ELEMENTS DE CORRECTION Economie d`entreprise

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Université de Rennes 1
DEUG Droit 2ème année
Année 2002-2003
ELEMENTS DE CORRECTION
Economie d’entreprise
Thierry PENARD
Vous répondrez aux trois questions suivantes, en prenant soin de bien argumenter et en
mobilisant les concepts et théories économiques vus en cours.
Q UESTION 1 : LA STRATEGIE DE B ENETTON
Benetton est une entreprise et une marque bien connue dans le secteur du textilehabillement. Cette entreprise italienne fondée en 1965 affiche un chiffre d'affaire de
2 milliards d'euros en 2002. L'essentiel de ses ventes sont réalisées dans les lainages
(pulls, gilet, …). Les clients apprécient en particulier la large gamme de coloris des
lainages Benetton. Ils apprécient aussi le fait que les collections sont renouvelées
fréquemment, selon les évolutions de la mode.
Sur le plan de la fabrication, l'entreprise sous-traite la majorité de l'activité de tissage
des lainages. En revanche, l'entreprise Benetton réalise en interne dans ses propres
usines la teinture des lainages. De plus, Benetton dispose de sa propre équipe de
stylistes et de créateurs qui dessinent les nouvelles collections et modèles, permettant
ainsi de s'adapter en permanence aux évolutions de la mode et des goûts des clients.
En revanche, la distribution à travers près de 5 000 magasins dans 150 pays s'effectue
sous forme de franchise. Chaque gérant-franchisé d'une enseigne Benetton est
propriétaire de son magasin et est lié par un contrat d'exclusivité avec l'entreprise
Benetton. En contrepartie, il reverse chaque année des royalties à Benetton.
Après avoir rappelé les raisons pouvant conduire une entreprise à intégrer ou au
contraire à externaliser une activité, vous chercherez à expliquer les choix de Benetton
en matière de fabrication et de distribution de ses lainages.
La théorie des coûts des transactions permet de mieux comprendre le choix de la part
d'une entreprise comme Benetton entre faire (intégrer une activité) et faire faire
(externaliser cette activité). Cette théorie s'appuie sur les travaux fondateurs de Coase
dans les années 1930 et s'est développé à partir des années 1970 sous l'impulsion de
Williamson. Au cœur de cette analyse, se trouve la notion de transaction (correspondant
au transfert d’un bien ou d’un service entre deux entités technologiquement séparables).
Une transaction peut se faire soit en interne (entre deux entités appartenant à la même
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entreprise), avec un mode de coordination hiérarchique, soit via le marché (entre deux
entités indépendantes). Dans les deux cas, la transaction générera des coûts de
transaction (coût d'organisation de la transaction). Dans le cas d'une transaction
marchande, les coûts de transaction correspondent aux coûts de négociation et de
conclusion et d'exécution des contrats marchands.
Une firme choisira d'intégrer si le coût de production et de coordination de l'activité en
interne est inférieur au coût de production et de transaction sur le marché. De manière
générale, les coûts de production plaident toujours en faveur du marché, car il est
toujours possible de trouver une entreprise spécialisée sur le marché produisant à plus
grande échelle (bénéficiant donc d'économies d'échelle). En revanche, les coûts de
transaction marchande peuvent dans certains cas être bien supérieurs aux coûts de
transaction ou d'organisation en interne et justifier une intégration de l'activité.
Williamson a défini trois critères importants qui permettent de mesurer l'ampleur des
coûts de transaction marchands : la fréquence de la transaction, l'incertitude entourant la
transaction et la spécificité des actifs engagés dans cette transaction.
• Plus une transaction est fréquente et plus les coûts de transaction sur le marché
augmentent
• Plus une transaction comporte de l’incertitude et plus les coûts de transaction sur le
marché augmentent.
• Plus les transactions impliquent d’actifs spécifiques et plus les coûts de transaction
sur le marché augmentent.
A partir de ces critères, on peut définir trois modes de gouvernance d'une transaction :
• le marché à travers un contrat classique marchand, adapté à des transactions
ponctuelles, sans incertitude, sans complexité et sans spécificité d’actifs.
• les formes intermédiaires ou hybrides entre marché et hiérarchie à travers un
contrat de long terme (souvent incomplet), adaptées à des transactions soumises à
une incertitude moyenne ou forte, avec possibilité d’opportunisme (spécificité
d’actifs moyennes) et de conflit. Il s’agit d’un contrat incomplet.
