Risque de morbimortalité lié aux médicaments de substitution

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Mots-clés : Méthadode, buprénorphine,
dépendance aux opioïdes, troubles liés
à l’usage d’opioïdes
Keywords: Methadone, buprenorphine,
opioid dependence, opioid related
disorders
Risque de morbimortalité
lié aux médicaments de substitution
aux opiacés
Risk of morbidity and mortality associated with opioid
substitution medications
A. Deschenau*, M. Badji*, D. Touzeau*
La consommation d’héroïne en France n’appartient pas au passé. Son expérimentation
concerne 0,9 % des jeunes de 17 ans en 2011, et 1,2 % des 18-64 ans en 2010 (0,2 %
en avaient pris dans l’année écoulée). On estime à 281 000 le nombre d’“usagers
problématiques de drogues”. En 2010, 170 000 personnes se sont fait prescrire des
médicaments de substitution aux opiacés (MSO), dont 150 000 en médecine de ville.
La répartition buprénorphine/méthadone était alors de 65 % versus 35 % (1). Les
bénéfices liés à la prescription de MSO chez les usagers dépendants aux opiacés sont
maintenant reconnus dans leur efficacité et leur supériorité aux risques encourus à
les prescrire. Depuis 2005, la méthadone et la buprénorphine ont été incluses dans
la liste des médicaments essentiels de l’OMS (2).
Methadone and buprenorphine are the treatments of choice of opioid dependence. The benefits
of maintenance programs increase with the length of treatment. Both medications may have
adverse effects that can impact compliance and quality of life. Abuse and intoxication (overdose)
are rare in France (buprenorphine is deemed having a preventive effect). We review adverse effects,
hyperalgesia, drug interactions… Listen to the patient and help him/her to manage unwanted/
adverse effects are indispensable in making treatments acceptable for him/her during many years.
U
n médicament peut être un MSO à
plusieurs conditions : il doit avoir les
mêmes propriétés pharmacodynamiques que le produit à substituer ; sa durée
d’action doit être d’au moins 24 heures, afin de
limiter le nombre de prises, les fluctuations de
taux plasmatiques et les effets cliniques consécutifs, dont le manque ; il ne doit pas générer
d’euphorie ou d’effet de renforcement pour le
produit lui-même et les autres drogues ; il doit
s’administrer par voie orale ou sublinguale et ne
pas favoriser l’envie de consommer par d’autres
voies, en particulier intraveineuse ; il doit être
compatible avec une qualité de vie sociale satisfaisante pour l’usager ; il doit enfin, avoir reçu
une autorisation de mise sur le marché (AMM)
dans cette indication.
L’efficacité de tels médicaments est difficile à
évaluer, nécessitant des études de puissance suffisante, avec groupe contrôle et suivi de cohorte
utilisant des analyses urinaires et des autodéclarations suffisamment sensibles pour repérer les
prises de drogues différentes. Néanmoins, les
études publiées permettent de recommander la
* Pôle addictions, G.H. Paul-Guiraud, Clinique Liberté
(Bagneux).
prescription d’une posologie adaptée aux besoins
du patient et une organisation des soins avec une
équipe suffisante en nombre, spécifiquement
formée et attentive aux besoins des patients (3).
En France, la méthadone (sirop, gélule), la
buprénorphine haut dosage (BHD), avec et sans
naloxone répondent à des indications médicales
proches, celles d’une “dépendance aux opiacés
ancienne et avérée”. Elles bénéficient chacune
d’un plan renforcé de gestion des risques (la substance et son détournement) et d’une pharmacovigilance, avec des études qui intègrent la toxicité
et les événements indésirables. Leurs profils
pharmacologiques divergent. Dans les bonnes
pratiques cliniques, les modalités d’induction
sont comparables, mais les prises, la tolérance,
les effets indésirables et les risques relatifs de
chacune ont conduit à différencier les modalités
de délivrance médecine de ville, d’accès facile,
et centre spécialisé pour minimiser les risques
de la méthadone en renforçant l’accompagnement psychosocial. Les sulfates de morphine
(Moscontin , Skenan ) n’ont pas d’AMM dans
cette indication, même si leur usage comme
MSO est possible depuis 1996. Ils peuvent être
prescrits “à titre exceptionnel, en cas de nécessité
thérapeutique (contre-indications, inadaptation
®
®
15
des traitements à la méthadone et à la buprénorphine aux besoins des patients), lorsque l’état du
patient l’impose” (4).
