Université d’Orléans Département de Mathématiques Master 1 – Semestre 1 Automne 2011 SMO1MA1 – Méthodes hilbertiennes et analyse de Fourier (www.univ–orleans.fr/mapmo/membres/anker/enseignement/MHAF.html) 1 Séries de Fourier Les séries de Fourier ont été introduites il y a deux siècles par Fourier pour résoudre l’équation de la chaleur (ainsi que l’équation des ondes) sur un intervalle. Mais il a fallu un siècle pour aboutir à la théorie actuelle, qui en a fait l’outil fondamental pour analyser les fonctions périodiques sur R. Dans ce chapitre, on identifiera • les fonctions f définies sur le cercle–unité T = {z ∈ C | |z| = 1}, • les fonctions g 2π – périodiques sur R, • les fonctions h définies sur un intervalle I = [a, b[ de longueur b − a = 2π. On passe des unes aux autres au moyen des formules ( f (e ix ) = g(x) ∀ x ∈ R, g(x + 2πn) = h(x) ∀ x ∈ [a, b[ , ∀ n ∈ Z Dans cette identification, les fonctions continues f : T −→ C correspondent aux fonctions continues g : R −→ C qui sont 2π – périodiques et aux fonctions continues h : I −→ C telles que lim xրb h(x) = h(a). Ces fonctions continues constituent un espace noté C, dont la norme k . k∞ est donnée par max |f (z)| = max |g(x)| = max |h(x)| . z∈T x∈R x∈I De même, on désigne par Lp (1 ≤ p ≤ ∞) les espaces de Lebesgue correspondants. Par exemple, L2 est constitué des fonctions f : T −→ C, g : R −→ C 2π – périodiques ou h : I −→ C, qui sont mesurables et telles que Z 2π Z 2π Z ix 2 2 |f (e )| dx = |g(x)| dx = |h(x)|2 dx < +∞ . 0 0 I A condition d’identifier deux fonctions égales presque partout, L2 est un espace de Hilbert pour le produit scalaire normalisé Z 2π Z 2π Z ix 1 1 1 ix h1 (x) h2 (x) dx . f1 (e ) f2 (e ) dx = 2π g1 (x) g2 (x) dx = 2π 2π 0 0 I Rappelons les inclusions C ⊂ L∞ ⊂ . . . ⊂ L2 ⊂ . . . ⊂ L1 et la densité de C dans Lp , pour tout 1 ≤ p < ∞. Introduisons finalement l’espace P des polynômes trigonométriques p(x) = X +N n=−N c n e inx = c 0 + XN n=1 a n cos nx + bn sin nx . Lemma 1.1. P est dense dans C, pour la norme k . k∞ . C’est un analogue du théorème de Weierstrass, concernant la densité des polynômes x 7−→ XN n=0 c n xn dans C([0, 1]). On peut le déduire du résultat général suivant. On en donnera également une démonstration directe ultérieurement (Corollaire 1.19.b). Théorème 1.2 (Stone –Weierstrass). Soient K un espace topologique compact et A une famille de fonctions continues sur K telle que • A est une sous–algèbre unitaire de C(K) i.e. ◦ ∀ f, g ∈ A, f +g ∈ A, ◦ ∀ f, g ∈ A, f g ∈ A, ◦ 1∈A ; • A est autoadjointe i.e., ∀ f ∈ A, Re f ∈ A et Im f ∈ A ; • A sépare les points de K i.e., ∀ x, y ∈ K avec x 6= y, ∃ f ∈ A, f (x) 6= f (y). Alors A est dense dans C(K) pour la norme k . k∞ . Proposition 1.3. Les fonctions exponentielles e n (x) = e inx (n ∈ Z) constituent une base hilbertienne de L2 . Définition 1.4. Soit f ∈ L1 . Les coefficients de Fourier de f sont définis par Z 2π Z ix −inx 1 1 h(x) e−inx dx ∀ n∈Z f (e ) e dx = 2π c n (f ) = f, e n = 2π 0 (1) I et la série de Fourier de f par Sf = X +∞ n=−∞ (2) c n (f ) e n . Remarque 1.5. Au lieu des fonctions exponentielles, on peut exprimer les séries de Fourier au moyen des fonctions x 7−→ cos nx (n ∈ N) et x 7−→ sin nx (n ∈ N∗ ). Plus précisément (voir