Mots-clés : Méthadode, buprénorphine, dépendance aux opioïdes, troubles liés à l’usage d’opioïdes Keywords: Methadone, buprenorphine, opioid dependence, opioid related disorders Risque de morbimortalité lié aux médicaments de substitution aux opiacés Risk of morbidity and mortality associated with opioid substitution medications A. Deschenau*, M. Badji*, D. Touzeau* La consommation d’héroïne en France n’appartient pas au passé. Son expérimentation concerne 0,9 % des jeunes de 17 ans en 2011, et 1,2 % des 18-64 ans en 2010 (0,2 % en avaient pris dans l’année écoulée). On estime à 281 000 le nombre d’“usagers problématiques de drogues”. En 2010, 170 000 personnes se sont fait prescrire des médicaments de substitution aux opiacés (MSO), dont 150 000 en médecine de ville. La répartition buprénorphine/méthadone était alors de 65 % versus 35 % (1). Les bénéfices liés à la prescription de MSO chez les usagers dépendants aux opiacés sont maintenant reconnus dans leur efficacité et leur supériorité aux risques encourus à les prescrire. Depuis 2005, la méthadone et la buprénorphine ont été incluses dans la liste des médicaments essentiels de l’OMS (2). Methadone and buprenorphine are the treatments of choice of opioid dependence. The benefits of maintenance programs increase with the length of treatment. Both medications may have adverse effects that can impact compliance and quality of life. Abuse and intoxication (overdose) are rare in France (buprenorphine is deemed having a preventive effect). We review adverse effects, hyperalgesia, drug interactions… Listen to the patient and help him/her to manage unwanted/ adverse effects are indispensable in making treatments acceptable for him/her during many years. U n médicament peut être un MSO à plusieurs conditions : il doit avoir les mêmes propriétés pharmacodynamiques que le produit à substituer ; sa durée d’action doit être d’au moins 24 heures, afin de limiter le nombre de prises, les fluctuations de taux plasmatiques et les effets cliniques consécutifs, dont le manque ; il ne doit pas générer d’euphorie ou d’effet de renforcement pour le produit lui-même et les autres drogues ; il doit s’administrer par voie orale ou sublinguale et ne pas favoriser l’envie de consommer par d’autres voies, en particulier intraveineuse ; il doit être compatible avec une qualité de vie sociale satisfaisante pour l’usager ; il doit enfin, avoir reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication. L’efficacité de tels médicaments est difficile à évaluer, nécessitant des études de puissance suffisante, avec groupe contrôle et suivi de cohorte utilisant des analyses urinaires et des autodéclarations suffisamment sensibles pour repérer les prises de drogues différentes. Néanmoins, les études publiées permettent de recommander la * Pôle addictions, G.H. Paul-Guiraud, Clinique Liberté (Bagneux). prescription d’une posologie adaptée aux besoins du patient et une organisation des soins avec une équipe suffisante en nombre, spécifiquement formée et attentive aux besoins des patients (3). En France, la méthadone (sirop, gélule), la buprénorphine haut dosage (BHD), avec et sans naloxone répondent à des indications médicales proches, celles d’une “dépendance aux opiacés ancienne et avérée”. Elles bénéficient chacune d’un plan renforcé de gestion des risques (la substance et son détournement) et d’une pharmacovigilance, avec des études qui intègrent la toxicité et les événements indésirables. Leurs profils pharmacologiques divergent. Dans les bonnes pratiques cliniques, les modalités d’induction sont comparables, mais les prises, la tolérance, les effets indésirables et les risques relatifs de chacune ont conduit à différencier les modalités de délivrance médecine de ville, d’accès facile, et centre spécialisé pour minimiser les risques de la méthadone en renforçant l’accompagnement psychosocial. Les sulfates de morphine (Moscontin , Skenan ) n’ont pas d’AMM dans cette indication, même si leur usage comme MSO est possible depuis 1996. Ils peuvent être prescrits “à titre exceptionnel, en cas de nécessité thérapeutique (contre-indications, inadaptation ® ® 15 des traitements à la méthadone et à la buprénorphine aux besoins des patients), lorsque l’état du patient l’impose” (4). Données actuelles sur la mortalité des MSO Les données épidémiologiques sur les décès par surdose de stupéfiants en France proviennent de 3 sources : le registre du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc), qui dépend de l’Inserm et repose sur les certificats de décès, le fichier de l’office central pour la répression des trafics illicites de stupéfiants (Ocrtis) et l’étude Décès en relation avec l’abus de médicaments et de substances (Drames) coordonnée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Les décès “indirects” liés aux comorbidités somatiques et aux accidents de la voie publique ne sont pas étudiés. Les chiffres ne sont pas superposables, car les domaines étudiés et les critères d’inclusion diffèrent. Seul le fichier Drames fournit une information sur les substances utilisées. On constate qu’après un pic, atteint au milieu des années 1990, le nombre de décès par surdose chute rapidement jusqu’en 1998. Cette baisse concorde avec l’adoption de la politique de réduction des risques et la diffusion rapide des MSO en France. Le nombre de décès par surdose chez les 15-49 ans s’est stabilisé autour de 300 depuis 2008 selon les dernières données disponibles (5). En 2011, les MSO sont impliqués comme produit principal dans la moitié des décès induits par usage de drogues, les substances illicites et les autres opiacés dans, respectivement, 28 % et 13% des cas. Ainsi les opiacés dans leur ensemble sont en cause en premier lieu dans 79 % de ces décès. Entre 2009 et 2011, la part des substances illicites comme produit principal diminue, celle des MSO augmente (6). La BHD est impliquée dans moins de 40 décès annuels ces dernières années. En 2009, sur 40 décès, 30 étaient sans association à une autre substance psychoactive illicite, mais parmi ces 30 décès, 25 étaient concomitants à la prise d’une autre substance, le plus fréquemment une benzodiazépine ou un médicament psychoactif (7). Les décès liés à la méthadone ont augmenté avec l’élargissement de sa prescription, pour atteindre 109 en 2011. On dénombrait, en 2009, 68 décès directement liés à la consommation de méthadone, dont 48 sans association à une autre substance psychoactive illicite. Là aussi, parmi ces 48 décès, 23 étaient associés à la prise d’une autre substance, le plus fréquemment une benzodiazépine ou un autre médicament psychoactif (6, 7). Des données déjà anciennes, portant sur les années 1994 à 1998, trouvaient un taux annuel de décès au moins 3 fois plus élevé parmi les Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013 Mises au point Mises au point patients traités par méthadone que par BHD. L’équipe de M. Auriacombe (Bordeaux) [8] a fait à cette occasion une simulation du nombre de décès qui auraient eu lieu si tous les patients sous MSO avaient été traités par méthadone. Ce calcul obtenait 288 décès, au lieu des 46 constatés pour cette période. D’autres facteurs sont à considérer : le marché noir de la méthadone s’étend progressivement, parallèlement à l’accroissement de son accessibilité en tant que traitement, et la pureté de l’héroïne en France a diminué depuis 2011, après une période de circulation d’échantillons très dosés incriminés dans l’augmentation du nombre de surdoses mortelles (tableau) [9]. Rapportées à des pays voisins, les données officielles placent la France dans une situation privilégiée. Le nombre de surdoses en France est 4 à 5 fois moindre qu’en Allemagne, et 6 à 7 fois moindre qu’au Royaume-Uni. S’agit-il d’une sousestimation ? C’est l’hypothèse soulevée par une étude de l’OFDT consistant à croiser les données issues des 3 sources, qui l’évalue à 30 % (10). Une autre explication concerne la spécificité française en matière de MSO : la France ayant choisi d’autoriser l’ensemble des médecins généralistes à prescrire de la BHD, en raison d’une moindre dangerosité (effet plafond protégeant des surdoses), environ 75 % des personnes suivant un MSO la reçoivent. En Allemagne et au