Données actuelles
sur la mortalité des MSO
Les données épidémiologiques sur les décès par
surdose de stupéfiants en France proviennent de
3 sources : le registre du centre d’épidémiologie
sur les causes médicales de décès (CépiDc), qui
dépend de l’Inserm et repose sur les certificats
de décès, le fichier de l’office central pour la
répression des trafics illicites de stupéfiants
(Ocrtis) et l’étude Décès en relation avec l’abus
de médicaments et de substances (Drames)
coordonnée par l’Agence nationale de sécurité
du médicament (ANSM). Les décès “indirects”
liés aux comorbidités somatiques et aux accidents de la voie publique ne sont pas étudiés.
Les chiffres ne sont pas superposables, car les
domaines étudiés et les critères d’inclusion
diffèrent. Seul le fichier Drames fournit une
information sur les substances utilisées.
On constate qu’après un pic, atteint au milieu
des années 1990, le nombre de décès par surdose
chute rapidement jusqu’en 1998. Cette baisse
concorde avec l’adoption de la politique de réduction des risques et la diffusion rapide des MSO
en France. Le nombre de décès par surdose chez
les 15-49 ans s’est stabilisé autour de 300 depuis
2008 selon les dernières données disponibles (5).
En 2011, les MSO sont impliqués comme
produit principal dans la moitié des décès
induits par usage de drogues, les substances illicites et les autres opiacés dans, respectivement,
28 % et 13% des cas. Ainsi les opiacés dans leur
ensemble sont en cause en premier lieu dans
79 % de ces décès. Entre 2009 et 2011, la part
des substances illicites comme produit principal
diminue, celle des MSO augmente (6).
La BHD est impliquée dans moins de 40 décès
annuels ces dernières années. En 2009, sur
40 décès, 30 étaient sans association à une
autre substance psychoactive illicite, mais
parmi ces 30 décès, 25 étaient concomitants à
la prise d’une autre substance, le plus fréquemment une benzodiazépine ou un médicament
psychoactif (7).
Les décès liés à la méthadone ont augmenté
avec l’élargissement de sa prescription, pour
atteindre 109 en 2011. On dénombrait, en 2009,
68 décès directement liés à la consommation
de méthadone, dont 48 sans association à une
autre substance psychoactive illicite. Là aussi,
parmi ces 48 décès, 23 étaient associés à la prise
d’une autre substance, le plus fréquemment
une benzodiazépine ou un autre médicament
psychoactif (6, 7).
Des données déjà anciennes, portant sur les
années 1994 à 1998, trouvaient un taux annuel
de décès au moins 3 fois plus élevé parmi les
Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
Mises au point
Mises au point
patients traités par méthadone que par BHD.
L’équipe de M. Auriacombe (Bordeaux) [8] a
fait à cette occasion une simulation du nombre
de décès qui auraient eu lieu si tous les patients
sous MSO avaient été traités par méthadone.
Ce calcul obtenait 288 décès, au lieu des
46 constatés pour cette période.
D’autres facteurs sont à considérer : le marché
noir de la méthadone s’étend progressivement,
parallèlement à l’accroissement de son accessibilité en tant que traitement, et la pureté de
l’héroïne en France a diminué depuis 2011,
après une période de circulation d’échantillons
très dosés incriminés dans l’augmentation du
nombre de surdoses mortelles (tableau) [9].
Rapportées à des pays voisins, les données officielles placent la France dans une situation privilégiée. Le nombre de surdoses en France est 4
à 5 fois moindre qu’en Allemagne, et 6 à 7 fois
moindre qu’au Royaume-Uni. S’agit-il d’une sousestimation ? C’est l’hypothèse soulevée par une
étude de l’OFDT consistant à croiser les données
issues des 3 sources, qui l’évalue à 30 % (10).
Une autre explication concerne la spécificité
française en matière de MSO : la France ayant
choisi d’autoriser l’ensemble des médecins généralistes à prescrire de la BHD, en raison d’une
moindre dangerosité (effet plafond protégeant
des surdoses), environ 75 % des personnes
suivant un MSO la reçoivent. En Allemagne et
au Royaume-Uni, la méthadone est majoritaire.
