Gardons le cap Alain Stucki, Lycée cantonal de Porrentruy «Ce nom marin de Rhumbs a intrigué quelques personnes,…. Comme l'aiguille du compas demeure assez constante, tandis que la route varie, ainsi peut-on regarder les caprices ou bien les applications successives de notre pensée,… comme des écarts définis par contraste avec je ne sais quelle constance dans l'intention profonde et essentielle de l'esprit,…» Paul Valéry, Rhumbs, p.9 I. Introduction La courbe déterminée par un bateau qui suit une direction faisant un angle constant avec les méridiens s'appelle une loxodromie (ou rhumb). La trajectoire loxodromique reliant deux points du globe terrestre ne constitue en général pas le chemin le plus court entre ces deux points, celui-ci étant réalisé le long d'une courbe appelée orthodromie (un arc de grand cercle sur le globe). Dans cet article, nous allons nous intéresser plus particulièrement à la loxodromie. II. Coordonnées géographiques et géocentriques Rappelons qu'un méridien est un grand cercle passant par les pôles N et S (le méridien de référence étant celui de Greenwich), et qu'un parallèle est un cercle du globe dont le plan est perpendiculaire à l'axe @N SD (le parallèle de référence étant l'équateur). L'angle j est la longitude, Est ou Ouest, du point P, et l'angle l est sa latitude, Nord ou Sud. N z P R l O x j y J I S Coordonnées géographiques : PHj, lL Coordonnées géocentriques : PHx, y, zL ó PH R cosHlL cosHjL , R cosHlL sinHjL , R sinHlL L III. Détermination du cap Partons d'un point A sur le globe et déplaçons-nous vers l'Est en maintenant le cap a0 , 0 ° < a0 < 90 ° (angle entre un méridien et notre direction). Sur la loxodromie ainsi définie, à chaque valeur de j e @0, ∞ @, exprimée en radians, correspond une valeur de l, 0 § l = lHjL § Åp2Å Å . Le vecteur-position d'un point P de cette loxodromie s'écrit ij R cosHlL cosHjL yz øøö z j OP = jjjj R cosHlL sinHjL zzzz z j R sinHlL { k ö ö Appelons tm le vecteur unitaire tangent au méridien, et tl le vecteur unitaire tangent à la loxodromie, les sens étant définis comme le montre la figure ci-dessous ◊ tm N a0 O ÷÷÷÷÷÷÷◊ OP ◊ tl P A S ö øö øö 1 Constatons que le long d'un méridien caractérisé par j = constante, tm = ÅÅÅÅøÅÅö ÅÅÅÅÅ ÅÅÅ vm , où vm est la vitesse le long øö ∞vm ¥ du méridien si l est considéré comme le temps. Calculons vm øö vm ij - sinHlL cosHjL yz ij -R sinHlL cosHjL yz ij R cosHlL cosHjL yz øøö z z j z j d j = Ådl ÅÅdÅÅÅÅ OP = ÅÅÅdl ÅÅÅÅÅ jjjj R cosHlL sinHjL zzzz = jjjj -R sinHlL sinHjL zzzz = R jjjj - sinHlL sinHjL zzzz z z j z j j cosHlL R cosHlL R sinHlL { { k { k k et la norme au carré de ce vecteur øö 2 ∞vm ¥ = R2 H sin2 HlL cos2 HjL + sin2 HlL sin2 HjL + cos2 HlL N = R2 H sin2 HlL @cos2 HlL + sin2 HlLD + cos2 HlL L = R2 H sin2 HlL + cos2 HlL L = R2 Par conséquent ô tm - sinHlL cosHjL y zz jij j j = jj - sinHlL sinHjL zzzz z j cosHlL { k ö ö ö De manière analogue, tl = ÅÅÅÅÅö Å1Å ÅÅÅÅÅÅ vl , où vl est la vitesse le long de la loxodromie si j représente le temps, et ∞vl ¥ sans oublier que l = lHjL. On a donc ö vl d ÅÅÅdj ÅÅÅÅÅ = øøö OP = d ÅÅÅdj ÅÅÅÅÅ ij R cosHlL cosHjL yz ij - l' sinHlL cosHjL - cosHlL sinHjL yz zz z jj j jj R cosHlL sinHjL zz = R jjj - l' sinHlL sinHjL + cosHlL cosHjL zzz zz zz jj jj R sinHlL l' cosHlL { { k k Calculons la norme au carré de ce vecteur ö 2 ∞ vl ¥ = R2 H l'2 sin2 HlL cos2 HjL + 2 l' sinHlL sinHjL cosHlL cosHjL + cos2 HlL sin2 HjL + l'2 sin2 HlL sin2 HjL - 2 l' sinHlL sinHjL cosHlL cosHjL + cos2 HlL cos2 HjL + l'2 cos2 HlL L = R2 H l'2 H sin2 HlL @ cos2 HjL + sin2 HjL D + cos2 HlL L + cos2 HlL @ sin2 HjL + cos2 HjL D L = R2 H l'2 + cos2 HlL L Par conséquent ô tl ij - l' sinHlL cosHjL - cosHlL sinHjL yz z j 1 = Ä"########################## ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ ÄÄÄÄÄÄÄÄÄ jjjj - l' sinHlL sinHjL + cosHlL cosHjL zzzz z l'2 + cos 2 HlL j l' cosHlL { k ö ö ‡ Ecrivons à présent les formes trigonométrique et analytique du produit scalaire des vecteurs tl et tm ö ö ö ö 1) tl ÿ tm = ∞ tl ¥ ÿ ∞tm ¥ ÿ cosHa0 L = cosHa0 L, car les vecteurs sont unitaires ij - l' sinHlL cosHjL - cosHlL sinHjL yz ö ö z j ÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅ2ÅÅÅÅÅÅÅÅ1ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅ jjjj - l' sinHlL sinHjL + cosHlL cosHjL zzzz 2) tl ÿ tm = ÅÅ"######################### z l' + cos2 HlL j l' cosHlL { k ij - sinHlL cosHjL yz z j ÿ jjjj - sinHlL sinHjL zzzz z j cosHlL { k = ÅÅÅ"######################### ÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅ1ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ H l' sin2 HlL cos2 HjL + cosHlL sinHjL sinHlL cosHjL l'2 + cos2 HlL + l' sin2 HlL sin2 HjL - cosHlL cosHjL sinHlL sinHjL + l' cos2 HlL L 1 2 = ÅÅ"######################### ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ2ÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅ H l' H sin HlL @ cos2 HjL + sin2 HjLD + cos2 HlL L L l' + cos2 HlL = ÅÅ"######################### ÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅ2ÅÅÅÅÅÅÅÅ1ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÿ l' l' + cos2 HlL On en déduit la relation l' cosHa0 L = ÄÄÄ"########################## ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ ÄÄÄÄÄÄ 2 l' + cos2 HlL Exprimons ensuite sinHa0 L sinHa0 L = 2 2 2 2 è!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ! 1 - cos2 Ha0 L = $%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%% 1 - ÅÅl'ÅÅÅÅ2ÅÅÅÅ+ÅÅÅÅÅl'Åcos ÅÅÅÅ ÅÅÅ2ÅÅÅÅÅHlL ÅÅÅÅÅÅ% = $%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%%% ÅÅl'ÅÅÅÅÅÅÅl'ÅÅ+ÅÅ2ÅÅÅcos ÅÅ+ÅÅÅÅcos Å ÅÅÅÅÅHlL ÅÅÅ2ÅÅÅHlL Å-Å ÅÅÅl'ÅÅÅÅÅÅÅÅ% = ÅÅÅ"######################### ÅÅÅÅÅÅÅÅÅ2ÅÅcosHlL ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅ l' + cos2 HlL et encore cotHa0 L l' ÅÅ"######################### ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ#ÅÅÅÅÅ + cos HlL cotHa0 L = ÅÅcosHa ÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅ0ÅÅÅLÅÅ = ÅÅÅÅÅÅÅÅl'ÅÅÅÅÅÅcosHlL ÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅ = ÅcosHlL ÅÅÅÅl'ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ sinHa0 L 2 2 ÅÅ"######################### ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ#ÅÅÅÅÅ l'2 + cos2 HlL l' ‡ L'équation cotHa0 L = ÄÄcosHlL ÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄÄ ÄÄÄ établit un lien implicite entre a0 , j et l, mais la dérivée l' est indésirable. Intégrons donc cette équation ÅÅ ÅÅl'ÅÅÅÅÅÅÅÅÅ „ j Ÿ cotHa0 L „ j = Ÿ ÅÅÅcosHlL ÅÅÅÅÅÅl'ÅÅÅÅÅ ÅÅÅ „ j = Ÿ ÅÅsinHl+ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅl'ÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅpÅÅÅÅÅÅÅLÅÅÅ „ j = ‡ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅlÅÅÅÅÅÅÅÅÅpÅ ÅÅl'ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅlÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅpÅÅÅÅÅ „ j j cotHa0 L = Ÿ ÅÅcosHlL 2 sinI ÅÅÅÅÅÅ + ÅÅÅÅÅ M cosI ÅÅÅÅÅÅ + ÅÅÅÅÅ M 2 2 = ‡ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅlÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅpÅÅÅÅl'ÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅ2ÅÅÅÅÅÅlÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅpÅÅÅÅÅÅ 2 tanI Å2ÅÅÅÅ + Å4ÅÅÅ M cos