Royaume-Uni, la méthadone est majoritaire. Le choix de la BHD expliquerait en partie cet écart de mortalité (11). La majorité des surdoses de méthadone survient au début de son utilisation, souvent hors protocole de soins. Dans une étude montpelliéraine, 64 décès étaient possiblement liés à la méthadone (12). Considérant analyses biologiques et résultats de l’autopsie, ils ont finalement attribué la cause du décès à la méthadone seule dans 12 cas, et en association dans 8, soit 20 cas au total. Ces morts ne sont pas toutes dues à une dépression respiratoire. On a aussi décrit un certain nombre de décès par inhalation de vomi, œdème pulmonaire, bronchopneumonie, accident cardiovasculaire et arythmie cardiaque (13). Concernant la BHD, malgré son effet plafond, la coprescription de benzodiazépines (potentialisées par l’alcool) et leur utilisation concomitante par voie intraveineuse a été à l’origine de décès, conduisant à vivement déconseiller cette coprescription, en particulier chez les patients injecteurs (14). Données actuelles sur la morbidité des MSO Le mésusage des MSO L’importance du mésusage varie selon les populations étudiées et dans le temps : ainsi, le pourcentage de patients injecteurs de BHD dans le mois écoulé peut être de 74 % dans les populations précaires et hors prise en charge médicale (15). Toutefois, si l’injection demeure la voie la plus répandue quand le médicament est obtenu hors prescription, elle est également pratiquée par des patients sous protocole. Ainsi, dans la population vue en centres de soins spécifiques pour toxicomanes (CSST) en 2008 (16), 7 % des usagers sous protocole pratiquent l’injection, mais ils sont plus du double (18 %) hors protocole (15). Ces pratiques causent une dégradation veineuse importante, à laquelle s’ajoutent des complications infectieuses et circulatoires (syndromes de Popeye, abcès, etc.), particulièrement fréquentes au sein des populations précaires, celles des centres d’accueil et d’accompagnement à la rééducation des usagers de drogue (Caarud), ciblées par les enquêtes sur les consommateurs de substances psychoactives du dispositif Tendances récentes et nouvelles drogues (Trend) : PREmière Ligne d’Usagers de Drogues (PRELUD), Système d’identification national des toxiques et des substances (SINTES). Grau et al. les ont analysées sur la période de mars 1999 à décembre 2008. Il s’agit de complications infectieuses cutanées (27 cas), ostéo-articulaires (4 spondylodiscites, 1 sacro-iliite), d’endocardites (9 cas) et d’embolie vasculaire avec baisse de l’acuité visuelle (1 cas) [17]. Le “sniff ” est préféré à l’injection intraveineuse pour tenter de réduire les risques. La prise nasale ou “snorting” met des drogues sous forme solide (héroïne, cocaïne..) ou des médicaments (BHD et plus récemment méthadone) au contact de la muqueuse nasale. Cet usage s’est répandu en prison. Près de 30 % des patients stabilisés auraient sniffé leur traitement. Les conséquences n’ont pas été étudiées, ni celles de l’inhalation (produit fumé). Les excipients qui accompagnent le principe actif sont en cause dans les complications du mésusage. Certains sont solubles et réputés ne jouer aucun rôle en cas de dissolution du comprimé. D’autres sont insolubles comme l’amidon de maïs et le stéarate de magnésium (Subutex ) et ont un rôle dans la survenue des complications non infectieuses. Les génériques de la BHD contiennent en outre du talc et de la silice colloïdale anhydre, à l’origine de complications en cas d’inhalation ou surtout d’injection intraveineuse. Le talc peut provoquer la formation de granulomes dans des organes ou tissus (poumon et œil), dont les conséquences peuvent être catastrophiques. Il n’est pas possible de recourir à des études chez l’homme ® Tableau. Substances principalement en cause dans les décès par surdose entre 2006 et 2011. 