Intégration des fractions rationnelles
L’intégration des fractions rationnelles réelles a son importance propre, et est aussi utile du
fait que de nombreux calculs de primitives peuvent, via un bon changement de variable, se
ramener au calcul de primitives de fonctions rationnelles. Traditionnellement, la méthode ex-
posée pour ces calculs de primitives passe par la décomposition en éléments simples, qui né-
cessite les étapes suivantes :
1. On décompose le dénominateur de la fraction en produit d’irréductibles.
2. On détermine la décomposition en éléments simples ; dans le cas d’un calcul automatisé,
cela se fait par la résolution d’un système linéaire de déquations à dinconnues, où dest
le degré du dénominateur.
3. Dans cette décomposition, on regroupe chaque terme de la forme c/(Xa), où an’est
pas réel, avec le terme conjugué.
4. On primitive chacun des termes obtenus.
Considérons les fractions ci-dessous :
U1=8x510x4+5
(2x510x+5)2;U2=4x51
(x5+x+1)2;U3=1
x7+1
U4=4x4+4x3+16x2+12x+8
x6+2x5+3x4+4x3+3x2+2x+1
On va voir que chacune de ces fractions a une primitive simple. Pourtant, il est impossible de
donner une forme simple pour les pôles de U1: on ne peut donc pas utiliser la méthode pré-
cédente, sauf si l’on remplace les pôles par des approximations numériques. Pour U2et U4, le
dénominateur se factorise dans Z, bien que cela ne soit pas évident. Enfin, les pôles de U3sont
les racines septièmes de 1 ; le calcul de la décomposition en éléments simples est donc relati-
vement complexe. Dans tous ces exemples, une fois la décomposition obtenue, il reste encore
beaucoup de calculs à effectuer avant d’obtenir la primitive cherchée; clairement, la méthode
décrite ci-dessus peut donc être très pénible, voire impossible à mettre en œuvre.
On rappelle d’autre part que les primitives de fractions rationnelles sont la somme d’une
fonction rationnelle et de termes qui sont des logarithmes ou arctangentes de polynômes ; on
appellera ces deux parties respectivement la partie rationnelle et la partie transcendante de ces
primitives. L’un des objectifs de cet article est de montrer que l’on peut calculer la partie ration-
nelle d’une primitive sans connaître les pôles de la fraction; les seules compétences nécessaires
sont de savoir calculer le PGCD de deux polynômes, et de savoir résoudre des systèmes d’équa-
tions linéaires.
Nous discuterons aussi la possibilité d’obtenir la partie transcendante. Tout ce qui suit est
constitué de résultats tous bien connus, mais qui sont dispersés entre les manuels de référence
1
classiques d’une part, et la littérature sur le calcul formel d’autre part. Il semblait donc néces-
saire d’en donner une présentation unifiée.
Dans tout ce qui suit, P/Qsera une fraction rationnelle à coefficients rationnels; on suppo-
sera de plus que le dénominateur Qest unitaire.
1. La relation d’Hermite-Ostrogradski
Théorème 1. Soit P/QQ(X)une fraction rationnelle sous forme irréductible, avec Q unitaire ;
soit Q =Qn
k=1Dqk
kla décomposition de Q en irréductibles dans R[X]. On pose Q1=Qn
k=1Dqk1
ket
Q2=Qn
k=1Dk. Alors, il existe deux polynômes P1et P2dans Q[X]vérifiant
ZP(x)
Q(x)dx =P1(x)
Q1(x)+ZP2(x)
Q2(x)dx (1)
On notera que ce résultat affirme essentiellement une propriété intuitivement claire : dans
les primitives, les termes rationnels sont fournis par les facteurs multiples de Q, la partie trans-
cendante par les facteurs simples.
On raisonne par récurrence sur n, le nombre d’irréductibles distincts Dk. Si n=1, alors Qest
de la forme (Xc)mou (X2+aX +b)m, où X2+aX +best irréductible dans Ret mÊ1.
Si Q=(Xc)m, alors on peut décomposer Psous la forme P=Pq
k=0ak(Xc)k. On a alors
ZP(x)
Q(x)dx =ZP(x)
(xc)mdx =
q
X
k=0
akZ(xc)kmdx
On isole l’éventuel terme pour lequel km= −1 ; il fournit le terme R(P2/Q2) du théorème,
puisqu’ici Q2=Xc. Les autres termes se primitivent en des polynômes ou des fractions de
dénominateur (xc)ravec rÊm1 : ils fournissent le terme P1/Q1, puisqu’ici Q1=(Xc)m1.
On a donc bien le résultat cherché.
