Fernando d’Almeida Autour de deux poètes français : Saint-John Perse, Pierre Torreilles 2 2 Saint-John Perse 2 3 42 Note infra-paginale (courrier électronique non sauvegardé) 2 5 62 A lui seul, le nom de Saint-John Perse1 évoque un Patriarche de la poésie française de cette fin de siècle ! Poète lyrique, poète épique pour qui le poème s’inscrit à la fois dans la temporalité que dans la spatialité, Saint-John Perse, parce qu’il est un chantre planétaire, ouvre les avenues d’une parole fortement architecturée qui célèbre aussi bien l’espace nul – le désert que les amers sorte de repères devant nous guider vers « de plus vastes songes » (Amers). Poésie de la mer, poésie de la louange ; en somme, haute poésie, telle cette œuvre sans cesse tournée vers la pluie, le vent, les oiseaux, l’exil et la femme. Poésie aux accents protégés de tout clinquant, la création de Saint-John Perse sait s’inscrire au cœur « de choses étrangères » (Amers). Elle requiert « grandeur de 1 Saint-John Perse, de son vrai nom, Alexis Léger, est né à Pointe-àPitre (Guadeloupe) le 31 Mai 1887. Il meurt le 20 septembre 1975. Inhumation dans le cimetière de Giens en France. Saint-John Perse a publié de nombreux textes poétiques parmi lesquels : Amers suivi de Oiseaux et de Poésie, Paris, Ed. Gallimard (1975, 1961, 1963), coll. Poésie/Gallimard, 254 pages. C’est cette édition que nous avons utilisée. 2 7 l’homme sur la pierre » (Amers) tout autant qu’elle cède à de « grands reliefs d’images et versants d’ombres lumineuses » (Amers). Elle est hiératique, eschylienne, homérique, mais sans cesse assurée d’elle-même quand, « à la fondation d’une grande œuvre votive » (Amers), le poète s’achemine vers l’archaïque pour mieux nouer son Verbe flamboyant à la sacralité de l’Univers. Visions panthéistes, recherche conquérante de soi par l’exhortation du Cosmos, ainsi pourrait se lire également cette création qui est conséquemment, un « Chant d’épousailles » (Amers) proféré « dans l’adulation du soir » (Amers). Amers que maladroitement je commente ici par boutures, est un hymne à la Mer. La Mer, en ce lieu, implique une conscience en éveil. Elle est tendue vers ce qui se donne comme manifestation de soi par le biais des cosmogonies et des cosmologies. Elle est incantation de l’Univers, invocation du numineux, par-delà l’humanité de l’homme et de la femme ! Quant à Pierre Torreilles2, poète rare aussi qui nous vient des contrées hallucinantes des choses, il est de ces écrivains français de la modernité qui savent dé-lier les mots pour parvenir à de nouvelles symphonies chargées de mystères. Par une écriture ivre des signes de l’ineffable, Torreilles dans Voir, aboutit à une exploration aux confins du merveilleux 2 Henriette Levillain, Le rituel poétique de Saint-John Perse, Paris, Gall. 1977, coll. Idées, p.229. 82 quotidien. Cette poésie, tout en s’élevant, reste également accordée à la terre. Ses motifs essentiels sont : le silence, l’angoisse, la terre, l’ombre, le village, la pensée, le langage, le soleil, la nuit, le temps, la mort, etc. Par son désir sublime d’aller à l’essence des choses, Torreilles, écrivant, s’acharne tel Mallarmé « sur le vide papier que sa blancheur défend » (cf. Mallarmé, Brise marine). D’où cette forte sémantisation du poème, cette confiance éperdue dans les mots, ce réel appétit des symboles. Torreilles sait qu’en conférant aux mots un pouvoir secret, il lui est loisible d’atteindre cette zone de condensation où s’irradient êtres et choses, par-delà toute densité métaphorique ! C’est en marge de l’institué que se donne à saisir cette parole créatrice. C’est en bêchant dans la réalité transfigurée que Pierre Torreilles s’efforce de se maintenir dans l’absolu du langage. Cette exigence d’être soi par le mot total (Mallarmé), conduit le poète à apprivoiser la parole, au plus tranchant des métaphores. Hymne au mot, le florilège Voir sur lequel je prends appui, est écrit rigoureusement comme pour interroger le langage en ses moindres connotations. Archéologue des choses sous l’autorité du langage, Pierre Torreilles produit des textes qui travaillent à cerner les opacités du lieu, par-delà la mouvante identité des objets. 2 9 Paroles méditantes, réflexives que celles de SaintJohn Perse et de Pierre Torreilles, écritures du dépaysement des mots ordinaires ; processus alchimique opérant dans le plus vif éclat du Verbe. Tout, chez ces deux poètes, s’entend dans une itinérance initiatique des mots. L’évidente beauté de ces poésies atteste que si ces poètes fouillent jusqu’au tréfonds des choses, c’est pour mieux habiter le monde et le silence nerveux des mots, dans la fascination répétée de l’être de l’homme ! Les deux poètes que voilà ont été lus séparément pour mieux faire ressortir leur singularité dans le vaste courant de la poésie française, telle qu’elle nous est parvenue depuis plus d’un demi-siècle. Cotonou (Zone des Ambassades) Quinze Mars 1998 10 2