Le choix de la BHD expliquerait en partie cet
écart de mortalité (11).
La majorité des surdoses de méthadone survient
au début de son utilisation, souvent hors protocole de soins. Dans une étude montpelliéraine,
64 décès étaient possiblement liés à la méthadone (12). Considérant analyses biologiques et
résultats de l’autopsie, ils ont finalement attribué
la cause du décès à la méthadone seule dans
12 cas, et en association dans 8, soit 20 cas au
total. Ces morts ne sont pas toutes dues à une
dépression respiratoire. On a aussi décrit un
certain nombre de décès par inhalation de vomi,
œdème pulmonaire, bronchopneumonie, accident cardiovasculaire et arythmie cardiaque (13).
Concernant la BHD, malgré son effet plafond,
la coprescription de benzodiazépines (potentialisées par l’alcool) et leur utilisation concomitante par voie intraveineuse a été à l’origine de
décès, conduisant à vivement déconseiller cette
coprescription, en particulier chez les patients
injecteurs (14).
Données actuelles
sur la morbidité des MSO
Le mésusage des MSO
L’importance du mésusage varie selon les
populations étudiées et dans le temps : ainsi,
le pourcentage de patients injecteurs de BHD
dans le mois écoulé peut être de 74 % dans les
populations précaires et hors prise en charge
médicale (15).
Toutefois, si l’injection demeure la voie la plus
répandue quand le médicament est obtenu
hors prescription, elle est également pratiquée
par des patients sous protocole. Ainsi, dans la
population vue en centres de soins spécifiques
pour toxicomanes (CSST) en 2008 (16), 7 % des
usagers sous protocole pratiquent l’injection,
mais ils sont plus du double (18 %) hors protocole (15).
Ces pratiques causent une dégradation veineuse
importante, à laquelle s’ajoutent des complications infectieuses et circulatoires (syndromes de
Popeye, abcès, etc.), particulièrement fréquentes
au sein des populations précaires, celles des
centres d’accueil et d’accompagnement à la
rééducation des usagers de drogue (Caarud),
ciblées par les enquêtes sur les consommateurs de substances psychoactives du dispositif Tendances récentes et nouvelles drogues
(Trend) : PREmière Ligne d’Usagers de Drogues
(PRELUD), Système d’identification national des
toxiques et des substances (SINTES). Grau et al.
les ont analysées sur la période de mars 1999
à décembre 2008. Il s’agit de complications
infectieuses cutanées (27 cas), ostéo-articulaires
(4 spondylodiscites, 1 sacro-iliite), d’endocardites (9 cas) et d’embolie vasculaire avec baisse
de l’acuité visuelle (1 cas) [17].
Le “sniff ” est préféré à l’injection intraveineuse
pour tenter de réduire les risques. La prise nasale
ou “snorting” met des drogues sous forme solide
(héroïne, cocaïne..) ou des médicaments (BHD
et plus récemment méthadone) au contact de
la muqueuse nasale. Cet usage s’est répandu
en prison. Près de 30 % des patients stabilisés
auraient sniffé leur traitement. Les conséquences
n’ont pas été étudiées, ni celles de l’inhalation
(produit fumé).
Les excipients qui accompagnent le principe
actif sont en cause dans les complications du
mésusage. Certains sont solubles et réputés
ne jouer aucun rôle en cas de dissolution du
comprimé. D’autres sont insolubles comme
l’amidon de maïs et le stéarate de magnésium
(Subutex ) et ont un rôle dans la survenue des
complications non infectieuses. Les génériques
de la BHD contiennent en outre du talc et de la
silice colloïdale anhydre, à l’origine de complications en cas d’inhalation ou surtout d’injection intraveineuse. Le talc peut provoquer la
formation de granulomes dans des organes ou
tissus (poumon et œil), dont les conséquences
peuvent être catastrophiques. Il n’est pas
possible de recourir à des études chez l’homme
®
Tableau. Substances principalement en cause dans les décès par surdose entre 2006 et 2011.
