Paul Ricœur La problématique de la méthode et le déplacement

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Paul Ricœur
La problématique de la méthode et le déplacement
herméneutique du texte à l’action et à la traduction.
Vers une herméneutique du dialogue
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’École polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-296-56798-6
EAN : 9782296567986
Housamedden Darwish
Paul Ricœur
La problématique de la méthode et le déplacement
herméneutique du texte à l’action et à la traduction.
Vers une herméneutique du dialogue
Préface de Claudie Lavaud
L'Harmattan
Ouverture philosophique
Collection dirigée par Aline Caillet, Dominique Chateau,
Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu'elles soient le
fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y confondra donc pas la philosophie
avec une discipline académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la
passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences
humaines, sociales ou naturelles, ou… polisseurs de verres de lunettes astronomiques.
Dernières parutions
Blaise ORIET, Héraclite ou la philosophie, 2011.
Roberto MIGUELEZ, Rationalisation et moralité, 2011.
Stéphane LLERES, La philosophie transcendantale de Gilles Deleuze, 2011.
Joël BALAZUT, Art, tragédie et vérité, 2011.
Marie-Françoise BURESI-COLLARD, Pasolini : le corps in-carne, A propos
de Pétrole, 2011.
Cyrille CAHEN, Appartenance et liberté, 2011.
Marie-Françoise MARTIN, La problématique du mal dans une philosophie de
l’existence, 2011.
Paul DUBOUCHET, Thomas d’Aquin, droit, politique et métaphysique. Une
critique de la science et de la philosophie, 2011.
Henri DE MONVALLIER, Le musée imaginaire de Hegel et Malraux, 2011.
Daniel ARNAUD, La République a-t-elle encore un sens ?, 2011.
A. QUINTILIANO, Imagination, espace et temps, 2011.
A. QUINTILIANO, La perception, 2011.
Aimberê QUINTILIANO, Imagination, espace et temps, 2011.
Aimberê QUINTILIANO, La perception, 2011.
Pascal GAUDET, Kant et la fondation architectonique de l’existence, 2011.
Camille Laura VILLET, Voir un tableau : entendre le monde. Essai sur
l’abstraction du sujet à partir de l’expérience picturale, 2011.
Jan-Ivar LINDEN, L’animalité. Six interprétations, 2011.
Christophe Rouard, La vérité chez Alasdair MacIntyre, 2011.
Salvatore Grandone, Lectures phénoménologiques de Mallarmé, 2011.
À Mohamed Bouazizi
Et à tout ce qu’il représente
Je tiens à remercier très vivement Madame Claudie LAVAUD d’avoir
accepté de diriger la thèse qui a donné naissance à ce livre. Je la remercie
pour le temps qu’elle m’a très généreusement consacré et qui a contribué
à l’évolution de ce travail. Le soutien, les discussions et l’initiation à la
recherche m’ont été indispensables à l’accomplissement de cet ouvrage.
De plus, ce travail n’aurait pu être effectué sans le soutien et l’aide de
Madame Christiane TEYTAUT, à qui j’exprime ma plus sincère
gratitude pour son soutien constant, sa gentillesse, sa patience, ses efforts
et son aide précieuse. Je tiens aussi à témoigner de ma plus grande
reconnaissance à l’association AGIR pour son aide inestimable et
généreuse.
PRÉFACE
J’ai suivi avec grand intérêt la recherche d’Housamedden Darwish et je
me réjouis de voir la pensée du maître que fut Ricœur relayée par des
philosophes venus d’autres horizons pour se former à son école et
prendre la relève de son questionnement en prolongeant leur propre
réflexion sur de nouvelles pistes. Pour avoir été moi-même dirigée par
Paul Ricœur dans mon travail de thèse, je sais quel était son respect de la
pensée d’autrui, sa tolérance et sa discrétion, et quelle liberté il leur
laissait dans leurs orientations philosophiques. Je suis convaincue que
Ricœur eût accepté la même liberté d’expression dans la démarche
poursuivie par H. Darwish, qu’il considère, selon sa propre formule, « à
la fois comme dépassement, et comme extension », de l’herméneutique
du texte à l’action, et à l’histoire, vers le dialogue oral.
