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O S S I E R
Syndrome HNPCC : prise en charge gynécologique
Gynecologic management in HNPCC syndrom
Fabrice Lécuru*, Ulrike Metzger*, Marie-Aude Le Frère Belda**, Sophie Camatte*, Loïc Lelièvre*,
Pierre Laurent-Puig***, Sylviane Olschwang****
e syndrome HNPCC évoque avant tout une prédisposition aux cancers colorectaux. En réalité le spectre
d’expression de cette prédisposition comporte sept
autres localisations tumorales possibles : endomètre,
bassinet-uretère, intestin grêle, estomac, tractus hépatobiliaire,
ovaire et cerveau.
Les femmes qui présentent cette prédisposition sont spécifiquement concernées par le risque de cancer endométrial et de cancer de l’ovaire. Chez elles, le cancer de l’endomètre représente
même la deuxième localisation par ordre de fréquence, avec un
risque cumulé à l’âge de 70 ans compris entre 40 et 79 %. On
retient généralement que le risque de développer cette tumeur
est voisin de 1,5 à 2 % par an, dans cette population, alors qu’il
est de 3 % sur l’ensemble de la vie dans la population générale
( 1 ). Les tumeurs ovariennes sont plus rares avec un risque
cumulé variant de 10 à 32 % selon les études (2). Ces risques
sont probablement à minorer, car issus de travaux comportant
des biais méthodologiques (2).
Le gynécologue peut intervenir à plusieurs étapes dans la prise
en charge de ces femmes. Il est possible devant un cancer endométrial survenant chez une femme jeune de découvrir d’autres
cancers du spectre chez des apparentés au premier ou deuxième
degré. Cela doit faire évoquer la possibilité d’une prédiposition
héréditaire et faire proposer une consultation d’oncogénétique.
Chez les femmes prédisposées, il est nécessaire de proposer un
dépistage ; et il est possible d’envisager, dans certains cas, des
interventions prophylactiques.
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LE CANCER DE L’ENDOMÈTRE
Présentation
Les cancers endométriaux du syndrome HNPCC se distinguent
de ceux de la population générale, essentiellement par un âge de
survenue plus précoce.
Il semble exister une transition entre endomètre normal, hyperplasie et cancer, comme le montre une observation publiée
récemment (3). La vitesse de transition apparaît, en revanche,
* Service de chirurgie gynécologique et cancérologique, hôpital européen
Georges-Pompidou, Paris.
** Service d’anatomopathologie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
*** Service de chirurgie digestive, hôpital européen Georges-Pompidou,
Paris.
**** Institut Paoli-Calmettes, département d’oncologie génétique, prévention
et dépistage, 232, bd Sainte-Marguerite, 13009 Marseille.
La Lettre du Gynécologue - n° 294 - septembre 2004
accélérée par rapport à ce qui est observé en population générale.
La présentation clinique est classique avec présence de métrorragies dans la majorité des cas (1). L’âge au diagnostic est compris entre 46 et 48 ans (1, 4, 5). Ces tumeurs surviennent donc
10 à 15 ans plus tôt qu’en l’absence de prédisposition. Elles sont
rares avant 40 ans (15 % des cas), mais plus d’une sur deux est
diagnostiquée avant 50 ans. Ces données sont déterminantes
pour établir les recommandations de dépistage. Sur le plan histologique, les formes endométrioïdes sont, comme pour les cas
sporadiques, les plus fréquentes ( 6 ). Les formes précoces (stades
I et II) sont majoritaires (7).
Le pronostic ne semble pas différent de celui des cas sporadiques. Vasen ne note que 12% de décès liés à la maladie avec
une survie à 5 ans égale à 88% ( 1 ). Pour Boks, le pronostic est
comparable à celui de la population générale, quel que soit le
stade de la maladie (6). En revanche, il apparaît que les formes
de mauvais pronostic (grade élevé, stade élevé) sont observés
chez des femmes significativement plus jeunes (âge médian au
diagnostic : 39 ans) que les cancers de bon pronostic (âge
médian au diagnostic : 55 ans) (7).
