Chapitre 5 F ONCTIONS R ÉELLES Les fonctions réelles sont l’une des briques fondamentales de l’analyse. Nous considérons ici le cas le plus simple, celui des fonctions d’une seule variable. Dans les sciences appliquées et dans de nombreuses branches des mathématiques, on a besoin de fonctions de plusieurs variables : mais on peut considérer certaines variables comme des paramètres, et on est alors ramené à l’étude d’une fonction d’une seule variable. D’autres types de fonctions, plus généraux, sont aussi très utilisés. Mais ce cours introductif se limitera au cas le plus élémentaire. L’une des questions essentielles relatives aux fonctions est l’étude de leur régularité : sontelles continues, dérivables ? Ce n’est pas tant que ce renseignement ait de la valeur en soi, mais il a de nombreuses conséquences très utiles, exprimées dans ce chapitre sous la forme de théorèmes généraux sur les fonctions continues, ou les fonctions dérivables. Même si on étudie surtout ici les fonctions régulières, il faut garder à l’esprit qu’il en existe d’autres : celles-là malheureusement sont bien plus difficiles à aborder. 5.A C ONTINUIT É D ÉFINITION 5.1 On appelle fonction réelle de la variable réelle toute application f d’un sousensemble non-vide de R, et à valeurs dans R. L’ensemble de départ est appelé ensemble de définition de f , on le note Df . On dit aussi tout simplement fonction. L’ensemble de définition est souvent déduit de la formule de f (x), lorsque celle-ci est donnée. Pour cela on tient compte que les divisions par zéro sont interdites, que les racines carrées doivent avoir un argument positif ou nul, etc. Par √ 1−x2 exemple l’application f : x 7→ est une telle fonction. On a dans ce cas Df = [−1, 0[ ∪ x ]0, +1]. On notera qu’une fonction n’est pas forcément définie par une formule unique. Ainsi la fonction de Dirichlet donnée par ( 1 si x ∈ Q Dir(x) = (5.1) 0 si x ∈ /Q est définie sur R tout entier, mais ne peut être résumée à des formules, même sur des sousintervalles. 2 C HAPITRE 5 — F ONCTIONS R ÉELLES De même, on a parfois besoin de créer de nouvelles fonctions qui ne se déduisent pas du répertoire existant. Nous y reviendrons en détail au chapitre suivant, mais donnons un exemple simple : pour chaque réel x, il existe un entier (relatif) plus grand que les autres et inférieur à x (pourquoi ?). On l’appelle la partie entière de x et on le note E(x) ou bxc ; il vérifie bxc 6 x < bxc + 1 pour tout x. Cela définit une fonction aussi appelée partie entière, définie sur R. 5.A.1 Limite d’une fonction D ÉFINITION 5.2 On dit qu’une fonction f admet une limite ` au point a, si pour toute suite (xn ) ⊂ Df \ {a} de limite a, la suite (f (xn )) converge vers `. On écrit alors ` = limx→a f (x). Noter que l’on ne suppose pas a ∈ Df , et que l’on ne considère que les suites telles que xn ∈ Df et xn 6= a. On dit aussi que f (x) tend vers ` lorsque x tend vers a. La définition et la notation se généralisent aux cas ` = ±∞. On vérifie habituellement l’existence d’une limite en utilisant les limites de suites (preuve directe), ou les propriétés de continuité des fonctions (preuve par composition, voir ci-après). Par exemple, on voit directement que limx→0 x sin x1 = 0 : pour toute suite (xn ) de limite 0, la suite sin x1n est bornée, et donc la proposition 4.13 permet de conclure. Lorsqu’on veut montrer qu’une fonction n’a pas de limite en un point, il est souvent utile d’utiliser directement la définition. Par négation, il suffit de trouver deux suites différentes (xn ), (e xn ), de limite a, mais telles que f (xn ) et f (e xn ) ont des limites différentes. Par exemple la fonction de Dirichlet vue plus haut n’a de limite en aucun point. En effet, tout réel a est la limite d’une suite de rationnels (xn ) (par exemple ses troncatures décimales, voir chapitre 2). Mais il est alors aussi limite d’une suite d’irrationnels (e xn ) (prendre par exemple x en = xn + π/n). On a alors Dir(xn ) = 1 et Dir(e xn ) = 0, donc les limites sont différentes. Parfois la limite n’existe que pour les suites (xn ) de limite a telles que xn > a : on parle alors de limite à droite, et l’on écrit lim . Même chose pour la limite à gauche, notée lim . On > x→a < x→a notera qu’une suite de Df \ {a} et de limite a peut toujours être séparée en termes > a, < a (éventuellement aucun dans l’une des catégories). De ce fait, une fonction a une limite en a si et seulement si elle a une limite à gauche et à droite, et que ces deux limites sont les mêmes. La fonction partie entière x 7→ bxc définie précédemment a une limite à gauche et à droite en tout point a, mais celles-ci ne sont égales que si a ∈ / Z. 5.A.2 Continuité D ÉFINITION 5.3 On dit qu’une fonction f est continue au point a si a ∈ Df et que f (x) a pour limite f (a) lorsque x tend vers a. Il faut donc deux choses : primo que la limite existe, secundo que f soit définie en a et que la valeur f (a) soit égale à la limite en a. Dans le cas de la fonction de Dirichlet, f (a) existe pour tout a, mais n’est jamais égal à la limite de f (x), puisque celle-ci n’existe pas : une telle fonction n’est donc continue en aucun point. Comme pour les limites, on dit aussi que f est continue à gauche/à droite si la propriété n’est vraie que pour la limite à gauche/à droite. Ainsi la fonction partie