Géométrie affine
Peter Haïssinsky, Université de Paul Sabatier

L’objet de ce chapitre est de mettre en place la géométrie euclidienne à partir de l’algèbre linéaire.
Dans un premier temps, on se concentre sur la notion d’espaces affines, dans lequel on peut parler
d’alignement, de parallélisme, de barycentre, de convexité et d’intersection de sous-espaces (affines). Un
espace affine peut être vu comme un espace vectoriel « dont on a oublié l’origine ».
Ensuite, cette notion est décorée par l’ajout d’un produit scalaire pour aboutir à la notion d’espace
affine euclidien. On peut ainsi parler d’angles et de distances.
1 Introduction
On se donne un espace vectoriel
Ede dimension finie nsur un corps commutatif Kque l’on peut penser
comme étant Rou C. Dans la suite, on mettra une flèche sur les données vectorielles.
Définition 1.1 (Espace affine). Un espace affine de direction
Eest un ensemble non vide Amuni
d’une application Φqui à chaque bipoint (A,B) de A, associe un élément de
E, noté
AB vérifiant les
deux propriétés suivantes:
(A1) pour tous A,B,CA, on a
AB +
BC =
AC (relation de Chasles);
(A2) pour tout AA, pour tout ~v
E, il existe un unique point BAtel que
AB = ~v.
L’espace vectoriel
Eest appelé direction de l’espace affine A. La direction de Aest souvent notée ~
A.
La dimension d’un espace affine est la dimension de l’espace vectoriel qui lui est associé. En particulier
un espace affine de dimension 1est appelé droite affine, un espace affine de dimension 2 plan affine.
La propriété (A2) assure, pour tout point Aet tout vecteur ~u, l’existence et l’unicité d’un point B
vérifiant
AB = ~u, que l’on nomme translaté de Apar ~u; on écrit B = A + ~u ou ~u = B A. Étant donné
un vecteur ~u de
E, l’application T
uqui à un point Ade Aassocie son translaté par le vecteur ~u est
appelée translation de vecteur ~u.
Exemple d’espace affine.— Tout espace vectoriel
Eest canoniquement muni d’une structure d’espace
affine de direction
Epar:
E×
E
E
(v, w)7−wv.
C’est, à isomorphisme près, le seul espace affine de direction isomorphe à
E.
Il arrive d’ailleurs que ce que l’on a noté dans un espace affine
AB soit noté BA, et quand cet
espace affine est un espace vectoriel muni de sa structure affine canonique, les notations sont cohérentes,
de même qu’avec la notation de Grassmann, qui donne B = A + (B A).
Si
E = Kn, on note An(K)l’espace affine modelé sur
E.
Propriétés élémentaires.— Les propriétés suivantes découlent directement de la définition d’espace
affine, c’est-à-dire des axiomes (A1) et (A2). Soient Aet Bdeux points quelconques d’un espace affine ;
on a
AB = ~
0A = B et
BA =
AB.
On peut également généraliser la relation de Chasles à un nombre fini de points A0,...,An:
A0An=
n
X
i=0
Ai1Ai.
1
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Repères cartésiens et affines.— Si on fixe un point origine O, par définition d’un espace affine, il
existe une application ΦO:A
Equi à un point Mde Aassocie le vecteur
OM. La propriété (A2)
énonce que cette application ΦOest bijective pour tout point O. Cette correspondance permet donc,
par choix d’une origine, de munir (de façon non canonique) l’espace affine Ad’une structure d’espace
vectoriel isomorphe à
E, dite structure vectorielle d’origine O, et que l’on note
EO. Cette opération est
la vectorialisation de l’espace affine A. L’étude des problèmes de géométrie affine se ramène souvent à
une étude en géométrie vectorielle, par choix convenable d’une origine de l’espace affine.
Un repère cartésien d’un espace affine Aest la donnée d’une origine OAet d’une base B=
(e1,...,en)de son espace directeur
Ede sorte que pour tout M, il existe x1,...xntels que
OM =
n
X
j=1
xjej.
Les scalaires (x1, . . . , xn)s’appellent les coordonnées cartésiennes du point Mdans le repère (O,e1,...,en).
Un repère affine est la donnée de (n+ 1) points (A0,...,An)tels que (A0,
A0A1,...,
A0An)est un
repère cartésien.
Si les points Aet Bde Aont pour coordonnées Xet Yrespectivement dans le repère (O,B), alors
AB a pour coordonnées YXdans B.
Le repère affine (O,B)permet d’établir un isomorphisme (affine) entre Aet l’espace affine canonique
An(K). En effet, l’application T : AAn(K)qui à un point MAassocie ses coordonnées cartésiennes
Xdans le repère (O,B)remplit cette fonction.
Supposons que (O0,B0)est un autre repère cartésien de A. Soient O0= (o1, . . . , on)les coordonnées
cartésiennes de O0et Pla matrice de passage de Bvers B0. Notons X,X0Knles coordonnées cartésiennes
d’un point Mdans les deux repères. En écrivant
OM =
OO0+
O0M, on trouve
X = PX0+ O0.
