comparé à l’irinotécan seul sur la survie globale, qui était l’objectif principal de l’essai (médiane : 10,7 mois versus 10 mois, HR = 0,975 [0,62-0,78] ; p = 0,71), tout en sachant que 47 % des patients du bras irinotécan (n = 305) ont finalement reçu du cétuximab après progression ou sortie de l’essai alors que 11 % des patients du bras traitement combiné ont continué de le recevoir après l’essai. Concernant la toxicité, la diarrhée et l’asthénie grade 3/4 étaient plus importantes chez les patients ayant reçu l’association cétuximab + irinotécan (28,8 % versus 16,2 % et 9,2 % versus 4,9 %), de même que l’acné (8,2 % versus 0,5 %), les réactions immuno-allergiques (1,4 % versus 0,8 %) et l’hypomagnésémie (3,3 % versus 0,4 %). En conclusion, l’association cétuximab + irinotécan en deuxième ligne de traiLa Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 5 - mai 2007 tement après échec d’une chimiothérapie à base d’oxaliplatine était associée à un taux de réponse objective et à une survie sans progression significativement supérieur sans bénéfice en termes de survie globale, possiblement expliqué par la forte proportion de cross-over. L’analyse de la survie dans les deux bras après exclusion des patients ayant reçu du cétuximab après l’étude, présentée par Richard Goldberg dans son analyse commentée, était en faveur des patients traités par cétuximab + irinotécan (10,2 mois versus 6,2 mois), ce qui pourrait conforter cette hypothèse. Facteurs prédictifs de réponse au cétuximab ● Merlin et al. (abstract 185) Dans cette étude, les auteurs ont mesuré, par une immuno-analyse multiplex, l’expression protéique avant et après traitement par cétuximab de la forme phosphorylée de protéines impliquées dans les voies de signalisation intracellulaire MAP kinase et PI3K/Akt activées en aval de la voie de l’EGFR (EGFR, Akt, P70S6 kinase, ERK1/2, GSK3 et p38MAPK) dans trois lignées cellulaires de cancers des voies aéro-digestives supérieures (VADS), surexprimant l’EGFR (CAL 27, CAL33 et FaDu). La sensibilité au cétuximab, qui était différente pour les trois lignées, était corrélée à une faible expression de Akt phosphorylée. En parallèle, l’analyse de l’expression des mêmes protéines phosphorylées a été réalisée avant tout traitement à partir des biopsies de 22 tumeurs des VADS, et a montré une grande variation interindividuelle dans leur expression, suggérant une fonctionnalité des voies de signalisation intracellulaire EGFR-dépendantes variable d’une tumeur à l’autre, ce qui pourrait avoir des conséquences sur la réponse aux inhibiteurs de l’EGFR (anticorps anti-EGFR ou inhibiteurs de tyrosine kinase EGFR). Ces résultats montrent l’intérêt de la technique d’immunoanalyse multiplex (permettant l’analyse simultanée à partir d’un petit fragment tumoral de l’expression de plusieurs dizaines de protéines) pour l’analyse des protéines phosphorylées des voies de signalisation intracellulaire EGFR-dépendantes à partir de biopsies diagnostiques de cancers des VADS ainsi que leur impact potentiel à l’avenir dans l’identification de facteurs prédictifs de réponse aux thérapies anti-EGFR dans ces cancers. ● Domont et al. (abstract 208) Cette étude a évalué l’expression protéique en immunohistochimie de EGFR, HER2, VEGF, phosphoAKT (pAkt) et PTEN dans les tissus tumoraux de 48 patients ayant un cancer colorectal traité par cétuximab en troisième et quatrième lignes (60 prélèvements analysées dont 26 à partir de la tumeur primitive, 34 à partir de métastases hépatiques et 14 patients pour lesquels la tumeur primitive et une métastase hépatique ont pu être analysées simultanément). Il existait une discordance du niveau d’expression de VEGF et PTEN entre tumeur primitive et métastases hépatiques alors que l’expression de EGFR et pAkt était similaire dans les deux sites tumoraux, et qu’aucune tumeur n’exprimait HER2. Il n’existait aucune corrélation entre l’expression de ces différents marqueurs et la réponse au cétuximab chez les 17 patients pour lesquels les données étaient complètes. Une réponse objective au cétuximab était obtenue chez des patients atteints d’une tumeur n’exprimant pas l’EGFR, comme cela a déjà été publié précédemment (1, 2). La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 5 - mai 2007 ● Ford et al. (abstract 5670) Dans cette étude, conduite chez 111 patients inclus dans un essai thérapeutique multicentrique, ayant évalué le cétuximab en monothérapie