Matrices Toutes Puissantes - Site Personnel de Arnaud de Saint Julien

Matrices Toutes Puissantes
par Arnaud de Saint Julien
R´esum´e : Dans la RMS d’octobre 2005, Gabriel Dospinescu
pose la question Q535 : d´eterminer les matrices carr´ees Atelles
que pour tout nN, il existe une matrice B`a coefficients ration-
nels telle que A=Bn. Nous allons r´epondre `a cette question mais
aussi proposer quelques prolongements.
Dans tout l’expos´e, Kd´esigne un corps commutatif. Une matrice
carr´ee Aest dite toute puissante sur K(en abr´eg´e TPK), si pour
tout nN, il existe une matrice B`a coefficients dans Ktelle que
A=Bn. On remarque d´ej`a qu’une matrice toute puissante sur K
est n´ecessairement `a coefficients dans K.
L’objectif de cet article est de d´eterminer les matrices toutes puis-
santes dans le cas o`u Kesigne C,R,Qou un corps fini.
Avant de d´emarrer je tiens `a remercier vivement Vincent Beck pour
sa pr´ecieuse relecture.
MOTS-CL´
ES : bijection unipotent nilpotent, image de l’exponentielle de matrices complexes et relles,
rduction de Dunford, rduction simultane, racines carrs de matrices, extensions cyclotomiques, corps finis.
Table des mati`eres
1 Le cas instructif de la taille 1 2
2 G´en´eralit´es 3
2.1 D´evissage du probl`eme par th´eor`eme spectral caract´eristique . 3
2.2 L’exponentielle : une bijection entre nilpotents et unipotents . . 6
2.3 Le cas non inversible se ram`ene au cas inversible . . . . . . . . 8
3 Matrices toutes puissantes sur C9
1
4 Matrices toutes puissantes sur R11
4.1 Premi`eres constatations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
4.2 Image de l’exponentielle de matrices eelles . . . . . . . . . . . 11
4.3 Caract´erisation des matrices TPR................ 14
4.4 Caract´erisation des carr´es inversibles . . . . . . . . . . . . . . . 15
5 Matrices toutes puissantes sur un corps fini 16
6 Matrices toutes puissantes sur Q16
6.1 Cas des matrices de la forme rIp+N.............. 16
6.2 Une premi`ere ´etude du spectre d’une matrice TPQ....... 18
6.3 Etude finale du spectre et conclusion . . . . . . . . . . . . . . . 19
6.3.1 A. Une famille de polynˆomes irr´eductibles . . . . . . 19
6.3.2 B. ´
Etude finale du spectre et conclusion . . . . . . . 20
6.4 Annexe : nombres tout puissants sur un corps de nombre . . . 21
7 Exercices corrig´es 22
7.1 Diagonalisation de l’exponentielle d’une matrice . . . . . . . . . 22
7.2 Racines carr´ees de matrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
7.3 Raffinement de la surjectivit´e de l’exponentielle . . . . . . . . . 29
7.4 Matrices toutes puissantes sur Z................. 33
1 Le cas instructif de la taille 1
Commen¸cons par examiner ce qui se passe en taille 1, c’est-`a-dire dans le
cas des nombres.
Sur Cla situation est extrˆemement simple. 0 est bien sˆur TPCpuisque
pour tout nN, 0 = 0n. Si aC,a=re=eln r+.aest donc une
exponentielle, ce qui permet d’´ecrire
a= (eln r+
n)n.
Tous les nombres complexes sont donc TPC.
Remarque : En fait sur un corps alg´ebriquement clos, tous les nombres
sont tout puissants puisque pour tout nl’´equation xn=aadmet une solution.
Sur R, c’est presque aussi simple. Un nombre TPRest en particulier un
carr´e. R´eciproquement, si anon nul est un carr´e, a > 0 et a=eln a= (eln a
n)n.
Les nombres TPRsont donc les nombres r´eels qui sont des carr´es.