Plus généralement, on dit que des points A0, . . . , , Ansont affinement indépendants si les vecteurs
A0A1,...,
A0Anforment une famille libre de
E. Notons que la relation de Chasles montre que la manière
de former les vecteurs ne comptent pas.
2 Sous-espaces affines
Soit Aun espace affine de direction
E. Une partie non vide Fde Aest un sous-espace affine s’il existe
un sous-espace
Fde
Eet un point AFtel que F = A +
F. Autrement dit, pour tout MF, on a
F = {
AM,MF}. La dimension de Fest par définition la dimension de son espace directeur
F.
Cas particuliers.— Deux points distincts Aet Bde l’espace affine Adéfinissent un sous-espace affine
de dimension 1, la droite affine passant par Ade direction la droite vectorielle engendrée par le vecteur
AB. Cette droite affine est l’unique droite passant par Aet B. Trois points non alignés A,Bet Cde
l’espace affine Adéfinissent un sous-espace affine de dimension 2, le plan affine passant par Ade direction
le plan vectoriel engendré par les deux vecteurs non colinéaires
AB et
AC. Un hyperplan affine de Aest
un sous-espace affine de Adont la direction est un hyperplan de
E.
2.1 Parallélisme
Il existe deux notions de parallélisme entre sous-espaces affines, l’une n’est valide qu’entre deux sous-
espaces de même dimension (deux droites, deux plans, etc.), l’autre est plus générale.
Soient Fet Gdeux sous-espaces affines. On dit que Fet Gsont parallèles, ou parfois fortement
parallèles, quand ils ont la même direction. On dit aussi que Fest faiblement parallèle à G, quand la
direction de Fest un sous-espace vectoriel de celle de G.
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La relation de parallélisme fort est une relation d’équivalence. La relation de parallélisme faible
n’est pas symétrique, mais reste réflexive et transitive (c’est un préordre).
L’axiome des parallèles (variante du cinquième postulat d’Euclide) — par un point il passe une et
une seule droite parallèle à une droite donnée — est une conséquence immédiate de la définition même
de sous-espace affine qui assure l’unicité d’un sous-espace affine passant par un point et de direction un
sous-espace vectoriel donné (une droite vectorielle en l’occurrence).
Deux sous-espaces affines parallèles (fortement) sont soit confondus, soit d’intersection vide. Un
sous-espace affine faiblement parallèle à un sous-espace affine est soit inclus dans ce dernier soit d’intersection
vide avec celui-ci.
2.2 Intersections de sous-espaces
Nous avons vu ci-dessus que deux sous-espaces affines parpallèles étaient soit confondus, soit disjoints,
de sorte que l’intersection de sous-espaces n’est pas toujours un sous-espace.
Proposition 2.1. Soit Aun espace affine sur Kd’espace directeur
Eet soit (Ei)iIune famille de
sous-espaces affines de A(indexée par un certain ensemble I) ; si
Eidésigne pour tout il’espace directeur
de Eialors Eiest ou bien vide, ou bien un sous-espace affine de Adirigé par
Ei.
Démonstration. — Supposons que l’on ait F = Ei6=et prenons Aun point de l’intersection.
Comme Aappartient à chacun des Ei, on a Ei= A +
Eipour tout i. Du coup, pour tout MF, on
a
AM ∈ ∩
Ei. Réciproquement, si Mest tel que
AM ∈ ∩
Ei, alors MEipour tout i, donc MF. Il
découle F = A +
Ei.
Si EAest une partie, il existe un plus petit espace affine Fcontenant E: c’est l’intersection de
tous les sous-espaces affines contenant E. Cette intersection est non vide puisqu’elle contient E. On dit
que Fest engendré par E. On écrit F = Aff(E).
Si Eest un ensemble fini de cardinal k+ 1, alors dim Aff(E) k, avec égalité si et seulement s’ils
sont affinement indépendants.
2.3 Représentations de sous-espaces
On se donne un sous-espace F = A +
F. On décrit deux représentations standard de Fqui ont chacune
leur intérêt, classiques dans R2et R3.
2.3.1 Représentation paramétrique
On se donne une base (ε1, . . . , εk)de
F. Un point MAest dans Fsi
AM est dans
F, autrement s’il
existe des scalaires λ1, . . . , λktels que
AM = Pk
j=1 λjεj.
Si Aest muni d’un repère cartésien (O,e1,...,en)de A, on peut alors écrire, pour j= 1, . . . , k,
εj=
n
X
i=1
αi,j ei.
Si A=(a1, . . . , an)et M=(x1, . . . , xn)alors on obtient MFsi et seulement s’il existe des scalaires
(λj)tels que
x1=a1+
k
X
j=1
λjα1,j
. . . =. . .
xi=ai+
k
X
j=1
λjαi,j
. . . =. . .
xn=an+
k
X
j=1
λjαn,j
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On décrit donc Fcomme l’image de
Fpar l’application ϕ:RkFqui à (λ1, . . . , λk)associe le point
M = (x1, . . . , xn)F.
