Un problème qui a ses solutions
J
e repère un enfant dyslexique,
indique Martine, enseignante,
lorsque l’enfant voit le mot “chat”,
l’assemblage des lettres se fait
dans tous les sens : “chat” devient
“tach”, mais aussi “acht”, “hact”,
à l’endroit comme à l’envers. Le
lecteur doit donc terriblement se
concentrer pour ne retenir que la
bonne version : “chat”. La dé-
marche n’est pas terminée pour
autant puisque ce mot signifie
une forme présente dans les trois
dimensions : à l’enfant, ensuite,
de l’imaginer “blanc et se dépla-
çant lentement, comme un félin”.
Tout un film se déroule alors que
la lecture de la phrase ne pro-
gresse guère : on n’en est qu’au
tout début : “le chat blanc”. En-
core faut-il l’imaginer donnant
brusquement un coup de patte,
se baissant sur ses pattes avant et
bondissant de son train arrière
vers la souris grise qui, surprise,
tente une esquive, part dans un
sens puis l’autre, essaye de fuir
mais finalement ne peut s’échap-
per (“sauta sur la souris”), et ima-
giner toujours le chat avec la sou-
ris dans la gueule se mettant à
bondir de joie.
Autre exemple : que veut dire
“partir” ? Ce verbe demande à
l’enfant la grande concentration
qui est la sienne et le fait
confondre avec le mot “partie”.
Tout un processus mental se dé-
clenche alors tous azimuts : “que
vient faire une partie dans cette
histoire, et puis une partie de
quoi, de quel jeu ?”. C’est le dé-
but d’une désorientation qui fait
perdre le fil des idées et de l’his-
toire. “Dans” est encore un mot
déclencheur et aucune représen-
tation mentale ne peut lui être as-
sociée, donc aggravation du
trouble, désorientation et néces-
sité pour les surmonter, de se
concentrer encore plus. Vient en-
suite “jardin” : l’enfant voit un en-
droit où il y a de l’herbe et des
fleurs, sans rapport avec un chat.
Que fait le chat dans l’herbe et les
fleurs ? Où va-t-il aller ? Ce qui
n’est au départ qu’une scène
simple, pouvant être facilement
représentée par une photo ins-
tantanée, devient un vrai film
animé interminable, décomposé
image par image, sans qu’une co-
hérence soit toujours évidente.
Des efforts épuisants
Cette véritable “projection” céré-
brale demande un effort de
concentration tel que l’enfant est
lent, épuisé, et se bloque rapide-
ment sur les mots déclencheurs
de blancs comme “le”, “la” puis
sur des erreurs d’interprétation.
A force de blancs, la désorienta-
tion se produit, désorientation et
fausses interprétations qui en-
traînent la confusion des mots,
des sons, des images.
Pour un observateur, comme
pour son enseignant, l’enfant n’a
rien compris à ce qu’il a lu. Il se
peut d’ailleurs que si on lui de-
mande ce qu’il a lu, il réponde im-
médiatement un endroit où pous-
sent de l’herbe et des fleurs par
analogie au jardin, sa dernière re-
présentation mentale enregistrée.
Conscient de son erreur, l’enfant
dyslexique, intelligent, contraire-
ment aux opinions trop couram-
ment répandues, essayera de trou-
ver des parades à ses difficultés.
Ainsi, il apprendra par cœur l’al-
phabet sous forme de comptine
pour s’y référer si besoin. Il se
concentrera intensément en lisant,
ce qui lui rendra l’exercice lent,
périlleux et fatigant.
Adulte, il utilisera des expédients,
comme celui-ci par exemple :
“pouvez-vous lire ceci et me dire
ce que vous en pensez ?”. Autant
d’astuces générant des attitudes
Lorsqu’on évoque la dyslexie, on aime citer les noms de Walt
Disney, d’Auguste Rodin, d’Albert Einstein ou encore de Léonard
de Vinci. Sans soutenir que tous les dyslexiques sont des génies,
il est bon de rappeler que la dyslexie n’est pas incompatible avec
l’intelligence !
Dyslexie
18 Professions Santé Infirmier Infirmière - No38 - juin-juillet 2002
à ses inversions de lettres en écriture
comme en lecture. Lorsqu’il lit un
mot, il se trompe, recommence, se
trompe à nouveau, pour finir par se
bloquer sur ce mot ou inventer n’im-
porte quoi. »
Qu’est-ce que la dyslexie ?
Trop souvent encore confondue
avec une simple difficulté d’ap-
prentissage scolaire, la dyslexie est
en fait un mode différent de fonc-
tionnement cérébral. Une per-
sonne dyslexique utilise son cer-
veau autrement que la majorité
des individus, qui prennent le
chemin déductif le plus simple. Le
dyslexique utilise plusieurs voies
en même temps, dans toutes les
dimensions, si bien que la solu-
tion, il ne la réalise pas immédia-
tement, il la construit. Avec encore
une difficulté supplémentaire : le
dyslexique a besoin de pouvoir
mentalement représenter les mots
dont il se sert. Chose impossible
pour plus de deux cents mots ap-
pelés “mots déclencheurs”, dé-
clencheurs de blancs ou d’erreurs.
En pratique
Par exemple, une phrase qui est
susceptible de lui poser pro-
blème : “le chat blanc sauta sur la
souris grise et partit se cacher
dans le jardin”. Dès le début de la
phrase, le mot “le” ne représente
rien mentalement pour un dys-
lexique et il peut buter dessus en
disant “un” ou “il” ; en revanche,
la lecture de “chat” ou “souris” re-
présente mentalement des images
acquises et ne présente pas de dif-
ficultés si ce n’est la nécessité
d’une grande concentration. Car,
«
une anomalie, au point d’en faire
un atout supplémentaire.