entière est continue à droite en tout point, mais n’est pas continue à gauche aux points a ∈ Z. D ÉFINITION 5.4 On dit que f est continue sur l’intervalle I = [a, b] (ou plus généralement sur un sous-ensemble I ⊂ R) si elle est continue en tout point α ∈ I. 3 5.A — C ONTINUIT É En reprenant les deux définitions, on peut résumer la propriété de continuité sur [a, b] comme cela : pour toute suite convergente (xn ) ⊂ [a, b], on a f (lim xn ) = lim f (xn ). (5.2) (En effet la limite de (xn ) doit être dans [a, b], d’après la proposition 4.12.) Soit f une fonction, et a ∈ / Df . Supposons que f a une limite finie ` au point a. Considérons e la nouvelle fonction f définie par fe(x) = f (x), si x 6= a, et fe(a) = `. On a alors Dfe = Df ∪ {a}, et fe est continue au point a. On dit que fe est le prolongement par continuité de f au point a. Un tel procédé permet de rajouter un point dans l’ensemble de définition d’une fonction, en conservant la continuité (ce qui est souvent désirable). Ainsi la fonction x 7→ x sin x1 peut se prolonger en x = 0 avec la valeur 0, d’après ce que nous avons vu précédemment. Exercice 5.a Soit f une fonction définie sur un intervalle ]α, β[ contenant le point a, et continue en a, telle que f (a) > 0. Montrer qu’il existe ε > 0 tel que pour tout x ∈ ]a − ε, a + ε[, f (x) > 0. 5.A.3 Opérations sur les fonctions continues T H ÉOR ÈME 5.1 Soient f et g deux fonctions continues au point a. Alors f + g, f − g, f g sont continues, ainsi que f /g si g(a) 6= 0. Démonstration. Soit (xn ) une suite de limite a. Par hypothèse, f (xn ) → f (a) et g(xn ) → g(a). Donc f (xn ) + g(xn ) → f (a) + g(a), et de même avec les autres opérations, par application du théorème 4.6. T H ÉOR ÈME 5.2 Soit f une fonction continue en a, et g une fonction continue en f (a). Alors g ◦ f est continue en a. Démonstration. Soit (xn ) une suite de limite a. Alors yn := f (xn ) est le terme général d’une suite de limite f (a), par continuité de f . Par continuité de g, on doit avoir lim yn = g(f (a)). Mais cela revient exactement à dire que lim g ◦ f (xn ) → g ◦ f (a), donc g ◦ f est continue en a. En partant de fonctions très simples et visiblement continues (comme les constantes ou la fonction x 7→ x), on déduit donc ainsi, par application des quatre opérations élémentaires et de la composition, que bien d’autres fonctions sont continues. Notons que la plupart des fonctions usuelles sont continues (voir chapitre 6 notamment). 5.A.4 Théorème des valeurs intermédiaires Le terme même de continuité implique l’absence de rupture dans un processus quelconque. (Inversement une telle rupture s’appelle une solution de continuité, le terme « solution » désignant ici une disparition, comme en chimie.) Ainsi un objet qui se déplace a intuitivement un mouvement continu, c’est-à-dire qu’il ne peut passer instantanément d’un point à un autre. Par exemple une personne située dans une pièce ne peut pas sortir de la pièce sans passer par les bords de celle-ci (portes, fenêtres, voire murs. . .). C’est exactement cette notion intuitive que le théorème suivant explicite rigoureusement : 4 C HAPITRE 5 — F ONCTIONS R ÉELLES T H ÉOR ÈME 5.3 ( DES VALEURS INTERM ÉDIAIRES ) Soit f une fonction continue sur un intervalle [a, b]. Alors pour toute valeur γ comprise entre f (a) et f (b), il existe un c ∈ [a, b] tel que f (c) = γ. Le nombre γ est donc un nombre « intermédiaire » entre f (a) et f (b) (en d’autres termes on a γ ∈ [f (a), f (b)] si f (a) 6 f (b), et γ ∈ [f (b), f (a)] dans le cas contraire). Le théorème indique que ce nombre est une valeur de la fonction, c’est-à-dire est dans l’image de [a, b] par f . Démonstration. La démonstration suivante utilise un procédé appelé dichotomie (divisions successives par deux), qui est très utile non seulement en mathématiques, mais aussi en informatique ou différentes sciences appliquées. Elle est donc intéressante par elle-même. Supposons par exemple que f (a) 6 f (b), de sorte que γ ∈ [f (a), f (b)] (l’autre cas se démontre de façon similaire). On construit deux suites (an ) et (bn ) de la façon suivante. On part de a0 := a, b0 := b, et on fait une récurrence en considérant, à l’étape n, la valeur de f pour le nombre (an + bn )/2, milieu de l’intervalle [an , bn ]. On construit alors les valeurs suivantes ainsi : n – Si f ( an +b 2 ) < γ, on pose an+1 = (an + bn )/2 et bn+1 = bn ; n – dans le cas contraire f ( an +b 2 ) > γ, on pose an+1 = an et bn+1 = (an + bn )/2. En examinant les deux cas, on voit facilement que l’on a pour tout n : an < bn , (an ) est croissante, (bn ) décroissante et 0 6 bn − an 6 b−a 2n et f (an ) 6 γ 6 f (bn ). En particulier lim |bn − an | = 0, et donc les deux suites (an ) et (bn ) sont adjacentes : par le théorème 4.9, elles convergent donc vers une limite commune c. On a c ∈ [a, b] car an ∈ [a, b] pour tout n. Comme f est continue, lim f (an ) = f (c) = lim f (bn ) ; la deuxième double inégalité ci-dessus implique donc que f (c) = γ. 5.A.5 Image continue d’un intervalle Pour une application f quelconque définie sur un ensemble non-vide A ⊂ R, on appelle infimum de f sur A la borne inférieure de f (A), si elle existe, ou le nombre −∞ si f (A) n’est pas minorée. On le note inf A f ou inf x∈A f (x). On définit de même le supremum de f sur A, qui est la borne supérieure