Séries de Fourier
licence de mathématiques 2ème année
Vincent Thilliez
24 avril 2008
Introduction
La théorie des séries de Fourier permet d’interpréter certains “signaux” (autrement
dit, certaines fonctions définies sur un intervalle réel) comme résultant de la superpo-
sition d’une infinité de signaux sinusoïdaux de fréquences différentes. L’idée d’une telle
décomposition apparaît en 1807 dans une première communication de Joseph Fourier à
l’Académie des Sciences de Paris, concernant la résolution de l’équation aux dérivées par-
tielles qui régit la propagation de la chaleur dans les solides. En 1822, Fourier publie sur
ce sujet un ouvrage devenu célèbre1, intitulé Théorie analytique de la chaleur. Cependant,
c’est sous l’impulsion de Gustav Lejeune Dirichlet que la théorie de Fourier, jusqu’alors
controversée, prend vraiment son essor : en particulier, Dirichlet publie en 1829 la pre-
mière démonstration rigoureuse d’un résultat de convergence pour les séries de Fourier.
Dès lors, le développement de l’analyse au XIXème siècle devient indissociable des pro-
blèmes liés à ces séries, qui seront à l’origine de contributions monumentales de Riemann
(sur l’intégration), d’Abel (sur la convergence des séries de fonctions), de Weierstrass (qui
introduit la convergence uniforme et met les bases de l’analyse sous leur forme actuelle) et
de Cantor (qui fonde la topologie générale). Nous sommes alors entre 1870 et 1880 ; plus
d’un demi-siècle s’est écoulé depuis la publication de la Théorie analytique de la chaleur.
Le lecteur à la recherche d’informations historiques plus détaillées sur cette période pourra
se reporter au chapitre VI de [1] et à [3].
Au XXème siècle, le développement de la théorie de l’intégration et celui de l’analyse
fonctionnelle ouvrent de nouveaux horizons à l’analyse de Fourier. Ces nouveaux points de
vue ne peuvent être qu’effleurés dans le cours qui va suivre : ils le seront à travers l’approche
hilbertienne des séries de Fourier, et à travers le théorème de convergence en moyenne
démontré en 1900 par Lipót Fejér2. Cette époque voit la naissance de l’analyse harmonique,
Mathématiques, Bâtiment M2, Université des Sciences et Technologies de Lille, F-59655 Villeneuve
d’Ascq Cedex ; e-mail : [email protected]
1Le traité contient en effet d’importantes idées novatrices, parmi lesquelles se fait jour une conception
très actuelle de la notion de fonction : pour les mathématiciens de l’époque, une fonction de la variable
xest donnée par une expression explicite unique, par exemple y= exp(x2) cos x. Pour Fourier, il s’agit,
bien plus généralement, de “valeurs données, assujetties ou non à une loi commune, et qui répondent à
toutes les valeurs de x” comprises dans un intervalle : ceci autorise, en particulier, des définitions “par
morceaux” dont on considérait jusqu’alors qu’elles ne correspondaient pas à de vraies fonctions...
2alors âgé de 20 ans.
1
discipline toujours active de nos jours après une immense effervescence dans les années
1960. Mais c’est peut-être à travers la théorie des ondelettes, avatar contemporain de
la théorie de Fourier, que celui-ci connaît un de ses plus grands triomphes posthumes.
On pourra se reporter à [3] pour une introduction aux ondelettes dans une perspective
historique.
Notre but, bien plus modeste, est de présenter ici quelques résultats fondamentaux sur
les séries de Fourier. Ces résultats sont essentiellement ceux de [5], tome 2, chapitre XII,
mis sous un habillage “moderne” (noyaux de convolution, formalisme Hilbertien) autant
que le permet le bagage théorique réduit dont on dispose en 2ème année, en particulier pour
ce qui concerne l’intégration. Le cadre adéquat étant indubitablement celui de l’intégrale
de Lebesgue vue en 3ème année, l’étude des séries de Fourier sera donc approfondie dans
un module ultérieur, auquel le présent document peut être vu comme une préparation.