2006
2007
2008
2009
2010
2011
n
%
n
%
n
%
n
%
n
%
n
%
Héroïne seule ou en association
59
35,1
69
35,9
79
36,4
103
39,6
79
32,0
43
15,5
Cocaïne seule ou en association
31
18,5
39
20,3
30
13,8
32
12,3
16
6,5
19
6,8
Autres substances illicites,
seules ou en association
5
3,0
2
1,0
4
1,8
2
0,8
5
2,0
16
5,8
Méthadone seule ou en association
31
18,5
61
31,8
63
29,0
58
22,3
81
32,8
108
38,4
Buprénorphine seule ou en association
20
11,9
11
5,7
21
9,7
31
11,9
40
16,2
34
12,1
Autres médicaments opiacés,
seuls ou en association
18
10,7
10
5,2
19
8,8
34
13,1
20
8,1
38
13,4
Autres
4
2,4
0
0,0
1
0,5
0
0,0
6
2,4
22
7,9
Total
168
100,0
192
100,0
217
100,0
260
100,0
247
100,0
280
100,0
Nombre d’experts toxicologues
participants
nd
nd
19
Source : DRAMES (ANSM)
nd : non disponible
Note : Seuls les décès directement provoqués par un usage de drogues sont mentionnés.
Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
16
25
31
36
Mises au point
Mises au point
pour tester le mésusage des excipients. Il faut
s’en remettre aux données de la pharmacovigilance, qui permettent de détecter des “signaux”,
ce qui a été le cas par le CEIP de Nantes pour des
lésions cutanées causées par les génériques (18).
Face à ce mésusage, la réponse a longtemps été le
passage sous méthadone, réputée non injectable.
Une alternative est maintenant possible avec
la BHD-naloxone. La comparaison d’efficacité
entre Suboxone et Subutex (étude RIME)
sur la réduction du mésusage du MSO par voie
intraveineuse, chez les patients dépendants aux
opiacés déclarant s’injecter la BHD au moins
4 fois par semaine et désireux d’arrêter cette
pratique, a montré que 89,6 % des patients sous
Suboxone sont parvenus à réduire leur nombre
moyen d’injections par semaine d’au moins
30,0 % versus 45,8 % dans le groupe Subutex
(p < 0,0001) [19].
Le mésusage de la BHD (sniff, injection)
concerne une minorité de patients espérant
retrouver des sensations. La réaction première
des autorités a été de renforcer les contraintes
juridiques, transformant l’usager mésuseur en
délinquant, ce qui était contreproductif, les éloignant du système sanitaire. Le choix s’est porté
sur des mesures simples (un seul médecin et un
seul pharmacien par patient, une ordonnance
sécurisée). Cela a renforcé le rôle du médecin
traitant, souvent sous-estimé (20).
La méthadone est aussi utilisée comme substitution “de rue”, mais dans une moindre mesure.
En 2008, dans les Caarud, 2,3 % des usagers de
méthadone faisaient état d’injection au cours
du mois précédent (15).
®
®
®
®
Morbidité somatique
Rappelons que la méthadone, comme la BHD,
peuvent être prescrites lors de la grossesse et
qu’aucun effet tératogène n’a été rapporté.
La dépression du système nerveux
central, de la sédation au surdosage
Effet majeur des MSO, comme de tout opiacé, il
est fréquent de ressentir une sédation modérée
à l’induction. Puis, avec l’installation d’une
tolérance, une fois la posologie stabilisée, elle
disparaît. En cas de surdosage, l’effet est plus
massif, avec troubles de la vigilance et/ou
confusion, bradypnée, bradycardie et hypotension, et peut aller jusqu’au coma toxique,
voire à l’arrêt cardiorespiratoire. Ces signes
sont associés à un myosis serré bilatéral. La
dose de 1 mg/kg est mortelle pour un individu non tolérant et des décès par ingestion
accidentelle sont décrits chez des enfants. Les
parents et les proches doivent être informés
du risque d’intoxication pédiatrique et prendre
des précautions pour le stockage et le déconditionnement du médicament.
Ces troubles peuvent être exacerbés en cas
d’association à des produits ou médicaments
dépresseurs du système nerveux central et
en cas de pathologies respiratoires. Les MSO
ayant une demi-vie prolongée, 13 à 47 h pour la
méthadone et 24 à 36 h pour la BHD, ils peuvent
s’accumuler (21). D’où la règle d’or à l’induction : démarrer doucement, monter progressivement ! La BHD, agoniste partiel des récepteurs
opioïdes μ, est à moindre risque du fait de son
effet plafond (22).