2006 2007 2008 2009 2010 2011 n % n % n % n % n % n % Héroïne seule ou en association 59 35,1 69 35,9 79 36,4 103 39,6 79 32,0 43 15,5 Cocaïne seule ou en association 31 18,5 39 20,3 30 13,8 32 12,3 16 6,5 19 6,8 Autres substances illicites, seules ou en association 5 3,0 2 1,0 4 1,8 2 0,8 5 2,0 16 5,8 Méthadone seule ou en association 31 18,5 61 31,8 63 29,0 58 22,3 81 32,8 108 38,4 Buprénorphine seule ou en association 20 11,9 11 5,7 21 9,7 31 11,9 40 16,2 34 12,1 Autres médicaments opiacés, seuls ou en association 18 10,7 10 5,2 19 8,8 34 13,1 20 8,1 38 13,4 Autres 4 2,4 0 0,0 1 0,5 0 0,0 6 2,4 22 7,9 Total 168 100,0 192 100,0 217 100,0 260 100,0 247 100,0 280 100,0 Nombre d’experts toxicologues participants nd nd 19 Source : DRAMES (ANSM) nd : non disponible Note : Seuls les décès directement provoqués par un usage de drogues sont mentionnés. Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013 16 25 31 36 Mises au point Mises au point pour tester le mésusage des excipients. Il faut s’en remettre aux données de la pharmacovigilance, qui permettent de détecter des “signaux”, ce qui a été le cas par le CEIP de Nantes pour des lésions cutanées causées par les génériques (18). Face à ce mésusage, la réponse a longtemps été le passage sous méthadone, réputée non injectable. Une alternative est maintenant possible avec la BHD-naloxone. La comparaison d’efficacité entre Suboxone et Subutex (étude RIME) sur la réduction du mésusage du MSO par voie intraveineuse, chez les patients dépendants aux opiacés déclarant s’injecter la BHD au moins 4 fois par semaine et désireux d’arrêter cette pratique, a montré que 89,6 % des patients sous Suboxone sont parvenus à réduire leur nombre moyen d’injections par semaine d’au moins 30,0 % versus 45,8 % dans le groupe Subutex (p < 0,0001) [19]. Le mésusage de la BHD (sniff, injection) concerne une minorité de patients espérant retrouver des sensations. La réaction première des autorités a été de renforcer les contraintes juridiques, transformant l’usager mésuseur en délinquant, ce qui était contreproductif, les éloignant du système sanitaire. Le choix s’est porté sur des mesures simples (un seul médecin et un seul pharmacien par patient, une ordonnance sécurisée). Cela a renforcé le rôle du médecin traitant, souvent sous-estimé (20). La méthadone est aussi utilisée comme substitution “de rue”, mais dans une moindre mesure. En 2008, dans les Caarud, 2,3 % des usagers de méthadone faisaient état d’injection au cours du mois précédent (15). ® ® ® ® Morbidité somatique Rappelons que la méthadone, comme la BHD, peuvent être prescrites lors de la grossesse et qu’aucun effet tératogène n’a été rapporté. La dépression du système nerveux central, de la sédation au surdosage Effet majeur des MSO, comme de tout opiacé, il est fréquent de ressentir une sédation modérée à l’induction. Puis, avec l’installation d’une tolérance, une fois la posologie stabilisée, elle disparaît. En cas de surdosage, l’effet est plus massif, avec troubles de la vigilance et/ou confusion, bradypnée, bradycardie et hypotension, et peut aller jusqu’au coma toxique, voire à l’arrêt cardiorespiratoire. Ces signes sont associés à un myosis serré bilatéral. La dose de 1 mg/kg est mortelle pour un individu non tolérant et des décès par ingestion accidentelle sont décrits chez des enfants. Les parents et les proches doivent être informés du risque d’intoxication pédiatrique et prendre des précautions pour le stockage et le déconditionnement du médicament. Ces troubles peuvent être exacerbés en cas d’association à des produits ou médicaments dépresseurs du système nerveux central et en cas de pathologies respiratoires. Les MSO ayant une demi-vie prolongée, 13 à 47 h pour la méthadone et 24 à 36 h pour la BHD, ils peuvent s’accumuler (21). D’où la règle d’or à l’induction : démarrer doucement, monter progressivement ! La BHD, agoniste partiel des récepteurs opioïdes μ, est à moindre risque du fait de son effet plafond (22). La prise en charge d’un surdosage est hospitalière, en soins intensifs, avec administration continue de naltrexone jusqu’à élimination du produit. Les troubles du sommeil Les troubles du sommeil sont fréquents sous MSO. En cas d’échec des conseils et de l’accompagnement hygiénodiététiques et des thérapies cognitivocomportementales, un traitement hypnotique peut s’avérer nécessaire. Il faut alors