dans le traitement du cancer colorectal métastatique, une analyse de l’expression des gènes a été réalisée à partir de l’ARN extrait des biopsies de sites métastatiques effectuées avant traitement, ainsi qu’une recherche de mutation des gènes KRAS, BRAF et EGFR et une mesure du nombre de copies du gène EGFR à partir de l’ADN extrait des mêmes biopsies. Les tumeurs exprimant fortement les gènes de l’épiréguline (EPIR) et de l’amphiréguline (AMPHIR) étaient associées de manière significative à un meilleur taux de contrôle tumoral avec le cétuximab, tout comme les patients n’ayant pas de mutation intratumorale du gène KRAS (mutation KRAS : 3/27 ayant un contrôle de la maladie versus 27/53 patients non répondeurs, p = 0,0003). Par ailleurs, les patients ayant une forte expression génique tumorale d’EPIR et d’AMPHIR avaient une survie sans progression significativement supérieure à celle des patients ne les exprimant pas (médiane de 103,5 jours versus 57 jours pour l’EPIR, p = 0,0002 et de 115,5 jours versus 57 jours pour l’AMPHIR, p < 0,0001). Ces résultats confirment l’intérêt de la valeur prédictive et pronostique du statut mutationnel du gène KRAS chez les patients traités par cétuximab et mettent en évidence, pour la première fois, l’intérêt prédictif et pronostique potentiel de la surexpression de gènes codant pour des ligands du récepteur de l’EGFR. Échos des congrès É chos des congrès ● Lièvre et al. (abstract 5671) Après les résultats préliminaires publiés sur la valeur prédictive et pronostique des mutations de KRAS dans une série de 30 patients atteints d’un cancer colorectal métastatique et traités par cétuximab, le but de cette étude multicentrique française était de valider ces résultats dans une série indépendante et plus large de patients (n = 89), et de les comparer à la valeur prédictive et pronostique de la toxicité cutanée rapportée dans la littérature. La valeur prédictive et pronostique des mutations de KRAS était confirmée, puisque aucun des patients mutés KRAS (n = 24) n’avait de réponse objective au traitement, contre 39,5 % des patients non mutés (p = 0,001), et que ces mutations de KRAS étaient associées à une survie sans progression et une survie globale significativement inférieures (10,1 semaines versus 31,4 semaines, p = 0,0001 et 10,1 mois versus 14,3 mois, p = 0,026 respectivement). Il existait également une corrélation entre la toxicité cutanée et la réponse au cétuximab (p = 0,034) et la survie globale des patients (grade 2-3 versus grade 0-1 : 13,9 mois versus 8,2 mois, p = 0,029). L’analyse combinée du statut mutationnel de KRAS et de la toxicité cutanée montrait que la survie globale des patients ayant deux facteurs de “bon pronostic” (à la fois non mutés KRAS et ayant une toxicité cutanée sévère de grade 2-3) était significativement plus longue (médiane : 15,6 mois) que celle des patients n’ayant qu’un seul facteur de “bon pronostic” (10,7 mois) et de ceux n’ayant aucun facteur de “bon pronostic” (5,6 mois, p = 0,0008). En analyse multivariée, les mutations de KRAS étaient un facteur pronostique indépendant à la fois sur la survie sans progression (HR = 3,3 ; IC95 [2-5,4]) et sur la survie globale (HR = 2,4 ; IC95 [1,4-4,1]) alors 201 Échos des congrès É chos des congrès que la toxicité cutanée était un facteur pronostique indépendant uniquement sur la survie globale (HR = 2,2 [1,2-3,9]). Une évaluation prospective de la valeur prédictive et pronostique des mutations de KRAS doit donc désormais être réalisée afin de confirmer ces résultats. EN BREF L’équipe de Tabernero a présenté en poster les résultats de tolérance, pharmacocinétique et pharmacodynamique d’une étude de phase I évaluant des doses croissantes bimensuelles de cétuximab (400 mg/ m2 à 700 mg/m2) comparées à la dose standard hebdomadaire (400 mg/m2, puis 250 mg/m2) associé à du FOLFIRI en première ligne métastatique dans le cancer colorectal. Cette étude confirme un profil pharmacocinétique et pharmacodynamique comparable des deux schémas hebdomadaire et bimensuel, en particulier aux doses de 500 et 600 mg/m2, avec un niveau de concentration plus élevé pour la dose de 700 mg/m2. Le profil de toxicité semblait également comparable, si l’on excepte une dyspnée de grade 4 avec décès chez un patient du groupe 700 mg/m2 bimensuel (dyspnée associée à une progression tumorale) et en tenant compte du faible effectif de patients dans chaque groupe à doses