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L’Encéphale (2008) 34, 534—536
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
LETTRE À LA RÉDACTION
Comment évaluer le retentissement cognitif
d’un traumatisme crânien et d’une maladie
bipolaire (ou dépressive grave) dans un parcours de réinsertion professionnelle ?
MOTS CLÉS
Traumatisme crânien ; Dépression ; Maladie bipolaire ;
Fonctions exécutives ; Mémoire ; Plainte ;Réinsertion
sociale
Un certain nombre de filières de soins et de réinsertion sociale et professionnelle sont maintenant proposées à
des sujets jeunes présentant des difficultés comportementales et cognitives compatibles avec une activité en milieu
ordinaire ou protégé, notamment des sujets traumatisés
crâniens ou présentant des pathologies psychiatriques chroniques sinon déficitaires, s’accompagnant de modifications
de la cognition. Toutefois, d’une part certains troubles sont
des obstacles qu’il faut savoir repérer pour ne pas mettre en
échec les sujets et, d’autre part certaines difficultés doivent
être bien évaluées pour orienter au mieux, ceux-ci. On dispose bien sûr d’outils classiques qui mesurent, quantifient
des déficits et les situent par rapport à des normes établies. Ces outils, s’ils ont un intérêt qu’il n’est plus utile
de démontrer, sont parfois pris en défaut dans certaines
situations. Ainsi, en particulier lors de l’atteinte des fonctions exécutives, des patients peuvent même obtenir des
résultats quantitatifs normaux dans une situation de test
artificielle, très encadrée car toute l’information nécessaire
à la résolution de la tâche est présentée d’où le recours
recommandé à des tâches plus écologiques. L’étude menée
par le Groupe de réflexion et d’évaluation des fonctions
exécutives (Grefex) a permis de répertorier pour chaque
processus exécutif, les tests les plus couramment employés
dans les centres de mémoire francophones [2]. Les fonctions
exécutives organisées globalement dans le lobe préfrontal
sont particulièrement altérées chez les traumatisés crâniens
et dans les psychopathologies cognitives [1,4,5]. Le concept
de « système exécutif » renvoie à un ensemble de proces0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2007.11.002
sus dont la fonction principale est de faciliter l’adaptation
du sujet à des situations nouvelles, notamment lorsqu’une
tâche requiert la mise en œuvre de processus contrôlés.
Les déficits les plus fréquents concernent l’initiation et
l’inhibition de l’action, la flexibilité, l’attention divisée, la
génération d’informations, la planification, la résolution de
problèmes (déduction, maintien et commutation de règles),
la mémoire de travail et les stratégies de recherche en
mémoire épisodique. Les troubles des fonctions exécutives
retentissent de façon significative sur les possibilités de
reprise professionnelle, d’adaptation sociale et de loisirs
[1]. Ces difficultés sont à prendre en compte en parallèle
des difficultés attentionnelles qui entraînent distractibilité,
lenteur et fatigabilité, des troubles de la mémoire [1,4,5] et
bien sûr de la conscience de ces troubles (avec une possible
note dépressive réactionnelle) ou à l’inverse, une anosognosie qui rendra difficile l’élaboration d’un projet de vie par
le sujet comme le stipule la loi sur le handicap de février
2005.
Nous avons eu l’opportunité d’évaluer de la même façon,
deux groupes de sujets, de façon conventionnelle et en
utilisant une épreuve écologique de référence au moins
dans le domaine du traumatisme crânien [2]. Le choix
du bilan cognitif qui repose sur les recommandations du
Grefex (2001) [2] comporte l’évaluation de la mémoire
épisodique antérograde (RL/RI-16 items), des fonctions exécutives, de l’attention [fluence lexicale : mots débutant
par la lettre « p » et noms d’animaux produits en deux
minutes, épreuves de Stroop et de TMT formes A et B,
subtest du code (WAIS-III), test d’attention concentrée D2
et subtest d’attention divisée (TEA)] et le test écologique
des six éléments. Parallèlement, nous avons recueilli la
plainte des sujets quant à leur gêne dans la vie quotidienne avec le QAM [6] qui est un questionnaire composé
de 64 questions regroupées en dix rubriques : les conversations, les films et les livres, les distractions, les personnes,
l’utilisation d’objets, les connaissances générales, les lieux,
les actions à effectuer, la vie personnelle, les facteurs
déclenchants. À ces dix rubriques s’ajoute une question
générale : « Avez-vous des problèmes de mémoire dans la
vie quotidienne ? ». Les sujets doivent estimer l’intensité
Le retentissement cognitif d’un traumatisme crânien et d’une maladie bipolaire
de leur gêne sur une échelle analogique visuelle allant
de 0 (jamais) à 5 (toujours). Une note est recueillie pour
chaque question et par rubrique. Tous les sujets réalisent
des échelles d’anxiété et de dépression (échelle de Goldberg
et QD2A).
Nous avons évalué 20 sujets. Le premier groupe est
constitué de dix sujets traumatisés crâniens (neuf hommes
et une femme), âgés en moyenne de 27,8 ans, en moyenne
à 5,5 ans du traumatisme et au moins à deux ans, et ne
présentant pas de troubles psychiatriques avérés. Le niveau
de scolarité antérieur à l’accident est de 10,4 ± 4 ans. Les
sujets bénéficient d’une prise en charge à L’Adapt-Rhône.
Six personnes sont stagiaires au sein de l’Unité d’évaluation,
de réentraînement et d’orientation sociale (UEROS), quatre
personnes sont suivies par le dispositif Service personnalisé d’accompagnement et de suivi dans l’emploi
(SPASE).
