É d i t o r i a l

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Éditorial
Reconnaître et affirmer l'existence d'un syndrome HNPCC (Hereditary Non Polyposis Colorectal Cancer) ou
syndrome de Lynch est souvent difficile sur les seuls arguments cliniques. Cette prédisposition héréditaire au
cancer colorectal, responsable de 5 à 10 % de ces tumeurs, est en effet principalement reconnue par son mode
de transmission autosomique dominant (1). Les critères d'Amsterdam, établis en 1991 par l’International
Collaborative Group on Hereditary Non-Polyposis Colorectal Cancer (ICG-HNPCC) (1, 2), s'appuient essentiellement sur la reconnaissance de cette transmission héréditaire. Selon ces critères, le diagnostic de syndrome HNPCC peut être retenu lorsque les 3 critères suivants sont associés :
– au moins 3 malades unis par un lien de parenté sont atteints de cancer colorectal, deux d'entre eux au moins
étant apparentés au premier degré ;
– deux générations au moins sont atteintes ;
– au moins un cancer colorectal a été diagnostiqué avant 50 ans.
En fait, les récentes études moléculaires ont montré que si l'association des trois critères d'Amsterdam était très
spécifique du syndrome HNPCC, celui-ci peut être également considéré dans des situations moins caricaturales,
mais nettement plus fréquentes, où n'existent qu'un
ou deux de ces critères (3-5). Dans son étude princeps de 1995, Liu et coll. avaient montré que chez les
malades de moins de 35 ans atteints de cancer colorectal, près de 60 % des tumeurs présentaient un
phénotype RER+ très évocateur du diagnostic de
syndrome HNPCC et qu'une mutation germinale
délétère pouvait être détectée dans près de la moitié
des cas (4). En dehors des critères d'Amsterdam,
d'autres éléments clinico-biologiques peuvent également faire évoquer le diagnostic, tels que les caractères du cancer colorectal lui-même (multifocalité,
localisation colique droite, composante inflammatoire ou mucineuse, diploïdie), la présence de nombreux adénomes colorectaux (> 5), ou surtout l'association à un
cancer extracolorectal faisant partie du spectre HNPCC. Il existe donc, à côté du syndrome HNPCC typique,
toute une frange de situations cliniques imparfaitement définies où le diagnostic est possible sans être certain.
Diagnostic moléculaire
du syndrome HNPCC :
réel progrès ou simple gadget
technologique ?
Au-delà du simple intérêt nosologique, rapporter un cancer colorectal à un syndrome HNPCC est pourtant loin
d'être dénué de conséquences pratiques, car :
– L'existence d'un syndrome HNPCC modifie l'attitude chirurgicale face à un cancer colorectal. En effet, la réalisation d'une colectomie partielle s'accompagne d'un risque de deuxième cancer colorectal métachrone de 40 %
dans les 10 ans qui suivent l'intervention chirurgicale (6). La réalisation d'une colectomie subtotale avec anastomose iléorectale et surveillance du moignon rectal est donc généralement recommandée dans cette situation (1).
– En raison de son mode de transmission autosomique dominant avec forte pénétrance, la reconnaissance d'un
syndrome HNPCC impose une surveillance colorectale de la famille du proposant. En l'absence de diagnostic
moléculaire présymptomatique, cette surveillance repose principalement, selon les recommandations de l’ICGHNPCC (7), sur l'examen coloscopique répété tous les 1 à 2 ans à partir de l'âge de 20-25 ans ou à défaut cinq
ans avant l’âge d’apparition du cancer le plus précoce dans la famille. La possibilité de diagnostic présymptomatique tend cependant à modifier cette prise en charge, car elle permet de différencier les apparentés non
porteurs de la mutation, chez lesquels aucune surveillance spécifique n'est justifiée, des porteurs de la mutation, chez lesquels une surveillance coloscopique annuelle ou une colectomie prophylactique peuvent être envisagées (1).