• la hiérarchie via une gestion unifiée ou une internalisation, adaptée à des
transactions d’une complexité et d’une incertitude élevées, caractérisée par des
relations fréquentes et durables. Une structure unifiée s’impose essentiellement dans
le cas de très fortes spécificités des actifs et de transactions récurrentes. L’avantage
de l’internalisation est de permettre une très grande adaptabilité aux aléas, un
ajustement continu des relations entre les parties sans avoir à renégocier les termes
du contrat.
La théorie des coûts de transaction permet de mieux comprendre les choix
organisationnels effectués par Benetton.
APPLICATION A LA STRATEGIE DE B ENETTON :
En matière de tissage :
Cette activité ne présente pas une forte spécificité d'actifs. En effet, Benetton n'a pas
développé son image de marque autour de lainages tissés d'une manière spécifique
(nécessitant une formation spécifique et des machines spécifiques). Au contraire, les
lainages commercialisés par Benetton sont très classiques en matière de tissage. Ainsi,
Benetton n'est nullement dépendant de son ou ses tisseurs. Par contre, il peut exister une
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spécificité géographique au sens où Benetton souhaite avoir ses tisseurs le plus près
possible de son usine de teinture. De plus, les relations sont assez fréquentes et peuvent
présenter un peu d'incertitude en matière de production (activité ayant une demande
assez volatile et saisonnière). Pour toutes ces raisons, Benetton a choisi d'externaliser
l'activité de tissage de ses pulls pour bénéficier de coûts de production plus faible
(avantage du marché), mais il a développé deux types de relations : des contrats
classiques marchands avec des tisseurs très éloignés (pays à bas coût de main d'œuvre
en Asie ou au Magrheb) et des contrats de sous-traitance de long terme avec des
entreprises italiennes localisées près de son usine (pour les lainages de qualité
supérieure).
En matière de teinture :
Les coloris des lainages Benetton sont très liés à son image de marque. Il est donc
important de bien maîtriser la technique de teinture (pour éviter que les couleurs partent
dès les premiers lavages). De plus, il est important de conserver le secret de fabrication
des différentes couleurs. Cette activité présente donc une forte spécificité d'actifs et
justifie une internalisation pour éviter de dépendre d'un sous-traitant qui pourrait
adopter des comportements opportunistes (de type hold up sur les rentes dégagées par
Benetton).
En matière de stylisme
Là encore, l'image de marque de Benetton est très liée au renouvellement fréquent des
modèles et une adaptation permanente aux goûts des clients. C'est le cœur de l'activité
de Benetton. Il est donc important que Benetton conserve en interne cette activité pour
éviter tout risque d'opportunisme ou de hold up de la part de stylistes extérieurs à
l'entreprise et qui pourraient proposer leurs modèles à d'autres entreprises. Enfin,
l'intégration se justifie aussi par la forte incertitude qui entoure l'activité textile (en
matière de mode, de goût). Il est important d'anticiper mais aussi de réagi rapidement à
la demande. C'est plus facile de le faire en interne, que par le biais de contrats
marchands.
En matière de franchise
Benetton a choisi d'externaliser la distribution, mais en recourant à une forme hybride.
En effet, Benetton de par son image de marque, la spécificité de ces lainages prendrait
des risques élevés en ne contrôlant pas la distribution. C'est pourquoi Benetton a choisi
de développer son propre réseau de distribution exclusive. Mais, un tel réseau présente
des coûts d'agence. En effet, les managers de chaque magasin n'auront pas
nécessairement les mêmes intérêts que les dirigeants de Benetton. Pour éviter ces risque
d'opportunisme, Benetton a opté pour la franchise dans laquelle chaque manager est
propriétaire de son magasin et directement intéressé au chiffre d'affaires, c'est à dire
créancier résiduel. En retour, Benetton reçoit des royalties. De plus via le contrat de
franchise, qui est un contrat de long terme exclusif (le franchisé ne peut pas vendre
d'autres produits que Benetton), Benetton protège ses actifs spécifiques contre tout
risque de hold up.
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Q UESTION 2 : TARIF BINOME
En quoi consiste un tarif binôme, appelé aussi tarif non linéaire et pourquoi une
entreprise peut-elle avoir intérêt à pratiquer ce type de tarif envers ses clients ?
Donnez des exemples d'entreprises ayant recours à ce type de pratiques.
