C A S C L I N I Q U E DAVD : évolution de la présentation clinique en fonction de l’âge V. Algalarrondo, D. Messika-Zeitoun, M.C. Aumont, V. Beauchais, A. Vahanian* OBSERVATION Monsieur R., 62 ans, est hospitalisé en cardiologie pour bilan de douleurs thoraciques. Ce patient a comme principal antécédent une dysplasie arythmogène du ventricule droit (DAVD) suivie depuis l’âge de 35 ans, découverte à l’occasion d’épisodes de tachycardie ventriculaire mal tolérés. Un traitement antiarythmique associant un bêtabloquant, un inhibiteur calcique et un antiarythmique de classe Ia est mis en route et maintenu à l’identique depuis 1987 devant l’absence de récidive de troubles du rythme. La fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) était normale sur la dernière échographie cardiaque datant de plusieurs années. La symptomatologie actuelle est celle de gênes thoraciques atypiques et d’une fatigabilité d’effort. Monsieur R. n’a pas de facteur de risque cardiovasculaire, hormis un léger surpoids (IMC à 25). L’examen clinique retrouve un patient en bon état général, des bruits du cœur assourdis, sans signe clinique d’insuffisance cardiaque. L’ECG est aspécifique, en rythme sinusal, régulier, avec un hémibloc antérieur gauche. La radiographie thoracique retrouve une cardiomégalie. La coronarographie se révèle normale. Le monitorage rythmique pendant l’hospitalisation n’objective aucune anomalie. Un nouveau bilan morphologique est réalisé à l’occasion de cette hospitalisation. L’échographie cardiaque retrouve une dilatation importante des cavités droites, un ventricule droit trabéculé, très hypokinétique, avec maintien d’une contraction uniquement dans la région apicale, et une insuffisance tricuspide fonctionnelle de grade 4. La pression pulmonaire systolique n’est pas mesurable du fait du caractère laminaire de la fuite tricuspide. De manière plus surprenante, le ventricule gauche est, lui aussi, dilaté et le siège d’une hypokinésie globale. La fraction d’éjection du ventricule gauche est estimée à 30-35 %. Cette altération est confirmée par la scintigraphie. L’IRM cardiaque retrouve la dilatation et l’hypokinésie du ventricule droit (figure 1) ainsi qu’un ventricule gauche dilaté, siège d’un hypersignal au niveau de sa paroi latérale témoignant de l’atteinte dysplasique (figure 2). * Hôpital Bichat, Paris. 40 Figure 1. IRM cardiaque, coupe centrée sur les cavités droites. Le ven tricule droit est dilaté, trabéculé. Ses parois sont amincies. Figure 2. IRM cardiaque coupe parasternale petit axe. En plus de l’at teinte ventriculaire droite, on note une dilatation ventriculaire gauche avec un hypersignal au sein de sa paroi latérale, témoignant de l’infil tration adipeuse du ventricule gauche (flèche). La Lettre du Cardiologue - n° 378 - octobre 2004 C On conclut donc au diagnostic de DAVD vieillie avec atteinte biventriculaire sévère, développant des symptômes d’insuffisance cardiaque. Un traitement médical adapté est associé, et le patient regagne rapidement son domicile. DISCUSSION La DAVD est une myocardiopathie du ventricule droit découverte à la fin des années 1970 (1), caractérisée par un remplacement du tissu musculaire par du tissu fibro-adipeux. Les critères diagnostiques de la DAVD sont maintenant clairement définis (2). On recense environ 1 000 cas en France. Le diagnostic de DAVD chez des patients jeunes, leur suivi et le regroupement des patients dans des centres spécialisés permettent de mieux apprécier l’évolution, encore mal connue, de cette pathologie. Le cas présenté ci-dessus illustre plusieurs aspects de cette évolution : – le diagnostic est souvent fait précocement (80 % avant 40 ans) chez un homme (sex-ratio de 3 pour 1) (3) ; – les accidents rythmiques (troubles rythmiques graves, mort subite) se situent entre 20 et 40 ans. L’atteinte précoce du ventricule gauche ainsi qu’une dilatation majeure du VD constituent