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Fiche 2 Narration, soin et accompagnement : comment accéder au
monde de l’autre
Catherine Drapeau
Mots clé : compréhension, narration, relation, objectivité, subjectivité, sympathie, empathie
Cette fiche a pour objectif de proposer
- les fondements philosophiques de l’intérêt porté au récit de l’autre dans
l’activité soignante
Un type de démarche cohérente pour entendre ce récit en précisant par
rapport à la notion de soin :
- Les obstacles à la compréhension du récit que sont lobjectivité, la théorie
- Les leviers pour mieux comprendre : la construction du sens, sympathie,
décryptage, authenticité, réciprocité, implication sensible et responsable
3 constats de départ
1/ Le corps humain ne se laisse pas appréhender à la manière d'un
corps physique.
Conséquence : concernant le soin ce constat requiert du soignant non seulement un
travail d’explication causale classique (raisonnement clinique) mais aussi de
compréhension du malade (approche centrée patent).
2/ L’expérience de la souffrance est d’abord une épreuve de la
solitude.
Ce constat est vrai pour celui ou celle qui fait l’expérience de la maladie (personne
malade) mais aussi pour celui ou celle qui tente de lui apporter secours ( le
soignant) et qui mesure parfois son incompréhension, son désarroi voire son
impuissance
Pour celui « qui tente d’apporter secours »cette souffrance est plus celle que nous
pouvons avoir face à un proche souffrant : la solitude, le désarroi, l’impuissance
qui sont à la mesure de l’engagement affectif. Mais même dans cette relation de
sympathie (du souffrir de la souffrance de l’autre voir fiche 1), l’expérience
douloureuse du malade et du proche ne sont pas de même nature.
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En tant que médecin, nous ne faisons pas à proprement parler l’expérience de la
souffrance du patient. La souffrance n’est pas une expérience partagée, c’est ce
que dit Ricoeur, et il dit aussi que c’est justement cet « inénarrable » qui fait de la
douleur une souffrance.
- La compréhension de l’autre ne va jamais de soi. Comment peut-on accéder à
l’autre sans être d’abord affecté par sa situation (voir éthique et le premier
moment de la sympathie) ?
- Comment accéder à la vérité de l’autre dans toute sa construction fut elle
partielle et sa complexité ?
C’est la narration avec toute sa subjectivité, sa complexité et sa partialité par
laquelle chacun témoigne de son vécu permet un accès à l’histoire de la personne.
La compréhension doit faire alors l’objet d’un travail de décryptage des paroles à
travers lesquelles l’autre témoigne de son expérience vécue (voir fiche 1
herméneutique).
Pour ce qui est de la solitude éprouvée par le médecin face à la
difficulté d’une situation de soin : le RSCA, les groupes de Pairs,
les groupes Balint...participent à donner du sens.
3/ La prise de conscience de la situation de l’autre à partir des voies
qu’il indique, plutôt que du regard que nous portons d’emblée sur
lui est une reconnaissance de sa propre évaluation de la situation.
Le recueil de la parole de l’autre, l’écoute de son récit (même fragmentaire et/ou
cousu) apparaît comme la voie privilégiée pour accéder virtuellement au monde de
l’autre et construire un espace social partagé dans la relation de soin.
C'est le moment éthique d’une relation thérapeutique : la règle constitutive d’un
accomplissement d’une relation en tant que relation soignante (voir éthique du soin
dans les fiches suivantes)
Les obstacles rencontrés dans la compréhension de la situation de
l’autre :
1/ Le primat accordé à la posture descriptive fondé sur le corpus de
connaissance acquise sur l’organisme privilégie le contenu, a priori
objectif de la parole, au détriment de l’expérience subjective
(raisonnement clinique classique).
- Les propos considérés comme subjectifs sont perçus comme superflus
pour une évaluation organiciste explique pourquoi la parole du patent est si
rapidement coupée dans la consultation traditionnelle de crainte de se
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laisser embarquer dans des « histoires sans importance » et de ne pas
arriver à l’objectivité nécessaire pour faire un diagnostic précis)
- En miroir, lorsque le patient donne libre cours à un récit plus complexe, il
peut au contraire être tentant de s’intéresser à « l’implicite inconscient
sans en avoir (sans s’en être donné) les moyens ». Dans ce cas,
l’interprétation psychologique risque bien de reposer sur un vague tissu
de références/ croyances personnelles (voir fiche 1 herméneutique).
La question reste donc posée de voir s’il est possible d’accéder à la singularité de
l’autre, lors de cette expérience unique qui conduit une personne à demander le
secours de la médecine. Cette singularité irréductible, ne se laisse pas décliner au
neutre, pas plus qu’elle ne peut être pensée à la troisième personne (voir fiche
psychanalyse et soins à venir)
2/ La (non)congruence du travail de clinicien avec le travail
anthropologique
Il n’y a pas dans ce contexte d’observation sans intervention. Cette question se pose
au clinicien dans ce moment de rencontre « observante » à partir de laquelle va
s’élaborer une stratégie décisionnelle.