Un tarif binôme est un tarif en deux parties, comprenant une partie fixe (un droit
d'entrée, un abonnement) et une partie variable (prix unitaire ou prix proportionnel aux
quantités consommées). On parle aussi de tarif non linéaire. L'objectif de ce tarif est
d'extraire le maximum de surplus des consommateurs, le surplus étant la différence
entre leur disposition à payer (DAP) et le prix effectivement acquitté par le
consommateur. Pour cela, le mieux est de fixer un prix unitaire relativement faible,
permettant de stimuler l’usage et les ventes et de fixer un droit d'entrée correspondant
au surplus que pourrait retirer le consommateur de ce niveau de consommation. Ainsi,
prenons le cas d'un tarif binôme T=(A,p) où A est la partie fixe et p le prix unitaire du
bien ou du service. Si pour ce prix unitaire le client est prêt à consommer une quantité
Q* et que cette quantité lui donne un surplus S(Q*) (qui correspond à DAP(Q*)-pQ*),
alors l'entreprise a intérêt à fixer un droit d'entrée ou un abonnement égal à A=S(Q*).
Le tarif binôme est souvent utilisé dans le cadre des politiques de discrimination en prix
de second degré. Dans ce cas, les clients se voient proposés plusieurs formules de tarifs
binômes et choisissent celle qui leur convient le mieux en fonction de leur disposition à
payer. Ceci permet de discriminer entre les clients ayant une forte DAP et ceux ayant
une faible DAP (ceux qui ont une forte DAP vont sélectionner le tarif binôme se
caractérisant par un prix unitaire faible, mais un droit d'entrée élevé, alors que ceux qui
ont une DAP faible vont choisir le tarif caractérisé par un prix unitaire plus élevé, mais
un droit d'entrée plus faible.
Exemple d'entreprises pratiquant les tarifs binômes :
• La SNCF : carte fréquence permettant moyennant un droit d'entrée de bénéficier de
prix plus bas sur chacun des voyages. Cette carte fréquence s'inscrit dans une
politique généralisée de discrimination tarifaire de deuxième et troisième degré.
• Les cinémas UGC ou Gaumont : carte annuelle permettant ensuite de bénéficier de
séances à un prix réduit
• Les opérateurs de téléphonie mobile : dans certains pays, les abonnés paient un
abonnement mensuel puis paient leurs communications en fonction de l'usage. En
fait, en France, jusqu'en 1997, les tarifs binômes étaient pratiqués par les opérateurs.
Puis, ils ont été remplacés par les forfaits qui correspondent à un prix tout compris
(abonnement + usage).
• Certaines enseignes de distribution comme la FNAC : adhésion (obtention d'une
carte d'adhérents), puis réduction sur certains prix. L'objectif est non seulement
d'extraire le maximum de surplus des consommateurs, mais aussi de les fidéliser
(d'empêcher qu'ils partent chez des concurrents).
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Q UESTION 3 : LES PROGRAMMES DE CLEMENCE
COMMUNIQUE DE PRESSE DE LA COMMISSION EUROPEENNE BRUXELLES,
2002
LE
30
OCTOBRE
Dans une décision adoptée aujourd'hui, la Commission européenne a estimé que
Christie's et Sotheby’s, les deux principales maisons de vente au enchères
d'objets d'art dans le monde, ont enfreint les règles de concurrence de l'Union
européenne en s'entendant pour fixer les commissions de vente (commission
payée par les vendeurs) et d'autres conditions commerciales, entre 1993 et
début 2000. Cette entente avait pour objet de limiter la concurrence féroce que
les deux grandes maisons de vente aux enchères s'étaient livrée au cours des
années 80 et au début des années 90.
C'est pourquoi la Commission a infligé à Sotheby’s une amende de 20.4 millions
d'euros, c'est-à-dire 6 % de son chiffre d'affaires mondial. Christie’s, quant à elle,
ne s'est pas vu infliger d'amende, car elle a été la première à apporter des
preuves déterminantes qui ont permis à la Commission d'établir l'existence de
l'entente.
