Étude FIRE-3 : les raisons d’un échec d’une étude randomisée de phase III comparant deux schémas efficaces dans les cancers colorectaux métastatiques J. Bennouna* L’ étude FIRE-3 a parcouru l’année 2013 en égrenant ses résultats dans 3 congrès : congrès américain en oncologie clinique (Chicago), résultats pour la population wtKRAS (exon 2) [1] ; WCGIC (Barcelone), traitements délivrés en deuxième ligne (2) ; ESMO (Amsterdam), restriction des paramètres d’efficacité à la population wtRAS (KRAS, NRAS exons 2,3,4) [3]. La comparaison directe de 2 standards, FOLFIRIcétuximab et FOLFIRI-bévacizumab, mais aussi l’étrangeté des résultats sont les raisons d’un succès 2013 pour l’étude FIRE-3. L’oncologue, pour autant, est-il soumis à un changement des pratiques ? Feu vert pour l’étude FIRE-3 : un taux de réponses objectives (RO) et une médiane de survie sans progression (SSP) identiques ; une toxicité majorée avec FOLFIRIcétuximab ; une inefficacité du cétuximab pour les tumeurs RAS muté Le taux de RO, en intention de traiter, est de 65,5 % (FOLFIRI-cétuximab) versus 59,6 % (FOLFIRIbévacizumab) pour la population wtRAS (2). * Institut de cancérologie de l’Ouest, Nantes-Angers. La différence n’est pas significative (tableau IA). Les autres composantes de la réponse n’ont été communiquées que pour la population wtKRAS exon 2 (1). Le taux de stabilité est statistiquement en faveur de FOLFIRI-bévacizumab (28,8 % versus 17,5 %). Le taux de réponses complètes, faible dans les 2 bras est à l’avantage de FOLFIRI + cétuximab (4,4 % versus 1,4 %) (tableau IB). Au total, le taux de contrôle de la maladie (taux de RO + stabilité), non précisé par les auteurs, est supérieur dans le bras FOLFIRI + bévacizumab (79,5 % – 237 patients – versus 86,8 % – 256 patients). Les courbes de SSP sont strictement superposables avec des médianes identiques (tableau IA). Il existe un plateau à 10 mois, quelle que soit la combinaison bi-chimiothérapie + thérapeutique ciblée utilisée (tableau II) [4-6]. Dans l’étude TRIBE, c’est l’ajout d’un cytotoxique (oxaliplatine) qui permet de franchir cet obstacle avec une médiane de SSP de 12,2 mois pour FOLFOXIRI + bévacizumab versus 9,7 mois pour FOLFIRI + bévacizumab (HR = 0,73 ; IC95 : 0,60-0,88) [tableau IIC]. L’étude FIRE-3 confirme les toxicités totalement différentes des 2 combinaisons. Elles ne sont décrites que pour la population wtKRAS (tableau III) [1]. Il est retenu, quel que soit le grade, plus de nausées (62,4 % versus 48,2 %), de vomissements (32,9 % versus 24,6 %), de saignements (28,5 % versus 21,2 %), d’abcès/fistule (5,4 % versus 1,4 %), et d’hypertension artérielle (38,3 % versus 21,2 %) avec FOLFIRI + bévacizumab (tableau III). Pour ces événements, les différences s’annulent pour les toxicités grade 3/4, en particulier l’hypertension artérielle (6,4 % versus 6,8 %) et les saignements (0,7 % versus 0,3 %). 486 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 11 - décembre 2013 CONTRO CONTROVERSE CO O VERSE Tableau I. Première ligne de traitement des CCRm – Résultats de l’étude FIRE-3. A. Paramètres d’efficacité – Statut wtRAS – ESMO 2013. FOLFIRI + cétuximab FOLFIRI + bévacizumab 171 171 65,5 % 59,6 % p = 0,32 Médiane de SSP 10,4 mois 10,2 mois 0.93 (0.74 – 1.17) Médiane de SG 33,1 mois 25,6 mois 0.70 (0.53 – 0.92) n Taux de RO HR B. Évaluation de la réponse – Statut wtKRAS exon 2 – Congrès américain en oncologie clinique 2013. RECIST FOLFIRI + cétuximab FOLFIRI + bévacizumab 297 295 n Taux de RC 13 (4,4 %)* 4 (1,4 %)* Taux de RP 171 (57,6 %) 167 (56,6 %) Stabilité 53 (17,5 %)* 85 (28,8 %)* Progression 21 (7,1 %) 16 (5,4 %) Non évaluable 39 (13,1 %) 