Le second groupe est constitué de dix sujets (six hommes
et quatre femmes), âgés en moyenne de 35,6 ans, ayant
des troubles psychiques graves : anxiodépressifs ou bipolaires, suivis par un psychiatre en moyenne depuis 7,8 ans.
Le niveau de scolarité est de 11,3 ± 5 ans. Tous sont traités par thymorégulateurs, antidépresseurs, anxiolytiques,
et/ou neuroleptiques. Les sujets sont accueillis à LIFT
(recherche et formation) à Saint-Étienne (42).
Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du
logiciel SPSS. Les moyennes aux différents tests pour les
deux groupes de sujets ont été comparées à l’aide d’un T
de Student, significatif pour une valeur de t avec p < 0,05.
Puis, une étude de corrélation entre les différentes épreuves
a été effectuée à l’aide du test statistique des corréla-
535
tions de Pearson, significatif pour une valeur de r avec
p < 0,05.
L’analyse des corrélations entre les différentes rubriques
du QAM, les questionnaires thymiques et les tests neuropsychologiques, nous renseigne sur les composantes cognitives
et thymiques impliquées dans la plainte [3,6]. D’une part,
le score global au QAM est relié à l’humeur : plus les sujets
ont un score élevé de dépression, plus ils ont une plainte
cognitive dans la vie quotidienne. Les sujets ont une telle
mauvaise estime de soi que l’on observe des corrélations
entre leur plainte et « les connaissances générales » ou
« l’utilisation des objets ». La mémoire spatiale avec « l’oubli
des lieux » est une rubrique qui apparaît très sensible à
la dépression, peut-être du fait de problèmes spécifiques
d’imagerie mentale ou de planification spatiale classiques
dans la littérature.
D’autre part, le score global au QAM est relié aux capacités cognitives des sujets en double tâche (TEA) : plus les
sujets sont déficitaires en terme d’attention divisée, plus
ils rapportent une gêne dans la vie courante. Les troubles
attentionnels sont en effet une séquelle majeure des pathologies impliquant le lobe frontal et un élément important de
la prise en charge [1,4,5]. La question générale à laquelle
les sujets se plaignent le plus : « Pensez-vous avoir des problèmes de mémoire dans la vie quotidienne ? » n’est corrélée
à aucun score. Elle n’est donc ni le reflet de l’humeur ni des
performances cognitives. Nous suggérons que les réponses
positives traduisent des facteurs subjectifs ou autres tels
que l’autonomie, l’étayage social, les activités de loisirs,
l’estime de ses capacités mnésiques [3,6]. De plus, cela
peut traduire que les difficultés de mémoire sont moins
Figure 1 Questionnaire d’autoévaluation : questions très sensibles dans les deux groupes de patients (plaintes supérieures ou
égales à 2,5).
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gênantes car compensées au quotidien. La fluence formelle,
la condition « interférence du Stroop » entraînent des corrélations négatives, ce qui témoigne de l’importance des
troubles exécutifs (séquence, interférence) sur la gêne ressentie dans la vie courante.
Après cette étude comparative des troubles et des
plaintes cognitives chez les sujets traumatisés crâniens
et dépressifs, nous pouvons recommander l’utilisation du
QAM ou envisager la proposition d’une version réduite du
questionnaire d’autoévaluation de la mémoire commune
à ces deux populations, en isolant les questions où le
score moyen des réponses des deux groupes est supérieur
à 2,5. Cela pourrait constituer un outil pratique et facile
d’emploi pour le suivi évolutif d’une prise en charge et
permettre aux sujets de positionner leur plainte au centre
d’un dispositif élaboré en réponse à leur projet de vie
(Fig. 1).
Références
[1] Alaoui P, Mazaux JM, Masson F, et al. Devenir neuropsychologique à long terme des traumatisés crâniens. Évaluation à cinq
ans des troubles neuropsychologiques et comportementaux par
l’échelle neurocomportementale révisée (à propos de 79 cas).
Ann Readapt Med Phys 1998;41:171—81.
[2] Azouvi P, Didic-Hamel Cooke M, Fluchaire I, et al. Groupe de
réflexion sur l’évaluation des fonctions exécutives (Grefex).
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Neuropsychol 2001;11(3):383—434.
Lettre à la rédaction
[3] Dérouesné C, Alperovitch A, Boyer P. Performances cognitives objectives et plaintes mnésiques. Psychol Med
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[4] Fossati P, Ergis AM, Allilaire JF. Neuropsychologie des troubles
des fonctions exécutives dans la dépression : une revue de littérature. Encéphale 2002;28:97—107.
[5] Smith DJ, Muir WJ, Blackwood DH. Neurocognitive impairment
in euthymic young adults with bipolar spectrum disorder and
recurrent major depressive disorder. Bipolar Disord 2006;8(1):
40—6.
[6] Van Der Linden M, Wyns C, Von Frenkell R, et al. Le QAM : questionnaire d’autoévaluation de la mémoire. Manuel d’utilisation.
Bruxelles: Editest; 1989.
C. Thomas-Antérion ∗
R. Achard
D. Brunet
CAJ L’Adapt-Rhône, 39, rue du Père-Chevrier,
69007 Lyon, France
C. Bellot
LIFT, 6, place de l’Hôtel-de-Ville,
42000 Saint-Étienne, France
∗
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected]
(C. Thomas-Antérion)
Disponible sur Internet le 20 février 2008
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