Méthode Ronald Davis
Pour Dominique Blaess, qui ap-
plique cette méthode, «la réédu-
cation s’organise autour de deux vo-
lets : l’orientation et la maîtrise des
symboles ».
Le Conseil d’orientation vise à
redonner à la personne dyslexique
le contrôle de ses perceptions, lui
permettant ainsi d’interrompre le
phénomène de désorientation.
Par des exercices de visualisation
interne, particulièrement aisés
pour 90 % des dyslexiques, on in-
duit chez le sujet un repère men-
tal, appelé point d’orientation,
qui, en stabilisant l’activité per-
ceptive, lui permet de reprendre
le contrôle de son attention. Ce
n’est qu’une fois “orienté” que la
rééducation phonologique et lexi-
cale est entreprise.
La maîtrise des symboles consiste
à utiliser le processus de traite-
ment de l’information privilégié
du dyslexique, l’évocation multi-
sensorielle et plus particulière-
ment visuelle, pour faire le lien
entre le mot et son sens. L’élève va
concevoir et réaliser en pâte à
modeler des représentations en
trois dimensions des mots et des
symboles qui lui sont difficiles à
décoder.
Utiliser les dons particuliers
Il s’agit donc d’une approche neu-
ropédagogique qui a pour point
d’appui les dons particuliers des
dyslexiques comme facteur de
réussite. Cette approche de la ré-
éducation de la dyslexie, loin
d’être une cure magique, vise à li-
bérer une pensée riche de poten-
tialités, à permettre le déblocage
de toutes les ressources percep-
tives et évocatrices et, de ce fait,
l’accès au langage écrit.
Le stage de base s’articule au-
tour d’une prise en charge d’une
trentaine d’heures, en modules
plus ou moins intensifs. Le pro-
gramme recommandé prévoit un
stage individuel initial de quatre
journées consécutives, suivi de
modules qui permettent de ren-
forcer les réflexes mis en place. Le
caractère intensif de la méthode
se justifie par le projet de :
mettre en place des outils d’ap-
prentissage nouveaux ;
déconditionner du syndrome
d’échec ;
entraîner à de nouveaux auto-
matismes.
Au cours du stage, les parents
sont formés à poursuivre le tra-
vail avec leur enfant, c’est-à-dire
à accompagner celui-ci dans l’uti-
lisation des outils acquis. Il s’agira
essentiellement de continuer à
l’entraîner au réflexe d’orienta-
tion, de faire quelques minutes
d’exercices de lecture par jour et,
deux à trois fois par semaine, une
séance de maîtrise des symboles
pour l’aider à constituer son
lexique interne. Dans le cas d’un
adulte, il est bon de prévoir une
personne ressource pour conti-
nuer de s’exercer.
La motivation de l’enfant, qui
aura un rôle actif dans le travail
et la disponibilité des parents, et
éventuellement, celle d’une per-
sonne ressource à assurer le suivi
du programme sur une période
de 6 à 8 mois, sont les conditions
nécessaires pour l’optimisation de
la réussite.
Anomalie cérébrale ?
Les dernières recherches sur la
dyslexie semblent s’orienter vers
des anomalies cérébrales repé-
rables à l’imagerie médicale.
Psychologique ou physiologique,
la dyslexie doit profiter de tech-
niques de rééducation adaptées :
classiques, elles sont longues,
onéreuses, moyennement perfor-
mantes, mais prises en charge par
la société.
La méthode de Ronald Davis
semble donner de bons résultats
sur une durée assez courte mais
pour un coût non négligeable
sans prise en charge.
J.B.
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Professions Santé Infirmier Infirmière - No38 - juin-juillet 2002
Définition
de la dyslexie
selon l’OMS
La dyslexie est un trouble du
langage écrit. C’est une diffi-
culté durable d’apprentissage
de la lecture chez un enfant :
évoluant dans un contexte
social et affectif normal ;
normalement scolarisé ;
présentant un niveau culturel
normal pour son âge ;
–sans troubles sensoriels (ouïe,
vue) ni troubles psychologiques
primaires.
compulsives pour donner l’im-
pression de gérer un problème
que l’on occulte. Si la lecture
semble exister, sa compréhension
en est absente.
Que faire ?
Pour Laure Busson, orthopho-
niste : « s’occuper d’un enfant dys-
lexique, c’est d’abord comprendre
son mode de fonctionnement puis,
ensuite, s’adapter à lui pour mettre
en route un nouvel apprentissage ;
un apprentissage lui permettant
d’acquérir les symboles, et fondé sur
des techniques variées, multisenso-
rielles : son, images, toucher. La dif-
ficulté est grande auprès des parents,
souvent eux-mêmes dyslexiques. »
Rassurés, dans un premier temps,
par le diagnostic posé chez leur
enfant, la longueur du chemine-
ment est lassante et l’accompa-
gnement trop souvent inexistant.
Il existe aussi parfois un manque
de collaboration chez les ensei-
gnants pour lesquels 40 fautes
ou 10 fautes en dictée valent tou-
jours zéro, ce qui ne stimule en
rien l’élève.
La prise en charge d’un dys-
lexique est longue et souvent dé-
courageante. Pourtant si l’on en
croit Ronald Davis, un dyslexique
américain, les moyens existent,
non pas d’agir dans l’espoir d’une
guérison mais de rendre positive
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