La prise en charge d’un surdosage est hospitalière, en soins intensifs, avec administration
continue de naltrexone jusqu’à élimination du
produit.
Les troubles du sommeil
Les troubles du sommeil sont fréquents sous
MSO. En cas d’échec des conseils et de l’accompagnement hygiénodiététiques et des thérapies
cognitivocomportementales, un traitement
hypnotique peut s’avérer nécessaire. Il faut alors
préférer les antidépresseurs (en cas de symptômes dépressifs par ailleurs), antihistaminiques,
antagonistes de la mélatonine. Une majoration
des insomnies sous hypnotiques doit faire
rechercher un syndrome d’apnée du sommeil
(SAS). Dans une étude chez des patients sous
méthadone à posologie stable, 30 % avaient un
SAS d’origine centrale ; le score de gravité était
corrélé à la posologie (23). Un autre travail a
montré que, parmi des personnes sous opiacés,
75 % avaient des troubles du sommeil de type
apnée ou hypopnée. Parmi eux, seule la méthadone était liée au SAS d’origine centrale (24).
Hyperalgésie
et traitement de la douleur
Avec le phénomène de tolérance, le seuil de
perception de la douleur chez des personnes
sous opiacés au long cours est abaissé. Les
personnes sous MSO souffriraient aussi plus
souvent de pathologies douloureuses. D’ailleurs,
un questionnement sur la présence de perturbations de la perception nociceptive préalable
à la prise de drogue demeure (25).
Les patients sous MSO souffrant de douleurs
aiguës doivent bénéficier de traitements antalgiques opiacés, par voie intraveineuse si nécessaire, comme tout patient. Il leur faut souvent
des doses plus importantes et une durée de traitement plus longue du fait de leur tolérance aux
opiacés. La gestion des douleurs sévères aiguës
et/ou chroniques en appelle souvent à une prise
en charge spécialisée.
Sous méthadone, on favorise le maintien de la
posologie et l’association à un opiacé agoniste
de demi-vie courte. Autrement, il est possible
de fractionner la prise quotidienne de méthadone toutes les 6 à 8 heures, éventuellement en
augmentant la posologie. Pour les patients sous
BHD, les mêmes modalités de traitement sont
envisageables. Par ailleurs, en cas de douleurs
aiguës à l’hôpital, il est possible d’interrompre
la BHD pour débuter un traitement antalgique
opiacé, ou encore de remplacer la BHD par la
17
méthadone associée à un opiacé de demi-vie
courte, et de reprendre avec la BHD une fois
les douleurs apaisées (25).
Les perturbations de la libido
Les opiacés sont connus pour causer des
dysfonctions sexuelles. Cependant, la BHD
aurait un effet beaucoup plus limité. L’équipe
de Bliesener (26) a montré la présence d’un taux
de testostérone franchement abaissé, et de forts
taux de troubles de libido et de l’érection chez
les patients sous méthadone comparativement
à ceux sous BHD. Dans les cas d’hypogonadisme avéré, un traitement androgénique par
testostérone devrait être proposé, d’autant que
ces traitements sont bien tolérés par les sujets
jeunes.
Chez la femme, on observe aussi des troubles du
cycle menstruel et de la sexualité. Il est possible,
en particulier pour la méthadone, que cela soit
dû aux MSO. Cependant, il conviendra toujours
de s’assurer, comme chez l’homme, de l’absence
d’autres causes médicamenteuses ou toxiques,
mais aussi de possibles dysfonctions secondaires à un traumatisme sexuel, fréquent chez
ces patientes.
Effets divers
Céphalées : d’intensité et de fréquence
variables, elles sont peu documentées dans la
littérature.
Constipation : la majorité des patients sous
MSO en souffre, et ce de manière chronique.
Des conseils diététiques restent la première
réponse. Les laxatifs sont utilisés en cas de
persistance.
Nausées et vomissements : fréquents à l’instauration du traitement, ils tendent à diminuer
une fois celui-ci stabilisé. Il faut penser à traiter
une éventuelle constipation. Des antiémétiques
(méclozine, métoclopramide) ou des inhibiteurs
de la pompe à protons peuvent améliorer les
symptômes.