préférer les antidépresseurs (en cas de symptômes dépressifs par ailleurs), antihistaminiques, antagonistes de la mélatonine. Une majoration des insomnies sous hypnotiques doit faire rechercher un syndrome d’apnée du sommeil (SAS). Dans une étude chez des patients sous méthadone à posologie stable, 30 % avaient un SAS d’origine centrale ; le score de gravité était corrélé à la posologie (23). Un autre travail a montré que, parmi des personnes sous opiacés, 75 % avaient des troubles du sommeil de type apnée ou hypopnée. Parmi eux, seule la méthadone était liée au SAS d’origine centrale (24). Hyperalgésie et traitement de la douleur Avec le phénomène de tolérance, le seuil de perception de la douleur chez des personnes sous opiacés au long cours est abaissé. Les personnes sous MSO souffriraient aussi plus souvent de pathologies douloureuses. D’ailleurs, un questionnement sur la présence de perturbations de la perception nociceptive préalable à la prise de drogue demeure (25). Les patients sous MSO souffrant de douleurs aiguës doivent bénéficier de traitements antalgiques opiacés, par voie intraveineuse si nécessaire, comme tout patient. Il leur faut souvent des doses plus importantes et une durée de traitement plus longue du fait de leur tolérance aux opiacés. La gestion des douleurs sévères aiguës et/ou chroniques en appelle souvent à une prise en charge spécialisée. Sous méthadone, on favorise le maintien de la posologie et l’association à un opiacé agoniste de demi-vie courte. Autrement, il est possible de fractionner la prise quotidienne de méthadone toutes les 6 à 8 heures, éventuellement en augmentant la posologie. Pour les patients sous BHD, les mêmes modalités de traitement sont envisageables. Par ailleurs, en cas de douleurs aiguës à l’hôpital, il est possible d’interrompre la BHD pour débuter un traitement antalgique opiacé, ou encore de remplacer la BHD par la 17 méthadone associée à un opiacé de demi-vie courte, et de reprendre avec la BHD une fois les douleurs apaisées (25). Les perturbations de la libido Les opiacés sont connus pour causer des dysfonctions sexuelles. Cependant, la BHD aurait un effet beaucoup plus limité. L’équipe de Bliesener (26) a montré la présence d’un taux de testostérone franchement abaissé, et de forts taux de troubles de libido et de l’érection chez les patients sous méthadone comparativement à ceux sous BHD. Dans les cas d’hypogonadisme avéré, un traitement androgénique par testostérone devrait être proposé, d’autant que ces traitements sont bien tolérés par les sujets jeunes. Chez la femme, on observe aussi des troubles du cycle menstruel et de la sexualité. Il est possible, en particulier pour la méthadone, que cela soit dû aux MSO. Cependant, il conviendra toujours de s’assurer, comme chez l’homme, de l’absence d’autres causes médicamenteuses ou toxiques, mais aussi de possibles dysfonctions secondaires à un traumatisme sexuel, fréquent chez ces patientes. Effets divers Céphalées : d’intensité et de fréquence variables, elles sont peu documentées dans la littérature. Constipation : la majorité des patients sous MSO en souffre, et ce de manière chronique. Des conseils diététiques restent la première réponse. Les laxatifs sont utilisés en cas de persistance. Nausées et vomissements : fréquents à l’instauration du traitement, ils tendent à diminuer une fois celui-ci stabilisé. Il faut penser à traiter une éventuelle constipation. Des antiémétiques (méclozine, métoclopramide) ou des inhibiteurs de la pompe à protons peuvent améliorer les symptômes. Hyposialie : tous les opiacés sont à l’origine d’une hyposialie (diminution de la production de salive) qui peut elle-même causer une xérostomie (sécheresse buccale). Ce trouble, parfois associé à une mauvaise hygiène buccodentaire, expliquerait les problèmes dentaires des patients sous MSO, plutôt que de les attribuer à la méthadone sirop et son fort taux de sucre (27). Allergies et œdèmes : les MSO peuvent provoquer des réactions d’hypersensibilisation : prurit, urticaire, rashs cutanés et œdèmes peuvent survenir au décours du traitement. Tolérance hépatique : la