© L’Encéphale, Paris, 2014. Tous droits réservés.
L’Encéphale (2014) 39, 189-203
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ournal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
Recommandations Formalisées d’Experts de l’AFPBN :
prescription des neuroleptiques et antipsychotiques
d’action prolongée
Fench Society for Biological Psychiatry and
Neuropsychopharmacology task force: Formal Consensus
for the prescription of depot antipsychotics
L. Samalina,*, M. Abbarb, P. Courtetc, S. Guillaumec, S. Lancrenond, P.-M. Llorcaa
aCHU Clermont-Ferrand, EA U7280, Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand, France
bCHU Caremeau, Nîmes, France
cCHRU Montpellier, INSERM U1061, Université de Montpellier, Montpellier, France
dSylia-Stat, Bourg-la-Reine, France
Résumé
Introduction.– En pratique clinique, l’utilisation des formes à action prolongée des
neuroleptiques et des antipsychotiques de seconde génération, reste faible malgré
leur intérêt dans les stratégies de prévention de la rechute dans la schizophrénie
ou dans le trouble bipolaire. L’Association Française de Psychiatrie Biologique et
Neuropsychopharmacologie a élaboré des Recommandations, dont l’objet est l’emploi
de ces formes galéniques spéci ques. Le but de ce travail est de faciliter l’utilisation des
antipsychotiques d’action prolongée en pratique clinique.
Méthodes.– La méthodologie employée est celle dite des « Recommandations Formalisées
d’Experts », basée sur les données de la littérature et le consensus formalisé d’un panel
d’experts.
Résultats.– Les antipsychotiques d’action prolongée sont recommandés chez les
patients souffrant de schizophrénie, d’un trouble schizo-affectif, d’un trouble délirant
ou d’un trouble bipolaire. Les formulations d’action prolongée des antipsychotiques
de seconde génération sont préconisées comme traitement de maintenance dès le
premier épisode d’une schizophrénie et en deuxième ligne comme traitement de
maintenance dans le trouble bipolaire. L’emploi des neuroleptiques à action prolongée
n’est pas recommandé dans la phase précoce du trouble schizophrénique et dans le
trouble bipolaire.
Auteur correspondant : Dr Ludovic Samalin, Psychiatrie Adulte B, CHU de Clermont-Ferrand, BP 69, 63003 Clermont-Ferrand cedex 1, France
Tél. +33 47 375 2124 ; Fax. +33 47 375 2126 ; Adresse e-mail : [email protected] (L. Samalin).
MOTS CLÉS
Recommandations
professionnelles ;
Antipsychotiques à
action prolongée ;
Schizophrénie ;
Trouble bipolaire
L. Samalin, et al.190
La non-observance du traitement antipsychotique pour
ces patients constitue la cause principale de rechute
précoce [3].
Les formes injectables d’action prolongée des anti-
psychotiques font partie de la pharmacopée depuis plus
de 40 ans. Les différentes méta-analyses soulignent leur
intérêt comme stratégie de prévention de la rechute dans la
schizophrénie [4-6]. La plupart des recommandations profes-
sionnelles préconisent ces formulations dans les populations
de patients peu observant et certaines recommandent les
antipsychotiques d’action prolongée comme traitement de
maintenance dans la schizophrénie [7].
1. Introduction
La schizophrénie, le trouble bipolaire ainsi que d’autres
troubles mentaux (trouble délirant, trouble schizo-affec-
tif…) sont des pathologies chroniques pour lesquelles il
existe un risque de rechute élevé associé à des consé-
quences fonctionnelles majeures. La stratégie pharmaco-
logique constitue la pierre angulaire de la prise en charge
de ces patients. L’observance est souvent médiocre avec
des conséquences délétères [1]. La majorité des patients
souffrant de schizophrénie (84 %) arrête leur traitement
antipsychotique durant la période de suivi (33 mois) [2].