de f (A) ou +∞ ; on le note supA f ou supx∈A f (x). C OROLLAIRE 5.1 Soit I un intervalle de R, et f une fonction continue sur I. Alors f (I) est aussi un intervalle de R, dont les bornes sont inf x∈A f (x) et supx∈A f (x). En effet un ensemble A ⊂ R est un intervalle si et seulement si pour tout x, y ∈ A, avec x 6 y, on a [x, y] ⊂ A. Ici il suffit de considérer deux valeurs α, β ∈ f (I), qui doivent donc satisfaire α = f (a) avec a ∈ I, et β = f (b) avec b ∈ I, puis d’appliquer le théorème des valeurs intermédiaires. Noter qu’il importe peu ici que l’intervalle soit ouvert, fermé ou semi-ouvert. Par ailleurs f (I) peut être fermé avec I ouvert, ou le contraire, et toutes les autres combinaisons sont possibles. Par exemple sin(]−π, π[) = [−1, +1], cos( − π2 , π2 ) = ]0, 1], etc. Le fait que les bornes soient exactement l’infimum et le supremum résulte de leur définition et de la proposition 2.5. On notera que l’image réciproque d’un intervalle par une fonction continue n’est pas un intervalle. Par exemple l’image réciproque de [0, 1] par la fonction sinus est [0, π2 ] + 2πZ, une réunion infinie d’intervalles. Cependant, la propriété suivante est intéressante : 5.A — C ONTINUIT É P ROPOSITION 5.1 Soit f une fonction réelle continue définie sur un intervalle fermé I, et J un intervalle fermé de R. Posons A := f (−1) (J) = {x ∈ I ; f (x) ∈ J}. Alors si A est non-vide et minorée, on a inf A ∈ A. (De même si A est non-vide et majorée, alors sup A ∈ A.) Autrement dit, A a un élément minimal (ou maximal) au sens de la définition 2.2, bien que ce ne soit pas forcément un intervalle. Noter que les intervalles I et J ne sont pas supposés bornés. Démonstration. Posons c = inf A, et supposons par l’absurde que c ∈ / A. Considérons une suite (cn ) ⊂ A telle que cn > c et lim cn = c. (Une telle suite doit exister, parce que c+ n1 n’est pas un minorant de A par définition de la borne inférieure : donc il existe un cn dans A ∩ ]c, c + n1 [.) Comme lim cn = c, et que I est un intervalle fermé, on a c ∈ I d’après la proposition 4.12. En particulier, f est continue en c et donc f (c) = lim f (cn ). Or par définition de A, f (cn ) ∈ J ; encore une fois, J étant un intervalle fermé, on en déduit que f (c) = lim f (cn ) est aussi dans J. Mais cela signifie exactement que c ∈ A, une contradiction. 5.A.6 Le théorème des bornes Si I est un intervalle et f est continue, f (I) est donc un intervalle. Il est possible que certains de ces intervalles soient infinis ; et cela peut arriver même si I est un intervalle borné. (Par exemple si f : x 7→ 1/x, alors f (]0, 1] = [1, +∞[.) Le théorème suivant indique que si l’intervalle I est à la fois fermé et borné, alors f (I) aussi ; en particulier f est alors bornée aussi. T H ÉOR ÈME 5.4 Soit f une fonction continue sur un intervalle fermé et borné [a, b], et posons α := inf x∈[a,b] f (x), β := supx∈[a,b] f (x). Alors α et β sont finis, et il existe c, d dans [a, b] tels que f (c) = α, et f (d) = β. En particulier, f ([a, b]) = [α, β] est un intervalle fermé borné. On dit qu’une fonction continue « atteint ses bornes » : les bornes inférieures et supérieures de f ([a, b]) sont des valeurs de f pour certaines valeurs de la variable. Il est essentiel dans ce théorème que [a, b] soit à la fois fermé et borné. Par exemple exp(R− ) = ]0, 1], parce que R− est fermé, mais non borné. Démonstration. Nous allons montrer que α est fini et qu’il existe c ∈ [a, b] tel que f (c) = α. La preuve de l’existence de d est similaire. L’existence de c et d, combinée avec le corollaire 5.1, implique que f ([a, b]) = [α, β]. Par définition de α, on a α 6 f (a), mais si f (a) = α, il suffit de prendre c = a. Dans la suite nous supposerons donc que f (a) > α. Dès lors, il existe une suite strictement décroissante (αn ), telle que α0 = f (a) et lim αn = α. (Si α = −∞, on peut prendre αn = f (a) − n ; si α ∈ R, αn = α + (f (a) − α)/2n fait l’affaire.) Comme αn > αn+1 > α, αn n’est pas un minorant de f ([a, b]) (puisque α est, par définition, le plus grand des minorants). L’ensemble Xn := {x ∈ [a, b] , f (x) 6 αn } est donc non-vide. Il est aussi borné puisque Xn ⊂ [a, b]. Comme il est de la forme f (−1) (J) avec J = ]−∞, αn ] un intervalle fermé, il résulte de la proposition 5.1 que Xn a un élément minimal cn , c’est-à-dire tel que cn = inf Xn , et cn ∈ Xn . Cette dernière relation implique que f (cn ) 6 αn ; or f (cn ) > α par définition de α, donc le théorème des gendarmes implique que lim f (cn ) = α, puisque lim αn = α. D’après la définition de Xn et le fait que la suite (αn ) est décroissante, on voit que Xn+1 ⊂ Xn ; donc cn+1 = inf Xn+1 > inf Xn = cn , c’est-à-dire que la suite (cn ) est croissante. Comme elle est majorée par b, elle converge donc vers une limite c ∈ [a, b]. La fonction f est continue en c par hypothèse ; on a donc f (c) = lim f (cn ) = α. Cela montre notamment que α ∈ R (puisque f est à valeurs réelles), et termine la démonstration. 