Le cautionnement en droit civil québécois: une analyse économique

DOCUMENT DE TRAVAIL # 2
Le cautionnement en droit civil québécois :
une analyse économique
Par Alain Parent et Ejan Mackaay
(alainparent524@hotmail.com) et (ejan.mackaay@umontreal.ca)
Avril 2012
FACULTÉ DE DROIT
UNIVERSITÉ McGILL ET UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
http://www.analyseeconomiquedudroit.com/Documents-de-recherche.html
PARENT/MACKAAY – LE CAUTIONNEMENT ANALYSE ÉCONOMIQUE 2
Le cautionnement en droit civil québécois :
une analyse économique
Alain Parent1et Ejan Mackaay2
Résumé..........................................................................................................................2
Introduction ...................................................................................................................3
I - La fonction économique du cautionnement............................................................6
A - Le coût du crédit dans une opération sans garantie.............................................................................. 6
1. Le loyer de l'argent...............................................................................................................................7
2. Les coûts de transaction ......................................................................................................................7
3. Le coût du risque .................................................................................................................................8
B - Le cautionnement comme moyen pour réduire le coût du crédit ........................................................... 9
1. La réduction du coût de l’information ...................................................................................................9
2. La réduction du coût du risque moral.................................................................................................11
3. La réduction du coût du risque d’inexécution.....................................................................................13
C - Les contraintes du cautionnement....................................................................................................... 14
1. La mauvaise perception du risque par la caution...............................................................................15
2. L’opportunisme ..................................................................................................................................16
II - L’économie du régime juridique du cautionnement en droit civil québécois....19
A – La protection contre l'opportunisme au moyen d'articles spécifiques du Code................................... 20
1. La protection de la caution.................................................................................................................20
2. La protection du créancier..................................................................................................................28
3. La protection du débiteur ...................................................................................................................29
B – La protection contre l'opportunisme au moyen de l’obligation de bonne foi........................................ 30
Conclusion...................................................................................................................33
RÉSUMÉ
Le cautionnement réduit le coût du crédit dans les cas où la solvabilité du
débiteur est douteuse et que le paiement de la créance est décalé dans le temps.
D'un point de vue économique, la réduction du coût du crédit est de nature à
augmenter l'éventail d'opérations économiques viables et ainsi à stimuler la
croissance. La réduction de coût qu'engendre le cautionnement s’opère de
1Avocat et doctorant, Faculté de droit, Université McGill. Chargé de cours à la Faculté de
droit de l’Université de Montréal et de l’Université Laval. Les auteurs aimeraient remercier le
professeur Frédéric Levesque pour avoir commenté une version antérieure de ce texte.
2Professeur émérite, Université de Montréal; Fellow, Cirano.
PARENT/MACKAAY – LE CAUTIONNEMENT ANALYSE ÉCONOMIQUE 3
quatre manières : 1) par la diminution des coûts d’acquisition de l’information
grâce à un mécanisme que l’on nomme signalling: le débiteur capable de se faire
appuyer par une caution s'affiche surement comme un assez bon risque; 2) par
la diminution du coût de surveillance du débiteur : la caution, étant tenu en cas
de défaut du débiteur, a intérêt contribuer à surveiller celui-ci; 3) par la diminution
du coût lié au risque de négligence du débiteur dans la gestion de ses affaires :
lorsqu’il existe un lien étroit entre la caution et le débiteur, alors on peut
s’attendre que ce dernier prenne davantage de précautions afin de ne pas briser
ce lien; 4) par la diminution du risque pour le créancier, le cautionnement étant
une forme d’assurance en cas de défaut. Sans cette réduction de coût, le
créancier n’aurait possiblement pas contracté avec le débiteur, ou aurait
demandé un taux d’intérêt supérieur ou d’autres garanties, plus coûteuses pour
le débiteur, avant de s’engager.
Le cautionnement implique une relation tripartie entre le créancier, le débiteur et
la caution. Le problème spécifique qu'il pose est que la caution se retrouve
souvent dans une position vulnérable, notamment en raison du caractère
accessoire de son engagement. Il s’ensuit qu’elle est une proie facile pour les
actes opportunistes de la part du créancier, du débiteur ou des deux à la fois. La
viabilité même du cautionnement serait en péril si les cautions potentielles
jugeaient excessif le risque à l'opportunisme. Le droit applicable en matière
de cautionnement s'éclaire singulièrement si on le lit comme cherchant à assurer
la viabilité de l'institution par le contrôle de l'opportunisme, notamment celui dont
pourrait être victime la caution.
INTRODUCTION
Le cautionnement est le contrat par lequel une personne, la caution,
s'engage envers une autre, le créancier, gratuitement ou contre rémunération, à
exécuter l'obligation d'un tiers, le débiteur, pour le cas où ce dernier ne la
PARENT/MACKAAY – LE CAUTIONNEMENT ANALYSE ÉCONOMIQUE 4
remplirait pas3. Le cautionnement est la seule sûreté personnelle dans le Code
civil du Québec. Malgré son âge vénérable il était déjà connu dans le droit
romain4– peu d’écrits lui sont consacrés dans la littérature juridique québécoise5.
Le professeur Pierre Ciotola se montre pionnier dans ce domaine, en y
consacrant une soixantaine de pages dans son traité sur les sûretés6. D'autres
auteurs ont suivi son exemple7. Et ils ont raison, car le cautionnement joue un
rôle essentiel dans l’économie moderne, au Québec comme ailleurs8.
