Guidelines et conférences de consensus sur le traitement des troubles bipolaires

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L’Encéphale (2008) Supplément 4, S150–S153
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p
Guidelines et conférences de consensus
sur le traitement des troubles bipolaires
C. Henry
Pôle de psychiatrie Universitaire, Hôpital A. Chenevier, 94000 Créteil
Les recommandations les plus récentes du NICE [4] et celles
du CANMAT [6] insistent particulièrement sur la place centrale du patient dans la prise en charge. Celui-ci doit être
informé sur sa maladie et son traitement ; il participe aux
décisions sur son traitement. De plus, et il est important de
prendre en compte les résultats des traitements antérieurs
et les préférences du patient.
Pour poser le diagnostic, le NICE recommande de s’appuyer sur l’anamnèse des épisodes thymiques et des symptômes résiduels, sur la recherche des antécédents familiaux,
sur la recherche des pathologies associées, particulièrement somatiques. Il est également recommandé de réaliser
un entretien avec un membre de la famille et d’inciter le
patient à faire des auto-évaluations du patient.
Traitement des épisodes maniaques,
hypomanes et mixtes
Dans les recommandations du NICE sur le traitement de
l’épisode maniaque ou hypomaniaque figurent tout d’abord
des conseils généraux à donner aux patients : éviter les stimulations, avoir des activités calmes, éviter de prendre
des décisions importantes, respecter un ordre du jour
ordonné et raisonnable incluant un rythme de sommeil
régulier. D’un point de vue médical, il convient d’arrêter
immédiatement ou progressivement (du fait du risque de
symptômes de sevrage et notamment d’insomnie) les antidépresseurs, et de prendre en compte le traitement prophylactique.
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
Sur le plan médicamenteux, le traitement des épisodes
(hypo)maniaques des patients sans traitement prophylactique repose en premier lieu sur le valproate, le lithium
(avec une titration progressive) ou un antipsychotique. En
cas de symptomatologie sévère – même sans dimension
délirante –, le choix se porte vers les antipsychotiques atypiques (olanzapine, rispéridone), et, en cas d’absence de
réponse, vers l’association d’un antipsychotique et du
lithium ou du valproate. S’il existe des troubles du comportement majeur, les benzodiazépines peuvent s’avérer utiles.
Le traitement des épisodes (hypo)maniaques des
patients avec traitement prophylactique dépend de celuici. En cas de lithiothérapie, il faut viser une augmentation
de la concentration (jusqu’à 1,0 mmol/L), et si la réponse
est insuffisante on peut adjoindre un antipsychotique ; on
peut également suggérer de faire un dosage du lithium
intraérythrocytaire.
En cas de traitement par valproate, il est recommandé
d’augmenter la dose jusqu’à l’amélioration des symptômes
ou jusqu’à l’apparition d’effets indésirables ; là encore, si
la réponse est insuffisante, on peut adjoindre un antipsychotique.
En cas de traitement par antipsychotique, on peut augmenter la posologie si le traitement est insuffisant, ou
ajouter du lithium ou du valproate.
Les recommandations du NICE [4] concernant le traitement des épisodes mixtes sont les mêmes que pour les épisodes maniaques sans préférence pour un traitement
Guidelines et conférences de consensus sur le traitement des troubles bipolaires
Mean score
Excitation 40
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Patients euthymiques
*** p < 0,0001
Figure 1 2 sous-types de dépression en utilisant MAThyS [3].
120
Hyporeactivity
100
Hyperreactivity
80
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40
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Jusqu’en 2003, toutes les recommandations de traitement
des dépressions bipolaires plaçaient en première intention
les thymorégulateurs, puis les antidépresseurs et éventuellement les ECT en cas de symptomatologie sévère. En 20032005, la démonstration de l’efficacité des antipsychotiques
atypiques dans les dépressions bipolaires constitue une
véritable révolution (olanzapine +/– fluoxétine [1] ; quétiapine, [5]).
De nouvelles versions des guidelines ont donc été
publiées, modifiant les algorithmes thérapeutiques : le
Consensus du Texas place ainsi les antipsychotiques atypiques en seconde intention après les thymorégulateurs, et
les antidépresseurs seulement en quatrième position ; de
la même façon, le CANMAT en 2005 et le NICE en 2006 placent en première intention les associations thymorégulateur et ensuite proposent d’y associer un antidépresseur de
type inhibiteur de la recapture de la sérotonine ou un antipsychotique.
Ces nouvelles recommandations laissent néanmoins
subsister diverses interrogations.
Tout d’abord, il n’existe que peu d’études probantes
(contrôlées randomisées en double aveugle) sur l’effet des
antidépresseurs dans la dépression bipolaire : le niveau de
preuve ne peut être atteint, et il existe ainsi une surreprésentation des études avec les antipsychotiques atypiques,
ainsi que de possibles biais dus au recrutement non consécutif des patients dans les études présentées.