TD), Sg(x) = c 0 (g) + où c 0 (g) = 1 2π Z 2π g(x) , 0 a n (g) = 1 π X +∞ n=1 Z a n (g) cos nx + b n (g) sin nx} , 2π g(x) cos nx dx , 0 b n (g) = 1 π Z (3) 2π g(x) sin nx dx . (4) 0 Voici les deux questions de base dans la théorie des séries de Fourier : (Q1) Comment les propriétés d’une fonction f se reflètent–elles sur ses coefficients de Fourier (1) ou (4) ? (Q2) La série de Fourier (2) ou (3) converge–t–elle vers f et dans quel sens ? La théorie des espaces de Hilbert permet de traiter le cas L2 . 2 Théorème 1.6. (a) Soit f ∈ L2 . Alors la série de Fourier de f converge vers f dans L2 . De plus on a l’ identité de Parseval 2 X +∞ f = |c n (f )|2 . 2 n=−∞ (b) Réciproquement, soit (c n ) ∈ ℓ 2 (Z). Alors la série f= converge dans L2 . X +∞ n=−∞ cn en Remarque 1.7. Par polarisation, l’identité de Parseval s’écrit X +∞ f1 , f2 = n=−∞ c n (f1 ) c n (f2 ) . Exemple 1.8. On considére la fonction h(x) = x sur [−π, +π[ , qu’on prolonge à R par 2π– périodicité. Sa série de Fourier est Sh(x) = i L’identité de Parseval donne X (−1)n n ∗ n∈Z e inx = 2 X+∞ 1 2 n=1 n = X+∞ (−1)n−1 n n=1 sin nx . π2 . 6 π −3π −2π π −π 2π 3π −π L’énoncé suivant répond aux questions (Q1) et (Q2) en cas de forte régularité. Théorème 1.9. (a) Soient k ∈ N et f ∈ C k . Alors c n (f ) = O(|n|−k ) i.e. ∃ C ≥ 0 , ∀ n ∈ N∗ , |c n (f )| ≤ C |n|−k . (b) Réciproquement, soient k ∈ N, α > k+1 et (c n )n∈Z une suite telle que c n = O(|n|−α ). Alors la série X +∞ cn en f= n=−∞ converge dans C k . En cas de faible régularité, les questions (Q1) et (Q2) sont beaucoup plus délicates à traiter. Leur étude fait appel entre autres à la notion de produit de convolution. 3 Définition 1.10. Le produit de convolution est défini dans notre contexte par Z ix 1 f1 (e i(x−y) ) f2 (e iy ) dy (f1 ∗ f2 )(e ) = 2π I Z ou 1 (g1 ∗ g2 )(x) = 2π g1 (x−y) g2(y) dy I où I est un intervalle quelconque de longueur 2π. Proposition 1.11. (a) Le produit de convolution est commutatif. (b) Soient f1 , f2 ∈ L1 . Alors f1 ∗ f2 ∈ L1 avec kf1 ∗ f2 k1 ≤ kf1 k1 kf2 k1 . (c) Soient f1 ∈ L1 et f2 ∈ L∞ . Alors f1 ∗ f2 ∈ L∞ avec kf1 ∗ f2 k∞ ≤ kf1 k1 kf2 k∞ . (d) Soient f1 ∈ L1 et f2 ∈ C . Alors f1 ∗ f2 ∈ C . (e) Plus généralement, soient g1 ∈ L1 et g2 ∈ C k . Alors g1 ∗ g2 ∈ C k avec ∂ ℓ (g1 ∗ g2 ) = g1 ∗ ∂ ℓg2 , pour tout 1 ≤ ℓ ≤ k. (f) Soit uj ∈ C k une unité approchée. Alors • pour tout 1 ≤ p < ∞ et pour tout f ∈ Lp , la suite f ∗ uj ∈ C k converge vers f dans Lp , • pour tout f ∈ C, la suite f ∗ uj ∈ C k converge uniformément vers f . Rappelons qu’une unité approchée sur T est une suite (uj ) de fonctions au moins intégrables (en général continues voire plus régulières) telles que • uj ≥ 0 pour tout j , Z 2π 1 uj (e ix ) dx = 1 pour tout j , • 2π 0 • supp uj −→ {1} lorsque j → +∞. Exemple 1.12. Pour tout j ∈ N∗ , considérons les fonctions uj : R −→ [0, +∞[ 2π–périodiques dont la restriction à l’intervalle [−π, π] est donnée par ( 2j (π−j |x|) si |x| ≤ πj , π uj (x) = 0 si πj ≤ |x| ≤ π. 8 6 4 2 −2π π −π 2π Remarque 1.13. (a) Les points (b) et (c) de la proposition peuvent être généralisés comme suit (inégalité de Young ) : Soient 1 ≤ p, q, r ≤ ∞ tels que p1 + 1q − 1r ≤ 1 et f1 ∈ Lp , f2 ∈ Lq . Alors f1 ∗ f2 ∈ Lr avec kf1 ∗ f2 kr ≤ kf1 kp kf2 kq . (b) Les points (d), (e) et (f) de la proposition illustrent l’ effet régularisant du produit de convolution. 