Sur Q, la situation est plus d´elicate. Si aQet a > 0, on peut toujours
´ecrire a= (eln a
n)n, le probl`eme c’est que eln a
nn’a aucune raison d’ˆetre rationnel.
Le th´eor`eme suivant nous apporte la solution.
2
Th´eor`eme 1 Les nombres tous puissants sur Qsont 0et 1.
Preuve : 0 est bien sˆur tout puissant puisque pour tout nN, 0 = 0n.
Un nombre tout puissant aest en particulier un carr´e, il est donc positif.
Soit a > 0 un nombre tout puissant que l’on ´ecrit en le d´ecomposant en
produit de facteurs premiers :
a=Y
p∈P
pvp(a)
o`u Pest l’ensemble des nombres premiers, et o`u les vp(a) sont des entiers
relatifs presque tous nuls. Si on a a=bn, on voit en d´ecomposant bsous la
mˆeme forme, que vp(a) = nvp(b) (par unicit´e de la d´ecomposition en produit
de facteurs premiers), donc vp(a) est divisible par net ce pour tout npuisque
aest tout puissant, donc vp(a) = 0 pour tout p, donc a= 1. R´eciproquement 1
est bien tout puissant sur Qpuisque pour tout nN, 1 = 1n.
Sur un corps fini Fq, c’est simple aussi. Si aFqest tout puissant non
nul, il existe en particulier bnon nul tel que a=bq1= 1 puisque le groupe des
inversibles du corps Fqest cyclique d’ordre q1. Les nombres tout puissants
sur un corps fini sont donc 0 et 1.
Donnons enfin une cons´equence facile mais n´eanmoins tr`es utile :
Proposition .1 Le d´eterminant d’une matrice TPKest aussi TPK.
Preuve : Si Aest TPK, pour tout nNil existe une matrice B`a
coefficients dans Ktelle que A=Bn. Par multiplicativit´e du d´eterminant,
on a donc det A= (det B)navec det Aet det B`a coeffcients dans K, d’o`u le
r´esultat.
Cette ´etude des nombres tout puissants nous laisse envisager que dans
le cas g´en´eral l’exponentielle de matrice va jouer un rˆole et que sur Qdes
propri´et´es arithm´etiques seront mises en jeu.
2 G´en´eralit´es
2.1 D´evissage du probl`eme par th´eor`eme spectral caract´eristique
Dans tout cet l’expos´e, pest un entier naturel non nul et Ipest la matrice
unit´e de Mp(K).
Le th´eor`eme de d´ecomposition des noyaux et un argument de r´eduction simul-
tan´ee vont nous permettre de d´evisser les matrices toutes puissantes en blocs
plus simples tout puissants. Le petit lemme suivant est `a cet ´egard fondamen-
tal :
3
Lemme 1 Soit Eun K-espace vectoriel et uet vdeux endomorphismes de
Equi commutent. Pour tout polynˆome QK[X],vlaisse stable l’espace
vectoriel Ker Q(u). En particulier, vlaisse stable les sous-espaces propres et
les sous-espaces caract´eristiques de u.
Preuve : Par commutation, Q(u)v=vQ(u). Soit xKer Q(u),
Q(u)(v(x)) = v(Q(u)(x)) = v(0) = 0 ; ce qui prouve la stabilit´e. Si λest
une valeur propre de ude mutiplicit´e α, le lemme appliqu´e `a respectivement
Q(x) = Xλet Q(x) = (Xλ)αmontre que vlaisse stable les sous-espaces
propres et les sous espaces-caract´eristiques de u.
Remarque : Puisque ucommute avec lui-mˆeme, on obtient en particu-
lier que ustabilise ses sous-espaces propres et ses sous-espaces carat´eristiques.