Je voudrais, avant d’aborder le contenu, souligner la clarté de l’écriture
de cet ouvrage qui manifeste une grande aisance dans le discours
philosophique, grâce à une grande familiarité avec le style de Paul
Ricœur, ainsi qu’à une pensée mûrement réfléchie, un esprit ordonné et
soucieux de se faire comprendre, sans perdre de vue la complexité et les
difficultés des débats dans lesquels entraîne un questionnement
rigoureux.
Le titre de l’ouvrage annonce une recherche de belle ampleur inspirée par
la pensée de Paul Ricœur : La problématique de la méthode et le
déplacement herméneutique du texte à l’action et à la traduction. Ce
projet garde le souci de la fidélité à la genèse et au développement de la
pensée de Ricœur, en croisant la méthodologie de l’herméneutique avec
celle des sciences humaines, à partir d’une lecture respectueuse des
textes, qui permet à l’auteur de tenir le pari d’une enquête personnelle
conduisant à des positions originales.
Il ne s’agit donc pas seulement de reprendre le programme des œuvres de
Ricœur, cherchant la voie de l’herméneutique au long d’une vie
consacrée à la recherche du sens, et à la compréhension des formes de la
culture, et qui s’oriente vers l’action, par le récit, l’histoire, la mémoire,
la reconnaissance, sans perdre de vue la perspective de l’éthique qui
7
engage la personne dans un difficile et profond dialogue avec « soi-même
comme un autre ». Or cette perspective ouvrira au dialogue oral entre des
partenaires humains qui devront s’ajuster dans leur échange, en
s’obligeant à traduire leur pensée, voire leur langue pour parvenir à se
comprendre.
Le sous-titre du livre : Vers une herméneutique du dialogue, précise ainsi
le titre, en prolongeant la pensée de Ricœur, vers une compréhension
nouvelle du discours oral, télévisé ou radiophonique par exemple. La
deuxième partie de l’ouvrage propose en effet une nouvelle extension
vers le discours oral moderne, le dialogue, et la relation éthique entre les
interlocuteurs. Or pour Ricœur le dialogue oral permet d’éviter la
mécompréhension, de la surmonter par l’échange des arguments, par des
questions-réponses, et semble alors échapper à une herméneutique.
L’auteur de ce livre mène un examen précis des raisons données par
Ricœur d’écarter de l’herméneutique le discours oral, la première est la
distanciation ou objectivation, la deuxième la mécompréhension, qui
toutes deux, requièrent une herméneutique, alors que le dialogue semble
pouvoir se défendre lui-même. Housamedden Darwish pose d’abord la
nécessité théorique de cette herméneutique de l’oralité, puis prend pour
contre-exemple la place de la parole chez Ricœur, qui englobe la
dimension subjective et réflexive du langage, qu’il soit oral ou écrit — et
il reprend la formule de Ricœur : « Qu’est-ce que je fais quand
j’enseigne ? Je parle. Je n’ai pas d’autre gagne-pain et je n’ai pas
d’autre dignité ; je n’ai pas d’autre manière de transformer le monde et
je n’ai pas d’autre influence sur les hommes. La parole est mon travail ;
la parole est mon royaume. »
Une ouverture conclusive propose de vérifier l’interprétation du discours
oral par le paradigme herméneutique de la traduction, qui trace un
nouveau champ d’exploration en nouant les fils de l’herméneutique du
dialogue avec ceux d’une éthique de la bienveillance. « La traduction, en
tant qu’épreuve de l’étranger, constitue un défi dans la mesure où elle
confronte une double résistance aussi bien de la part de la langue
d’accueil que de la part de la langue de l’étranger <…> « Dire
autrement », c’est par cette formule qu’on peut définir la traduction au
sens large ». L’auteur s’appuie ici sur la distinction ricœurienne entre la
traduction intra-langagière ou interne « dans la même langue », et la
traduction extra-langagière ou la traduction externe, dans son sens étroit
8
« entre langue et langue ». Housamedden Darwish en sait quelque chose,
lui dont le syrien est la langue maternelle et qui pratique aussi bien
l’anglais et le français dans son parcours européen ! Il reprend à ce
propos la belle expression de Ricœur, l’hospitalité langagière, dans
laquelle : « le plaisir d’habiter la langue de l’autre est compensé par le
plaisir de recevoir chez soi, dans sa propre demeure d’accueil, la parole
d’autrui ».