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– Enfin, 10 à 20 % des familles atteintes de syndrome HNPCC sont également à risque de cancer extracolorectal,
l'affection étant dans ce cas dénommée “cancer family syndrome” (ou syndrome de Lynch II) (1). La plus fréquente de ces tumeurs, l'adénocarcinome de l'endomètre, impose une prise en charge spécifique des apparentés qui est
basée, selon les recommandations de l’ICG-HNPCC, sur l'échographie endovaginale annuelle à partir de l’âge de
30 ans (7). La réalisation d'une hystérectomie prophylactique avec ovariectomie bilatérale peut être également
envisagée chez les femmes porteuses d’une mutation identifiée ou ayant déjà développé un cancer colorectal (1).
Enfin, une surveillance spécifique doit être réalisée dans certaines familles à risque de cancer de l’estomac ou des
voies urinaires.
Cinq gènes délétères, localisés dans différentes régions du génome, ont été identifiés dans le syndrome HNPCC :
hMLH1, hMSH2, hPMS1, hPMS2 et très récemment hMSH6/GTBP (8-10). Le produit de ces cinq gènes forme un
complexe multiprotéique qui assure la reconnaissance, l'excision et la réparation des mésappariements de l'ADN
secondaires aux erreurs de réplication. L'altération de l'un de ces gènes entraîne donc, après inactivation de l'autre
copie, l'accumulation d’erreurs non corrigées dans les tumeurs (9). Ces erreurs sont particulièrement fréquentes
dans les séquences répétitives mono-, di-, tri- ou tétranucléotidiques dénommées microsatellites, ce qui entraîne
l’apparition de nouveaux allèles de taille variable dans la tumeur. L'apparition de ces nouveaux allèles, absents à
l’état constitutionnel, définit l’instabilité génomique ou phénotype RER+ (Replication ERror).
Confirmer l'existence d'un syndrome HNPCC chez un malade atteint de cancer colorectal constitue la première aide
que peut apporter la biologie moléculaire. En effet, si la recherche d'une mutation délétère dans des situations cliniquement douteuses est une option trop lourde pour être envisagée d'emblée, la caractérisation du statut RER
constitue à l'évidence une alternative très séduisante. Ainsi, un phénotype RER+ est observé dans 92 à 100 % des
cancers colorectaux liés à un syndrome HNPCC contre seulement 3 à 17 % des cancers colorectaux en apparence
sporadiques. Plus que la simple définition biologique du phénotype RER+ qui repose sur le pourcentage et le type
de microsatellites instables (11, 12), la principale limite de ce test réside dans le fait que s’il permet de reconnaître
un syndrome HNPCC chez un malade atteint, il n’est bien sûr d’aucune utilité pour le diagnostic présymptomatique
des apparentés. De plus, ce test ne possède qu’une sensibilité médiocre pour les autres tumeurs du spectre HNPCC,
en particulier les adénomes colorectaux non transformés (13) et les adénocarcinomes de l'endomètre (14). Enfin,
comme pour toute étude de l'ADN, ce test ne peut être réalisé qu'en l'absence de fixation de la tumeur dans le liquide de Bouin et de préférence à partir de tissu congelé, ce qui doit être indiqué à l’anatomopathologiste ayant en
charge la pièce de colectomie.
Le second apport potentiel de la biologie moléculaire réside dans la possibilité de diagnostic présymptomatique
chez les apparentés lorsque le diagnostic de syndrome HNPCC est confirmé. Bien que les altérations de hMLH1 et
hMSH2 représentent à elles seules près de 90 % des mutations germinales connues (15), l'hétérogénéité génétique
de la maladie rend relativement laborieux ce diagnostic présymptomatique. Cette approche ne peut être simplifiée
par l'étude du phénotype, car il n'existe pas de corrélation nette avec le phénotype, en dehors d'une incidence un
peu plus élevée des cancers extracolorectaux chez les porteurs d’une mutation du gène hMSH2 (16, 17). Enfin, et
surtout, il faut insister sur le fait que la mutation délétère ne peut être détectée que dans 75 % des cas environ et
que, de ce fait, un test négatif ne permet pas d'exclure le diagnostic.