Par ailleurs, il faut rappeler l’hétérogénéité de dépressions bipolaires. La décision thérapeutique est relativement simple, précise les recommandations du Texas, quand
le patient présente un épisode dépressif majeur sans labilité de l’humeur ou hypomanie. Toutefois, de nombreux
patients présentent des symptômes dépressifs typiques,
associés à des périodes d’hypomanie dysphorique, de labilité de l’humeur, d’irritabilité et d’autres tableaux compliqués et/ou intriqués.
Le choix entre antidépresseurs et antipsychotiques dans
le traitement de la dépression bipolaire est une question
cruciale ; ce choix peut se faire selon les caractéristiques
cliniques de la dépression bipolaire, ou selon des indicateurs de réponse aux différents traitements.
L’approche dimensionnelle peut permettre de caractériser l’hétérogénéité clinique des troubles bipolaires, selon
la dimension de réactivité émotionnelle et un niveau global
d’activation ou d’inhibition. Selon cette approche, on
obtient ainsi deux groupes de déprimés : les patients hyporéactifs et ralentis et les patients hyper-réactifs sur le plan
émotionnel avec une légère agitation. Selon des résultats
préliminaires, les déprimés hyporéactifs pourraient répondre mieux à l’adjonction d’antidépresseurs, tandis que les
patients hyperréactifs répondraient mieux à l’adjonction
oo
Évolution des guidelines du traitement
des dépressions bipolaires
de faibles doses d’antipsychotiques (Fig. 1 et 2). Quoi qu’il
en soit, si le choix s’est porté vers les antidépresseurs, il
est généralement indiqué qu’au long cours ceux-ci sont
contre-indiqués chez les bipolaires, car ils ne diminuent
pas le taux de récidives et augmentent le risque de
manies.
M
particulier. Il est par contre bien stipulé qu’il ne faut pas
prescrire d’antidépresseur et que ces états nécessitent une
surveillance étroite du fait du risque suicidaire.
S151
** p < 0.01 * p < 0.05
Figure 2 Emotional reactivity as an indicator of the response
to treatment in bipolar MDE ?
En cas de symptômes dépressifs chroniques ou récidivants, des IRS peuvent toutefois être prescrits à petites
doses en association avec les thymorégulateurs, les TCC, ou
la quétiapine ou la lamotrogine. Cependant en règle générale, l’arrêt de l’antidépresseur doit se faire après une
amélioration significative ou une rémission durant depuis
au moins huit semaines, avec une diminution progressive
de l’antidépresseur.
S152
Traitement prophylactique
Le traitement prophylactique de première intention dans le
trouble bipolaire repose sur l’olanzapine, le lithium, ou le
valproate. Le choix dépend des réponses antérieures, des
facteurs de risque de survenue d’effets secondaires (diabète, obésité, maladie rénale), de la préférence du patient,
de son sexe (pas de valproate chez la femme en âge de procréer), et de son statut cognitif, généralement lié à l’âge.
En cas de récidives fréquentes ou de symptômes persistants, il est recommandé d’ajouter une deuxième molécule. En cas de non-efficacité, le recours à la lamotrigine
ou à la carbamazépine est recommandé.
Monitoring lors du traitement
au long cours
Lors de la prise en charge initiale, il est recommandé de
faire un bilan incluant les fonctions thyroïdienne, rénale,
et hépatique, une NFS, une glycémie, un bilan lipidique.
Le poids, la taille, la pression artérielle, les consommations tabagiques et alcooliques doivent être renseignées.
D’autres examens peuvent être demandés selon le cas :
ECG, dosage de stupéfiants, EEG, scanner.
Un bilan annuel doit être effectué quel que soit le traitement, comprenant la fonction thyroïdienne (tous les
6 mois en cas de cycles rapides), la glycémie, le bilan lipidique après 40 ans, le poids, la pression artérielle, les
consommations de tabac et d’alcool. Quel que soit le traitement une surveillance pondérale particulière devra être
instaurée en cas de prise rapide de poids.
Un bilan complémentaire doit être fait en fonction des
traitements suivis. En cas de prise d’antipsychotiques, la
glycémie, le dosage des lipides et la surveillance du poids
doivent être réalisés tous les trois mois (dès le premier
mois avec l’olanzapine). Lors de traitement par la rispéridone et en cas de signe d’hyperprolactinémie un dosage de
la prolactine s’impose.
Pour les patients sous lithium, les fonctions thyroïdienne
et rénale doivent être évaluées tous les 6 mois ; un dosage
de lithiémie doit être pratiqué une semaine après chaque
modification de posologie et tous les trois mois en cas de
traitement stable.