5 6 C HAPITRE 5 — F ONCTIONS R ÉELLES 5.B D ÉRIVABILIT É Soit f une fonction et a ∈ Df . On dit que f est dérivable au point a si f (x) − f (a) l’accroissement fini a une limite lorsque x tend vers a. Cette limite est alors notée f 0 (a), x−a df ou bien (a). dx (a) Une autre façon d’écrire la dérivabilité est de poser δ(x, a) = f (x)−f − f 0 (a), de sorte que x−a D ÉFINITION 5.5 f (x) = f (a) + (x − a)f 0 (a) + (x − a)δ(x, a) et lim δ(x, a) = 0. x→a (5.3) Inversement l’existence d’un nombre f 0 (a) et d’une fonction δ(x, a) vérifiant (5.3), impliquent que f est dérivable en a. Dans cette écriture, chacun des trois termes du membre de droite est d’un ordre différent : les deux derniers « petits » par rapport au précédent, parce que (x − a) → 0 et δ(x, a) → 0 lorsque x → a. On a donc une approximation vague de f (x) en remplaçant par f (a) (c’est la continuité, voir ci-dessous) ; une plus précise en prenant f (a) + (x − a)f 0 (a) (c’est l’équation de la droite tangente au graphe de f en a) ; une exacte avec le δ, qui est « très petit », mais habituellement inconnu. P ROPOSITION 5.2 Si f est dérivable au point a, alors elle est continue en a. Démonstration. Il suffit de noter que les deux derniers termes de (5.3) tendent vers zéro lorsque x tend vers a. Noter que la réciproque est fausse : l’application x 7→ |x| par exemple est continue, mais non dérivable en x = 0 (les limites à gauche et à droite de l’accroissement fini sont différentes). Lorsque l’accroissement fini a une limite à gauche ou à droite, on dit que la fonction est dérivable à gauche ou à droite. On voit facilement que la valeur absolue est dans ce cas. On peut aussi aisément démontrer que si la dérivée à gauche et la dérivée à droite sont égales, alors la fonction est dérivable. Exercice 5.b Soit f une fonction dérivable à gauche et à droite en a. Montrer qu’il existe une fonction f1 dérivable (tout court) en a, et un nombre réel γ tels que f (x) = f1 (x) + γ |x − a| pour tout x ∈ Df . D ÉFINITION 5.6 On dit qu’une fonction f est dérivable sur un ensemble I ⊂ R si elle est dérivable en tout point a ∈ I. Dans ce cas, on obtient une nouvelle fonction f 0 définie sur I, et appelée la fonction dérivée de f . Pour les fonctions les plus simples, on peut utiliser directement la définition pour démontrer la dérivabilité. Ainsi il est évident que les fonctions constantes ont une dérivée nulle (l’accroissement fini est nul). Si n est un nombre entier > 1 et a 6= 0, il résulte de la proposition 4.5 que n n−1 1 − xa 1 − xa = 1 + xa + · · · + xa ; en multipliant par an−1 on obtient xn − an = an−1 + xan−2 + · · · + xn−2 a + an−1 , x−a formule qui est vraie pour toute valeur de a (même zéro), et pour tout x 6= a. Lorsque x tend vers a, le membre de droite tend vers nan−1 , ce qui démontre que la fonction x 7→ xn est 7 5.B — D ÉRIVABILIT É dérivable en tout point a ∈ R, avec pour dérivée nan−1 . Notons que cette formule vaut aussi pour n = 0, puisque la dérivée des constantes est nulle. Nous verrons plus loin que cette identité est vraie même lorsque n n’est pas un entier naturel. 5.B.1 Opérations sur les dérivées En pratique, on préfère habituellement se ramener à quelques fonctions classiques pour montrer la dérivabilité de manière indirecte. En effet, lorsqu’on effectue les opérations élémentaires habituelles sur des fonctions dérivables, les résultats obtenus sont généralement dérivables aussi. Voyons cela. T H ÉOR ÈME 5.5 Soient f et g deux fonctions dérivables au point a. Alors f + g, f − g, f g sont dérivables en a, ainsi que f /g si g(a) 6= 0. On a de plus les formules : (f + g)0 (a) = f 0 (a) + g 0 (a) (f − g)0 (a) = f 0 (a) − g 0 (a) (f g)0 (a) = f 0 (a)g(a) + f (a)g 0 (a) (f /g)0 (a) = f 0 (a)g(a) − f (a)g 0 (a) . g 2 (a) Ce théorème s’applique notamment aux fonctions constantes. On retrouve ainsi que la dérivée de λf est λf 0 , ou que la dérivée de 1/g est −g 0 /g 2 . Démonstration. Pour f + g et f − g, c’est évident parce que les accroissements finis euxmêmes s’additionnent. Par exemple pour f + g, on a : (f + g)(x) − (f + g)(a) f (x) + g(x) − f (a) − g(a) f (x) − f (a) g(x) − g(a) = = + . x−a x−a x−a x−a Il suffit donc de faire tendre x vers a pour obtenir le résultat. Pour le produit, on écrit (en ajoutant et retranchant le même terme au numérateur) : (f g)(x) − (f g)(a) f (x)g(x) − f (a)g(x) + f (a)g(x) − f (a)g(a) = x−a x−a f (x) − f (a) g(x) − g(a) = g(x) + f (a) . x−a x−a Lorsque x tend vers a, les accroissements finis tendent vers les dérivées, et g(x) tend vers g(a) d’après la proposition 5.2. De même pour le quotient (qui est bien défini si g(a) 6= 0 ; en effet g étant continue en a, on obtient que g(x) 6= 0 pour x assez proche de a) : (f /g)(x) − (f /g)(x) f (x)g(a) − f (a)g(x) = = x−a (x − a)g(x)g(a) f (x) − f (a) g(x) − g(a) g(a) − f (a) x−a x−a g(x)g(a) qui tend bien vers la valeur annoncée. T H ÉOR ÈME 5.6 Soit f une fonction dérivable en a, et g une fonction dérivable en f (a). Alors g ◦ f est dérivable en a, et on a (g ◦ f )0 (a) = f 0 (a) · g 0 ◦ f (a). 