Pour l’instant, afin d’éviter de gaspiller de l’énergie sur des difficultés liées à l’intégrale de
Riemann de fonctions relativement irrégulières3, le cours sera délibérément placé dans le
cadre très simple des fonctions continues par morceaux. Les résultats principaux (comme
le théorème de Dirichlet, ou celui de Fejér) ne sont donc pas présentés sous leur forme la
plus générale. En revanche, les idées directrices de la théorie apparaissent déjà nettement
et fournissent des applications substantielles.
Ce document a bénéficié de commentaires de Jean-François Burnol, que je remercie.
Néanmoins, le texte est susceptible de comporter encore des erreurs typographiques ou de
petites incohérences. Les remarques permettant de l’améliorer seront donc bienvenues.
1 Préparatifs
L’étude des séries de Fourier requiert l’introduction préalable de quelques notions tech-
niques un peu fastidieuses. Afin de ne pas noyer les points réellement importants dans des
considérations auxiliaires, il a semblé préférable de ne pas disperser ces notions au fil du
texte. C’est pourquoi elles ont été regroupées dans ce chapitre de préparatifs. Certains
paragraphes (comme celui sur la convolution) peuvent être omis en première lecture; on
s’y reportera au moment de leur utilisation.
1.1 Notation
Dans la suite, on notera systématiquement f(c)(resp. f(c+)) la limite à gauche (resp.
à droite) d’une fonction fen un point cdonné de R. Autrement dit, on pose
f(c) = lim
xc
x<c
f(x)et f(c+) = lim
xc
x>c
f(x)
lorsque cela a un sens.
1.2 Régularité par morceaux
Définition 1.2.1. Soit fune fonction définie sur un intervalle fermé borné [a, b], à valeurs
réelles ou complexes. On dit que fest continue par morceaux s’il existe une famille finie
(xj)0jNde points de [a, b], avec a=x0< x1<··· < xN=b, telle que, pour tout
3fonctions réglées, par exemple.
2
j= 0, . . . , N 1, on ait les deux propriétés suivantes :
(i) la fonction fest continue sur chaque intervalle ouvert ]xj, xj+1[,
(ii) la fonction fpossède une limite à droite en xjet à gauche en xj+1.
Remarque 1.2.2.Il résulte de cette définition qu’aux points xjavec 1jN1, la
fonction fa une limite à gauche et à droite. Ces limites à gauche et à droite coïncident,
et valent f(xj), si et seulement si la fonction fest en fait continue en xj.
Remarque 1.2.3.On obtient la même notion en remplaçant les points (i) et (ii) de la
définition 1.2.1 par l’existence d’une fonction fjcontinue sur [xj, xj+1]dont la restriction
à]xj, xj+1[coïncide avec f.
Exercice 1.2.4.Soit fune fonction continue par morceaux sur [a, b]. Montrer que fest
bornée sur [a, b].
Définition 1.2.5. Soit fune fonction définie sur un intervalle fermé borné [a, b], à valeurs
réelles ou complexes. On dit que fest de classe C1par morceaux s’il existe une famille
finie (xj)0jNde points de [a, b], avec a=x0< x1<··· < xN=b, telle que, pour tout
j= 0, . . . , N 1, on ait les deux propriétés suivantes :
(i) la fonction fest dérivable, à dérivée continue, sur chaque intervalle ouvert ]xj, xj+1[,
(ii) la fonction fet sa dérivée f0possèdent une limite à droite en xjet à gauche en xj+1.
Remarque 1.2.6.Par définition, toute fonction de classe C1par morceaux est continue par
morceaux (la réciproque est clairement fausse).
Remarque 1.2.7.On ne suppose pas l’existence des f0(xj). En effet, la fonction fn’est pas
nécessairement continue en xj, et même si elle l’est, les conditions (i) et (ii) impliquent
seulement l’existence de dérivées à gauche et à droite en ce point4(voir l’exercice 1.2.9).
Exercice 1.2.8.Montrer que l’on ne change pas la notion de fonction de classe C1par
morceaux si l’on remplace la condition (ii) de la définition 1.2.5 par la condition (ii)bis
suivante :
(ii)bis la dérivée f0possède une limite à droite en xjet à gauche en xj+1.