Si Q=(X2+aX +b)m, on fait essentiellement la même chose, mais cela devient un peu plus
compliqué. On effectue la division euclidienne de Ppar Q2=X2+aX +b:P=Q2R+S, où Sest
affine. On a donc ZP(x)
Q(x)dx =ZR(x)
Q2(x)m1dx +Zpx +q
Q2(x)mdx
Une formule classique de réduction (qui s’obtient aisément à l’aide d’une intégration par par-
ties) donne :
Zpx +q
(x2+ax +b)mdx =M(x)
(x2+ax +b)m1+Zr
(x2+ax +b)m1dx
Mest un polynôme de degré au plus 1 et rest une constante. En appliquant plusieurs fois la
formule, on arrive finalement à
Zpx +q
(x2+ax +b)mdx =M(x)
(x2+ax +b)m1+Zr
x2+ax +bdx
Mest un polynôme de degré au plus 1 et rest une constante, et donc
ZP(x)
Q(x)dx =ZR(x)
Q2(x)m1dx +M(x)
Q1(x)+Zr
Q2(x)dx
2
On répète ensuite le procédé avec le terme RR/Qm1
2; en un nombre fini d’étapes, on obtient
finalement la formule cherchée, ce qui achève la démonstration dans le cas n=1.
Supposons maintenant le résultat établi jusqu’à un rang n1Ê1 ; soit Q=Qn
k=1Dqk
kayant n
facteurs irréductibles distincts. Posons R=Qn1
k=1Dqk
k; on a donc Q=R.Dqn
n. Puisque Ret Dqn
n
sont premiers entre eux, on peut trouver deux polynômes Aet Btels que
P=AR +BDqn
n
On a alors ZP(x)
Q(x)dx =ZA(x)
Dqn
n(x)dx +ZB(x)
R(x)dx
Puisque Radmet n1 facteurs irréductibles distincts seulement, l’hypothèse de récurrence
et le cas n=1 permettent d’écrire chaque terme du membre de droite sous la forme (1). En
regroupant judicieusement les termes et en réduisant au même dénominateur, on obtient la
forme (1) cherchée pour la fraction P/Q, ce qui achève la démonstration.
On peut d’autre part remarquer que, si degP<degQ, on peut en plus imposer les conditions
degP1<degQ1et degP2<degQ2. En effet, si degP2ÊdegQ2, on peut effectuer la division
euclidienne de P2par Q2, primitiver le quotient en un polynôme et intégrer ce polynôme dans
le terme P1/Q1.
Si degP1=degQ1, alors P1/Q1=λ+R/Q1λest une constante, que l’on peut donc laisser
tomber dans l’égalité (1) entre primitives. Enfin, si degP2<degQ2et degP1>degQ1, alors, en
dérivant l’égalité (1), on arrive à une impossibilité : le degré du membre de gauche est stricte-
ment négatif alors que celui du membre de droite est positif. On peut même établir l’unicité de
ce couple (P1,P2) ; nous ne le démontrerons pas, n’ayant pas besoin de ce résultat dans la suite.
2. Calcul pratique
L’importance de la relation d’Hermite-Ostrogradski vient de ce qu’il est possible de calculer
P1,Q1,P2et Q2sans connaître la factorisation de Q. Nous allons ici exposer la méthode.
Il est clair tout d’abord que Q1est le PGCD unitaire de Qet Q0, et que Q2=Q/Q1. On voit
d’autre part aisément que Q1divise Q0
1Q2, donc que S=Q0
1Q2/Q1est un polynôme. En dérivant
la relation (1), on obtient donc
P
Q=Q1P0
1P1Q0
1
Q2
1+P2
Q2=P0
1P1Q0
1/Q1
Q1+P2
Q2
En éliminant les dénominateurs, on obtient P=P0
1Q2P1S+P2Q1.
Dans cette équation, les polynômes P,Q1,Q2et Ssont connus ; on détermine alors P1et P2
par la méthode des coefficients indéterminés. Voici donc l’algorithme :
Entrée : des polynômes Pet Q, avec degP<degQ.
Sortie :P1/Q1, la partie rationnelle de RP/Q, et P2/Q2, l’intégrande de la partie transcendante.
(1) Q1:=PGCD(Q,Q0) ; Q2:=Q/Q1.
(2) S:=Q0
1Q2/Q1.
(3) q:=degQ1;r:=degQ2.
3
(4) Poser P1:=aq1Xq1+···+a1X+a0et P2=br1Xr1+···+b1X+b0.
(5) Calculer T:=P0
1Q2P1S+P2Q1.
(6) Résoudre le système obtenu en identifiant les coefficients de Tet ceux de P.