À Bordeaux, le
13 février 2011
Claudie Lavaud, Professeur émérite des universités
Université Michel de Montaigne, Département de Philosophie,
Bordeaux.
9
INTRODUCTION
Ce livre se concentre sur les expansions successives de l’herméneutique
ricœurienne et son déplacement d’une herméneutique du texte à une
herméneutique de l’action et ultérieurement de la traduction. Nous
tenterons de montrer la possibilité, voire la nécessité, de faire une autre
extension de l’herméneutique ricœurienne. Cette nouvelle extension
concerne précisément la constitution d’une ébauche d’une herméneutique
du discours oral, en général, et du dialogue, en particulier, à partir de
l’herméneutique ricœurienne du texte, de l’action et de la traduction.
Afin de montrer l’originalité de l’herméneutique ricœurienne, nous nous
concentrons sur les préoccupations méthodologiques de cette
herméneutique, dans son rapport avec les sciences humaines et sociales.
La tentative ricœurienne d’articuler, comprendre et expliquer dans la
méthode des sciences humaines et sociales concerne ainsi la théorie de
l’action et celle de l’histoire.
En effet, Ricœur est beaucoup plus qu’un philosophe, c'est-à-dire qu’il
s’intéresse en même temps à la philosophie et à la “nonphilosophie”, notamment aux sciences humaines, en mettant l’accent sur
le fait que la vie et la force de la philosophie consistent en une relation
étroite avec son autre, et proviennent également de cette relation.1
Parallèlement, la démarche scientifique contemporaine elle-même exige
cette relation, car elle ne considère plus que la philosophie soit son
adversaire, mais elle la considère désormais comme complémentaire.2 Le
rapport philosophie/science a dépassé le quasi-divorce qui existait au
milieu du vingtième siècle entre la philosophie et les sciences humaines,
à cause de la mécompréhension du rôle joué par la philosophie dans les
domaines scientifiques, ainsi qu’à cause de la méfiance mutuelle entre les
1
C’est dans ce sens que Charles Taylor, considère la philosophie ricœurienne comme
« une philosophie sans frontières ». Cf. Charles Taylor, « Une philosophie sans
frontières », Magazine littéraire, n° 390 septembre 2000, p. 30-31.
2
Cf. Les grands entretiens du Monde, Tome II : Penser la philosophie, les sciences, les
religions avec…, Le Monde, Paris, 1994, p. 73-133. Dans ces entretiens, certains
philosophes et scientifiques (Dominique Lecourt et Gerald Edelman, en l’occurrence)
affirment la corrélation et l’influence mutuelle entre la philosophie et les sciences.
11
philosophes et les scientifiques.3 En effet, les scientifiques ont longtemps
pensé que les sciences n’avaient pu progresser puissamment qu’en se
libérant de la “tutelle” de la philosophie. Mais les philosophes euxmêmes reconnaissent maintenant que le rôle du philosophe n’est pas de
dire aux scientifiques ce qu’ils devraient faire. En revanche, les
scientifiques reconnaissent, à leur tour, que les philosophes pourraient
interpréter ce que font les scientifiques mieux qu’eux-mêmes,4 car
l’étude philosophique de la connaissance scientifique relie cette
connaissance avec leurs contextes socio-historiques, et relève en même
temps leurs dimensions ontologiques et éthiques. En outre, cette étude
philosophique contribue à une analyse constructive des fondements
épistémologiques et méthodologiques de la science. Cette contribution
épistémologique et méthodologique occupe une place centrale dans ce
livre.
Nous allons mettre en évidence le projet ricœurien qui consiste à établir
un dialogue et une relation étroite entre la philosophie et les sciences, les
sciences humaines et sociales en particulier, tout en préservant les limites
et les frontières qui les distinguent, et qui les séparent les unes des autres.