Une telle représentation permet de construire facilement des points de F.
2.3.2 Représentations cartésiennes
On complète la base de
Fen une base (ε1, . . . , εn)de
E. On considère la base duale (ε
1, . . . , ε
n). Un
point Mest dans Fsi
AM est dans
Fc’est-à-dire si
ε
k+1(
AM) = . . . =ε
n(
AM) = 0 .
Avec le repère précédent, il existe des scalaires (βi,j )1in,k+1jntels que ε
j=Pn
i=1 βi,j e
i. Donc un
point M = (x1, . . . , xn)est dans Fsi et seulement si
n
X
i=1
βi,k+1(xiai) = 0
. . . =. . .
n
X
i=1
βi,j (xiai) = 0
. . . =. . .
n
X
i=1
βi,n(xiai) = 0
Ici, on décrit Fcomme les solutions d’un système linéaire.
Une telle représentation permet de vérifier facilement si un point donné est dans Fou non.
3 Applications affines
Soient Eet Fdeux espaces affines de directions
Eet
F. Une application affine f: E Fest une
transformation telle qu’il existe une application linéaire
fL(
E,
F ) telle que, pour tous points A,B
E, on ait
f(A)f(B) =
f(
AB). L’application
fest la partie linéaire de fou sa direction.
Si OEest une origine, on a
f(M) = f(O) +
f(
OM) .
Exemples. Soit Aun espace affine de direction
E. On définit des applications f:AAparticulières
mais classiques.
1. La translation de vecteur ~u
Eest l’application f(M) = M + ~u.
2. L’homothétie de centre Aet de rapport k(6= 1) Kest l’application f(M) = A + k
AM.
3. La symétrie centrale de centre Aest l’application f(M) = A
AM.
4. La projection sur le sous-espace F = A +
Fparallèlement à
G, où
E =
F
G, est l’application
f(M) = A +
f(
AM), où
fest le projecteur sur
Fparallèlement à
G.
5. La symétrie par rapport au sous-espace F = A +
Fparallèlement à
G,
E =
F
G, est
l’application f(M) = A +
f(
AM), où
fest la symétrie par rapport à
Fparallèlement à
G.
Lorsque l’on s’intéresse aux espaces An(K), alors toute application affine f:An(K)Am(K)est
de la forme
f(X) = AX + B
AMatm,n(K)et BKn.
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Remarque 3.1. Si f:AAest affine et admet un point fixe O, alors on obtient, pour tout MA,
f(M) =
f(
OM). Une telle application affine n’est rien d’autre qu’une application linéaire.
La composition d’applications affines est affine: si f: E Fet g: F Gsont deux applications
affines alors gf: E Gest aussi affine. En effet, on a
f(A)f(B) =
f(
AB) donc
(gf)(A)(gf)(B) =
g(f(A))g(f(B)) =
g(
f(A)f(B)) =
g
f(
AB) =
gf(
AB) .
Par conséquent, la partie linéaire de gfest
g
f.
Représentation matricielle. On se fixe un repère R= (O,B)de Eet R0= (O0,B0)un repère de F.
On considère f: E Fune application affine. On note A = Mat(
f , B,B0) = (ai,j ). Si Mest un point
de Ede coordonnées (x1, . . . , xn)et f(O) de coordonnées (b1, . . . , bm)et si on écrit f(M) = (y1, . . . , ym)
alors on remarque qu’en sachant que f(M) = f(O) +
f(
OM), on obtient
y1
.
.
.
ym
1
=
b1
A.
.
.
bm
0. . . 0 1
x1
.
.
.
xn
1
Du coup, on définit
Mat(f, R,R0) =
b1
A.
.
.
bm
0. . . 0 1
=Mat(f, B,B0)f(O)
0 1 Mm+1,n+1(K)
On laisse en exercices les remarques suivantes.
1. On a Mat(Id,R,R) = In+1;
2. Si f: (E,RE)(F,RF)et g: (F,RF)(G,RG)sont des applications affines, alors
Mat(gf, RE,RG) = Mat(g, RF,RG) Mat(f, RE,RF) ;
3. Si dim E = dim F, alors on a aussi det Mat(f, R,R0) = det Mat(
f .B,B0)donc fest inversible si et
seulement si
fl’est. Dans ce cas, on a Mat(f1,R0,R) = Mat(f, R,R0)1qui est de la forme
Mat(f1,R0,R) =
b0
1
A1.
.
.
b0
m
0. . . 0 1
b0
1
.
.
.
b0
m
=A1
b1
.
.
.
bm
.
Matrices de passage. On se fixe deux repères R= (OE,B)et R0= (O0
E,B0)de E.
On définit la matrice de passage Pde RàR0par
P = passage(RR0) = Mat(IdE,R0,R) =
o0
1
P0.
.
.
o0
m
0. . . 0 1
P0est la matrice de passage de Bvers B0et (o0
1, . . . , o0
m)sont les coordonnées de O0
Edans le repère R.
Si Xet X0sont les coordonnées d’un point Mdans les repères Ret R0respectivement, alors
X
1= P X0
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