Revue Cardiomyopathies ventriculaires droites arythmogènes

Revue
Cardiomyopathies ventriculaires droites
arythmogènes
Nosologie et implications thérapeutiques
Guy Fontaine , Philippe Charron, Paul Fornès, Françoise Hidden-Lucet, Jérôme Lacotte, Robert Frank
Service de rythmologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, 47-83 bd de l’Hôpital, 75013 Paris
Résumé.Les progrès récents de la biologie moléculaire, dont ont bénéficié l’anatomie pathologique et la clinique, ont permis d’isoler un
groupe de maladies affectant le myocarde du ventricule droit dénommées cardiomyopathies du ventricule droit. La « dysplasie ventriculaire
droite arythmogène », le syndrome de Brugada et les tachycardies infundibulaires représentent les formes les plus fréquemment observées en
clinique. Cependant, il existe de nombreuses variantes plus rares, qui doivent être connues des cliniciens en raison des incidences
thérapeutiques allant des médicaments antiarythmiques à l’approche chirurgicale en passant par les méthodes ablatives et le défibrillateur
implantable.
Mots clés : cardiomyopathie, dysplasie ventriculaire droite arythymogène
Abstract. Arrhythmogenic right ventricular cardiomyopathies. Recent advances in molecular biology have led to the proposal of the
descriptive term of “right ventricle cardiomopathies” to define a group of diseases affecting the right ventricle. “Arrhythmogenic right ventricular
dysplasia”, Brugada syndrome and right ventricular outflow tract tachycardia are the most frequent forms of presentation. Several rare variants,
recently identified, have also improved our understanding of these cardiomyopathies. This is important for the clinician, because of the
therapeutic consequences. Treatments include antiarrhythmic drugs, surgery, ablative techniques and implantable defibrillators.
Key words: cardiomyopathy, arrythmogenic right ventricular dysplasia
Base historique
La dysplasie ventriculaire droite
arythmogène (DVDA) est la dénomi-
nation proposée en 1977, dans un
chapitre de livre rapportant les résul-
tats de la chirurgie antiarythmique
pour le traitement de la tachycardie
ventriculaire [1]. Le terme « ARVC » a
été introduit en 1988 pour souligner la
présence d’une maladie structurelle
du myocarde dans cette entité [2]. Ce
terme a été par la suite adopté dans la
nouvelle classification des maladies
du muscle cardiaque de l’Organisa-
tion Mondiale de la Santé et de la
Fédération Mondiale du Cœur. Ce-
pendant, il apparaît comme un terme
descriptif général qui est approprié
pour incorporer d’autres maladies,
connues sous un nom différent, ou de
nouvelles maladies identifiées en rai-
son des avancées de la génétique et de
la biologie moléculaire comme l’avait
indiqué, en 1996, Camerini (Trieste),
peu avant la réalisation du premier
congrès mondial sur cette maladie.
Les tachycardies ventriculaires caté-
cholaminergiques et les maladies du
ventricule droit (VD) liées à une ano-
malie de la desmoplakine en sont des
exemples évidents. Dans ce cadre, la
DVDA, décrite par Marcus et notre
équipe en 1982, reste la forme la plus
fréquemment rencontrée en pratique
[3].
Le terme de dysplasie est d’ailleurs
approprié puisque la « dysplasie »
qualifie un « trouble de développe-
ment » [4]. Un exemple saisissant est
l’anomalie de Uhl, d’abord rapportée
au Johns Hopkins Hospital de Balti-
more (USA), avec, par endroits, une
absence totale du myocarde du VD
[5]. La pathologie d’un embryon
arythmique (27 semaines) avec un
anévrisme ventriculaire droit évident
et un remplacement surtout adipeux
doi: 10.1684/mtc.2006.0041
m
t
c
Tirés à part : G. Fontaine
mt cardio 2006 ; 2 (6) : 658-71
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mais avec peu de fibrose, suggère fortement que la mala-
die puisse commencer dès le stade embryonnaire [6]
(figure 1). Cependant, les arguments cliniques et histolo-
giques montrent que dans certains cas la DVDA est asso-
ciée à des signes inflammatoires importants et de la fibrose
massive (dite de remplacement) attribuée à un phéno-
mène myocarditique aigu puis, dans certains cas, chroni-
que. Les documents cliniques et histologiques sont en
faveur d’un phénomène acquis dû à l’environnement qui
semble alors se superposer à la structure génétiquement
déterminée de la DVD(A) [7-9].