8 C HAPITRE 5 — F ONCTIONS R ÉELLES 0 La formule précédente est plus facile à mémoriser en utilisant la notation df dx pour f . On dg pour la dérivée de g, considérée comme fonction de f , et qui est donc g 0 (f ) = écrira alors df dg g 0 ◦ f ; et dx pour la dérivée de g considérée comme fonction de x (par l’intermédiaire de f ), c’est-à-dire la dérivée de g ◦ f . On peut alors réécrire la même formule dans ces notations, en omettant le point a pour clarifier : dg df dg = . dx dx df Il s’agit ici simplement d’un jeu d’écriture, mais il est très pratique pour dériver la composée de plusieurs fonctions. Notons aussi qu’il correspond en fait à l’identité sur les accroissements finis que nous utilisons dans la démonstration ci-après. Démonstration. Il suffit d’écrire g ◦ f (x) − g ◦ f (a) f (x) − f (a) g(f (x)) − g(f (a)) = x−a x−a f (x) − f (a) et de noter que lorsque x tend vers a, alors f (x) tend vers f (a) d’après la proposition 5.2. Le deuxième quotient tend donc vers g 0 (f (a)). Il faut noter que le théorème 5.5 se généralise sans problème aux dérivées à gauche et à droite, mais pas le théorème 5.6 : le résultat reste vrai, mais la démonstration est bien plus > > délicate, car x → a n’entraı̂ne pas que f (x) → f (a) par exemple. 5.B.2 Sens de variation et extrema Venons-en maintenant aux applications de la dérivation. Nous commençons par noter que le signe de la dérivée est lié au sens de variation d’une fonction. D ÉFINITION 5.7 On dit qu’une fonction f est croissante sur un ensemble I si pour tous x, y dans I, on a x < y ⇒ f (x) 6 f (y). Si x < y ⇒ f (x) > f (y), on dit que la fonction est décroissante. Si les inégalités sont strictes (f (x) < f (y) ou f (x) > f (y)) on dit que la fonction est strictement croissante ou décroissante. Une fonction vérifiant l’une des ces propriétés est dite monotone ou strictement monotone. P ROPOSITION 5.3 Si f est croissante sur un intervalle I et dérivable en a ∈ I, alors f 0 (a) > 0. Si f est décroissante, alors f 0 (a) 6 0. Noter qu’il faut ici que la fonction soit définie sur un intervalle contenant a. Piège plus subtil : si la fonction est strictement croissante, il n’est pas vrai que f 0 (a) > 0 (considérer le cas de la fonction x 7→ x3 : elle est strictement croissante, mais sa dérivée est nulle en a = 0). Démonstration. Si f est croissante, alors x < a ⇒ f (x) 6 f (a) et x > a ⇒ f (x) > f (a). Donc dans les deux cas l’accroissement fini (f (x) − f (a))/(x − a) > 0 ; la limite est donc aussi positive. Une question naturelle est de savoir si la réciproque de la proposition 5.3 est vraie : si f 0 > 0 sur un intervalle, a-t-on f croissante ? La réponse est oui, mais ne peut se déduire des résultats démontrés jusqu’ici : voir plus loin le corollaire 5.2. Un tel résultat n’est d’ailleurs pas vrai si on a seulement f 0 (a) > 0, ou même f 0 (a) > 0 pour un seul point a. 5.B — D ÉRIVABILIT É D ÉFINITION 5.8 Soit f une fonction définie sur un intervalle I. On dit que f admet un maximum local en a ∈ I s’il existe ε > 0 tel que pour tout x ∈ I ∩ ]a − ε, a + ε[, on a f (x) 6 f (a). Si l’inégalité est vraie pour tous les x ∈ I, on dit que f a un maximum global en a. Si c’est l’inégalité inverse f (x) > f (a) qui a lieu, on parle de minimum local ou global. Dans l’un ou l’autre cas, on dit que a est un extremum (local ou global) de f . P ROPOSITION 5.4 Si f est définie sur un intervalle ouvert I = ]α, β[ et est dérivable et admet un extremum local en a ∈ I, alors f 0 (a) = 0. La réciproque de cette proposition est fausse : on peut avoir f 0 (a) = 0 sans que a soit un extremum : considérer encore le cas de x 7→ x3 et a = 0. Notons aussi que l’on se restreint à un intervalle ouvert, parce que si a est une extrémité de l’intervalle, la proposition devient fausse : par exemple la fonction x 7→ x a un extremum local en a = 0 sur l’intervalle fermé [0, 1], mais sa dérivée ne s’annulle pas. Démonstration. Considérons par exemple le cas d’un maximum local. Comme α < a < β, il existe des x ∈ I tels que x < a ; s’ils sont assez proches de a, on a alors f (x) 6 f (a) par définition d’un maximum local. Dès lors (f (x) − f (a))/(x − a) > 0 et donc à la limite f 0 (a) > 0. Inversement si x > a est proche de a, alors f (x) 6 f (a) implique (f (x) − f (a))/(x − a) 6 0, et donc f 0 (a) 6 0 à la limite. Donc f 0 (a) = 0. 5.B.3 Théorème de Rolle, accroissements finis Le théorème de Rolle exprime qu’une fonction continue qui passe deux fois par la même valeur doit contenir un extremum local ; si elle est dérivable, sa dérivée s’annulle en ce point : T H ÉOR ÈME 5.7 (R OLLE ) Soit f une fonction continue sur un intervalle [a, b], avec a < b, dérivable sur ]a, b[, et telle que f (a) = f (b). Alors il existe un point c ∈ ]a, b[ qui est un extremum local de f , et donc tel que f 0 (c) = 0. Noter la subtilité que f n’a pas besoin d’être dérivable en a et b : bien qu’il s’agisse souvent d’un détail, on a parfois besoin d’appliquer ce théorème dans ces conditions plus restrictives. Attention dans ce cas, il faut que f soit continue en a et b tout de même. Le graphe ci-contre donne un exemple d’une telle fonction. Noter qu’il peut y avoir plusieurs extrema locaux, le théorème affirme seulement qu’il y en a au moins un. Démonstration. On définit α = inf x∈[a,b] f (x) et c b a β = supx∈[a,b] f (x), de sorte que β > f (a) = f (b) > α. Si α = β, alors la fonction est en fait constante, et donc tous les points c ∈ ]a, b[ sont des extrema locaux. Dans le cas général, on a α < β, et donc l’un des deux est différent de f (a) = f (b). Disons par exemple que α < f (a). Le théorème 5.4 nous indique qu’il existe c ∈ [a, b] tel que f (c) = α. Mais en conséquence f (c) < f (a) = f (b), donc c 6= a et c 6= b : on a donc bien c ∈ ]a, b[. Comme f (c) = inf x∈[a,b] f (x) 6 f (x) pour tout x ∈ [a, b], c est un minimum local (même global) de f . Donc f 0 (c) = 0 par la proposition 5.4. 