Si ces cinq dernières années ont donc été extrêmement fructueuses pour la compréhension de la génétique du syndrome HNPCC, permettant le développement d’outils diagnostiques performants, leur transfert vers la pratique clinique ne semble pas s'être encore complètement opéré. Plus que le manque d’information, c’est sans doute le délai
important lié à toute étude moléculaire qui est en cause, ce qui, par exemple, ne permet pas de guider en semiurgence l'attitude chirurgicale face à un cancer du côlon suspect de s'intégrer à un syndrome HNPCC. Les nou-
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velles techniques d’étude fonctionnelle ou immunohistochimique en cours de développement pourront peut-être
répondre à certaines de ces attentes. Enfin et surtout, reste à apprécier les conséquences éthiques, médicales et
légales de ces nouveaux outils diagnostiques, qui ne manqueront pas d'être lourdes.
Ph. Jaïs*
Références
1. Lynch H.T., Smyrk T. Hereditary nonpolyposis colorectal cancer (Lynch syndrome) : an updated review. Cancer 1996 ; 15
(78) : 1149-67.
Vasen H.F., Mecklin J.P., Khan P.M., Lynch H.T. The International Collaborative Group on Hereditary Nonpolyposis
Colorectal Cancer (ICG-HNPCC). Dis Colon Rectum 1991 ; 34 : 424-5.
3. Beck N.E., Tomlinson I.P., Homfray T. et coll. Genetic testing is important in families with a history suggestive of hereditary
nonpolyposis colorectal cancer even if the Amsterdam criteria are not fulfilled. Br J Surg 1997 ; 84 : 233-7.
4. Liu B., Farrington S.M., Petersen G.M. et coll. Genetic instability occurs in the majority of young patients with colorectal
cancer. Nat Med 1995 ; 1 : 348-52.
5. Wang Q., Desseigne F., Lasset C. et coll. Germline hMSH2 and hMLH1 gene mutations in incomplete HNPCC families. Int
J Cancer 1997 ; 73 : 831-6.
6. Lynch H.T., Watson P., Lanspa S.J. et coll. Natural history of colorectal cancer in hereditary nonpolyposis colorectal cancer
(Lynch syndromes I and II). Dis Colon Rectum 1988 ; 31 : 439-44.
7. Site Internet : http://www.nfdht.nl.
8. Akiyama Y., Sato H., Yamada T. et coll. Germline mutation of the hMSH6/GTBP gene in an atypical hereditary nonpolyposis
colorectal cancer kindred. Cancer Res 1997 ; 57 : 3920-3.
9. Miyaki M., Konishi M., Tanaka K. et coll. Germline mutation of MSH6 as the cause of hereditary nonpolyposis colorectal cancer. Nat Genet 1997 ; 17 : 271-2.
10. Parsons R. Molecular genetics and hereditary cancer. Hereditary nonpolyposis colorectal carcinoma as a model. Cancer
1997 ; 80 : 533-6.
11. Dietmaier W., Wallinger S., Bocker T. et coll. Diagnostic microsatellite instability : definition and correlation with mismatch repair protein expression. Cancer Res 1997 ; 57 : 4749-56.
12. Konishi M., Kikuchi-Yanoshita R., Tanaka K. et coll. Molecular nature of colon tumors in hereditary nonpolyposis colon
cancer, familial polyposis, and sporadic colon cancer. Gastroenterology 1996 ; 111 (2) : 307-17.
13. Jacoby R.F., Marshall D.J., Kailas S. et coll. Genetic instability associated with adenoma to carcinoma progression in hereditary nonpolyposis colon cancer. Gastroenterology 1995 ; 109 : 73-82.
14. Helland A., Borresen-Dale A.L., Peltomaki P. et coll. Microsatellite instability in cervical and endometrial carcinomas. Int
J Cancer 1997 ; 70 : 499-501.
15. Lui B., Parsons R., Papadopoulos N. et coll. Analysis of mismatch repair genes in hereditary nonpolyposis colorectal cancer patients. Nature Med 1996 ; 2 : 169-74.
16. Vasen H., Wijnen J., Menko F. et coll. Cancer risk in families with hereditary nonpolyposis colorectal cancer diagnosed by
mutation analysis. Gastroenterology 1996 ; 110 : 1020-7.
17. Peltomaki P., Vasen H.F. Mutations predisposing to hereditary nonpolyposis colorectal cancer : database and results of a
collaborative study. The International Collaborative Group on Hereditary Nonpolyposis Colorectal Cancer. Gastroenterology
1997 ; 113 : 1146-58.
2.
* Laboratoire de biologie cellulaire, Hôpital Bichat, Paris.
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