KEYWORDS
Guidelines;
Long-acting
injectable;
Depot formulation;
Antipsychotic;
Schizophrenia;
Bipolar disorder
Pour le panel d’experts, les antipsychotiques à action prolongée ne doivent pas
être réservés aux patients non observant ou ayant des rechutes fréquentes, mais
doivent être systématiquement proposés chez tous les patients nécessitant un
traitement antipsychotique au long cours. Des stratégies d’utilisation spéci ques lors
d’une instauration d’une formulation à action prolongée ou lors d’un changement
d’antipsychotique sont proposées. Des préconisations sont faites pour le traitement de
certains groupes (femmes enceintes, sujets âgés, sujets en situation de précarité ou en
détention).
Conclusion.– La place des antipsychotiques à action prolongée évolue vers une utilisation
plus systématique et en première intention, pour les patients nécessitant un traitement
antipsychotique de maintenance dans une démarche de décision médicale partagée.
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Summary
Background.– Compliance is often partial with oral antipsychotics and underestimated
for patients with serious mental illness. Despite their demonstrated advantages in terms
of relapse prevention, depot formulations are still poorly used in routine. As part of a
process to improve the quality of care, French Association for Biological Psychiatry and
Neuropsychopharmacology (AFPBN) Task Force elaborated a Formal Consensus for the
prescription of depot antipsychotics in clinical practice.
Methods.– The Task Force recommends as rst-line choice, the use of long-acting injectable
(LAI) second-generation antipsychotics in patients with schizophrenia, schizoaffective
disorder and delusional disorder. They can be considered as a second-line option as a
monotherapy to prevent manic recurrence or in combination with mood stabilizer to
prevent depressive recurrence in the maintenance treatment of bipolar disorder. LAI
second-generation antipsychotics can also be used after a rst episode of schizophrenia.
Depot neuroleptics are not recommended during the early course of schizophrenia and
are not appropriate in bipolar disorder. They are considered as a second-line option for
maintenance treatment in schizophrenia.
Results.– LAI formulations should be systematically proposed to any patients for whom
maintenance antipsychotic treatment is indicated. LAI antipsychotics can be used
preferentially for non-compliant patients with frequent relapses or aggressive behaviors.
Conclusion.– A speci c information concerning the advantages and inconveniences of
the LAI formulations, in the framework of shared-decision making must be delivered
to each patient. Recommendations for switching from one oral/LAI form to another
LAI and for using LAI antipsychotics in speci c populations (pregnant women, elderly
patients, subjects in a precarious situation, and subjects having to be treated in a prison
establishment) are also proposed.
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Recommandations Formalisées d’Experts de l’AFPBN 191
Ces données ont été discutées et gradées par niveaux
de preuve à partir des critères dé nis par la Haute Autorité
de Santé [14].
Après cette première étape, le comité scienti que (PML,
LS, MA, PC, SG, SL), a élaboré, un questionnaire constitué
de 32 questions qui recouvre 539 options thérapeutiques.
Les 32 questions ont été regroupées en 3 domaines jugés
comme primordiaux :
population-cible : qui permet de décrire les différentes
indications de ces formes galéniques mais aussi la période
la plus appropriée d’instauration au cours de la maladie ;
modalités de prescription et d’utilisation : qui aborde
le choix de la molécule, les modalités d’instauration, les
stratégies spéci ques en fonction du trouble psychiatrique
ou des comorbidités et la surveillance du traitement ;
populations spéci ques : qui aborde l’emploi de ces
formes galéniques chez la femme enceinte, les sujets
âgés, les sujets en situation de précarité, les sujets devant
être traités dans le cadre d’un établissement carcéral.
Ce questionnaire devait être rempli par un panel d’ex-
perts. Sa passation était estimée à environ 3 heures.
Lors de l’élaboration, toutes les molécules à action
prolongée disponibles en France ont été proposées. Elles
ont été regroupées en 2 catégories :
neuroleptiques d’action prolongée (NAP) ;
antipsychotiques atypiques d’action prolongée (APAP).
2.2. L’échelle de cotation
L’expert pouvait exprimer son niveau d’accord et de désac-
cord pour chacune des questions. Les règles qui dé nissent
d’une part l’accord (ou le désaccord), et d’autre part le degré
de convergence des avis des experts ont été prédé nies.
Chaque expert répond à chaque question à l’aide d’une
échelle graduée de 0 à 9 (0 signi e l’existence « d’un
désaccord complet » ou « d’une contre-indication formelle »
et 9 celle « d’un accord complet » ou « d’une indication
formelle ») (Figure 1).