À l’origine, le cautionnement était un service rendu par un parent ou un ami
visant à garantir les obligations d’une personne moins fortunée ou
inexpérimentée. Ce type de cautionnement demeure encore répandu aujourd’hui.
Avec la complexification des échanges économiques, de nouveaux genres de
cautionnement sont apparus. Pour éluder l'absence de responsabilité qui résulte
de la personnalité juridique distincte de la société par actions, les créanciers
3Art. 2333 C.c.Q.
4Les sûretés personnelles étaient très appréciées des Romains, ce qui les avait amenés à
créer plusieurs types de cautionnements qui se nommaient intercessor. Ce terme signifie,
entre autres, qu’une personne s’engage volontairement et sans y être tenue à ajouter son
obligation à celle d’un tiers. Les Romains ont connu cinq types de contrats provenant du
concept de l’intercessor. De ces contrats s’opérait une subdivision entre ceux qui étaient
formels et ceux qui ne l’étaient pas. D’une part, les contrats formels, plus communément
appelés adpromissio, étaient produits selon trois modèles : la sponsio, la fidepromissi et la
fidejussio. D’autre part, il existait deux types de cautionnements sans exigences de forme,
soit le mandatum credendae pecuniae et le constitut. Voir Alain PARENT, L’exception de
non-subrogation : l’influence de ses principes justificatifs sur sa mise en œuvre, Mémoire de
maîtrise, Faculté de droit, Université de Montréal, 2007, aux pp. 48 et s.; pour un historique
complet, voir Anne-Sophie BARTHEZ et Dimitri HOUTCIEFF, « Les sûretés personnelles »,
dans Jacques Ghestin, (dir.), Traité de droit civil, Paris, L.G.D.J., 2010, pp. 13 et s.
5Par exemple, le significatif traité de Louis PAYETTE, Les sûretés dans le Code civil du
Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1994, n'en traite pas.
6Pierre CIOTOLA, Droit des sûretés, 3eéd., Montréal, Les Éditions Thémis, 1999 ; notons
également l’importante contribution des professeurs Marc Boudreault et Louise Poudrier-
Lebel ; voir notamment Marc BOUDREAULT, Les sûretés, 3eéd., Collection Bleue,
Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2008 et Louise POUDRIER-LEBEL, Le cautionnement
par une compagnie de garantie, coll. « Minerve », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1986.
7Frédéric LEVESQUE, « Fascicule 12 : Cautionnement », dans Pierre-Claude LAFOND (dir.),
JurisClasseur Québec - Contrats nommés II, Montréal, LexisNexis, 2011; Édith LAMBERT,
Le cautionnement (Art. 2333 à 2366 C.c.Q.), coll. « Commentaires sur le Code civil du
Québec », Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011.
8Voir, par exemple, pour la France, Philippe DUPICHOT, L'efficience économique du droit
des sûretés personnelles, 2010, http://www.fondation-
droitcontinental.org/upload/docs/application/pdf/2010-08/ph-dupichot_1ere_partie.pdf.
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demandent un cautionnement aux entrepreneurs qui démarrent leur entreprise
ou dont la situation financière est précaire9. Dans les grands chantiers, le
donneur d’ouvrage souvent l’État demande un cautionnement à
l’entrepreneur général dans le cadre du processus de soumission et aussi pour
garantir l’exécution des travaux10.
Le droit du cautionnement tient en une trentaine d'articles dans le Code
civil11. Pour le droit français, Malaurie et Aynès le qualifient de « matière
complexe, imprévisible et incertaine »12. Les règles détaillées et en apparence
touffues du cautionnement pourraient inspirer une telle observation. Pourtant il
nous semble possible de faire jaillir la lumière sur le régime juridique du
cautionnement en le saisissant à travers sa fonction économique : il sert à
réduire le coût du crédit et ainsi à rendre viables un éventail de projets qui ne le
seraient pas sans cette sûreté personnelle. Cette fonction économique utile a
cependant pour contrepartie possible des abus dans le rapport tripartite
qu'implique le cautionnement. Les abus prennent notamment la forme d'actes
opportunistes. Les précautions que les acteurs eux-mêmes prendraient pour s'en
protéger sont coûteux et entameraient la viabilité du cautionnement. Le droit du
cautionnement s'éclaire singulièrement si on le lit comme cherchant à assurer la
viabilité de l'institution par le contrôle de l'opportunisme, particulièrement celui
dont pourrait être victime la caution.
Pour bien exposer cette interaction entre la règle juridique et ses effets
sociaux, ici économiques, il est opportun de se servir de l'outil qu'est l'analyse
économique du droit. Le texte qui suit pourrait être considéré comme une
illustration du rôle d'instrument de doctrine que peut jouer cette approche. Elle
est d'autant plus importante que l'on prend au sérieux l'affirmation de
MacCormick, selon laquelle la justesse d'une règle juridique s'apprécie autant
9F. LEVESQUE, op. cit., note 7, no3, p. 12/5.
10 Id.
11 2333-2366 C.c.Q.
12 Philippe MALAURIE et Laurent AYNÈS, Cours de droit civil - Les sûretés - La publicité
foncière (Le droit du crédit), 3eéd., Paris, Éditions Cujas, 1990, no124.
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