Hyposialie : tous les opiacés sont à l’origine
d’une hyposialie (diminution de la production
de salive) qui peut elle-même causer une xérostomie (sécheresse buccale). Ce trouble, parfois
associé à une mauvaise hygiène buccodentaire,
expliquerait les problèmes dentaires des patients
sous MSO, plutôt que de les attribuer à la méthadone sirop et son fort taux de sucre (27).
Allergies et œdèmes : les MSO peuvent provoquer des réactions d’hypersensibilisation : prurit,
urticaire, rashs cutanés et œdèmes peuvent
survenir au décours du traitement.
Tolérance hépatique : la méthadone subit
une biotransformation oxydative dans le foie,
mais peut également y être stockée sous forme
inchangée, puis relarguée dans la circulation
générale. Cependant, elle peut être administrée aux doses usuelles à des patients souffrant
de maladies hépatiques chroniques (même en
cirrhose avancée). Lors de maladie hépatique
aiguë ou de décompensation d’une maladie
Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
Mises au point
Mises au point
hépatique chronique, un suivi attentif est nécessaire pour surveiller symptômes de sevrage ou
d’overdose. Une adaptation posologique peut
être requise.
Après absorption, la BHD s’accumule dans
divers organes comme le foie, les reins, le tissu
musculaire, ainsi que dans le tissu adipeux
(rappelons son caractère hautement lipophile)
mais aussi les tissus fœtaux. Elle en est relarguée
lorsque la concentration plasmatique diminue,
et devient disponible au niveau du récepteur
opioïde. Cette accumulation hépatique est sans
danger si la BHD est prise aux doses usuelles par
voie sublinguale, bien qu’elle puisse provoquer
une légère augmentation du taux sérique d’alanine aminotransférase (ALAT) chez certains
patients. Quelques cas d’hépatite cytolytique
ont été rapportés après mésusage de la BHD
(injection intraveineuse) [19].
Les effets indésirables spécifiques
de la méthadone
Hypersudation : jusqu’à 70 % des patients s’en
plaignent. Elle ne semble pas liée à la posologie.
Il faut la distinguer d’une sudation liée à un état
de sevrage, puis proposer de réduire toute substance aux mêmes effets (alcool, café, etc.) et,
si nécessaire, discuter l’intérêt d’un traitement
anticholinergique (bipéridène, atropine) aux
effets secondaires non négligeables (28).
Prise de poids : non citée par le Vidal, aucune
étude n’en ayant déterminé la prévalence et les
facteurs de risque, cet effet est pourtant décrit.
Cette prise de poids est souvent conséquente
(plus de 20 kg), au-delà de l’effet d’une reprise
de l’alimentation souvent réduite en période de
consommation d’héroïne (28). La ration calorique
de chaque flacon unidose, qui varie de 11 kcal
à 45 kcal, ne peut suffire à expliquer ces prises
de poids (29) et il faut chercher d’autres causes :
coprescription d’antipsychotiques, troubles
alimentaires et/ou mauvaise hygiène alimentaire liée à la précarité, problèmes dentaires, etc.
Les interactions
avec des médicaments
et substances
psychotropes
La méthadone
Les capacités cognitives
Allongement QT : il a été prouvé que la prise
de méthadone est associée à une prolongation de
l’intervalle QT et peut provoquer des arythmies
ventriculaires par torsades de pointes. Le retard
de repolarisation cardiaque en est responsable.
De plus, la méthadone possède des propriétés
chronotropes négatives ; or, il a été observé que
les torsades de pointes iatrogènes sont souvent
déclenchées pendant des périodes de bradycardie. De façon pragmatique, un ECG doit
être pratiqué à l’instauration, lors des augmentations de posologie ou de l’ajout de médicaments
“torsadigènes” (31) : antiarythmique de classe Ia
et III, certains neuroleptiques, certains antiparasitaires, certains macrolides, etc. D’autres
associations comportent un risque cardiaque
et requièrent une précaution d’emploi : hypokaliémiant, bradycardisant.