4 Revenons aux coefficients de Fourier. Lemma 1.14. Soient f1 , f2 ∈ L1 . Alors c n (f1 ∗f2 ) = c n (f1 )c n (f2 ) pour tout n ∈ Z. Corollaire 1.15 (injectivité). Soit f ∈ L1 . Alors f = 0 si et seulement si c n (f ) = 0 pour tout n ∈ Z. Corollaire 1.16. Soit f ∈ L1 . Alors • f est paire si et seulement si c−n (f ) = c n (f ) pour tout n ∈ Z, • f est impaire si et seulement si c−n (f ) = −c n (f ) pour tout n ∈ Z, Corollaire 1.17 (Riemann–Lebesgue). Soit f ∈ L1 . Alors c n (f ) n∈Z ∈ c 0 (Z) avec sup n∈Z |cn (f )| ≤ kf k1 . Observons que les sommes partielles SN g = X +N n=−N (5) c n (g) e n . de la série de Fourier d’une fonction g ∈ L1 s’obtiennent par convolution S N g = g ∗ DN au moyen du noyau de Dirichlet DN (x) = X +N n=−N e inx = ( sin (N + 1 )x 2 si x ∈ / 2πZ, 2N+1 si x ∈ 2πZ. sin x 2 15 14 13 12 11 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 -7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 0 -1 1 -2 -3 5 2 3 4 5 6 7 (6) Malheureusement (DN )N ∈N est loin de constituer une unité approchée. On a bien un phénomène de concentration autour de l’origine et Z +π 1 DN (x) dx = 1 , 2π −π mais DN n’est pas positif et surtout 1 2π Z +π |DN (x)| dx −→ +∞ −π Une première réponse à ce problème consiste à remplacer les sommes partielles (5) par les moyennes de Cesàro X N −1 ΣN g = N1 Sn g , (7) n=0 qui s’obtiennent par convolution ΣN g = g ∗ FN au moyen du noyau de Fejér FN (x) = 1 N X N −1 n=0 Dn (x) = ( 1 N 0 1 N 2 sin Nx 2 x sin 2 si x ∈ / 2πZ, si x ∈ 2πZ. (8) 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 -7 -6 -5 -4 -3 -2 -1 2 3 4 5 6 7 Proposition 1.18. La suite (FN )N ∈N constitue une unité approchée généralisée, au sens suivant : • FNZ≥ 0 pour tout N , +π 1 FN (x) dx = 1 pour • 2π Z tout N , −π • Pour tout 0 < η < π, +η 1 2π FN (x) dx −→ 1 lorsque N → +∞. −η Corollaire 1.19. (a) Pour tout 1 ≤ p < ∞ et pour tout g ∈ Lp , la suite g ∗ FN ∈ P converge vers g dans Lp . (b) Pour tout g ∈ C, la suite g ∗ FN ∈ P converge uniformément vers g. 6 Nous concluons avec le critère de convergence suivant. Théorème 1.20 (Jordan–Dirichlet). Soit g : R −→ C une fonction 2π–périodique et C 1 par morceaux. Alors, pour tout x ∈ R, la suite SN g(x) converge vers ( g(x) si g est continue au point x, g(x+0) +g(x−0) si g est discontinue au point x. 2 Rappelons qu’une fonction 2π–périodique g : R −→ C est C 1 par morceaux s’il existe −∞ < a 0 < . . . < aN < +∞ avec aN − a 0 = 2π tels que • g est C 1 sur chaque intervalle ]aj−1, aj [ , • g et g ′ possèdent des limites à droite et à gauche g(x ± 0) = lim hց0 g(x ± h) et g ′ (x ± 0) = lim hց0 g ′ (x ± h) en chaque point x = aj . Exemple 1.8 π -2π -π 0 π 2π -π Remarque 1.21. • La conclusion du théorème reste vraie si g ∈ L1 est suffisamment régulière (par exemple C 1 par morceaux ) au voisinage de x. • Il existe des fonctions f ∈ C dont la série de Fourier ne converge pas partout. Le premier exemple remonte à du Bois–Reymond en 1873. • Kolmogorov a construit en 1926 un exemple de fonction f ∈ L1 dont la série de Fourier diverge partout. • Carleson a montré en 1966 que la série de Fourier d’une fonction f ∈ L2 converge vers f presque partout. 7