23 (7,8 %) * Différence significative pour la réponse. NB : le taux de contrôle de la maladie dans le bras FOLFIRI-cétuximab est de 79,5 % (237 patients) versus 86,8 % (256 patients). Tableau II. Première ligne de traitement des CCRm – Études CRYSTAL, PRIME et TRIBE. A. Étude CRYSTAL – Statut wtKRAS exon 2. FOLFIRI FOLFIRI + cétuximab 350 316 Taux de RO 39,7 % 57,3 % p < 0,001 Médiane de SSP 8,4 mois 9,9 mois 0,696 (0,558 – 0,867) Médiane de SG 20,0 mois 23,5 mois 0,796 (0,670 – 0,946) FOLFOX4 FOLFOX4 + panitumumab HR 259 253 - - - Médiane de SSP 7,9 mois 10,1 mois 0,72 (0,58 – 0,90) Médiane de SG 20,2 mois 26 mois 0,78 (0,62 – 0,99) FOLFIRI + bévacizumab FOLFIRINOX + bévacizumab HR n 256 252 Taux de RO 53 % 65 % 0,006 Médiane de SSP 9,7 mois 12,2 mois 0,73 (0,60 – 0,88) Médiane de SG 25,8 mois 31 mois 0,83 (0,66 – 1,05) n HR B. Étude PRIME – Statut wtRAS exon 2. n Taux de RO C. Étude TRIBE – Statut RAS non déterminé. Inversement, les toxicités cutanées, quel que soit le grade sont nettement aggravées avec FOLFIRI + cétuximab. Une attention plus importante doit être portée à l’hypocalcémie et à l’hypomagnésémie en cas de prescription de FOLFIRI + cétuximab. Le tableau III ne mentionne pas la protéinurie (2,7 % versus 2,0 %), les perforations gastrointestinales (0,3 versus 0,7 %), et les événements thromboemboliques (7,4 % versus 7,1 %) en raison de l’absence de différence entre les 2 bras. Alors que largement connues pour le bévacizumab, les complications thromboemboliques font aussi partie du cortège des effets secondaires des antiEGFR. En 2011, une méta-analyse de 13 études (7 611 patients) a rapporté des risques thromboemboliques veineux majorés avec le cétuximab et le panitumumab (RR = 1,34 ; p = 0,01) [7]. FIRE-3 confirme la totale inefficacité, voire l’action délétère de FOLFIRI + cétuximab pour les tumeurs exprimant le statut RAS muté (KRAS, NRAS exons 2,3,4), soit 50 % des CCRm. C’est le début de la médecine de précision, plus tard guidée par le développement des “omics” et resserrant le champ d’activité des anticorps anti-EGFR. Le bévacizumab, par son action sur le micro-environnement tumoral, en particulier les cellules endothéliales génétiquement stables possède une action plus large combinée au choix de la chimiothérapie par l’oncologue. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 11 - décembre 2013 | 487 Tableau III. Évaluation des toxicités – Étude FIRE-3 – Statut wtKRAS exon 2 – Congrès américain en oncologie clinique 2013. Seules sont indiquées les différences significatives entre les 2 bras. FOLFIRI + cétuximab (n=297) n Tous grades Grade ≥ 3 FOLFIRI + bévacizumab (n=295) Tous grades Grade ≥ 3 p ≥ grade 3 Toxicités majorées pour la combinaison FOLFIRI + bévacizumab Nausées 48,2 % 3,4 % 62,4 % 4,8 % 0,414 Vomissements 24,6 % 2,4 % 32,9 % 3,4 % 0,473 Hypertension 21,2 % 6,4 % 38,3 % 6,8 % 0,870 Saignements 21,2 % 0,7 % 28,5 % 0,3 % 0,498 1,4 % 0,3 % 5,4 % 1,0 % 0,372 Abcès/fistule Toxicités majorées pour la combinaison FOLFIRI + cétuximab Syndrome pieds-mains 26,6 % 3,4 % 14,2 % 0,7 % 0,037 Syndrome acnéiforme 77,4 % 16,8 % 7,8 % 0,0 % < 0,0001 Desquamation 35,4 % 6,7 % 11,5 % 0,7 % 0,0001 Paronychies 37,4 % 5,7 % 9,2 % 0,0 % < 0,0001 Réaction allergique 7,7 % 4% 0,0 % 0,0 % 0,007 Hypocalcémie 27,6 % 4% 15,3 % 2,4 % 0,351 Hypomagnésémie 63,3 % 4,4 % 39,7 % 0,7 % 0,007 Feu orange pour l’étude FIRE-3 : de multiples imprécisions et le choix d’un objectif principal discutable Au cours des 3 présentations de l’étude FIRE-3, de nombreuses imprécisions peuvent être signalées. Elles sont résumées ci-dessous. ➤ Congrès américain en oncologie clinique 2013 Imprécision