Autrement dit, montrer que (i) et (ii) équivalent à (i) et (ii)bis.
Exercice 1.2.9.Montrer que l’on obtient encore la même notion en remplaçant les points
(i) et (ii) de la définition 1.2.5 par l’existence d’une fonction fjde classe C1sur l’intervalle
[xj, xj+1]et dont la restriction à ]xj, xj+1[coïncide avec f. En déduire que si fest continue
en xj, elle y admet une dérivée à gauche et à droite (sauf aux bornes, où un seul type de
limite intervient).
1.3 Intégration
Soit fune fonction continue par morceaux sur [a, b]. On considère une subdivision
a=x0< x1<··· < xN=bassociée à fpar la définition 1.2.1. On sait que fest continue
sur chaque intervalle ouvert ]xj, xj+1[avec j= 0, . . . , N 1. Soit fjla fonction définie
sur l’intervalle fermé [xj, xj+1]par fj(x) = f(x)pour xj<x<xj+1,fj(xj) = f(x+
j)et
fj(xj+1) = f(x
j+1). Alors fjest continue sur l’intervalle fermé borné [xj, xj+1]et, à ce
4en ne considérant naturellement qu’un seul côté lorsque xjest une borne de l’intervalle.
3
titre, Riemann-intégrable sur cet intervalle. On définit alors l’intégrale de fsur [a, b]par
Zb
a
f(x)dx =
N1
X
j=0 Zxj+1
xj
fj(x)dx. (1)
Remarque 1.3.1.Le lecteur dont les connaissances sur l’intégrale de Riemann s’étendent
un peu au-delà de l’intégrabilité des fonctions continues sur un intervalle compact pourra
constater que fest elle-même Riemann intégrable sur l’intervalle [a, b]puisque, d’une
part, elle y est bornée – voir l’exercice 1.2.4 – et que, d’autre part, l’ensemble de ses points
de discontinuité y est négligeable (il s’agit, au plus, de l’ensemble des points xj, qui est
fini). Fort heureusement, l’intégrale ainsi obtenue est la même que celle de la définition
précédente : en effet, les intégrales de fet fjsur [xj, xj+1]coïncident puisque fet fj
diffèrent en un nombre fini de points sur cet intervalle ; il suffit alors d’utiliser la relation
de Chasles.
Remarque 1.3.2.Dans la définition 1.2.1, le choix de la famille (xj)0jNn’est pas unique,
mais l’intégrale définie par (1) ne dépend pas de ce choix. On peut le démontrer en utilisant
la relation de Chasles (c’est ennuyeux mais sans difficulté), ou en se servant de la remarque
précédente, puisque l’intégrale (1) n’est autre que l’intégrale de Riemann de fsur [a, b].
1.4 Une formule d’intégration par parties
Soit fune fonction de classe C1par morceaux sur un intervalle [a, b]. On a vu (re-
marque 1.2.7) que la dérivée f0peut ne pas exister aux points xjde la définition 1.2.5.
Cependant, si l’on pose h(x) = f0(x)en dehors de ces points et si l’on donne une valeur
arbitraire à chaque h(xj), on obtient ainsi une fonction hqui est continue par morceaux
sur [a, b]: c’est une conséquence immédiate des définitions. De plus, l’intégrale Rb
ah(x)dx
ne dépend que de f0et non des valeurs que l’on a données aux h(xj). Pour cette raison,
on dit qu’il s’agit de l’intégrale de f0sur [a, b]et on la note Rb
af0(x)dx. Elle vérifie les
propriétés usuelles de l’intégrale de Riemann : linéarité, relation de Chasles, majoration
|Rb
af0(x)dx| ≤ Rb
a|f0(x)|dx, par exemple.
Nous aurons besoin du résultat suivant.