méthadone subit une biotransformation oxydative dans le foie, mais peut également y être stockée sous forme inchangée, puis relarguée dans la circulation générale. Cependant, elle peut être administrée aux doses usuelles à des patients souffrant de maladies hépatiques chroniques (même en cirrhose avancée). Lors de maladie hépatique aiguë ou de décompensation d’une maladie Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013 Mises au point Mises au point hépatique chronique, un suivi attentif est nécessaire pour surveiller symptômes de sevrage ou d’overdose. Une adaptation posologique peut être requise. Après absorption, la BHD s’accumule dans divers organes comme le foie, les reins, le tissu musculaire, ainsi que dans le tissu adipeux (rappelons son caractère hautement lipophile) mais aussi les tissus fœtaux. Elle en est relarguée lorsque la concentration plasmatique diminue, et devient disponible au niveau du récepteur opioïde. Cette accumulation hépatique est sans danger si la BHD est prise aux doses usuelles par voie sublinguale, bien qu’elle puisse provoquer une légère augmentation du taux sérique d’alanine aminotransférase (ALAT) chez certains patients. Quelques cas d’hépatite cytolytique ont été rapportés après mésusage de la BHD (injection intraveineuse) [19]. Les effets indésirables spécifiques de la méthadone Hypersudation : jusqu’à 70 % des patients s’en plaignent. Elle ne semble pas liée à la posologie. Il faut la distinguer d’une sudation liée à un état de sevrage, puis proposer de réduire toute substance aux mêmes effets (alcool, café, etc.) et, si nécessaire, discuter l’intérêt d’un traitement anticholinergique (bipéridène, atropine) aux effets secondaires non négligeables (28). Prise de poids : non citée par le Vidal, aucune étude n’en ayant déterminé la prévalence et les facteurs de risque, cet effet est pourtant décrit. Cette prise de poids est souvent conséquente (plus de 20 kg), au-delà de l’effet d’une reprise de l’alimentation souvent réduite en période de consommation d’héroïne (28). La ration calorique de chaque flacon unidose, qui varie de 11 kcal à 45 kcal, ne peut suffire à expliquer ces prises de poids (29) et il faut chercher d’autres causes : coprescription d’antipsychotiques, troubles alimentaires et/ou mauvaise hygiène alimentaire liée à la précarité, problèmes dentaires, etc. Les interactions avec des médicaments et substances psychotropes La méthadone Les capacités cognitives Allongement QT : il a été prouvé que la prise de méthadone est associée à une prolongation de l’intervalle QT et peut provoquer des arythmies ventriculaires par torsades de pointes. Le retard de repolarisation cardiaque en est responsable. De plus, la méthadone possède des propriétés chronotropes négatives ; or, il a été observé que les torsades de pointes iatrogènes sont souvent déclenchées pendant des périodes de bradycardie. De façon pragmatique, un ECG doit être pratiqué à l’instauration, lors des augmentations de posologie ou de l’ajout de médicaments “torsadigènes” (31) : antiarythmique de classe Ia et III, certains neuroleptiques, certains antiparasitaires, certains macrolides, etc. D’autres associations comportent un risque cardiaque et requièrent une précaution d’emploi : hypokaliémiant, bradycardisant. Les traitements concurrençant le métabolisme de la méthadone : elle est métabolisée quasi exclusivement dans le foie par le cytochrome CYP3A4, bien que les cytochromes CYP2D6, CYP2C9 et CYP2C19 semblent également y participer. La variabilité de biodisponibilité de la méthadone est principalement due à des variations interindividuelles dans l’expression du cytochrome CYP3A4. C’est une enzyme inductible par plusieurs médicaments, comme les anticonvulsivants, la rifampicine ou les antirétroviraux. L’utilisation de telles molécules risque de provoquer une diminution des concentrations plasmatiques de méthadone, ce qui doit être particulièrement surveillé chez les patients atteints du VIH afin d’éviter l’apparition d’un état de sevrage. La buprénorphine : le métabolisme hépatique est effectué par déalkylation et glucuronoconjugaison, impliquant