Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XXI - n° 5-6 - mai-juin 2017
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Cas clinique
* Service d’endocrino-
logie-diabétologie,
CHU de Caen.
Gynécomastie iatrogène : une nouvelle
molécule à ajouter à la liste ?
Émilie Deberles*, Michael Joubert*, Yves Reznik*
L
a gynécomastie est une affection fréquente chez
l’homme aux différents âges de la vie. Une des
principales étiologies est iatrogène (6 à 27 % des
cas selon les séries), et les molécules le plus souvent
impliquées sont la spironolactone, les antiandrogènes
(acétate de cyprotérone), les trithérapies contre le VIH,
la cimétidine, les chimiothérapies à toxicité testiculaire
(agents alkylants), la rifampicine, la digoxine, l’amio-
darone, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de
l’angiotensine ou encore les psychotropes (1-3). De
nombreux autres médicaments sont listés comme
potentiellement responsables de gynécomastie, mais
avec une fréquence rare, voire anecdotique (tableau).
Nous rapportons ici un cas rare de gynécomastie iatro-
gène probablement dû à un traitement par simva statine.
Un patient de 59 ans consulte pour une sensibilité mam-
maire droite d’apparition récente. Ses antécédents sont
représentés par un diabète de type I présent depuis
39 ans, traité par pompe à insuline et bien équilibré
(HbA1c autour de 7 % depuis plusieurs années). Il pré-
sente également une stéatose hépatique d’étiologie
indéterminée (sérologies et bilan auto- immun négatifs)
responsable d’une élévation chronique des γ-GT depuis
une quinzaine d’années. Enfin, en raison d’une hyper-
cholestérolémie (LDL-c > 1,60 g/l), un traitement par
simvastatine 10 mg/j est instauré depuis 5 ans.
L’examen clinique révèle en effet une gynécomastie
rétroaréolaire droite de 2,5 cm de diamètre, ferme, sen-
sible. On soupçonne également une minime gynéco-
mastie à gauche. L’examen des organes génitaux ne
révèle aucune anomalie ; les testicules sont de taille
et de consistance normales. L’interrogatoire orienté ne
retrouve pas de signes d’hypogonadisme. La sexualité
semble également normale, avec une libido conservée,
des érections et des éjaculations jugées satisfaisantes
par le patient. L’examen clinique est par ailleurs normal :
le poids est stable, de 70 kg pour une taille de 1,84 m
(IMC = 20,6 kg/m2), et la pression artérielle est normale,
à 125/75 mmHg.
Le bilan biologique montre des γ-GT élevés, à 243 UI/l
(versus 195 UI/l sur les bilans précédents ; N < 55), des
phosphatases alcalines à 100 UI/l (30 ≤ N ≤ 120), des
TGO à 43 UI/l (N < 50), des TGP à 49 UI/l (N < 50), une
bilirubine totale normale à 13 µmol/l, un TP à 87 %, un
facteur V à 109 % et une albuminémie normale à 44 g/l.
Le bilan hormonal montre une testostéronémie totale
normale, à 4,85 ng/ml (1,75 ≤ N ≤ 7,81). L’estradiolémie
est modérément élevée, à 64 pg/ml (20 ≤ N ≤ 47), ainsi
que le taux de TeBG (Testosterone-Binding Globulin), à
100 nmol/l (14,5 ≤ N ≤ 48,4). Les gonadotrophines sont
normales : FSH = 11,6 UI/l (1,2 ≤ N ≤ 19,2), LH = 7,9 UI/l
(1,2 ≤ N ≤ 8,6). La prolactinémie est très modérément
élevée, à 21 ng/ml (3 ≤ N ≤ 16). L’hCG est indétectable.
Par ailleurs, la fonction thyroïdienne est normale
(TSH = 3,48 mUI/l [0,4 ≤ N ≤ 3,5], T3 = 4,05 pmol/l
[3,85 ≤ N ≤ 6,01], T4 = 10,6 pmol/l [7,9 ≤ N ≤ 14,4]).
L’IGF-1 est normale pour l’âge (71 ng/mm ; 55 ≤ N ≤ 203).
Les sérologies hépatiques, le bilan auto-immun, le bilan
martial et la cuprémie sont répétés, et leur normalité
est confirmée.
La mammographie et l’échographie mammaire
montrent un épaississement rétroaréolaire de nature
glandulaire bilatéral prédominant à droite, confirmant
la gynécomastie. Aucun élément pouvant faire sus-
pecter une malignité n’est retrouvé sur ces 2 examens.
L’échographie testiculaire est normale. L’IRM hypo-
physaire ne montre aucune anomalie. La radiographie
thoracique et le scanner des surrénales sans et avec
injection de produit de contraste sont également nor-
maux. L’IRM hépatique retrouve 2 kystes biliaires de 1
et 3 mm, d’allure banale.
Compte tenu des perturbations du bilan hépatique,
sans cause retrouvée d’hépatopathie, une origine
médicamenteuse est suspectée, et la simvastatine est
interrompue.
Six mois plus tard, le patient ne se plaint plus de sa
gynécomastie et déclare qu’elle a disparu. En effet, à
l’examen clinique, on constate une nette diminution de
la gynécomastie droite, avec la perception d’un petit
nodule résiduel rétroaréolaire. À gauche, la palpation
mammaire s’est complètement normalisée. Un bilan
biologique de contrôle est réalisé : l’estradiolémie s’est
normalisée à 31 pg/ml ; la prolactinémie est à 18 ng/ml,
la testostéronémie, à 4,29 ng/ml. La TeBG reste cepen-
dant toujours élevée, à 102 nmol/l. Le bilan hépatique
s’améliore, avec des γ-GT à 149 UI/l, des phosphatases
alcalines à 61 UI/l, des TGO à 34 UI/l, des TGP à 23 UI/l,
une bilirubine totale à 12 µmol/l. Le taux de LDL se