Proposition 1.4.1. Soient fet gdes fonctions continues sur [a, b]et de classe C1par
morceaux sur [a, b]. Alors on a la formule d’intégration par parties usuelle :
Zb
a
f(x)g0(x)dx = [f(x)g(x)]b
aZb
a
f0(x)g(x)dx, avec [f(x)g(x)]b
a=f(b)g(b)f(a)g(a).
Démonstration. : La définition 1.2.5 associe à fet gdes familles respectives (xj)0jN
et (yk)0kPde points de [a, b], avec a=x0< x1<··· < xN=bet a=y0< y1<··· <
yP=b, pour lesquelles les propriétés (i) et (ii) sont vérifiées. En rangeant les points xj
et ykpar ordre croissant, et en renumérotant, on obtient une famille de points (zl)0lM,
avec a=z0< z1<··· < zM=b, telle que f0et g0soient continues sur chaque intervalle
]zl, zl+1[et admettent des limites à droite en zlet à gauche en zl+1. Les fonctions fet g
étant en outre supposées continues sur [a, b], donc sur [zl, zl+1], il en résulte qu’elles sont de
classe C1sur cet intervalle (c’est une conséquence classique du théorème des accroissements
4
finis ; voir le cours de 1ère année ou [5], tome 2, énoncé IV.4.4). On peut alors intégrer par
parties sur [zl, zl+1]; on obtient
Zzl+1
zl
f(x)g0(x)dx =f(zl+1)g(zl+1)f(zl)g(zl)Zzl+1
zl
f0(x)g(x)dx. (2)
En ajoutant ces égalités membre à membre pour l= 0,··· , M 1, on obtient le résultat
recherché.
Remarque 1.4.2.Attention : la formule d’intégration par parties n’est plus vraie si l’on
suppose seulement que fet gsont de classe C1par morceaux, en omettant l’hypothèse de
continuité5. La raison en est que l’égalité (2) devient, dans ce cas,
Zzl+1
zl
f(x)g0(x)dx =f(z
l+1)g(z
l+1)f(z+
l)g(z+
l)Zzl+1
zl
f0(x)g(x)dx.
et les termes intermédiaires f(z
l+1)g(z
l+1)f(z+
l)g(z+
l)ne s’éliminent pas deux à deux
lorsque l’on additionne membre à membre.
1.5 Périodicité
Définition 1.5.1. Soit Tun réel strictement positif. Une fonction fdéfinie sur R, à
valeurs réelles ou complexes, est dite T-périodique si on a f(x+T) = f(x)pour tout réel
x. On appellera alors intervalle admissible pour ftout intervalle de la forme [a, a +T[
avec aR.
Une fonction T-périodique est entièrement déterminée par sa donnée sur un intervalle
admissible. En effet, pour tout réel x, il existe un unique entier relatif ktel que l’on ait
x[a+kT, a+(k+1)T[. La périodicité assure que f(x) = f(xkT ); or xkT appartient
à l’intervalle admissible [a, a +T[.
Exercice 1.5.2.Dessiner l’allure des graphes des fonctions 1-périodiques fet gdéfinies
respectivement par f(x) = |x|pour x[1/2,1/2[ et g(x) = |x|pour x[0,1[.
Définition 1.5.3. Une fonction T-périodique est dite continue (resp. de classe C1) par
morceaux sur Rsi elle est continue (resp. de classe C1) par morceaux sur un intervalle
[a, b]avec aRet b=a+T.
Remarque 1.5.4.Il est facile de se convaincre que la définition précédente ne dépend pas
du choix de a. On pourrait aussi y remplacer la condition b=a+Tpar baT. Par
périodicité, il suffit que la fonction soit continue (resp. de classe C1) par morceaux sur un
tel intervalle pour qu’elle le soit sur tout intervalle [c, d].
Exercice 1.5.5.Soit fune fonction T-périodique continue par morceaux. Montrer que f
est continue sur Rsi et seulement si il existe un réel atel que les deux propriétés suivantes
soient vérifiées :
(i) la fonction fest continue sur l’intervalle admissible [a, a +T[,
(ii) on a f(a+) = f((a+T)).
5Rappelons qu’une fonction C1par morceaux est, en général, continue seulement par morceaux.
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