Le rapport entre l’herméneutique et les sciences humaines et sociales sera
examiné sur le plan méthodologique. À ce niveau, l’analyse concerne
précisément la place que peut occuper l’explication, en tant que méthode
scientifique, aussi bien dans l’herméneutique que dans les sciences
humaines et sociales, d’un côté, et le rôle de la compréhension et la
dimension interprétative dans ces sciences, de l’autre côté. Ainsi les
questions dont nous chercherons les réponses sont les suivantes :
Comment peut-on concilier une approche explicative et une approche
compréhensive ? Quelle est la place que peuvent occuper l’objectivation
scientifique et la méthode de l’explication, sous toutes ses formes
variées, dans le domaine de l’herméneutique : le domaine de la
3
Sur ce dépassement, Ricœur écrit : « Je suis très conscient de l’impossibilité où nous
sommes aujourd’hui de répéter la philosophie de 1945. Je reconnais d’abord que la
philosophie ne survivra qu’au prix d’un dialogue étroit avec les sciences humaines ; la
période du splendide isolement est terminée ». Paul Ricœur, « Le philosophe », Bilan de
la France : 1945-1970, colloque de l’association de la presse étrangère, Paris : Éd. du
Plon, 1971, p. 57. Cité dans : François Dosse, Paul Ricœur. Les sens d’une vie,
Paris : Éd. La Découverte, 1997, p. 345.
4
Les grands entretiens du Monde, Tome II : Penser la philosophie, les sciences, les
religions avec…, op. cit., p. 82, 126.
12
compréhension et de l’interprétation ? L’interprétation et la
compréhension ont-elles une place dans la méthodologie des sciences
humaines ? En posant ces questions à l’herméneutique ricœurienne, nous
considérons que nous pourrions y trouver une analyse profonde dans la
mesure où la question de la méthode y occupe une place centrale. Cette
préoccupation méthodologique s’explique par le fait que le dialogue
permanent que Ricœur tenait à établir et à conserver entre la philosophie
et son autre, les sciences humaines et sociales en l’occurrence, était
concentré, à un degré considérable, sur la problématique de la méthode.
Cette attitude attentive à l’importance de la problématique
méthodologique et à la nécessité et la fécondité d’un dialogue permanent
et ouvert entre la philosophie et son autre constitue l’originalité de
l’herméneutique ricœurienne, et la distingue des autres formes dans
l’herméneutique contemporaine comme l’herméneutique de Heidegger et
celle de Gadamer par exemple.
Or, en soulignant la préoccupation méthodologique et épistémologique
de l’herméneutique ricœurienne, il ne s’agit pas de minimiser la
dimension ontologique de cette herméneutique. En effet, Ricœur
s’efforce de rassembler les préoccupations méthodologiques,
épistémologiques et ontologiques dans son herméneutique. Il ne s’oppose
pas à l’ontologie heideggérienne de la compréhension, en tant que telle.
Ce qui est contesté dans une telle ontologie, c’est son caractère immédiat.
Autrement dit, Ricœur considère que cette ontologie doit être médiatisée
et précédée par une analyse épistémologique de l’acte de comprendre.
C’est-à-dire avant d’analyser la compréhension comme mode ou façon
d’être, il faut d’abord l’aborder comme mode de savoir ou de
connaissance. Cette sorte de médiation est une caractéristique immanente
à l’herméneutique ricœurienne. Celle-ci est une herméneutique de soi par
excellence car l’objet et l’objectif final de cette herméneutique sont la
compréhension de soi.
En récusant l’intuition immédiate du sujet par lui-même ou la
transparence du sujet à lui-même – propre à la méthode cartésienne,
fichtéenne et husserlienne – Ricœur met l’accent sur le fait que la
compréhension de soi doit être médiatisée par une interprétation des
signes, des symboles et des textes. En outre, en montrant l’analogie entre
le texte et l’action, celle-ci est devenue à partir des années soixante-dix
l’un des objets principaux et privilégiés de l’herméneutique de Paul
13
Ricœur. Ainsi, dans l’itinéraire herméneutique de Paul Ricœur on
pourrait distinguer relativement trois stades ou trois phases :
l’herméneutique des symboles et des signes, l’herméneutique du texte et
l’herméneutique de l’action. Cette distinction est relative dans la mesure
où il y a une forte imbrication entre ces trois phases de l’herméneutique
ricœurienne. En insistant sur cette imbrication nous voulons mettre
l’accent sur la continuité d’un projet qui traverse toutes les œuvres de
Ricœur. D’ailleurs, Ricœur se préoccupe finalement de ce qui peut être
appelé « une herméneutique de la traduction ». Ce livre se concentre
notamment sur l’herméneutique ricœurienne de l’action et de la
traduction, tout en proposant une extension de cette herméneutique.