Dépistage
En population générale, aucun test n’a démontré d’efficacité
pour le dépistage du cancer endométrial. Les examens invasifs
comme la biopsie d’endomètre ou les frottis endométriaux ne
peuvent être proposés en raison de leur non-faisabilité chez un
pourcentage élevé de femmes après la ménopause et de leur
tolérance médiocre. L’échographie fait office d’examen de référence bien que l’on dispose de très peu de données sur son efficacité en situation de dépistage, et en particulier en cas de prédisposition HNPCC.
Il faut rappeler ici, que la mesure de l’épaisseur de l’endomètre
par échographie endovaginale se révèle un test fiable pour
l’exploration des femmes qui présentent des métrorragies (sensibilité : 96,3% avec un seuil égal à 4 mm) (8, 9). Les choses sont
beaucoup moins évaluées en ce qui concerne les femmes
asymptomatiques. La seule étude à notre disposition est celle de
Langer qui avait exploré l’endomètre de femmes participant à
un essai thérapeutique comparant plusieurs THS (10). Il existait
une corrélation entre l’épaisseur de l’endomètre et le risque de
découvrir une pathologie endocavitaire. La sensibilité était égale
à 81 % (seuil : 5 mm, examens non satisfaisants exclus).
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Cependant, seuls 50 % des patientes dont l’épaisseur endométriale était supérieure au seuil présentaient réellement une pathologie.
Deux études de dépistage ont été publiées chez des femmes prédisposées. Dans la première, 222 femmes ont bénéficié d’au
moins une échographie à partir de l’âge de 40 ou 45 ans ( 1 1 ).
Cet examen devait être répété tous les ans. Cinq cent vingt-deux
échographies ont ainsi été effectuées, au cours de 825 années de
risque. Aucun cancer endométrial n’a été dépisté et deux cancers d’intervalle ont été diagnostiqués chez des patientes qui
présentaient des métrorragies. Bien que présentant des limites
méthodologiques évidentes (réalisation des échographies non
standardisées, faible nombre de cancers observés/cancers attendus, étude rétrospective), ce travail ne montrait pas de bénéfice
indiscutable du dépistage échographique.
Dans la deuxième étude, 41 femmes présentant une mutation ou
les critères d’Amsterdam ont été suivies en moyenne pendant 5
ans (197 années de risque) ( 1 2 ). Un prélèvement endométrial
était effectué en cas d’endomètre anormalement épais. Dix-sept
échographies sur 179 examens ont motivé un prélèvement. Trois
hyperplasies complexes avec atypies ont été diagnostiquées. Il
faut noter qu’un cancer d’intervalle a été révélé par des métrorragies (12). Cette deuxième étude amène des résultats plus intéressants que ceux de Dove Edwin, puisque montrant que l’on
peut diagnostiquer des lésions précancéreuses. Cependant, la
vitesse de transition entre un endomètre jugé normal en échographie et l’apparition d’un cancer symptomatique limite peut être
l’utilité réelle de ce dépistage.
La place de l’hystéroscopie ou de l’hystérosonographie n’a pas
été évaluée à ce jour. Ces deux examens pourraient être proposés à l’avenir.
Surtout, il faut éduquer ces femmes, en insistant sur la nécessité
de consulter rapidement en présence de saignements anormaux,
avant comme après la ménopause. Il faut également éduquer les
gynécologues pour qu’ils explorent rapidement ces métrorragies
afin d’obtenir un diagnostic précoce.
En conclusion, il n’existe actuellement pas de preuve formelle
de l’utilité d’un dépistage du cancer de l’endomètre dans cette
population. Cependant, les recommandations internationales
préconisent la réalisation d’un examen gynécologique et d’une
échographie pelvienne annuelle ou biennale à partir de l’âge de
30 ou 35 ans. En l’absence d’évaluation plus poussée, cette proposition paraît admissible.
Prévention, prophylaxie
La prévention pourrait utiliser la contraception orale ou le traitement hormonal substitutif, dont on sait qu’ils réduisent le risque
de survenue d’un cancer endométrial dans la population générale (13, 14). À défaut, on peut considérer qu’il n’y a pas de raison connue de contre-indiquer ces traitements chez ces
patientes.
Diverses molécules ont montré, in vitro, une action antiproliférative sur les cellules endométriales en culture. Cependant, il n’y
a pas, à ce jour d’essai thérapeutique ayant démontré un effet
préventif chez la femme.