Sous valproate, il faut surveiller la fonction hépatique,
la NFS, le poids tous les 6 mois, et un dosage doit être pratiqué en cas d’insuffisance d’efficacité. La surveillance est
identique lors d’un traitement sous carbamazépine, avec
en plus un ionogramme tous les 6 mois.
Instauration et durée
du traitement prophylactique
Selon les recommandations du NICE, le traitement prophylactique doit être instauré après 2 épisodes ou plus dans le
trouble bipolaire de type I, ou après une phase maniaque
en cas de risques importants ou de conséquences dommageables. Pour ce qui concerne le trouble de type II, le traitement prophylactique l’impose lors d’une perturbation
C. Henry
significative du fonctionnement, de risque suicidaire important ou d’épisodes fréquents.
La durée du traitement prophylactique doit être, après
une phase aiguë, d’au moins 2 ans, ou d’au moins 5 ans en
cas de risque de récidive important (présence de symptômes psychotiques, consommation de toxiques, soutien
insuffisant…).
Dans les formes à cycles rapides, les antidépresseurs
sont proscrits. Il est recommandé d’optimiser la thérapie à
long terme en utilisant le même traitement durant au moins
6 mois, avec éventuellement la tenue par le patient d’un
journal de l’humeur.
Traitement prophylactique
chez la femme en âge de procréer
Du fait de l’insistance du Nice à indiquer que l’acide valproïque est à proscrire chez la femme en âge de procréer,
nous avons fait le point sur les effets tératogènes des principaux thymorégulateurs.
Effets tératogènes de l’acide valproïque
selon la CRAT (cf. site ci-joint)
L’acide valproïque est le plus tératogène des anticonvulsivants et des thymorégulateurs. Il entraîne un syndrome polymalformatif dans 9 à 15 % des cas, avec des anomalies de
fermeture du tube neural (spina bifida dans 2 à 3 % des cas),
des dysmorphies faciales, des fentes labiales et/ou palatines, des craniosténoses, des malformations cardiaques,
rénales, urogénitales et des malformations de membres. On
a également observé des diminutions du QI verbal (le QI global est conservé) et des troubles du comportement. De plus,
on ne peut déterminer avec précision de période à risque
pour l’ensemble du tableau malformatif [2].
Effets tératogènes du lithium
L’aspect malformatif avec le lithium concerne essentiellement la sphère cardiaque, avec une augmentation des cardiopathies de près 7 % (population générale : 0,5 à 1 %), et
une sur-représentation de la maladie d’Ebstein (1 %). La
période à risque de cardiopathie est comprise entre J21 et
J50 après la conception.
Le dépistage anténatal est possible par échographie
cardiaque fœtale, et il est recommandé une échographie
supplémentaire à la 14/15e semaine d’aménorrhée, afin de
détecter les formes graves de maladie Ebstein qui justifieraient une interruption thérapeutique de grossesse.
Il ne semble pas exister d’effets tératogènes pour les
antipsychotiques.
Conclusion
La prise en charge des troubles bipolaires est une prise en
charge longue et difficile. Il est important d’impliquer le
patient dans la décision thérapeutique.
Les antipsychotiques atypiques ont représenté une
avancée importante dans le traitement de la bipolarité ;
Guidelines et conférences de consensus sur le traitement des troubles bipolaires
mais, de même que les thymorégulateurs classiques, ils
nécessitent la pratique de bilans réguliers.
Par rapport aux précédentes recommandations le NICE
met l’accent sur le risque tératogène de l’acide valproïque
et propose un protocole détaillé des modalités de mise en
place et de surveillance des divers traitements.
Références
[1] Calabrese JR, Keck PE Jr, Macfadden W et al. A randomized,
double-blind, placebo-controlled trial of quétiapine in the
treatment of bipolar I or II depression. Am J Psychiatry 2005 ;
162 (7) : 1351-60.
S153
[2] Centre de Référence sur les Agents Tératogènes (CRAT) :
http : //www.lecrat.org
[3] Henry C, M’Baïlara K, Poinsot R et al. Evidence for two types
of bipolar depression using a dimensional approach. Psychother Psychosom 2007 ; 76 (6) : 325-31.
[4] O’Dowd A. NICE issues new guidance to improve the treatment of bipolar disorder. BMJ. 2006 Jul 29 ; 333 (7561) : 220.
[5] Tohen M, Vieta E, Calabrese J et al. Efficacy of olanzapine
and olanzapine-fluoxetine combination in the treatment of
bipolar I depression. Arch Gen Psychiatry 2003 Nov ; 60 (11) :
1079-88.
[6] Yatham LN, Kennedy SH, O’Donovan C et al. Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) guidelines
for the management of patients with bipolar disorder : update
2007. Bipolar Disord. 2006 Dec ; 8 (6) : 721-39.
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