Notre projet de construire une ébauche d’herméneutique de l’oralité suit
l’herméneutique ricœurienne, tout en essayant d’y porter un complément
nécessaire. Autrement dit, notre tentative de construire une
herméneutique du discours oral, en général, et du dialogue, en particulier,
peut être considérée à la fois, comme extension et comme dépassement
de l’herméneutique ricœurienne du texte et de l’action. Elle peut être
considérée comme extension parce qu’elle s’appuie sur les critères et les
fondements de l’herméneutique ricœurienne du texte. Afin de montrer la
possibilité de construire une telle herméneutique, à partir de
l’herméneutique ricœurienne du texte, nous nous demanderons si les
caractéristiques constitutives du paradigme ricœurien du texte ne se
trouvent pas également dans certaines sortes du discours oral, le discours
télévisuel et radiophonique en l’occurrence. En outre, s’il y a
herméneutique là où il y a situation de malentendu ou
d’incompréhension, comme l’affirme Ricœur à l’instar de
Schleiermacher, nous nous donnons pour tâche de montrer la place
considérable que pourrait occuper le phénomène de l’incompréhension,
dans l’échange oral de la parole, en général, et dans le dialogue en
particulière. Ce faisant, nous voulons mettre en évidence la possibilité et
la nécessité de construire une herméneutique de l’oralité. Or, cette
construction n’est pas seulement une extension de l’herméneutique
ricœurienne du texte et de l’action, elle forme, en plus, un dépassement
de cette herméneutique. Elle est dépassement dans la mesure où Ricœur
souligne, à plusieurs reprises, que le discours oral n’exige pas une
attention particulière de l’herméneutique. C’est la raison pour laquelle
Ricœur exclut ce discours de son herméneutique, en considérant qu’une
14
herméneutique éventuelle de la conversation, n’est qu’une « préherméneutique ».
Tout en analysant la relation entre la compréhension, l'explication et
l'interprétation, la thèse propose une herméneutique du discours oral, en
général, et du dialogue, en particulier. La tentative de montrer la
possibilité et la nécessité de construire une herméneutique de l’oralité,
peut être considérée comme extension de l’herméneutique ricœurienne
du texte et de l’action, non seulement parce qu’elle s’appuie fortement
sur le paradigme ricœurien du texte, mais également parce qu’elle se base
sur l’analyse ricœurienne du paradigme de la traduction. Celui-ci pourrait
être considéré, après le paradigme du symbole et celui du texte, comme
le troisième paradigme de l’herméneutique ricœurienne. L’acte de
traduire va être rapproché, à la fois, de l’acte de comprendre, de l’acte
d’expliquer et de celui d’interpréter. Nous procèderons à une analyse du
rapport complexe entre comprendre, expliquer et interpréter dans le
dialogue. En évoquant ce paradigme, nous voulons approfondir l’analyse
du phénomène de l’incompréhension dans l’échange de la parole et dans
le dialogue. En soulignant avec Ricœur que « comprendre, c’est
traduire », nous nous efforcerons, d’un côté, de mettre en évidence la
place considérable du phénomène de l’incompréhension dans le dialogue,
et, de l’autre côté, de chercher un remède de ce phénomène, considéré
partiellement comme maladie. Ce remède sera cherché principalement
dans ce que nous appellerons « éthique du dialogue et de la
compréhension ».