les principaux facteurs de risque (4) ; – la présence de signes d’insuffisance cardiaque (droite et/ou gauche) s’observe bien plus tard (entre 55 et 70 ans) ; – si une atteinte histologique du ventricule gauche est retrouvée dans 3 cas sur 4 (5), la majorité des patients (80 à 90 % des cas) ont une FEVG globalement conservée (FE moyenne à 60 %). Une atteinte biventriculaire clinique est présente dans 10 à 20 % des cas, et la FEVG est souvent sévèrement altérée (entre 20 et 30 %) ; – l’IRM, en complément de l’échographie cardiaque, constitue un examen particulièrement utile. Elle permet de porter le diagnostic de DAVD devant la présence d’une infiltration graisseuse de la paroi ventriculaire droite, d’apprécier une éventuelle extension au ventricule controlatéral et d’évaluer la fonction globale et segmentaire des deux ventricules (“séquence ciné”) (6). Les arythmies ventriculaires forment le principal point d’appel faisant poser le diagnostic. Si ces arythmies manquent à l’his- A S C L I N I Q U E toire clinique, la DAVD peut donc se présenter sous la forme d’une cardiomyopathie dilatée à coronaires saines. Ainsi, 5 % des patients transplantés à la Mayo Clinic pour insuffisance cardiaque avaient une histologie cardiaque compatible avec une DAVD (7). L’amélioration des thérapeutiques rythmiques de ces patients amènera probablement à prendre de plus en plus en charge ces cardiopathies vieillies, contrôlées sur le plan rythmique, mais présentant une défaillance uni- ou biventriculaire. L’évolution vers l’insuffisance ventriculaire droite peut faire envisager une cardiomyoplastie dynamique du VD (technique consistant à enrouler le muscle grand dorsal autour du VD dans le but d’améliorer sa fonction contractile et de stopper le processus de remodelage) (8), voire une transplantation cardiaque en cas d’atteinte biventriculaire avec insuffisance cardiaque réfractaire. Bibliographie 1. Fontaine G, Frank R, Vedel J et al. Stimulation studies and epicardial map ping in ventricular tachycardia: study of mechanisms and selection for surgery. In: Reentrant arrhythmias. Lancaster, PA: MTP Publishing, 1977;334-50. 2. Richardson P, McKenna W, Bristow M et al. Report of the 1995 World Health Organization/International Society and Federation of Cardiology Task Force on the Definition and Classification of Cardiomyopathies. Circulation 1996;93:841-2. 3. Gemayel C, Pelliccia A, Thompson PD. Arrhythmogenic right ventricular car diomyopathy. J Am Coll Cardiol 2001;38:1773-81. 4. Peters S, Peters H, Thierfelder L. Risk stratification of sudden cardiac death and malignant ventricular arrhythmias in right ventricular dysplasia-cardiomyo pathy. Int J Cardiol 1999;71:243-50. 5. Corrado D, Basso C, Thiene G et al. Spectrum of clinicopathologic manifes tations of arrhythmogenic right ventricular cardiomyopathy/dysplasia: a multi center study. J Am Coll Cardiol 1997;30:1512-20. 6. Boxt LM, Rozenshtein A. MR imaging of arrhythmogenic right ventricular dys plasia. Magn Reson Imaging Clin N Am 2003;11:163-71. 7. Nemec J, Edwards BS, Osborn MJ, Edwards WD. Arrhythmogenic right ven tricular dysplasia masquerading as dilated cardiomyopathy. Am J Cardiol 1999; 84(2):237-9,A9. 8. Chachques JC, Argyriadis PG, Fontaine G et al. Right ventricular cardio myoplasty: 10-year follow-up. Ann Thorac Surg 2003;75:1464-8. Les articles publiés dans “La Lettre du Cardiologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. EDIMARK S.A.S. © mai 1983 Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois - Dépôt légal : à parution Ce numéro est routé avec : un supplément Correspondances en Risque Cardiovasculaire “Hypertension artérielle : VALUE et la prise en compte des principaux facteurs de risque cardiovasculaire” (12 pages) ; un encart 4 pages, intitulé “Sevrage tabagique”, est inséré entre les pages 26 et 27. La Lettre du Cardiologue - n° 378 - octobre 2004 41 AMLOR, p. 42