La classification qui va suivre est basée sur notre
expérience clinique de plus de 300 patients, sur ceux qui
ont été fournis par l’International ARVD Family Network
Group (ARVD-ARVC-Info.com), et sur notre collection de
documents histologiques récoltés à travers le monde de
près d’une centaine de cas provenant de chirurgie anti-
arythmique, autopsie, biopsie endocardique et greffe du
cœur. Elle inclut également les données récentes obtenues
par la génétique et la biologie moléculaire. En effet, depuis
la découverte du premier gène expliquant la maladie de
Naxos, qui est une forme rare mais spectaculaire de dys-
plasie du VD (figure 2), due à une anomalie survenant sur
une protéine de jonction intercellulaire (figure 3),ona
pensé que les autres protéines appartenant à la même
structure biologique, les desmosomes (figure 4), déjà sus-
pectées dans la DVDA (figure 5), pouvaient être considé-
rées comme une explication des autres
formes cliniques de
cardiomyopathies du VD. C’est ainsi qu’un nombre crois-
sant de molécules a été identifié. Ceci amène à considérer
les cardiomyopathies du VD comme un ensemble cohérent
basé sur une anomalie des protéines situées dans les
desmosomes, constituant donc les « cardiomyopathies des-
mosomales » à l’intérieur des cardiomyopathies ventricu-
laires droites.
Liste des abréviations
DVDA : dysplasie ventriculaire droite arythmogène
TV : tachycardie ventriculaire
VD : ventricule droit
VG : ventricule gauche
Anévrisme de
la paroi libre
du VD
Zone
témoin
Zone dysplasique
Noter la profonde
désorganisation
des travées de
cardiomyocytes
Figure 1.Ce spécimen unique a été obtenu à la suite d’un avortement spontané à la 27
e
semaine. Le fœtus était arythmique in utero.La
dilatation du ventricule droit était visible en échosonographie, permettant d’évoquer le diagnostic (Dr Maria Andréa Rustico, Trieste). Les travées
d’adipocytes dissocient les cardiomyocytes. Il existe aussi un peu de fibrose interstitielle (adapté à partir de [6]).
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Classification des cardiomyopathies
ventriculaires droites
DVDA pure
Phénotype. Cette maladie représente la forme la plus
fréquente des cardiomyopathies ventriculaires droites. La
transmission est héréditaire sous une forme autosomique
dominante avec des expressions variables et une péné-
trance elle aussi variable dans les membres de la famille
(20 à 50 %). Elle est généralement découverte pendant
l’adolescence ou chez l’adulte jeune par des arythmies
ventriculaires provenant du VD [3]. La mort subite peut
être la première manifestation de la maladie, en particulier
pendant le sport d’endurance et de compétition. C’est le
plus souvent une maladie à évolution progressive mais
elle peut dans certains cas rester stable pendant plusieurs
décennies.
Histologie. Les couches épicardiques et fréquemment
les couches médio-murales du myocarde du VD sont
occupées par de la graisse et de la fibrose (figure 6).
Quelques aspects histologiques suggèrent que le proces-
sus pathologique commence dans les couches médio-
murales, se prolongeant la plupart du temps vers l’épi-
Maladie de Naxos
Gx20
Kératodermie
Cheveux laineux
Endocarde
Figure 2.L’Île de Naxos est la plus grande des îles des Cyclades. Elle était un comptoir commercial important des marchands vénitiens entre le
12
e
et le 14
e
siècle. La dysplasie transmurale typique du ventricule droit est associée à des signes cutanés expliqués par des anomalies de la
protéine cause de la maladie. Noter la présence de travées de fibres survivantes à l’intérieur du tissu adipeux (flèches).
