Le Courrier de colo-proctologie (II) - n° 1 - mars 2001
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Science et conscience
I
l est d’expérience immédiate que la rela-
tion médecin-malade, telle qu’elle se vit
aujourd’hui, diffère profondément de ce
qu’elle était pour nos aînés. En quelques
décennies, l’attente des patients s’est trans-
formée : les exigences ne sont plus les mêmes,
avec des conséquences sur le rôle et la place
du médecin dans la société. S’agit-il d’un
changement de degré ou de nature, d’une
simple modification relationnelle ou d’une
révolution structurelle ? Quelles sont les
causes d’une telle évolution et ses consé-
quences sur le questionnement éthique qui
fonde cette relation si particulière à l’autre
qu’est l’exercice de la médecine ?
L’ensemble de la problématique tient ici à ce
que nous passons du modèle paternaliste à
celui de l’autonomie, transformation com-
plexe et non sans risque, car elle sous-tend des
approches culturelles fort différentes. Qu’en
est-il précisément ? Jusqu’à ces dernières
années, la relation médecin-malade était, en
France, de type paternaliste et fondée sur le
principe de bienfaisance. Le malade n’avait
d’autre possibilité que d’être réduit au statut
d’enfant de par l’ignorance dans laquelle il
était maintenu de la nature et des causes de son
mal ainsi que des moyens d’y remédier. “Tout
patient est et doit être pour [le médecin]
comme un enfant à apprivoiser, (...) à sauver,
(...), à guérir ”, déclarait L. Portes (1), prési-
dent de l’Ordre national des médecins, il y a
quelque cinquante années. Dans cette analyse,
la relation médecin-patient est fondamentale-
ment inégalitaire, le patient s’en remettant à
la décision du médecin, qui sait et qui agira –
principe de bienfaisance oblige – pour son bien
à lui, malade qui ne sait pas. Mais là se pose
une question de fond : qu’est-ce que le bien
du malade ? Au nom de quoi et de qui
appartient-il au médecin de s’approprier le
droit de le définir ? De fait, comme le signale,
B. Baertschi (2), “la maladie n’est pas le seul
mal, ni la santé le seul bien, et parmi les biens
que poursuit un individu, il y en a beaucoup
d’autres” ; et – sauf à se substituer au choix
de l’autre (mais comment le justifier ?) – le
médecin est-il fondé à hiérarchiser ce qui est
bien pour son patient ? Finalement, peut-il –
même au nom de la bienfaisance – décider à
la place de l’autre1, le priver de sa faculté de
choisir et, partant, porter atteinte à son inté-
grité en tant que personne ?
À tout cela les partisans de l’autonomie vont
répondre par la négative. Si le paternalisme
“affirme savoir mieux qu’un autre ce qui est
bon, bénéfique pour lui” (2) et s’autorise à lui
imposer une conduite, le principe d’auto-
nomie inscrit la relation médecin-malade dans
un rapport d’égalité, la consultation n’étant
qu’une prestation de services qui permet au
malade de recueillir le maximum d’informa-
tions afin qu’il puisse se déterminer. “La
valeur première, ici, n’est pas [pour le méde-
cin] de faire le bien du patient mais de res-
pecter sa liberté, sa dignité d’être qui prend
lui-même les décisions qui le concernent sous
couvert d’une négociation contractuelle.” (3)
Finalement, respecter l’autonomie du patient,
“c’est respecter sa conception de la vie heu-
reuse et l’histoire personnelle qui la sous-
tend” (2).
Ainsi sommes-nous en présence de deux pro-
jets relationnels radicalement opposés et,
comme toujours en de telles situations, il
convient de s’interroger sur les fondements de
l’un et de l’autre. En d’autres termes, qui du
paternalisme ou de l’autodétermination prime
l’autre ? Faire le bien de l’autre au nom de ce
Paternalisme, autonomie et respect de la personne :
un dilemme ?
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Th. du Puy-Montbrun*
* Service de colo-proctologie,
hôpital Léopold-Bellan, Paris.
1. Le cas des enfants sort du champ de cette réflexion.