En vous appuyant sur les enseignements de la théorie des jeux répétés, vous montrerez
en quoi le programme de clémence mis en place depuis 1996 par les autorités
européennes de la concurrence devrait théoriquement permettre de lutter plus
efficacement contre les collusions et cartels. (Note : le programme de clémence accorde
une immunité totale d'amendes en faveur de la première entreprise qui fournit des
preuves sur une entente dont la Commission n'avait pas connaissance ou qu'elle n'avait
pas établie). Vous illustrerez votre réponse en vous servant du cas Sotheby-Christie (cf
communiqué de presse)
Les cartels et collusions sont interdits dans tous les pays développés. Comme le rappelle
la Commission européenne, dans son rapport d’activité 2001, «les accords secrets de
cartels figurent parmi les restrictions de concurrence les plus graves. Ils se traduisent
par des augmentations de prix et une réduction du choix offert aux consommateurs. Ils
ont également un impact négatif sur l’ensemble de l’industrie européenne en
renchérissant le coût des services, des marchandises et des matières premières pour les
entreprises européennes qui se fournissent auprès des participants aux cartels ».
Toutefois, l'existence de lois antitrust (anti-cartels) n'a pas entraîné la disparition des
cartels comme le prouve le cas Sotheby-Christie. Les entreprises continuent de
s'entendre de manière secrète et souvent informelle. En effet, les entreprises ont un
intérêt commun à relâcher la concurrence et à s'entendre sur les prix ou les parts de
marché. Heureusement pour les consommateurs, ces mêmes entreprises sont
individuellement incitées à tricher en cas d'accord collusif (pour accroître ses parts de
marché au détriment de ses concurrents par exemple) comme le montre bien le dilemme
du prisonnier. Une collusion est donc exposée à des risques d'instabilités internes.
Pour dissuader toute déviation de l'entente, les entreprises ne peuvent pas signer des
contrats puisque la collusion est illégale. La stabilité de l'entente ne peut donc venir que
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des firmes elles-mêmes. Elles doivent donc trouver les moyens de rendre leur collusion
auto-exécutoire. Pour cela, elles peuvent tirer partie du caractère répété de la
concurrence et inciter chaque entreprise à coopérer en la menaçant de représailles
futures en cas de non respect de l'entente.
Une collusion pourra se mettre en place durablement si le gain à court terme qu'une
firme peut obtenir en déviant est inférieur à la perte de profits liée aux représailles qui
s'ensuivront.
Certaines structures de marché se révèlent plus favorables que d'autres à la mise en
place et la stabilité d'une collusion, par exemple une offre concentrée, une demande
dispersée et peu volatiles , une transparence sur les prix… On peut remarquer que le
marché de la vente aux enchères d'objet d'art est un marché assez propice à la collusion
puisqu'il est extrêmement concentré (duopole Sotheby et Christies) et que les prix sont
assez transparents (facilité pour surveiller les comportements du concurrent). Il n'est
donc pas surprenant que ce marché ait fait l'objet d'une entente sur les prix.
Dans ce contexte, le rôle du programme de clémence mis en œuvre par les autorités de
la concurrence européennes en 1996 est de faire obstacle aux cartels, en cherchant à les
déstabiliser, c'est à dire en augmentant les incitations à dévier du cartel.
On peut analyser ce programme comme une sorte de dilemme du prisonnier proposé
aux membres du cartel. Considérons un cartel composé de deux firmes. Si aucune firme
ne dénonce le cartel, les autorités, faute de preuves, auront une faible chance de pouvoir
condamner ce cartel (les firmes s'exposent à une faible amende espérée). En revanche,
si une firme dénonce le cartel et pas l'autre, alors la première bénéficiera du programme
de clémence et la seconde sera lourdement sanctionnée sur la base des preuves
apportées par la première. Si une firme s'attend à ce que l'autre la dénonce, elle a donc
intérêt elle aussi à la dénoncer. De même, si la firme s'attend à ce que l'autre nie, elle a
aussi intérêt à la dénoncer, du moins à court terme. Dénoncer est donc une stratégie
dominante à court terme. Certes dans une perspective de plus long terme, chaque
entreprise qui choisit de dénoncer doit prendre en compte les risques de représailles
futures de la part des firmes qu'elle a dénoncé. Cette menace peut dissuader les
entreprises de recourir à la délation. Mais dans le cas de Sotheby - Christie, on voit que
Christie a jugé qu'il était plus profitable de dénoncer que de nier.
Le programme de clémence présente donc une certaine efficacité en rendant les
collusions moins stables, en encourageant les comportements opportunistes au sein d'un
cartel. Par ailleurs, les collusions étant de plus en plus informelles, la recherche de
preuves matérielles est souvent très difficile pour les autorités de la concurrence. Or
sans preuve, il est impossible de condamner un cartel. Le programme de clémence
permet d'obtenir ces preuves matérielles en encourageant la coopération de firmes ayant
directement participé au cartel.
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