CAS CLINIQUE Progrès en Urologie (2000), 10, 1204-1207 Tumeur urothéliale et cancer colique dans le cadre d’un syndrome de prédisposition héréditaire au cancer colique HNPCC Alexandre de la TAILLE (1, 2) , Christophe MARIETTE (1), Marie-Pierre BUISINE (3), Jacques BISERTE (2), Jean-Pierre TRIBOULET (1) (1) Service de Chirurgie Viscérale, (2) Service de Chirurgie Urologique, (3) Laboratoire de Biochimie et de Biologie Moléculaire, Hôpital Claude Huriez, Lille, France RESUME Nous rapportons l'association chez un patient d'une tumeur urétérale et de carcinomes coliques dans le cadre du syndrome de prédisposition héréditaire aux cancers coliques HNPCC (Hereditary Non Polyposis Colon Cancer). Les critères de reconnaissance du syndrome HNPCC sont rappelés pour sensibiliser les urologues à l'intérêt d'orienter l'interrogatoire de leurs patients porteurs de tumeurs de la voie excrétrice supérieure vers les antécédents familiaux et vers la sphère digestive. Mots clés : Cancers colo-rectaux, héréditaires, uretère, tumeur urothéliale, syndrome de Lynch. Les tumeurs de l'uretère et du bassinet sont des tumeurs peu fréquente dans la pratique chirurgicale quotidienne (incidence estimée à 2 cas par an et pour 100 000 habitants [10]). Parfois, ces tumeurs s'associent à des antécédents familiaux de cancers en particulier rectocoliques, et peuvent être inclues dans le cadre de maladie héréditaire. Le cancer recto-colique héréditaire non polypoïde (HNPCC pour Hereditary NonPolyposis Colorectal Cancer, ou syndrome de Lynch) représente 5% à 13% de l’ensemble des cancers colo-rectaux diagnostiqués chaque année en France et est le premier grand syndrome de prédisposition héréditaire au cancer recto-colique (la polypose adénomateuse familiale vient en seconde position avec 1% des cancers colorectaux) [7, 9, 11]. Le syndrome HNPCC (critères modifiés d’Amsterdam) associe au sein d’une même famille des tumeurs du colon à des cancers d’autres sites en particulier hépatobiliaires, de l’endomètre, de l’ovaire, de l’estomac, de l'intestin grêle ou de la voie excrétrice urinaire. Nous présentons le cas d’un patient atteint d’une tumeur colique entrant dans le syndrome HNPCC (critères modifiés d'Amst erdam) chez qui a été découvert une tumeur de la voie excrétrice supérieure. Après avoir repris la définition clinique et génétique du syndrome HNPCC, nous discutons l'intérêt de la recherche de mutations et le bien-fondé d'un dépistage des tumeurs urothéliales chez les patients HNPCC et la recherche de tumeurs coliques chez les patients at teints de tumeur de la voie excrétrice supérieure. OBSERVATION Dans les antécédents familiaux de A.C., un frère décédé à 38 ans d'un adénocarcinome colique, un père décédé à 67 ans d'un adénocarcinome rénal et un oncle décédé à 93 ans d'une tumeur de la voie excrétrice urinaire. Il présente un tabagisme très modéré à 10 paquets/années. A l'âge de 47 ans, une coloscopie réalisée pour un méléna permet le diagnostic de 2 lésions suspectes sigmoïdiennes. Il bénéficie d'une rectosigmoidectomie avec anastomose colo-rectale en janvier 1986. Le diagnostique anatomopathologique est un adénocarcinome pT2N0. Compte tenu des antécédents familiaux, ce patient est atteint d'un syndrome HNPCC (critères modifiés d'Amsterdam). La surveillance par coloscopie permet le diagnostic d'une seconde localisation au niveau du colon droit en 1991 entraînant un geste chirurgical de colectomie droite et curage lymphonodal. L'analyse anatomopathologique diagnostique un adénocarcinome pT3N0. En septembre 1993, une hématurie macroscopique fait découvrir une tumeur urothéliale de l’uretère gauche à l'urographie intraveineuse (Figure 1). La tomodensitométrie montre une tumeur urétérale sans invasion des organes avoisinants (uro-scanner avec reconstruction Manuscrit reçu : juin 2000, accepté : septembre 2000. 