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carde, qui peut être totalement remplacé par de la graisse
et de la fibrose, suggérant alors que la maladie progresse
de l’épicarde vers l’endocarde. La fibrose encadre ou
borde généralement les fibres survivantes. L’épaisseur to-
tale du myocarde du VD est nécessaire pour dépeindre la
disposition topographique typique des lésions. Par consé-
quent, l’histologie est encore à l’heure actuelle « l’étalon
or » pour s’assurer du diagnostic ; encore faut-il que les
documents soient examinés par un expert en ce domaine.
Les formes frustes ou débutantes, en particulier celles
observées dans la famille, restent un problème diagnosti-
que fréquent et difficile. On observe souvent une implica-
tion du ventricule gauche (VG). Dans la plupart des cas
l’apex du VG semble recouvert par de la graisse. Cepen-
dant, quelques zones focales de fibrose et du tissu adipeux
peuvent être trouvés partout dans l’épaisseur du myocarde
du VG [10]. Ceci peut expliquer la diminution de la
fonction VG trouvée même dans les formes modérées de
la maladie.
Génotype. Les gènes identifiés codent pour la desmo-
plakine [11], plus récemment la plakophiline 2 [12] et la
desmogléine 2 [13]. Ces gènes codent pour des protéines
qui font partie de la structure des desmosomes, qui jouent
un rôle important dans l’adhérence longitudinale de cel-
lule à cellule (figure 4). Le facteur de croissance (TGFb3)
est un autre gène lié au phénotype de la DVDA [14]. La
plakophilline 2 apparaît actuellement comme le gène le
plus fréquemment impliqué (11 à 43 % des séries, ainsi
que des résultats personnels).
Dysplasie biventriculaire
Phénotype. En raison de la perte importante de tissu
myocardique du VG, cette forme mène fréquemment à
l’insuffisance cardiaque [15].
Histologie. Sous cette forme, on observe la même
anomalie fibro-adipeuse du myocarde dans les deux ven-
tricules. Cependant, la maladie semble progresser de
l’épicarde vers l’endocarde, par opposition à la DVDA
classique, où l’aspect fibro-adipeux semble, au moins
EC1
Structure moléculaire des desmosomes
EC4EC2
EC1 EC2 EC3 EC4
EA IA
EA
IA
DC1
DC2
EC3
Cadhérines
desmosomales
Desmogléine 2*
Cytosol
Desmine
Molécules des plaques :
PK : plakoglobine
DP I & II : desmoplakine I et II
PP : plakophiline
Maladie de Naxos
:
Mutation nonsens du fragment C
terminal de PK
ICS
ICS IPL/RUD/DTD
PK*
Desmocolline 2
Membrane cellulaire
NC
Espace intercellulaire
DP I/II*
PP2*
Figure 3.La plakoglobine (PK) est la protéine causale de la maladie de Naxos. Elle appartient à la structure intracellulaire du système de jonction
de cellule à cellule situé dans les desmosomes (voir figure 4). Sont aussi représentées sur ce schéma les autres protéines impliquées dans la
DVDA pure, indiquées par un astérisque.
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Protéines d’adhésion intercellulaires du myocarde
Desmosome
Filaments
intermédiaires
(Desmine 10nm) Microfilaments
(Actine 5nm)
Myosine
Desmine
Fascia adherens
Costamère
p 120 cat
Vinculine
Caténine 1
Z
Z
Sarcomère
α-Actinine Z
Cx43
Matrice extracellulaire
Figure 4. Représentation du système d’adhésion intercellulaire (entouré en rouge) et ses relations avec le couple actine-myosine représentant
les protéines impliquées dans la contraction du myocarde. On a aussi représenté les protéines Cx43 des jonctions communicantes (voir texte).
Desmosome (Noir)
Desmine
Myosine
Figure 5.Anomalies des desmosomes observées en microscopie électronique dès 1969 dans la DVDA (d’après [47]).
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