9 10 C HAPITRE 5 — F ONCTIONS R ÉELLES Naturellement si f (a) 6= f (b), il n’y a aucune raison que la dérivée s’annulle (considérer le cas de la fonction x 7→ x). Mais cependant la dérivée doit au moins en un point être égal à l’accroissement fini entre a et b : T H ÉOR ÈME 5.8 ( DES ACCROISSEMENTS FINIS ) Soit f une fonction continue sur un intervalle [a, b], avec a < b, dérivable sur ]a, b[. Alors il existe un point c ∈ ]a, b[ tel que f 0 (c) = f (b) − f (a) . b−a (5.4) (L’égalité ci-dessus s’appelle aussi égalité des accroissements finis.) Ce théorème est plus général que celui de Rolle (si f (a) = f (b) on retrouve bien f 0 (c) = 0), mais nous le démontrons à partir de ce dernier. (a) Démonstration. Notons γ = f (b)−f l’accroissement fini pour abréger, et considérons la b−a fonction g : x 7→ f (x) − γ(x − a). Alors g est continue sur [a, b], et dérivable sur ]a, b[, comme f . De plus g(a) = f (a) et g(b) = f (b) − f (b) − f (a) (b − a) = f (b) − (f (b) − f (a)) = f (a) = g(a). b−a On peut donc appliquer le théorème de Rolle à g, et déduire qu’il existe c tel que 0 = g 0 (c) = f 0 (c) − γ. C’est ce qu’il fallait démontrer. Malgré son air inoffensif, le théorème des accroissements finis (ou « TAF » pour les intimes) a de nombreuses conséquences. D’abord il permet de démontrer une réciproque de la proposition 5.3 : C OROLLAIRE 5.2 Soit f une fonction dérivable sur un intervalle ouvert I = ]α, β[. Alors f est croissante si, et seulement si, f 0 > 0 sur I. De même f est décroissante si et seulement si f 0 6 0 ; et f est constante si et seulement si f 0 = 0. Comme nous l’avons vu précédemment, ce théorème ne s’étend pas aux fonctions strictement croissantes (ou décroissantes) : pour celles-ci on peut seulement affirmer que f 0 > 0, pas que f 0 > 0. Démonstration. On sait déjà que si f est croissante, alors f 0 > 0 (proposition 5.3). Supposons maintenant que f 0 > 0 par exemple. Soit x et y deux éléments de I, avec x < y. Alors le théorème des accroissements finis, appliqué sur l’intervalle fermé [x, y], implique qu’il existe c ∈ ]x, y[ ⊂ I tel que f (y) − f (x) = f 0 (c)(y − x). Cette quantité est un produit de deux nombres positifs, puisque f 0 > 0 par hypothèse, donc elle est positive ; ainsi f (y) > f (x), ce qui montre que f est croissante. Le cas f 0 6 0 se montre de la même façon, ou en appliquant la proporiété précédente à −f . Les fonctions constantes sont les seules qui sont à la fois croissantes et décroissantes, et bien sûr f 0 = 0 ⇐⇒ f 0 > 0 et f 0 6 0. Voici un autre corollaire du TAF, très important dans la pratique. C OROLLAIRE 5.3 (I N ÉGALIT É DES ACCROISSEMENTS FINIS ) Soit f une fonction dérivable 0 sur un intervalle I et telle qu’il existe un nombre m ∈ R avec |f (x)| 6 m pour tout x ∈ I. Alors ∀x ∈ I, ∀y ∈ I, |f (y) − f (x)| 6 m |y − x| . (5.5) 5.C — R ÉCIPROQUE D ’ UNE FONCTION La preuve est immédiate : il suffit d’appliquer l’égalité des accroissements finis et de prendre la valeur absolue. L’intérêt de ce corollaire est qu’on a souvent facilement de telles bornes sur les dérivées (voir exercice ci-dessous par exemple), et qu’en outre il se généralise aux fonctions de plusieurs variables, contrairement au théorème des accroissements finis. Exercice 5.c Montrer que pour tous réels x, y, on a |cos x − cos y| 6 |x − y| et de même avec le sinus. Dans quels cas a-t-on en fait égalité ? 5.C R ÉCIPROQUE D ’ UNE FONCTION P ROPOSITION 5.5 Soit f une fonction strictement monotone sur un intervalle I. Alors f est une bijection de I sur f (I). Sa réciproque f (−1) est aussi strictement monotone, avec le même sens de monotonie. Les bijections ont été définies au chapitre 1, section 1.C.4. Démonstration. On rappelle que f (I) est, par définition, l’ensemble de toutes les valeurs f (x) lorsque x parcourt I. Donc l’existence d’un x pour chaque y n’est qu’une reproduction de la définition. Il reste à montrer que cet x est unique pour chaque y donné. Supposons par l’absurde qu’il existe x 6= x0 tels que f (x) = y = f (x0 ), avec disons x < x0 . Si f est strictement croissante, cela entraı̂ne y = f (x) < f (x0 ) = y, ce qui est impossible. Il en va de même si f est strictement décroissante. Finalement notons que x < x0 entraı̂ne f (x) < f (x0 ) si f est strictement croissante. Donc si y < y 0 , en posant x := f (−1) (y) et x0 := f (−1) (y 0 ), on voit qu’il est impossible que x > x0 . Ainsi f (−1) est aussi strictement croissante. 5.C.1 Continuité de la réciproque Contrairement à ce que l’intuition peut suggérer, f (I) n’est pas en général un intervalle, même si f est strictement monotone. Par exemple la fonction f définie par f (x) = x + bxc est strictement croissante, mais f ([0, 2]) = [0, 1[ ∪ [2, 3[ ∪ {4}. Le problème ici vient de ce que cette fonction n’est pas continue. Mais si f est continue, le corollaire 5.1 indique que f (I) est un intervalle. En outre, si I a pour bornes a et b, alors f (I) a pour bornes f (a) et f (b) (en ordre inversé si f est strictement décroissante). Mais on a bien plus : T H ÉOR ÈME 5.9 Soit f une application continue et strictement monotone sur un intervalle I. Alors sa réciproque f (−1) est continue sur l’intervalle f (I). Démonstration. Dans cette preuve nous supposons f strictement croissante ; l’autre cas se démontre de manière similaire. Soit α ∈ f (I) donné, et posons a = f (−1) (α) ∈ I. Si (yn ) ⊂ f (I) est une suite de limite α, notons xn = f (−1) (yn ) pour tout n. Nous cherchons à montrer que xn converge vers a = f (−1) (α), ce qui traduira la continuité de f (−1) . Pour cela on note que les suites a + k1 et a − k1 convergent, lorsque k ∈ N∗ tend vers l’infini, vers a. De plus, lorsque k est assez grand, elles sont dans I, sauf si a est un extrémité de I (et dans ce cas, le lecteur est invité à adapter l’argument ci-après). Comme f est continue, nous en déduisons que les suites βk := f (a − k1 ) et γk := f (a + k1 ) ont pour limite f (a) = α ; et γk > α > βk puisque f est strictement croissante. 