Il est possible d’envisager la réalisation d’une hystérectomie
prophylactique chez certaines patientes. Elle paraît envisageable
chez des patientes présentant une mutation prouvée, à l’occasion
du traitement d’un cancer colique, ou motivée par des troubles
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gynécologiques associés. Cependant, le groupe d’experts réuni
par la DGS ne préconise pas cette intervention en première
intention (2).
LE CANCER DE L’OVAIRE
Présentation
La présentation des tumeurs ovariennes dans le syndrome
HNPCC se distingue de celle observée dans la population générale par son incidence accrue et un âge au diagnostic plus jeune
(moyenne : 42 ans) (5). Elle se distingue également de ce qui est
observé en cas de mutation BRCA, sur le plan de l’histologie.
En effet, si les tumeurs épithéliales restent les plus fréquentes, la
fréquence des variétés endométrioïdes et mucineuses est augmentée par rapport à celle des formes séreuses.
Des tumeurs frontières sont également rencontrées, ce qui distingue les tumeurs du syndrome HNPCC de celles des prédispositions BRCA.
Enfin, de nombreux cas sont diagnostiqués à un stade précoce
(80% de stades I et II), ce qui tranche singulièrement d’avec les
cas sporadiques ou des prédispositions sein-ovaire. Il se peut
qu’un certain nombre de ces tumeurs ovariennes, ne soient que
des métastases de cancers endométriaux diagnostiqués concomitamment dans 20% des cas.
Dépistage
De nombreux essais de dépistage du cancer de l’ovaire, en
population générale ou en population “prédisposée”, n’ont
jamais donné de résultats positifs. Les principales techniques
reposent sur des associations variables d’échographie et de
dosage du CA 125. Toutes se sont heurtées au manque de sensibilité et de spécificité de l’échographie et du CA 125.
Ainsi Jacobs avait comparé une cohorte de 10 977 femmes
témoins et de 10 958 chez qui un dosage annuel du CA 125 était
effectué (15). Une échographie était réalisée en cas de dosage
anormal. Si les stades au diagnostic étaient plus faibles dans le
groupe dépisté, en revanche, le nombre de cancers découverts
n’était pas significativement différent entre les groupes, ainsi
que le nombre de décès après quelques années de recul (15).
Dans l’essai de Van Nagell, 14 469 femmes ont bénéficié d’une
échographie annuelle. Dix-sept cancers ont été dépistés, mais
quatre sont survenus entre deux tests de dépistage et quatre
autres, moins de deux ans après un dépistage négatif (16).
La seule donnée disponible pour le syndrome HNPCC est issue
du travail de Rijcken. Aucune anomalie clinique ni échographique n’a été découverte chez 41 femmes suivies pendant 5 ans.
Tous les dosages du CA 125 se sont révélés normaux. Aucun
cancer n’est survenu ( 1 2 ).
Au total, le dépistage dus tumeurs ovariennes dans le syndrome
HNPCC doit encore être validé.
Prévention, prophylaxie
La contraception estroprogestative réduit le risque de survenue
d’un cancer ovarien dans la population générale (RR : 0,4).
Cette protection est obtenue quelle que soit la posologie et persiste plusieurs années après l’arrêt de la contraception ( 1 3 ).
Il n’y a aucune donnée contre-indiquant la contraception estroprogestative dans cette population.
Il est logique d’associer une annexectomie prophylactique à une
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hystérectomie si celle-ci est décidée. Cependant, nous avons
déjà vu les restrictions apportées à cette intervention.
CONCLUSION
Les gynécologues sont concernés par le syndrome HNPCC,
dont le cancer de l’endomètre constitue la deuxième forme
d’expression après le cancer colorectal. Ils peuvent reconnaître
judicieusement des arbres généalogiques évocateurs d’une prédisposition. Ils participent au suivi des femmes prédisposées, en
leur prodiguant des conseils simples (consultation rapide en cas
de métrorragies, contraception) et peuvent participer à un dépistage, qui doit encore faire ses preuves (examen annuel après
30 ans, échographie pelvienne annuelle, dosage du CA 125).
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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GYNALPHA
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