Néanmoins, l’utilisation des antipsychotiques d’action
prolongée reste faible en pratique clinique avec un taux
de prescription n’excédant pas 25 % dans les différents
pays d’Europe [8,9]. Les taux de prescription sont parmi
les plus élevés en France (23,5 %) [10], en Grande Bretagne
(29 %) et à Hongkong (37 %) [8] comparativement aux
autres pays. Plusieurs facteurs explicatifs ont été iden-
ti és auprès des psychiatres tel qu’une surestimation du
niveau d’observance des patients, le refus du patient, un
sentiment de coercition ou les risques d’une moins bonne
tolérance [9,11].
L’objectif de cette recommandation professionnelle
est de proposer un cadre de prescription au praticien lors
de l’utilisation d’une forme galénique spéci que des anti-
psychotiques (forme injectable d’action prolongée) dans
diverses indications thérapeutiques et des situations cli-
niques spéci ques. Le but étant de permettre aux cliniciens
de proposer aux patients les stratégies pharmacologiques les
plus appropriées et de faciliter l’utilisation des antipsycho-
tiques d’action prolongée en pratique clinique.
Les recommandations proposées sont élaborées à partir
d’une méthodologie par Recommandation Formalisée d’Ex-
perts basée sur les données disponibles dans la littérature et
le consensus formalisé d’un panel d’experts [12,13].
2. Matériels et méthodes
2.1. Élaboration du questionnaire
Dans un premier temps, nous avons réalisé une analyse et
une synthèse de la littérature concernant les indications
et les modalités d’utilisation des antipsychotiques à action
prolongée. Cette recherche a utilisé les mots clefs suivants :
« antipsychotic », « neuroleptic », « rst-generation anti-
psychotic », « atypical antipsychotic », « second-generation
antipsychotic », « long-acting injectable », « depot » à partir
des bases de données PubMed et EMBASE a n d’identi er
tous les travaux d’intérêt publiés.
Désaccord complet
0 123 456 789 Indication formelle
Accord complet
Interprétation Contre-indication 3e intention 2e intention 1re intention
Extrêmement approprié: stratégie thérapeutique de choix
Habituellement appropriée: stratégie thérapeutique 1re intention utilsée fréquemment
Stratégie thérapeutique de 2e intention, que vous utilisez quelquefois (préférence du patient ou de la famille;
traitement de 1re intention inefficace oune convient pas
Habituellement peu ou inapproprié: stratégie thérapeutique rarement utilisée
Totalement inpproprié: stratégie thérapeutique jamais utilisée, à éviter
9
7-8
4-5-6
1-2-3
0
Figure 1. L’échelle de cotation
L. Samalin, et al.192
la zone de seconde intention était retenue si moins de
50 % des experts étaient dans la zone [7 à 9] et au moins
50 % des experts dans les zones cumulées [7 à 9] et [4
à 6] ;
la zone de troisième intention était retenue si moins de
50 % des experts étaient dans les zones cumulées [7 à 9]
et [4 à 6] et moins de 20 % dans la zone 0 ;
la zone de « contre-indication » ou de désaccord était
retenue si au moins 50 % des experts ayant répondu à
au moins une question du paragraphe étaient dans la
zone 0.
Dans tous les autres cas, la question était considérée
comme non consensuelle.
Le tableau 1 résume le processus d’analyse des données.
Un exemple est donné dans l’Annexe 2.
Les résultats ont été interprétés par le Comité Scienti que
et ont permis l’élaboration des recommandations. Celles-ci
ont été validées par un Comité Scienti que Indépendant (EH,
CL, PT) (Annexe 1). Le document nal a été rédigé par deux
membres du Comité Scienti que (LS, PML).
3. Résultats
Cette partie résume les principales recommandations.
L’ensemble des données est disponible sur le site de
l’Association Française de Psychiatrie Biologique et
Neuropsychopharmacologie (http// : www.afpb.org).
3.1. Description de la population des experts
Le nombre total d’experts ayant complété le questionnaire
est de 42 (Annexe 3), soit 79 % des experts contactés.