Les traitements concurrençant le métabolisme
de la méthadone : elle est métabolisée quasi
exclusivement dans le foie par le cytochrome
CYP3A4, bien que les cytochromes CYP2D6,
CYP2C9 et CYP2C19 semblent également y
participer. La variabilité de biodisponibilité
de la méthadone est principalement due à des
variations interindividuelles dans l’expression
du cytochrome CYP3A4. C’est une enzyme
inductible par plusieurs médicaments, comme
les anticonvulsivants, la rifampicine ou les
antirétroviraux. L’utilisation de telles molécules risque de provoquer une diminution des
concentrations plasmatiques de méthadone, ce
qui doit être particulièrement surveillé chez les
patients atteints du VIH afin d’éviter l’apparition
d’un état de sevrage.
La buprénorphine : le métabolisme hépatique
est effectué par déalkylation et glucuronoconjugaison, impliquant le cytochrome CYP3A4 pour
la déalkylation, ce qui explique les interactions
potentielles avec d’autres substances mettant
en jeu ce système (antifongiques azolés, antiprotéases, anticonvulsivants, etc.). Les risques
d’interactions sont moins importants que pour
la méthadone (20).
Plusieurs études ont maintenant démontré la
présence de troubles neurocognitifs induits par
les MSO : troubles de la mémoire de travail, de
l’attention, perturbation des fonctions exécutives, des capacités de planification. Elles ont
montré que ces troubles étaient liés au traitement, car ils s’améliorent, au moins partiellement, une fois la personne sevrée de son
MSO (32).
En tout état de cause, il faut garder à l’esprit que
l’objectif de la prise orale d’un médicament de
substitution aux opiacés est de réduire l’envie de
consommer sans reproduire l’effet d’une injection d’héroïne (33). Pour tenter de prévenir la
morbimortalité, cette différence entre drogue
et médicament doit être expliquée au patient.
S’il ne l’a pas comprise, il sera déçu du manque
d’effet de son MSO et risque de s’engager vers
un détournement d’usage ou de prendre des
benzodiazépines ou de l’alcool pour essayer de
retrouver les sensations du produit antérieurement consommé.
v
Morbidité psychiatrique
et neurocognitive (31)
Les troubles psychotiques
Les dépresseurs du système nerveux
central
L’association du MSO avec d’autres dépresseurs du système nerveux central, qu’il s’agisse
de médicaments, de substances psychotropes
(alcool, autres drogues), doit être évitée ou, le
cas échéant, faire l’objet d’une information et
d’une vigilance clinique. Les benzodiazépines
sont les plus citées car elles sont couramment
consommées. Autant que possible, on essaiera
d’en rester à une seule molécule, à posologie
minimale, pour une durée limitée.
Des troubles psychotiques peuvent survenir,
mais rarement. Le plus souvent, il s’agit de
symptômes d’une psychose, schizophrénique
ou non, masqués auparavant par l’usage de
l’héroïne.
Les troubles dépressifs
Les MSO ne les provoquent pas. S’ils se manifestent, il s’agit soit de troubles secondaires à
l’usage prolongé d’héroïne qui vont s’améliorer
sous MSO, soit de troubles évoluant pour leur
propre compte, à traiter.
Le Courrier des addictions (15) – n° 4 – octobre-novembre-décembre 2013
18
A. Descheneau et M. Badji déclarent
ne pas avoir de liens d’intérêts.
Les liens d’intérêts de D. Touzeau
sont consultables sur le site de l’HAS.
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(ed.) Traité d’addictologie. Paris : Flammarion, 2006.
®
01
Moins d’asthmes aux urgences
Une étude anglaise a montré que l’introduction en Grande-Bretagne de la loi anti-tabac en Juillet 2007
avait eu pour résultat une diminution des cas d’hospitalisation en urgence pour asthme dans la
population adulte (sur 502 000 admissions en urgence pour ce motif), d’avril 1997 à décembre 2010.
Et cela dès son entrée en vigueur, et dans les 9 régions concernées par l’étude.
Toutefois, cette réduction était plus faible que la diminution observée des crises d’asthme chez
l’enfant de moins de 15 ans (-9 %).
Sims M. et coll. : Short-term impact of the smoke free legislation in England on emergency hospital admissions for
asthma among adults: a population-based study. Thorax 2013; 68: 619–624.
EDIMARK éditeur de la nouvelle publication de l’AFDET
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