sur le nombre de patients non évaluables pour la réponse : exclusion de 66 patients dans le tableau “diagramme des inclusions” versus 62 patients dans le tableau “évaluation des réponses”. ➤ ESMO 2013 – Imprécision entre le “Late-Breaking Abstract” (LBA) et la présentation orale : 334 versus 342 tumeurs wtRAS. ➤ ESMO 2013 – Imprécision ou manquement de la comparaison des caractéristiques démographiques des 2 groupes de traitement (tumeurs wtRAS). Elles sont uniquement décrites pour la population globale évaluée pour RAS (407 patients) et comparées à la population wtKRAS (592 patients). Un déséquilibre des caractéristiques des patients entre les 2 groupes (avec une tumeur wtRAS) ne peut être exclu. Peut-être ont-elles peu ou pas de conséquences sur les résultats de l’étude. Elles soulignent cependant qu’avant publication finale, les résultats doivent être interprétés avec certaines réserves. Le choix du taux de RO comme objectif principal est discutable, voire largement critiquable. Retenons comme publié dans le LBA de l’ESMO 2013 (population wtRAS) la différence significative du taux de RO (76 % versus 65,2 % ; p = 0,026) en ne considérant que les patients évaluables pour la réponse (n = 301). Le critère RECIST est une évaluation simple et facile de la réponse au traitement. Il obère cependant totalement les réponses morphologiques spécifiques au bévacizumab (densité de la tumeur, interface tumeur foie sain, halo périphérique tumoral) [8]. Ces réponses morphologiques sont corrélées à la SG, à l’inverse des critères RECIST. Si l’augmentation des réponses a pour objectif un plus grand nombre de chirurgie des métastases, et donc plus de guérisons, alors seuls les patients avec une maladie métastatique potentiellement opérable doivent être inclus. C’est l’exemple de l’étude OLIVIA qui comparait FOLFOX6 + bévacizumab à FOLFOXIRI + bévacizumab (9) ou de l’étude METHEP2/PRODIGE14 conduite actuellement en France. La question même de l’intérêt d’une étude randomisée de phase III, incluant 592 patients, ayant pour objectif principal le taux de RO sans définir au préalable une population de patients avec une maladie métastatique potentiellement opérable est posée. Feu rouge pour l’étude FIRE-3 : l’analyse de la survie globale et l’oubli des traitements de maintenance et des stratégies multilignes La médiane de SG est de 33,1 mois pour FOLFIRIcétuximab et de 25,6 mois pour FOLFIRI-bévacizumab (tableau IA) [3]. Plus intrigant, les courbes de SG, solidaires au-delà de la médiane de SSP, divergent progressivement à 12 mois et l’éloignement devient effectif après 18 mois. À ce moment, la majorité des patients restant échappent à une 488 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 11 - décembre 2013 Références bibliographiques 1. 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La médiane de SSP est un marqueur de substitution de la SG, ou “surrogate endpoint” des Anglo-Saxons. Il a été validé dans les CCRm par l’établissement d’un coefficient de corrélation entre SSP et SG (10-12). Reconnaître la médiane de SSP comme objectif principal possède de nombreux avantages facilitant la faisabilité de l’étude (nombre plus faible de patients, moindre suivi) et éliminant l’impact des lignes ultérieures sur la SG. Le choix de la SG comme objectif principal peut perdre de sa pertinence au moment de l’analyse des résultats lorsque les standards thérapeutiques se sont éventuellement modifiés et n’ont pu être introduits dans l’étude au bénéfice des patients (10). Ce dernier point est crucial. Deux études récentes proposent de nouvelles stratégies thérapeutiques dans les CCRm. ➤ La poursuite