Proposition .2 (Th´eor`eme spectral caract´eristique et d´evissage)
Soit AMp(K)une matrice de polynˆome caract´eristique χAscind´e sur le
corps K. Si χA= (Xλ1)α1...(Xλk)αkalors,
1) Aest semblable sur K`a la matrice diagonale par blocs
diag(λ1Ip1+N1,...,λkIpk+Nk)
avec pour i∈ {1,...,k}, pi= dim Ker(AλiIp)αiet NiMpi(K)nilpotente.
2) Aest TPKsi et seulement si pour tout i∈ {1,...,k},λiIpi+Niest
TPK.
Preuve : 1) On note ul’endomorphisme associ´e `a Adans la base ca-
nonique de Kp. En appliquant le lemme de d´ecomposition des noyaux `a χu,
on a
Kp= Ker(uλ1Id)α1...Ker(uλkId)αk.
Les Ci= Ker(uλiId)αisont les sous-espaces caract´eristiques de u, ils sont
stables par u. On peut donc d´efinir u|Cil’endomorphisme induit par usur Ci.
Pour tout xCi,(uλiId)αi(x) = 0 donc u|CiλiId est nilpotent. Dans
une base de Ci, la matrice de u|Cis’´ecrit donc λiIpi+Niavec Ninilpotente.
Si Best une base de Kpobtenue en recollant des bases des Ci, on a
[u]B= diag(λ1Ip1+N1,...,λkIpk+Nk).
2) Si Aest de plus TPK, pour tout nNil existe BMp(K) telle que
A=Bn. On note vl’endomorphisme associ´e `a Bdans la base canonique
de Kp. Puisque Aest un polynˆome en B,vet ucommutent, vlaisse stable les
sous-espaces caract´eristiques de u.
4
La matrice de vdans B(la base adpat´ee `a la d´ecomposition en sous-espaces
caract´eristiques de u) s’´ecrit donc
[v]B= diag(B1,...,Bk)
avec BiMpi(K).
On a donc diagonalis´e par bloc uet vdans une mˆeme base. Voici la tra-
duction matricielle. Si Pd´esigne la matrice de passage de la base canonique
de Kp`a B, on a
A=Pdiag(λ1Ip1+N1,...,λkIpk+Nk)P1et B=Pdiag(B1,...,Bk)P1.
Comme A=Bn, par produit des blocs, on tire que pour tout i∈ {1, . . . , k}
et pour tout nN,
λiIpi+Ni=Bin.
Les matrices λiIpi+Nisont donc TPK.
R´eciproquement, si les matrices λiIpi+Nisont TPK, on a pour tout nN
A=Pdiag(B1n,...,Bkn)P1= (Pdiag(B1,...,Bk)P1)n,
ce qui prouve que Aest TPK.
Dans le cas o`u le polynˆome caract´eristique est scind´e, la d´ecomposition en
sous-espaces caract´eristiques permet donc de ”d´evisser” le probl`eme. Il suffit
de d´eterminer les matrices toutes puissantes de la forme λIp+Navec N
nilpotente.
La r´eduction du th´eor`eme .2 va nous fournir en plus la d´ecomposition de
Dunford que nous utiliserons pour d´emontrer le lemme 2.
Corollaire 1 (D´ecomposition de Dunford) Soit AMp(K)tel que son
polynˆome caract´eristique χAest scind´e sur K. Il existe un unique couple (D, N )
de matrices de Mp(K)avec Ddiagonalisable sur Ket Nnilpotente tel que
A=D+Net DN =ND. De plus, Det Nsont des polynˆomes en A.
Preuve : 1) Reprenons les hypoth`eses du th´eor`eme pr´ec´edent. On note
D=Pdiag(λ1Ip1, ..., λkIpk)P1et N=Pdiag(N1, ..., Nk)P1, on a alors
A=D+N,
avec Ddiagonalisable sur Ket Nnilpotente. De plus, Det Ncommutent
puisque les blocs Nicommutent avec les blocs d’homoth´etie λiIpi.
2) Montrons que Det Nsont des polynˆomes en A. Pour tout i, on
note pila projection sur Ciparall`element `a j6=iCjet Disa matrice dans la
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