3) La philosophie comme « relecture » de la théologie — L’herméneutique — Nous avions vu la semaine dernière comment la naissance de la philosophie pouvait être interprétée comme une « relecture » de la mythologie grecque. L’arrivée du christianisme va changer la donne, puisqu’un autre discours devient dominant : l’Ecriture. Dans cette seconde configuration, la philosophie ne va pas disparaître, elle va être conçue comme étant « au service » de la religion, de la théologie. Comme on le dira plus tard : la philosophie est la « servante de la théologie » [Formule à identifier]. Thèse de Gilson (l’esprit de la philosophie médiévale) : la philosophie médiévale est essentiellement une philosophie chrétienne (thèse qui a été discutée). Quels services la philosophie peut-elle rendre à la théologie ? Pour l’essentiel, deux services principaux : 1) L’herméneutique, c’est-à-dire l’interprétation. 2) L’intelligence de la Création. Mais à travers ces deux missions on perçoit aussi que la philosophie ne peut avoir aucune prétention en matière de salut : les chrétiens vont toujours dénoncer l’orgueil de la philosophie à vouloir prétendre au salut : prétendre se sauver soi-même, voilà l’orgueil par excellence ! La philosophie est incapable de sauver personne, mais elle peut néanmoins rendre d’inestimables services dès lors que ses prétentions sont limitées. Elle est folie (stultitia), ineptie, absurdité, … on trouve ces termes chez Augustin, Luther, et quelques autres … I- L’herméneutique religieuse : comment accéder au message sacré ? L’herméneutique est l’art de l’interprétation (du grec hermeneutikè, art d’interpréter et du nom du dieu grec Hermès messager des dieux et interprète de leurs ordres). La source est Aristote (dans l’Organon, qui traite de logique générale, Aristote définit les règles d’interprétation des propositions et des textes — second livre de l’Organon). Il y a trois types d’herméneutique : - L’herméneutique théologique : - L’herméneutique juridique : - L’herméneutique profane : Ange Politien (1454-1494) et Lorenzo Valla 14071457). En ce premier sens l’herméneutique est une technique : 1) L’établissement du texte authentique 2) La probité philologique. 3) La critique Mais l’herméneutique n’est pas seulement une technique, elle engage une certaine forme de philosophie (elle n’est pas neutre). Et l’on voit cela dans l’opposition avec la dogmatique. 2) Dogmatique vs herméneutique L’herméneutique s’oppose ici à la dogmatique : le sens est donné et il s’impose ; le sens est recherché dans l’herméneutique. De deux choses l’une, en effet, • Soit le sens s’impose : idée qu’il descendrait vers nous en ligne directe depuis la divinité elle-même. • Soit le sens est un horizon, vers lequel il faudrait tendre sans espérer l’atteindre jamais. Il y a, dans cette vision l’idée, qu’il y a toute une série de déperditions successives qui rend l’accès au sens ultime et absolu impossible et impensable. Les herméneutes sont les aventuriers du sens perdu. Dans la tradition chrétienne, le protestantisme incarne la seconde voie. 1) A partir du scandale des Indulgences, il conteste l’autorité de l’Eglise et son monopole interprétatif qui l’a conduit, selon lui, à des transformations, voire à des déformations graves. 2) D’un point de vue ontologique, la grandeur de Dieu est telle qu’il ne peut être ni vu ni connu (aucune autorité ne peut se prévaloir de ses intentions) : crise de la médiation. 3) Il plaide pour une interprétation libre, personnelle et authentique du texte biblique, ce pourquoi il donne à chacun les moyens d’avoir accès au texte pur : contre la vulgate, il traduit la Bible en allemand. On a, à partir de là, la structure de l’herméneutique. Structure de l’herméneutique : Axiologie (horizon de sens, système de valeur) X Faire en sorte que la réunion se produise = SENS ou INDIVIDUALITE (rencontre du général et du particulier. XXXXXXXXXXXXXX Ensemble de faits particuliers (traces à interpréter) 3) L’herméneutique comme philosophie A partir de là deux traditions (deux manières de considérer que le travail du philosophe est herméneutique ou historique). • La tradition du savoir absolu = Naissance de l’histoire de la philosophie : HEGEL La thèse de Hegel sur l’histoire de la philosophie (voir cours n° 4). On peut remonter la chaîne jusqu’au sens absolu. La philosophie est savoir absolu. • La tradition de l’herméneutique : Humboldt, Schleiermacher (1758-1834) et Dilthey (1833-1911) : [L’origine et le développement de l’herméneutique, 1900 ] Il est impossible de remonter la chaîne du sens, mais cela n’équivaut pas pour autant à un scepticisme ou un relativisme. On peut atteindre une certaine forme d’objectivité = Les sciences humaines : compréhension et explication. Un autre modèle d’intelligibilité. Naturwissenschaften et Geisteswissenschaften. Le point capital de cette tradition herméneutique est qu’il y a une distinction nette entre le monde de la nature (lois de causalité, généralité, matérialisme) et le monde de l’esprit (liberté, individualités rétives à toute généralisation). L’herméneutique est un art de comprendre, qui ne pourra jamais être mécanisé, car elle s’applique à des situations toujours individuelles (des textes singuliers, des événements historiques, de sociétés particulières, … ). Bref, elle traite de l’homme comme être spirituel (et non comme être matériel). Cf. Christian Berner, La philosophie de Schleiermacher, Cerf ; et l’articule de Denis Thouard, « Herméneutique » in Dictionnaire des sciences humaines (PUF, ss. dir. Mesure et Savidan).