Les motifs de non-participation des 11 experts étaient
un travail d’expertise trop important ou des disponibilités
insuf santes pour répondre dans les délais impartis.
Les données sociodémographiques et d’activités pro-
fessionnelles du panel d’experts sont présentées dans le
Tableau 2.
Cette échelle est issue d’une variante de la méthode
« Groupe Nominal », développée par la Rand Corporation
et l’Université de Californie aux USARAND/UCLA
appropriateness rating method »). Elle a l’avantage d’être
bien codi ée, d’être utilisée en médecine et d’avoir été
publiée [12,15,16].
2.3. Sélection des experts
Le Comité scienti que (Annexe 1) a sélectionné 53 experts
français de l’utilisation des antipsychotiques à action
prolongée.
Les critères de sélection étaient :
exercice d’une activité clinique dans le domaine de la
schizophrénie ou du trouble bipolaire ;
publication ou communication de travaux de recherche
dans des congrès nationaux ou internationaux sur le
thème des neuroleptiques d’action prolongée ou des
antipsychotiques à action prolongée.
Chaque expert a été consulté individuellement pour
fournir son expertise à partir du questionnaire fourni. Un
suivi a été mis en place pour assurer, notamment, l’envoi et
le retour des documents et le respect des délais. Un rappel
de la mission des experts a été effectué. L’engagement
écrit de chacun des experts a été demandé. Les experts
participant à ce projet n’étaient pas rémunérés.
2.4. Analyse des données
Les réponses à chaque question ou proposition ont été ana-
lysées en tenant compte dans un premier temps de l’analyse
descriptive (médiane, moyenne et écart-type, minimum,
maximum et effectif pour chacune des modalités de 0 à 9) :
la zone de première intention était retenue si au moins
50 % des experts ayant répondu à la question étaient
dans la zone [7 à 9]. Dans cette zone, le traitement de
choix était retenu si au moins 50 % des experts avaient
coté 9 ;
Tableau 1. Analyse des données.
Pourcentages de réponses dans les zones…
[0] [1-3] [4-6] [7-9]
< 20 % < 50 % 50 % 1re intention
< 20 % < 50 % 50 % et < 100 % 2e intention
< 20 % < 50 % 3e intention
50 % Contre-indication
Pour toutes les cases (-), la question était considérée comme non consensuelle.
Recommandations Formalisées d’Experts de l’AFBN 193
3.2. Population cible
3.2.1. Indications (Tableau 3)
L’emploi des APAP est recommandé en 1re intention (avant
celui des NAP) dans :
• la schizophrénie ;
le trouble délirant ;
le trouble schizo-affectif.
Pour le trouble bipolaire :
les APAP ne sont recommandés qu’en 2e intention après
les stratégies pharmacologiques habituelles [15] ;
les NAP ne sont pas recommandés.
Tableau 2. Données sociodémographiques et d’activités professionnelles du panel d’experts (N = 42).
Âge (années) N42
Moyenne ± ET 46,81 ± 9,82
Min ; Max 31 ; 63
Médiane 46
Années d’exercice (années) N41
Moyenne ± ET 17,29 ± 10,20
Min ; Max 2 ; 37
Médiane 16
Prise en charge de patients ambulatoire (%) N41
Moyenne ± ET 68,90 ± 22,43
Min ; Max 25 ; 100
Médiane 75
Prise en charge de patients en milieu hospitalier (%) N41
Moyenne ± ET 31,10 ± 22,43
Min ; Max 0 ; 75
Médiane 25
Au cours des 5 dernières années, dans le domaine des NAP/
APAP N42
Activité clinique 42 (100,0 %)
Projets de recherche 18 (42,9 %)
Publications 12 (28,6 %)
Communications N36
Conférences 22 (61,1 %)
Congrès 24 (66,7 %)
Enseignement 22 (61,1 %)
Tableau 3. Indications d’un NAP ou APAP selon les critères
du DSM-IV-TR.
NAP APAP
1re intention
– Schizophrénie
– Trouble délirant
– Trouble schizoaffectif
2e intention
– Schizophrénie
– Trouble délirant
– Trouble schizoaffectif
– Trouble de personnalité
– Trouble bipolaire
– Trouble de personnalité
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