- En face du corps médical le malade va avoir tendance à médicaliser son
discours visant à le rendre acceptable à l’autre.
- Ce discours participe ainsi à sa détresse souvent sur le fond d’une
incompréhension de son propre vécu de l’épreuve, à travers des références
culturelles propres qui sont rarement superposable à celles du praticien.
- Le praticien lui est habituellement pris dans les catégories médicales qui
favorisent des représentations « savantes » ancrées volontiers dans l’ordre de
la réalité « naturelle ».
3/ De l’anthropologie à la clinique :
Le praticien a besoin de théorie pour fonctionner
- Comment tenir compte à la fois de la théorie ( science médicale) qui donne
une idée d’ensemble et de la pratique thérapeutique qui s’exerce dans la
rencontre de la singularité
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Les leviers à mobiliser dans la compréhension de la situation de *l’autre :
1/ Regard « Phénoménologique » sur la situation du corps propre
L’appartenance du corps à une histoire personnelle en fait tout autre chose qu’un
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rence ici à E Kant (dans sa troisième critique) la notion de jugement réfléchissant : jugement qui permet
au praticien d’entrer dans le monde du texte (voir éthique et herméneutique du soin)
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corps physique puisqu’il s’inscrit d’emblée dans une construction de sens. Dans cette
perspective la posture positiviste de la médecine traditionnelle dans nos milieux met
explicitement de côté cet aspect constitutif.
Maurice Merleau Ponty décrit cela en disant (La Phénoménologie de la perception) :
« ce qui est donné, ce n’est pas la chose seule, mais l’expérience de la chose, une
transcendance dans un sillage de subjectivité, une nature qui transparait à travers
une histoire »
La référence à la phénoménologie permet d’entendre le sens du travail
d’interprétation d’une situation à partir de la narration / pour chercher à connaître et à
comprendre, il faut d’abord être touché par la situation.
2/ De la Compassion à la Compréhension
S’il s’agit d’examiner des hommes, des égaux, des frères, la sympathie est le fond de
la méthode (G Bachelard)
Le pilier d’une aide fondée sur la reconnaissance de l’autre réside dans une
démarche de compréhension par laquelle il s’agit de reconnaitre l’expérience de
l’autre au lieu de la considérer d’abord à partir de l’expérience confusément perçue
comme normale !
Accéder à l’expérience de l’autre et la comprendre est difficile voire impossible dans
la plupart des cas, sauf à la vivre. Mais reconnaitre et prendre en compte cette
expérience, accepter qu’elle diffère de la nôtre ou qu’elle s’écarte de la norme est la
base de la prise en charge centrée sur la personne.
cela nécessite la possibilité de
- Jugement réfléchissant
- Pensée sans préjugée,
- Pensée élargie : penser en se mettant à la place de tout autre
- Pensée conséquente
3/ Le travail de compréhension comme pratique de soins.
Le travail de compréhension contraint à entrer dans le monde de l’autre pour
entendre ses raisons.
L’attitude compréhensive en sciences humaines se distingue de l’attitude
profane par un double abandon :
- abandon de la spontanéité interprétative de l’homme de la rue
- abandon de la finalité théorique
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C’est ce double abandon qui peut définir la position herméneutique comme
travail de décryptage du compréhensif. Ce travail se fait dans l’interaction c’est-à-
dire dans la réciprocité de la relation. C’est alors la même chose de comprendre
ce que le locuteur veut dire et ce que son discours veut dire.
Puisque la maladie contraint à vivre dans un monde rétréci, il convient d’être attentif
aux marges d’autonomie que la personne se découvre et couvre aux autres s‘ils
veulent bien y être attentifs.
La notion de capabilité concerne le pouvoir faire, pouvoir dire, pouvoir raconter et
pouvoir se raconter
Le travail de l’autre doit alors s’appuyer sur une herméneutique c’est à dire un travail
d’interprétation des « capabilités » qu’il nous offre à lire (entendre ou écouter).
Comprendre c’est d’abord écouter mais aussi décrypter la parole de l’autre, dégager
un fil rouge suivant lequel se construit l’incursion du mal être dans son existence
quotidienne, selon la notion de mise en intrigue.
Le témoignage que la personne souffrante donne de l’expérience douloureuse
ou de l’épreuve est éclairant non seulement parce qu’il décrit la nature du mal
être ressenti mais aussi parce qu’il enseigne la forme d’aide attendue pour
faire face à l’épreuve.
L’implication responsable, celle qui ouvre selon Levinas l’attente placée en l’autre,
présuppose la reconnaissance de l’autre dans son aptitude à la responsabilité.
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