BRUNO DOUCEY, ECRIVAIN ET EDITEUR Bruno Doucey est né en

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BRUNO DOUCEY, ECRIVAIN ET EDITEUR
Bruno Doucey est né en 1961 dans le Jura. Longtemps professeur de lettres et formateur à
l'Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM), il est l'auteur de nombreux ouvrages
pédagogiques et d'études critiques consacrées à Marivaux, Patrick Modiano, J.M. G. Le
Clézio, Francis Ponge, Claude Roy, Jean Tardieu, etc., parus aux éditions Hatier, Nathan,
Retz ou Gallimard. On lui doit également des anthologies de poésie (La Poésie engagée,
2001 ; La Poésie lyrique, 2002), un recueil de nouvelles (La Cité de sable, à paraître en
2005), des récits pour la jeunesse (Moïse, 2001), des poèmes qui accompagnent des
expositions de tableaux en France ou à l'étranger. Il est aujourd'hui directeur des éditions
Seghers.
Présence des poètes disparus
par Daniel Rondeau
Pierre Seghers livre le secret de toute résistance.
Un nom suffit: poésie.
La Résistance et ses poètes, de Pierre
Seghers, est le témoignage d'un poète. On
y trouve à la fois le «chant général» d'une
époque noyée de deuils et de sang, quand
des Français se récitaient en secret des
vers d'Aragon ou de Paul Eluard, et
l'épopée d'une poignée de flamboyants qui
racheta par son courage et son verbe, ses
souffrances aussi, la grande génuflexion
française de 1940 devant l'armée nazie.
Publié en 1974, tout de suite devenu un
classique, depuis longtemps introuvable,
cet inventaire passionné, traité de vie
future autant que manifeste contre l'oubli,
est à nouveau disponible dans une
nouvelle édition, que l'on doit à Bruno
Doucey.
En son temps, ce livre avait fait date. La
colère de 1968 déjà récupérée, de Gaulle
définitivement reparti vers sa forêt
gauloise, les Français étaient tentés de
tourner la page et souhaitaient se
déhancher tranquillement sur d'autres
hymnes que les Marseillaise de d'Estienne
d'Orves. En même temps qu'ils ne se
privaient pas d'aimer Lacombe Lucien ou
l'inattendu et éblouissant Nain jaune de
Pascal Jardin, ils réintégraient en douceur
d'anciens collaborateurs «dans le
patrimoine national» (Henry Rousso).
Pierre Seghers, poète et éditeur de
poésie, résista à sa façon à ce qu'il
ressentait comme une infidélité du temps.
La Résistance et ses poètes fut sa
réponse aux marmonnements des
volages, des oublieux et des moqueurs.
Parce
qu'il
transmettait plus
qu'une histoire,
plus que des
noms et des vers
de poètes oubliés
(Alain Borne),
plus que la vérité
(le rôle central
d'Aragon, celui du spiritualisme chrétien),
la voix de Seghers allait porter plus loin
que son temps. Elle résonne de façon
étrangement claire et puissante dans notre
époque. La détresse a changé de visage
et les monstres d'aujourd'hui ressemblent
à de bons garçons indifférents. Seghers
nous transmet le feu et les secrets de
toute résistance. Un nom suffit: poésie.
Dans la même collection Seghers, un livre
de Roger Bernard, Ma faim noire déjà.
Bernard vécut comme un météore. Il avait
été l'ami de Jean Giono, son premier
maître, puis de René Char. Il fut tué à 23
ans par des SS, sur les hauteurs dominant
Céreste, un matin de juin 1944. Il avait
laissé un cahier de poèmes que Char fit
éditer après la Libération, puis trente ans
plus tard, «à l'heure où la mémoire de la
«France des cavernes» commençait à
blanchir au flanc des stèles» (Antoine de
Meaux). Des inédits (En saumure depuis
lors), quelques photos en noir et blanc et
une préface de Dominique de Villepin («Il
avait brûlé en résistance davantage de
lumière que ses contemporains») nous
rendent une voix, un visage, le regard pur
de celui qui ne voulait voir dans l'homme
«qu'un poème de joie».
L’Express du 24.05.04
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