11 12 C HAPITRE 5 — F ONCTIONS R ÉELLES Soit ε > 0 donné, et k ∈ N tel que k > 1/ε ; posons η := max(γk − α, α − βk ) > 0. Comme (yn ) converge vers α, il existe un N tel que pour tout n > N , on a |yn − α| 6 η, soit encore βk 6 α − η 6 yn 6 α + η 6 γk . On en déduit donc, puisque f (−1) est strictement croissante, que a− k1 6 xn 6 a+ k1 , c’est-à-dire |xn − a| 6 ε, et ce pour tout n > N . Nous avons donc bien montré que xn converge vers a. 5.C.2 Dérivée de la réciproque Le théorème ne se généralise pas exactement aux fonctions dérivables. Il faut supposer que > 0 (ou f 0 < 0), ce qui entraı̂ne que la fonction est strictement croissante mais ne lui est pas équivalent, comme on l’a vu précédemment : f0 T H ÉOR ÈME 5.10 Soit f une fonction dérivable sur un intervalle I, et telle que f 0 > 0 sur I (ou bien f 0 < 0 sur I). Alors sa réciproque f (−1) est dérivable sur f (I), et vérifie 0 1 f (−1) (y) = 0 (−1) . f (f (y)) Démonstration. Pour un y ∈ f (I), posons x = f (−1) (y). Comme une fonction dérivable est continue, nous savons par le théorème 5.9 que si z → y, alors t := f (−1) (z) tend vers x. Donc lim z→y 1 t−x 1 1 f (−1) (z) − f (−1) (y) = 0 , = lim = = 0 (−1) f (t)−f (x) t→x f (t) − f (x) z−y f (x) f (f (y)) limt→x t−x ce qui montre la dérivabilité de f (−1) et donne la formule pour la dérivée. On peut retrouver la formule de dérivée de la réciproque de deux façons. D’une part, on a f ◦ f (−1) (y) = y par définition ; en dérivant par rapport à y à l’aide du théorème 5.6, on trouve 0 f (−1) (y) · f 0 ◦ f (−1) (y) = 1, soit le résultat recherché. On peut aussi écrire que si y est une dy fonction strictement monotone de x, de dérivée f 0 (x) = dx , alors x est une fonction strictement monotone de y ; nous cherchons sa dérivée (en y), et la formule précédente indique simplement que celle-ci est dx 1 = . dy dy dx (Attention, la dérivée de gauche est calculée en y, celle de droite en x = f (−1) (y).) Des exemples de fonctions réciproques sont donnés au chapitre suivant. Voici un premier cas élémentaire : si n est un entier naturel impair, alors l’application de R dans R définie par x 7→ xn est continue et strictement croissante. De plus elle a pour limite ±∞ en ±∞, donc son ensemble image est R. Elle a donc une réciproque définie sur R et continue, que l’on appelle la √ 1 racine n-ième, et notée x 7→ x n (ou n x). Comme la dérivée de xn est nxn−1 , qui s’annulle en 0, la racine n-ième n’est pas dérivable sur tout R. Cependant nxn−1 > 0 pour x ∈ R∗ (car n − 1 est pair), donc la racine n-ième est dérivable sur l’image de R∗ , qui est encore R∗ . Sa dérivée en y = xn est l’inverse de la dérivée de xn en x, donc d 1 1 yn = dy nxn−1 y=xn = 1 ny n−1 n = 1 1 −1 yn , n 5.D — É TUDE D ’ UNE FONCTION ce qui généralise la formule sur la dérivée de xα aux cas où α = 1/n. (Et cela montre que la dérivée est infinie en 0, à la limite.) On peut faire de même avec n pair, mais seulement pour x > 0, car la fonction xn n’est pas monotone sur R entier. La formule de dérivation est la même. Finalement on peut élever 1 les fonctions de la forme x n , n > 1, à une puissance m ∈ N : on trouve en dérivant que la dérivée de xα est αxα−1 , pour tout α ∈ Q. Nous verrons au chapitre suivant comment passer aux puissances irrationelles. 5.D É TUDE D ’ UNE FONCTION On étudie une fonction habituellement pour en tracer le graphe : celui-ci résume en une image un grand nombre de propriétés de la fonction. Mais une telle étude peut être faite pour d’autres motifs, par exemple pour montrer que la fonction est partout positive : en effet, une telle information se déduit facilement du tableau de variation. Notons que l’étude d’une fonction réciproque peut être faite de deux façons : soit par la méthode usuelle, soit en étudiant la fonction dont elle est réciproque. Les deux graphes se déduisent par échange des coordonnées x et y, autrement dit par symétrie selon la bissectrice des axes. L’étude d’une fonction (souvent définie par une ou plusieurs formules) se décompose en un certain nombre d’étapes assez standardisées. 