I ÅÅÅ2ÅÅÅ + ÅÅ4ÅÅÅÅ M 2 4 „j ÅÅÅÅÅÅÅÅÅ2ÅÅÅÅÅÅ1ÅÅlÅÅÅÅÅÅÅÅpÅÅÅÅÅÅÅ ÿ Ål'ÅÅ2ÅÅÅ du type Ÿ Åu'uÅÅÅÅ = ln » u » cos I Å2ÅÅÅÅÅ + Å4ÅÅÅÅÅ M = ‡ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅlÅÅÅÅÅÅÅÅ ÅÅpÅÅÅÅÅÅÅÅ „ j tanI ÅÅÅÅÅ + ÅÅÅÅÅÅ M 2 4 4 = ln » tanH ÅÅl2ÅÅÅÅ + ÅÅp4ÅÅÅ L » + c Comme 0 § l § Åp2ÅÅÅ , la valeur absolue est inutile, et l'égalité prend la forme l p j cotHa0 L = ln I tanI ÄÄÄ2ÄÄ + Ä4ÄÄÄ M M + c (1) La valeur de la constante c s'obtient en exprimant que la loxodromie passe par un point AHjA , lA L. Par exemple, si AHjA , lA ) = IH0, 0L, alors c = 0, et le cap permettant de relier le point IH0, 0L au point PH j , l L est donné par l p ln ItanI ÅÅÅÅÅ + ÅÅÅÅÅ M M a0 = arccot Å ÅÅÅÅ ÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅÅjÅ ÅÅ2ÅÅÅÅÅÅÅÅÅ4ÅÅ ÅÅÅÅÅÅ IV. Equation de la loxodromie L'équation en coordonnées géographiques de la loxodromie reliant A et P sur le globe s'obtient à partir de (1) en explicitant l = lHjL. Nous obtenons successivement j cotHa0 L - c = ln H tanH ÅÅÅl2ÅÅ + ÅÅÅp4ÅÅ L L ‰j cotHa0 L-c = tanH ÅÅl2ÅÅÅÅ + ÅÅp4ÅÅÅÅ L arctan H‰j cotHa0 L-c L = Ål2ÅÅÅ + Åp4Å ÅÅÅ arctan H‰j cotHa0 L-c L - ÅÅp4ÅÅÅ = Ål2ÅÅÅ et finalement, l'équation de la loxodromie l HjL = 2 arctan H„j cot Ha0 L-c L - Ä2pÄÄÄÄ Observons que la fonction l(j) est croissante, et que lim lHjL = Å2pÅ ÅÅÅ . Ainsi, pour 0 ° < a0 < 90 °, les trajectoires jz∞ loxodromiques sont des courbes qui s'enroulent sur le globe, tous les chemins menant au pôle Nord. N S IH0,0L La projection stéréographique (de centre le pôle Nord) sur le plan de l'équateur d'une loxodromie est une spirale logarithmique, et sa projection orthogonale sur le plan de l'équateur est une spirale de Poinsot. V. Un rapide coup d'oeil sur l'orthodromie Contemplons sur un dessin la loxodromie (en trait plein) et l'orthodromie reliant la ville de Porrentruy H7 ° E, 47 ° NL à la ville de Miami H80 ° O , 26 ° NL. N Porrentruy Miami IH0,0L S Au départ de Porrentruy, pour suivre la trajectoire loxodromique, il faut se déplacer vers des latitudes Sud, alors que pour suivre la trajectoire orthodromique, il faut d'abord se déplacer vers des latitudes Nord ! VI. Commentaires et conclusion La Terre (modélisée simplement par une sphère) se prête bien aux mathématiques appliquées. Elle permet d'aborder, dans un cadre concret, des sujets variés de difficultés diverses. Si l'objet traité ici fait appel à des notions d'analyse et de géométrie vectorielle dans R3 , d'autres thèmes n'exigent pas de tels outils. Par exemple, il n'est pas difficile de calculer la longueur du plus court chemin entre Porrentruy et Miami. Cependant, pour réaliser ce petit projet, il faut introduire les systèmes de coordonnées géographiques et géocentriques, utiliser le théorème de Pythagore, faire de la trigonométrie et encore savoir calculer la longueur d'un arc de cercle. De nombreuses autres pistes sont exploitables, notamment celles qui consistent à représenter la Terre sur un plan. En effet, la cartographie suscite beaucoup de problèmes intéressants, dont voici une illustration : une carte de Mercator sur laquelle sont représentées la loxodromie (en trait plein) et l'orthodromie qui relient Porrentruy à Miami. A méditer. Références [1] Une approche mathématique de la cartographie, Publication du GEM, Chemin du Cyclotron 2, B-1348 Louvain-La-Neuve, 2001 [2] Géodésie générale, Tomes 1 et 2, J.-J. Levallois, Ed. Eyrolles, 1970 [3] Vermessungskunde, Prof. F. Chaperon, Institut für Geodäsie und Photogrammetrie, ETHZ, 1985 [4] http://www.mathcurve.com/courbes3D/loxodromie/sphereloxodromie.shtml