À l’étape (6), si d=degQ, on résout en fait un système de déquations linéaires à dincon-
nues ; c’est aussi ce que l’on fait quand on décompose en éléments simples de manière méca-
nique, mais ici le travail d’intégration de la partie rationnelle est déjà fait.
Traitons l’exemple U4=4x4+4x3+16x2+12x+8
x6+2x5+3x4+4x3+3x2+2x+1de l’introduction ; on obtient suc-
cessivement
Q1=PGCD(X6+2X5+3X4+4X3+3X2+2X+1,
6X5+10X4+12X3+12X2+6X+2)
=X3+X2+X+1
Q2=Q/Q1=X3+X2+X+1
S=Q0
1Q2/Q1=3X2+2X+1
P1=a2X2+a1X+a0,P2=b2X2+b1X+b0
T=P0
1Q2P1S+P2Q1
=b2X5+(a2+b2+b1)X4+(2a1+b2+b1+b0)X3
+(a2a13a0+b2+b1+b0)X2
+(2a22a0+b1+b0)X+(a1a0+b0)
On identifie ensuite les coefficients de P=4X4+4X3+16X2+12X+8 avec ceux de T, et on
résout le système obtenu. On obtient finalement
ZU4(x)dx =x2x+4
x3+x2+x+1+Z3x+3
x3+x2+x+1dx
La dernière primitive est en fait 3Zd x
x2+1=Arctan(x)+C.
Les exemples U1et U2de l’introduction se traitent de même. On trouve
ZU1(x)dx =Z8x510x4+5
(2x510x+5)2d x =1x
2x510x+5
ZU2(x)dx =Z4x51
(x5+x+1)2dx =x
x5+x+1
3. Fractions à pôles simples
On vient de voir que l’on peut déterminer la partie rationnelle et l’intégrande de la partie
transcendante en utilisant uniquement l’arithmétique des polynômes et l’algèbre linéaire. Dans
la mesure où, dans la méthode des éléments simples, la complexité du calcul provient princi-
palement des termes multiples au dénominateur, la simplification est considérable ; en effet,
dans la partie qui reste à primitiver, le dénominateur est sans facteur carré, autrement dit n’a
4
que des pôles simples dans C. On pourrait, bien sûr, décomposer cette fraction en éléments
simples pour achever la primitivation. On va voir que, sous réserves de connaître les pôles de la
fraction, on peut en fait directement donner une expression simple des primitives.
Théorème 2. Soit P/Q une fraction sous forme irréductible, telle que degP<degQ, et dont tous
les pôles complexes sont simples. Alors
ZP(x)
Q(x)dx =X
a
P(a)
Q0(a)Log(xa)+C(2)
où la somme est étendue à l’ensemble des pôles de la fraction.
Dans cette écriture, le Log(xa) représente une primitive de x7−xa, que asoit réel ou
complexe.
Soit aune racine de Q: posons Q=(Xa)Q1, on a alors Q1(a)6=0. Nous voulons écrire
P
Q=λ
Xa+P1
Q1
pour un certain scalaire λet un polynôme P1. C’est effectivement possible : si l’on pose λ=
P(a)/Q1(a), on a
P1=Q1³P
QP(a)
Q1(a)
1
Xa´=1
Xa³PP(a)
Q1(a)Q1´(3)
Puisque P¡P(a)/Q1(a)¢Q1s’annule en a,P1est bien un polynôme. D’autre part, on a immé-
diatement Q1(a)=Q0(a), donc
P
Q=P(a)/Q0(a)
Xa+P1
Q1
Soit maintenant bun autre pôle de la fraction. Montrons que P(b)/Q0(b)=P1(b)/Q0
1(b). Déjà,
on a Q0=(Xa)Q0
1+Q1, donc Q0(b)=(ba)Q0
1(b). De plus, la relation (3) fournit p1(b)=
P(b)/(ba), on a donc bien P(b)/Q0(b)=P1(b)/Q0
1(b). On peut maintenant répéter la construc-
tion précédente, pour obtenir
P1
Q1=P1(b)/Q0
1(b)
Xb+P2
Q2
Q1=(Xb)Q2et P2est un polynôme. Nous avons donc
P
Q=P(a)/Q0(a)
Xa+P(b)/Q0(b)
Xb+P2
Q2
et P2(c)/Q0
2(c)=P(c)/Q0(c) pour toute racine cde Q2. On peut donc répéter le procédé jusqu’à
épuisement des racines de Q, pour obtenir
P
Q=X
a
P(a)/Q0(a)
Xa+Pn
Qn
où la somme est étendue à tous les pôles de P/Q. Puisque Qnn’a plus de racines, Pn/Qnest en
fait un polynôme ; de plus, l’examen des limites en +∞ montre que c’est en fait le polynôme
nul. On en déduit le résultat par primitivation.
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