5.D.1 Définition et variations En premier lieu, on recherche l’ensemble de définition de la fonction (si celui-ci n’est pas donné). Il faut exclure les valeurs qui donnent des divisions par zéro, des racines de nombres négatifs, etc. Si la fonction n’est pas définie en certaines valeurs a ∈ R, mais est définie à proximité de a (par exemple sur un intervalle ]a, b[), alors on recherche ses limites au point a. Si les limites à gauche et à droite existent, sont finies et sont égales, alors la fonction peut être prolongée par continuité au point a, et celui-ci peut être réintégré dans l’ensemble de définition. S’il existe un nombre τ > 0 tel que f (x + τ ) = f (x) pour tout x, alors on dit que la fonction est périodique ; sa période est le plus petit nombre τ > 0 ayant cette propriété. On peut alors se contenter d’étudier la fonction sur une période, par exemple sur [0, τ ] ou [− τ2 , τ2 ]. On examine aussi si la fonction est paire (f (x) = f (−x) pour tout x), ou impaire (f (x) = −f (−x)) : dans ce cas il suffit de l’étudier pour x > 0. L’étape suivante est l’étude des variations de f . Pour cela on examine d’abord si elle est dérivable (elle peut ne pas l’être, du moins en certains points de son domaine de définition : c’est souvent le cas lorsqu’on a ajouté un point par un prolongement par continuité). On calcule la dérivée, et on cherche son signe. Sur chaque intervalle où ledit signe reste constant, la fonction est monotone. On peut alors établir un tableau de variation. À ce stade, il est important de vérifier que les variations sont conformes aux valeurs de la fonction, calculées aux points limites, ou aux points d’annulation de la dérivée. 5.D.2 Branches infinies 13 14 C HAPITRE 5 — F ONCTIONS R ÉELLES Reste l’étude des branches infinies du graphe, c’est-à-dire des morceaux de courbes qui partent vers l’infini. Dans ce cas, on cherche une courbe asymptote simple (en général une droite) pour mieux spécifier l’allure de la branche infinie. Le mot asymptote indique que les deux courbes se rapprochent indéfiniment. Si f a une « valeur interdite », c’est-à-dire d’un point a ∈ R où la limite de f est infinie, alors il y a une (ou deux) branches infinies en ce point. Si limx→a f (x) = +∞ par exemple, le graphe a une droite asymptote verticale (d’équation x = a), la courbe partant vers le haut. Dans ce cas, la courbe et la droite ne peuvent se croiser car f est une application. Si les limites à gauche et à droite sont toutes deux infinies, mais de signe opposés, alors la droite est doublement asymptote, à la fois vers le haut et le bas. Les autres branches infinies proviennent des cas x → ±∞, lorsque la fonction est définie sur un intervalle infini. Si limx→+∞ f (x) (ou −∞) existe et est un nombre réel α, alors le graphe admet la droite horizontale d’équation y = α pour asymptote. Ici la courbe et la droite peuvent se croiser, éventuellement un nombre infini de fois (considérer par exemple f (x) = sinx x ). Étudier le signe de f (x) − α permet de placer plus précisément la courbe par rapport à la droite. Le cas le plus complexe arrive lorsque f a une limite infinie lorsque x tend vers ±∞. En effet la branche infinie peut avoir de nombreux comportements possibles (comparer par exemple les graphes des fonctions exponentielles et logarithmes, donnés au chapitre suivant). Dans la pratique, on cherche alors une courbe asymptote simple. Par exemple la fonction x 7→ x2 + e−x sin x admet visiblement la parabole d’équation y = x2 comme asymtote, puisque la différence tend vers zéro. Lorsqu’une telle courbe asymptote ne saute pas si clairement aux yeux, on cherche une droite asymptote d’équation y = ax + b. La question est alors : comment trouver a et b ? On les cherche l’un après l’autre, en partant du constat suivant : si la droite y = ax + b est asymptote au graphe de f , alors la limite (quand x tend vers l’infini considéré) de f (x) − (ax + b) doit être nulle. En particulier, la limite de f (x) x − a doit être nulle (puisque x tend vers ±∞ et donc lim xb = 0), c’est-à-dire que l’on doit avoir f (x) x→∞ x a = lim et b = lim f (x) − ax. x→∞ On cherche donc la limite éventuelle de f (x)/x. Si celle-ci est infinie, alors f croı̂t vers l’infini plus vite que toute droite, ce qui correspond à une branche parabolique orientée verticalement : c’est le cas de la fonction x2 (qui donne une vraie parabole) mais aussi de l’exponentielle (dont le graphe n’est pas une parabole, mais a juste un air de ressemblance). Si cette limite est nulle, alors f croı̂t vers l’infini moins lentement que toute droite, ce qui donne une branche infinie orientée horizontalement : c’est le cas de √ la fonction x (dont le graphe est une demie parabole) mais aussi du logarithme. Si la limite de f (x)/x est un nombre fini a 6= 0, alors on cherche b := lim f (x) − ax. Si cette limite est infinie, la courbe s’oriente comme les droites d’équation y = ax + c, mais s’éloigne indéfiniment de chacune d’elle : on parle de branche parabolique orientée selon la pente a. C’est le cas de la figure ci-contre, où l’on a représenté la fonction √ x 7→ x2 + 3 x + 1 et la droite y = x2 + 1 : elles ne sont pas asymptotes, mais ont la même « orientation ». 7 6 5 4 3 2 1 0 -1 1 2 3 4 5 6 7 8 9 15 5.D — É TUDE D ’ UNE FONCTION Finalement si b = lim f (x) − ax est un nombre fini, alors la droite y = ax + b est asymptote à la courbe. On la place alors aussi sur le graphe (en pointillés), de façon à mettre en valeur le rapprochement de la courbe. On peut aussi étudier le signe de la différence f (x) − (ax + b), de façon à savoir de quel côté de la droite la courbe se situe. Ce côté n’est pas forcément constant. Le graphe cicontre donne un exemple : on a représenté la fonc4 tion x 7→ x2 + 1 + x− 3 sin x2 , et sa droite asymptote y = x2 + 1 ; les deux courbes se croisent un nombre infini de fois, car la différence a le signe de sin x2 . 7 6 5 4 3 2 1 0 -1 1 2 3 4 5 6 7 8 9