1204 Adresse pour correspondance : Dr. A. de la Taille, Service d’Urologie, Hôpital Claude Huriez, 1, place de Verdun, 59000 Lille. e-mail : [email protected] A. de la Taille et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 1204-1207 Figure 2. Uro-scanner avec reconstruction en 3 dimensions de la tumeur urothéliale du tiers moyen de l’uretère gauche. d'Amsterdam, seules les mutations sur les gènes de réparation de l'ADN hMLH1 et hMSH2 sont recherchées. A.C. ne présentait pas de mutations de ces 2 gènes. DISCUSSION Figure 1. Aspect de l’urographie intraveineuse d’une lésion du tiers moyen de l’uretère gauche. Figure 2). Une néphro-urétérectomie est réalisée et l'examen anatomopathologique permet le diagnostic de carcinome urothélial de stade pTa et de grade 1. Le suivi urologique consiste en un bilan biologique rénal régulier, une urographie et une cystoscopie. En janvier 1997, une récidive d'une tumeur papillaire de très petite taille (1 mm de diamètre) est vue au niveau du col vésical. Une électrocoagulation sous anesthésie locale est réalisée. Depuis cette date, le patient n’a pas présenté d’autre localisation ou de récidive de sa maladie urothéliale. La surveillance de la pathologie colique met en évidence en septembre 1998 une ascension progressive du marqueurs CA19.9 (à 40.6 U/mL pour une normale inférieure à 37 U/mL). Une coloscopie fait découvrir une lésion suspecte à 42 cm de la marge anale. La biopsie diagnostique un adénocarcinome colique. Une colectomie totale est réalisée en octobre 1998. Le patient présentait à nouveau sur l'examen histologique final une tumeur colique pT3N0. Le suivi ne retrouve pas d’autre localisation ou de récidive. Une analyse génétique a été réalisée: chez les patients d'une famille du syndrome HNPCC ayant tous les critères Le cancer du syndrome HNPCC est une maladie héréditaire à transmission autosomique dominante suggérant un conseil familial et un programme de dépistage familial [3, 5]. La pénétrance de la maladie augmente avec l’âge. Il existe 2 présentations du syndrome HNPCC: - soit le syndrome HNPCC est décrit comme étant l’association de plusieurs cancers du colon au sein d’une même famille à l’exclusion des autres cancers parmi les apparentés. Ces cancers sont plus fréquemment situés dans la partie droite du colon et surviennent précocement avant l’âge de 50 ans. Leur pronostic semble meilleur que des cancers du même stade survenant dans un cadre sporadique [7]. - soi t le syndrome HNPC C (cri tères modifiés d’Amsterdam) est l’association entre les cancers colorectaux et des tumeurs hépatobiliaires, de l’endomètre, de la voie excrétrice urinaire supérieure, de l’ovaire, de l’estomac, ou du grêle. Les 6 critères de reconnaissance de la conférence de consensus d'Amsterdam sont [14]: - 3 parents atteints d’un cancer du colon, de l’endomètre, de l’intestin, ou de la voie excrétrice; - l’un des patients atteints doit être parent au premier degré d’un des 2 autres; - des cas doivent être présents sur 2 générations successives; - au moins un des patients doit être âgé de moins de 50 ans au moment du diagnostic; 1205 A. de la Taille et coll., Progrès en Urologie (2000), 10, 1204-1207 - la PolyAdénomatose Familiale doit être éliminée; - les tumeurs doivent avoir un diagnostic histologique. Quatre régions du génome sont actuellement identifiés comme étant le siège de gènes responsables des prédispositions au cancer colorectal du syndrome HNPCC [14]. Ils sont situés sur le chromosome 2 (3 locus), le 3 et le 7. Plusieurs gènes ont été impliqués (hMSH2, hMLH1, hMSH6, PMS1 et PMS2) mais 2 sont particulièrement fréquents: hMSH2 est retrouvé dans 31% des patients HNPCC et hMLH1 dans 33% des cas. Ces gènes sont impliqués dans la réparation des mésappariements de l’ADN et leur altération conduit à une instabilité du génome dans les cellules tumorales, particulièrement visible au niveau de locus de type microsatellites (séquences répétitives difficiles à retranscrire et donc sources d'erreurs en cas d'anomalie des enzymes de la réplication) [4, 8]. Il faut cependant souligner que 30% des patients présentant les critères d’Amsterdam ne présentent pas d’anomalie au niveau de ces gènes [14]. Peut être existe-t-il d'autres gènes impliqués mais pas encore découverts. Dans notre laboratoire, lorsqu'u n patient