croissantes de cétuximab (n = 51 au total). Le cétuximab à la dose bimensuelle de 500 mg/m2 semble donc pouvoir être une alternative au schéma hebdomadaire habituel (Cervantes et al., late-breaking, abstract 352). Plusieurs posters consacrés à des études in vitro sur lignées cellulaires tumorales ou à des études précliniques sur modèles animaux de xénogreffes tumorales ont montré des résultats intéressants de combinaisons synergiques associant le cétuximab à d’autres molécules : l’IMC-A12, un anticorps monoclonal antirécepteur de l’IGF1 (insulin-like growth factor-1) dans un modèle de xénogreffe de cancer du pancréas (Prewett et al., abstract 652) ; des inhibiteurs des histones déacétylases dans plusieurs lignées cellulaires de cancer colorectal (LaBonte et al., abstract 683) ; le DMXAA (AS1404), un agent de ciblage vasculaire dans un modèle de xénogreffe de cancer bronchique (Green et al., abstract 3996) ; le DC101, un anticorps monoclonal antirécepteur de type 2 du VEGF (Corcoran et al., abstract 4097) dans plusieurs lignées cellulaires de cancer colorectal ou le dasatinib, un inhibiteur de tyrosine kinase Src (Kopetz et al., abstract 4079). Ce dernier associé au cétuximab augmente également la radiosensibilité de lignées cellulaires de cancer des VADS (Raju et al., abstract 3108), tandis que le cétuximab potentialise à lui seul l’effet cytotoxique des radiations ionisantes dans des lignées cellulaires de cancer bronchique non à petites cellules (Brooks et al., abstract 3111), et que l’adjonction du cétuximab permet de diminuer de façon plus importante la croissance des cellules tumorales déjà induite par l’association de gemcitabine et de radiations ionisantes dans des lignées de cancer du pancréas (Morgan et al., abstract 749). RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES 1. Chung et al. J Clin Oncol 2005;23:1-8. 2. Hebbar et al. Anticancer Drugs 2006;17:855-7. Interview d’Alberto Sobrero (hôpital San Martino, Gênes, Italie) > Quels sont les principaux résultats de l’étude EPIC que vous avez présentée ce jour ? A. Sobrero Cette étude montre un bénéfice significatif du taux de réponse objective et de la survie sans progression de l’association cétuximab + irinotécan comparée au cétuximab en monothérapie en deuxième ligne de traitement du cancer colorectal métastatique après échec d’une chimiothérapie à base d’oxaliplatine. En revanche, il n’y avait pas de bénéfice en survie globale (objectif principal de l’étude), mais cela peut être expliqué par le cross-over, puisque près de 50 % des patients du bras irinotécan seul ont finalement pu recevoir l’association cétuximab + irinotécan après avoir progressé. > Cela signifie-t-il que la survie globale n’est pas l’objectif principal le plus approprié dans un essai randomisé de deuxième ligne thérapeutique dans le cancer colorectal métastatique ? AS En effet, car dans cette situation, tout comme en première ligne thérapeutique, compte tenu des différents agents anticancéreux dont on dispose encore après progression et qu’il paraît difficile de refuser aux patients, même dans le cadre d’essais, 202 il est certain que la survie sans progression est probablement plus adaptée que la survie globale pour évaluer le bénéfice d’une nouvelle association ou d’une nouvelle molécule, puisqu’elle n’est pas modifiée ou perturbée par un éventuel cross-over, comme cela a pu être le cas dans notre étude. > Faut-il totalement exclure le cétuximab après progression sous oxaliplatine en deuxième ligne thérapeutique ? AS Les résultats de l’étude EPIC ne nous permettent pas, à l’heure actuelle, de changer nos pratiques concernant la prescription de cétuximab, notamment en association avec l’irinotécan, qui doit rester indiqué en cas de progression sous une chimiothérapie à base d’irinotécan, ce qui n’était pas le cas dans cette étude, puisque les patients étaient en progression après une première ligne de chimiothérapie à base d’oxaliplatine et n’avaient donc pas reçu d’irinotécan. Cependant, ces résultats peuvent tout de même avoir un impact sur nos pratiques, compte tenu du bénéfice significatif observé en termes de réponse tumorale objective et de survie sans progression de l’association cétuximab + irinotécan qui, selon moi, pourrait être envisagée chez des patients ayant une maladie très symptomatique et progressive, et bien sûr informés. La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 5 - mai 2007