Etant donné que ce livre concerne ou comporte deux sortes d’extension
de ou dans l’herméneutique ricœurienne, il se divise en deux parties. La
première partie est intitulée « L'herméneutique ricœurienne et la
problématique de la méthode dans la théorie de l'action et celle de
l'histoire. Interpréter, comprendre et expliquer dans les sciences
humaines et sociales ». Elle consiste à mettre en évidence le déplacement
de l'herméneutique ricœurienne de la théorie du texte à la théorie de
l'action, tout en analysant la dialectique entre comprendre et expliquer,
que Ricœur s'efforce d'établir dans les sciences humaines et sociales. Le
premier chapitre met en évidence l’analogie, que Ricœur établit, entre le
texte et l’action sensée, en tant que celle-ci est l’objet des sciences
humaines et sociales. La question qui se pose est : est-il possible de
transposer la méthodologie issue de l’herméneutique textuelle aux
15
sciences humaines et sociales ? Ce chapitre s’interroge sur le caractère
herméneutique des sciences humaines et sociales. Afin de mettre en
évidence ce caractère, nous montrerons d’abord l’analogie, que fait
Ricœur, entre le texte et l’action sensée. Cette analogie pourrait montrer
la possibilité de transposer la méthodologie de l’herméneutique
ricœurienne du texte, et la possibilité et même la nécessité d’articuler la
compréhension et l’explication dans cette méthodologie. Le deuxième
chapitre se concentre sur la théorie de l’histoire dont caractère
herméneutique se montrera, par la dialectique entre comprendre et
expliquer, entre objectivité et subjectivité, d’un côté, et par la mise en
évidence du caractère interprétatif immanent aux trois phases
constitutives de l’opération historiographique, de l'autre côté.
La deuxième partie, qui porte le titre « vers une herméneutique du
dialogue », est consacrée à établir une deuxième extension de
l’herméneutique ricœurienne. Nous nous y interrogeons sur la possibilité
et la nécessité de construire une herméneutique du discours oral, en
général, et du dialogue, en particulier, à partir de l’herméneutique
ricœurienne du texte, de l’action et de la traduction. Nous montrerons
d’abord pourquoi Ricœur exclut le discours oral de son herméneutique, et
pourquoi il est nécessaire, selon nous, de construire une herméneutique
de l’oralité. Afin de montrer que cette herméneutique peut être construite
à partir de l’herméneutique ricœurienne du texte et de l’action, nous
procéderons, dans un premier temps, à établir une analogie entre le
discours télévisuel et radiophonique et le paradigme ricœurien du texte.
Cela nous permettra de démontrer que les trois sortes de distanciation,
constitutive du paradigme du texte, se trouvent également dans certaines
sortes de discours oral. Dans un deuxième temps, nous mettrons en
évidence la place que peut occuper le phénomène de l’incompréhension
dans l’échange oral de la parole, en général, et dans le dialogue en
particulier. Cela exige une mise en question du rapport entre comprendre,
expliquer et interpréter dans le dialogue. Dans un troisième temps, nous
proposerons un remède partiel du phénomène de l’incompréhension dans
le dialogue. Cette solution partielle réside dans ce que nous appellerons
l’éthique du dialogue et de la compréhension. Enfin, en évoquant le
paradigme ricœurien de la traduction, nous visons principalement à
clarifier, à partir de ce paradigme, le rapport dialogique avec l’autre.
16
Nous conclurons avec une proposition selon laquelle le paradigme de la
traduction peut être considéré comme un paradigme de l’herméneutique
du dialogue. Le paradigme de la traduction peut être également considéré
comme le troisième paradigme de l’herméneutique ricœurienne. Cette
herméneutique a, selon cette proposition, trois paradigmes constitutifs :
symbole, texte, traduction. Dans ce sens, l’extension visée par notre
recherche ne s’appuie pas uniquement sur l’herméneutique ricœurienne
du texte et de l’action. Elle se base également sur le paradigme ricœurien
de la traduction. Le parcours herméneutique de Ricœur se réduit à trois
devises principales : « Le symbole donne à penser », « Expliquer plus
pour comprendre mieux », et « Comprendre c’est traduire ». Cette
dernière formule peut être, à la fois, le slogan de l’herméneutique
ricœurienne de la traduction et de l’herméneutique du dialogue, dont
nous aspirons à établir une ébauche.
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Partie I: L'herméneutique ricœurienne et la
problématique de la méthode dans la
théorie de l'action et celle de l'histoire
Interpréter, comprendre et expliquer
dans les sciences humaines et sociales
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