présente tous les critères d'Amsterdam, seules les mutations de hMLH1 et hMSH2 sont recherchées. Il existe actuellement une étude sur l'intérêt de la recherche systématique de mutations de hMSH6 [2]. Concernant PMS1 et PMS2, la littérature ne rapporte que trop peu de cas de mutation dans le syndrome HNPCC répondant aux critères d'Amsterdam pour que la recherche soit systématique dans notre institution [2]. Le test RER (Replicative Error), recherchant des anomalies au niveau des séquences répétitives, n'est réalisé que si le patient ne présente pas tous les critères d'Amsterdam dans notre laboratoire. d’une tumeur de la voie excrétrice supérieurs [1]. KIRKAH montre que le suivi à 10 ans de patients atteints d’une tumeur de l’uretère ou du bassinet, permet le diagnostic d’une seconde tumeur extra-urinaire dans 11% des cas et que dans 75% de ces cas, il s’agit d’un cancer colo-rectal [6]. Le risque d’avoir un cancer colo-rectal pour un patient atteint d’une tumeur de la voie excrétrice supérieure est multiplié par 4 [6]. Deux études avaient proposé en 1989 [6] et en 1998 [12] des études prospectives sur l'intérêt du dépistage des lésions urothéliales chez les HNPCC ou du dépistage des lésions coliques chez des patients atteints de tumeur de la voie excrétrice. Aucune publication ne rapporte de recommandation à ce jour. CONCLUSION Il n’existe pas actuellement de recommandation d’un dépistage systématique du cancer colo-rectal des patients suivi pour tumeur de la voie excrétrice supérieure ni de dépistage systématique de tumeur urothéliale chez les patients (ou leur famille) atteints d’un syndrome de HNPCC. Il est cependant licite de suggérer, après analyse de la littérature, chez les patients présentant des antécédents familiaux de cancer entrant dans le cadre du syndrome HNPCC (critères modifiés d'Amsterdam), un interrogatoire orienté sur la sphère digestive et qu’en cas d’anomalie, une coloscopie et/ou un lavement baryté soient proposés. REFERENCES Le risque cumulé de développer un cancer colo-rectal et de l’endomètre chez les patients porteurs des gènes mutés est estimée à 50% et 30% respectivement [11, 16]. Ce risque est aussi augmenté pour les cancers hépato-biliaires, de l’estomac, du grêle, de l’uretère, du bassinet, des ovaires et du cerveau [13, 14, 15]: les études de Vasen [14] suggèrent que les porteurs de la mutation hMSH2 ont un risque relatif accru de développer un cancer des voies excrétrices supérieures (Risque Relatif 75.3), de l’estomac (Risque Relatif 19.3) et des ovaires (Risque Relatif 7.57). Enfin Sijmons et al [12] confirment l’augmentation de façon significative du risque relatif des tumeurs urothéliales de l’uretère et du bassinet (risque relatif 14.04 / risque cumulé de 2,6%) mais pas du risque de tumeur vésicale ou rénale. 1. BATATA M.A., WHITMORE W.F., HILARIS B.S., TOKITA N., GRABSTALD H. Primary carcinoma of the ureter: a prognostic study. Cancer, 1975, 35, 1626-1632. 2. BOLAND CR. Molecular genetics of hereditary nonpolyposis colorectal cancer. Ann. N.Y. Acad. Sci., 2000, 910, 50-59. 3. BURKE W., DALY M., GARBER J., BOTKIN J., KAHN M.J., LYNCH P., M CTIERNAN A. , OFFIT K., PERLMAN J. , PETERSEN G., THOMSON E., VARRICCHIO C. Recommendations for follow-up care of individuals with an inherited predisposition to cancer. II. BRCA1 and BRCA2. Cancer Genetics Studies Consortium. J.A.M.A., 1997, 277, 997-1003. 4. FISHEL R., LESCOE M.K., RAO M.R., COPELAND N.G., JENKINS N.A., GARBER J., KANE M., KOLODNER R. 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The rec all the diagnostic criteria of HNPCC syndrome and emphasize the importance of guiding the clinical interview of patie nts with upper urinary tract tumours in order to de tec t a family history and the presence of gastrointestinal tumours. ____________________ 14. VASEN H.F., WIJNEN J.T., MENKO F.H., KLEIBEUKER J.H., TAAL B.G., GRIFFIOEN G., NAGENGAST F.M., MEIJERSHEIJBOER E.H., BERTARIO L., VARESCO L., BISGAARD M.L., Key-Words: Colorectal cancers, hereditary, ureter, urothelial tumour, Lynch syndrome. ____________________ 1207