du bévacizumab en deuxième ligne après progression avec switch de chimiothérapie améliore la SG de 9,8 mois à 11,2 mois (HR = 0,81 ; IC95 : 0,69-0,94 ; p = 0,0062) et la SSP de 4,1 mois à 5,7 mois (HR = 0,68 ; IC95 : 0,59-0,78 ; p = 0,0001) [13]. Pour les patients avec une tumeur wtKRAS, le bénéfice du continuum bévacizumab en première et deuxième lignes métastatiques est majeur avec une médiane de SG de 15,4 mois versus 11,1 mois (HR = 0,69 ; IC95 : 0,53-0,90 ; p = 0,0052) et une médiane SSP de 6,4 mois versus 4,5 mois (HR = 0,61 ; IC95 : 0,49-0,77 ; p < 0,0001) [14]. ➤ L’étude CAIRO3 valide le concept de la maintenance par capécitabine + bévacizumab par comparaison à un arrêt thérapeutique avec une augmentation de la médiane de SSP de 4,1 à 8,5 mois (HR = 0,44 ; IC 95 : 0,37-0,53) déterminée après 6 cycles de capécitabine + oxaliplatine + bévacizumab (15). Dans l’étude FIRE-3, les médianes de traitement par FOLFIRI-bévacizumab et FOLFIRI-cétuximab sont de 5,3 mois et 4,8 mois. Ces durées sont relativement courtes, en particulier pour le bras avec bévacizumab. Pour le bras FOLFIRI-cétuximab, la poursuite du traitement est contrainte par les toxicités cutanées et des phanères des anticorps antiEGFR (tableau III). Il est probable que les patients inclus dans le bras FOLFIRI-bévacizumab n’ont pas de reçu de traitement d’entretien par capécitabine plus bévacizumab, et un petit nombre d’entre eux a été traité selon la stratégie TML (11,5 % des patients avec un statut wtKRAS ont reçu en deuxième ligne une combinaison fluoropyrimidine + oxaliplatine + bévacizumab). Plus qu’un déséquilibre dans les lignes ultérieures (sous réserve des troisièmes lignes administrées), il s’agit d’un défaut de stratégie optimale dans le bras avec bévacizumab. Éliminant le rôle des lignes ultérieures, les auteurs ont évoqué la profondeur de la réponse et la réponse tumorale précoce comme facteur prédictif de la SG. Cette hypothèse a été formulée lors d’une analyse groupée des études CRYSTAL et OPUS (16, 17). Il existe une forte valeur prédictive de ces 2 paramètres pour la SG, mais aussi pour la SSP. La même conclusion avec les mêmes paramètres est applicable à FOLFOXIRI plus bévacizumab versus FOLFIRI + bévacizumab dans l’étude TRIBE (18). Retenir l’argument de l’intensité de la profondeur de la réponse tumorale pour expliquer les résultats de l’étude FIRE-3 ne serait justifié que si l’augmentation de la SG s’accompagnait d’une meilleure SSP. En conclusion L’oncologue n’est pas soumis avec les résultats de l’étude FIRE-3 à un changement des pratiques. Les paramètres d’efficacité, taux de RO selon les critères RECIST, et médiane de SSP sont identiques pour les patients un CCRm wtRAS traités par FOLFIRIcétuximab ou FOLFIRI-bévacizumab. L’augmentation apparente de la médiane de SG avec FOLFIRI-cétuximab dans l’étude FIRE-3 doit s’accompagner de l’analyse des points suivants : ➤ séparation des courbes de SG au-delà de 18 mois sans description des traitements de troisième ligne ; ➤ absence de traitement de maintenance dans le bras FOLFIRI-bévacizumab ; ➤ faible proportion de patients traités selon la stratégie TML. La controverse peut s’arrêter là. FOLFIRI-cétuximab et FOLFIRI-bévacizumab, avec des profils de toxicité différents, sont 2 traitements à l’efficacité comparable, sous réserve d’une stratégie postpremière ligne bien définie et optimale. Il est urgent d’attendre les résultats de l’étude CALGB 80405 dont l’objectif principal est la SG avec environ 1 200 patients inclus. ■ J. Bennouna déclare avoir des liens d’intérêts avec Roche. La Lettre du Cancérologue • Vol. XXII - n° 11 - décembre 2013 | 489