le cytochrome CYP3A4 pour la déalkylation, ce qui explique les interactions potentielles avec d’autres substances mettant en jeu ce système (antifongiques azolés, antiprotéases, anticonvulsivants, etc.). Les risques d’interactions sont moins importants que pour la méthadone (20). Plusieurs études ont maintenant démontré la présence de troubles neurocognitifs induits par les MSO : troubles de la mémoire de travail, de l’attention, perturbation des fonctions exécutives, des capacités de planification. Elles ont montré que ces troubles étaient liés au traitement, car ils s’améliorent, au moins partiellement, une fois la personne sevrée de son MSO (32). En tout état de cause, il faut garder à l’esprit que l’objectif de la prise orale d’un médicament de substitution aux opiacés est de réduire l’envie de consommer sans reproduire l’effet d’une injection d’héroïne (33). Pour tenter de prévenir la morbimortalité, cette différence entre drogue et médicament doit être expliquée au patient. S’il ne l’a pas comprise, il sera déçu du manque d’effet de son MSO et risque de s’engager vers un détournement d’usage ou de prendre des benzodiazépines ou de l’alcool pour essayer de retrouver les sensations du produit antérieurement consommé. v Morbidité psychiatrique et neurocognitive (31) Les troubles psychotiques Les dépresseurs du système nerveux central L’association du MSO avec d’autres dépresseurs du système nerveux central, qu’il s’agisse de médicaments, de substances psychotropes (alcool, autres drogues), doit être évitée ou, le cas échéant, faire l’objet d’une information et d’une vigilance clinique. Les benzodiazépines sont les plus citées car elles sont couramment consommées. Autant que possible, on essaiera d’en rester à une seule molécule, à posologie minimale, pour une durée limitée. Des troubles psychotiques peuvent survenir, mais rarement. Le plus souvent, il s’agit de symptômes d’une psychose, schizophrénique ou non, masqués auparavant par l’usage de l’héroïne. Les troubles dépressifs Les MSO ne les provoquent pas. S’ils se manifestent, il s’agit soit de troubles secondaires à l’usage prolongé d’héroïne qui vont s’améliorer sous MSO, soit de troubles évoluant pour leur propre compte, à traiter. Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013 18 A. Descheneau et M. Badji déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Les liens d’intérêts de D. Touzeau sont consultables sur le site de l’HAS. Références bibliographiques 1. Bastianic T, Brisacier AC, Cadet-Taïrou A et al. Drogues, Chiffres clés, 5e édition. Saint-Denis : OFDT, 2013. 2. Organisation mondiale de la Santé. Listes modèles OMS des médicaments essentiels. Disponible en ligne : www.who.int/medicines/publications/essentialmedicines/fr/index.html 3. Ball JC, Ross A. The effectiveness of methadone maintenance treatment. Patients, progams, services and outcomes. New York: Springer-Verlag Publishing, 1991. 4. Jegu J, Gallini A, Soler P et al. 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Et cela dès son entrée en vigueur, et dans les 9 régions concernées par l’étude. Toutefois, cette réduction était plus faible que la diminution observée des crises d’asthme chez l’enfant de moins de 15 ans (-9 %). Sims M. et coll. : Short-term impact of the smoke free legislation in England on emergency hospital admissions for asthma among adults: a population-based study. Thorax 2013; 68: 619–624. EDIMARK éditeur de la nouvelle publication de l’AFDET Octobre-Novembre-Décembre 2013 Premier numéro déjà disponible Nouvelle formule Découvrez le premier numéro sur http://education-therapeutique.edimark.fr Former, informer ! Éducation thérapeutique : comment vous former et informer vos patients Publication à destination de tous les professionnels de santé Société éditrice : EDIMARK SAS CPPAP et ISSN : en cours Trimestriel Octobre-Novembre-Décembre 2013 20 € Association française pour le développement de l’éducation thérapeutique * Association régie selon la loi de 1901 Publication trimestrielle 19 Abonnez-vous au 01 46 67 62 74 / 87 Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013